《Les Songes de Suranis [French]》
Prologue : Sous terre, le Flux sommeille
Des herbes mauves dansaient dans la plaine sous une brise l¨¦g¨¨re. Dans la matin¨¦e, Jan van Dyck ¨¦tait mont¨¦ seul au mirador et s''occupait d¨¦sormais en fixant avec r¨¦solution ce spectacle lassant. Certes, il existait quelques ¨¦crins de verdures qui venaient casser la monotonie du paysage. Des for¨ºts de trembles et de bouleaux s''¨¦panouissaient, plant¨¦es par les colons, mais le temps serait encore long avant que cette plan¨¨te ne sembla famili¨¨re aux nouveaux arriv¨¦s.
C''est chez moi. Ce n''est pas chez moi et jamais ?a ne le sera.
Il soupira et se pencha par-dessus la rambarde. Une voix famili¨¨re lui parvint d''en bas. Mathilda Bell, avec son bras en ¨¦charpe, n''¨¦tait qu''un simple amas de cheveux d¨¦sordonn¨¦s parsem¨¦ de blanc. Il se souvint comment, trois ans auparavant, sa tignasse ¨¦tait encore d''une couleur unie. Elle prenait de l''age ce qui n''¨¦tait pas son cas. Un jour viendrait o¨´ lui aussi vieillirait.
¡ª Jan !
¡ª Mathilda.
¡ª Alors, ils ont re?u le message ? demanda-t-elle. Tu vois quelque chose ?
¡ª Qu''est-ce que j''en sais ? Les communications sont toujours une gal¨¨re avec l''Olkers... Mais ils vont venir, j''en suis certain. Il faut juste qu''ils attendent une br¨¨che... Sois un peu patiente.
¡ª Tu n''as rien de mieux ¨¤ faire que d''attendre la navette ?
¡ª J''ai une longue vie devant moi.
Trop longue ¨¤ son go?t. Il se rem¨¦morait la Terre et comment sa long¨¦vit¨¦ lui paraissait ¨ºtre un divin pr¨¦sent. Comme beaucoup, il portait alors des augmentations et en avait ¨¦t¨¦ satisfait jusqu''¨¤ la derni¨¨re mise ¨¤ jour d¨¦fectueuse. Les hormones de synth¨¨se avaient cess¨¦ de d¨¦ferler en lui et il s''¨¦tait senti affreux. Personne ne savait ¨¤ l''¨¦poque que le bonheur ressenti par le possesseur d''un implant n''¨¦tait qu''une foutaise synth¨¦tique et il se demanda si sur Terre, les gens ¨¦taient au courant. Certainement pas. Ils avaient vol¨¦ ce vaisseau-arche ¨¤ Extense, s''¨¦taient affranchis de la corporation mais, ¨¤ n''en pas douter, ces derniers devaient encore avoir la mainmise sur l''opinion publique terrestre.
¡ª Super roc, marmonna-t-il.
Dans cet horizon si distant, la plaine paraissait infinie jusqu''¨¤ qu''elle se heurte aux murailles de gr¨¨s rouge de l''Our?k. Un bon millier de kilom¨¨tres les s¨¦parait de la montagne et du d¨¦sert, ?a avait ¨¦t¨¦ une sacr¨¦e perc¨¦e jusqu''ici et ils avaient d? faire avec les moyens du bord. Le vaisseau-arche flottait l¨¤, bien au-del¨¤ des montagnes et au-dessus de la singularit¨¦ de G¨¹nth. Jan le devinait plus qu''il ne le voyait grace aux br¨¨ves impulsions de ses titanesques moteurs qui rectifiaient p¨¦riodiquement son orbite.
¡ª Toujours rien ? s''impatienta Mathilda.
La base orbitale et, tous ceux qui restaient pi¨¦g¨¦s ¨¤ l''int¨¦rieur, demeurait muette. Il haussa les ¨¦paules, d¨¦tourna un temps ses yeux pour ceux de Mathilda et revint ¨¤ elle juste ¨¤ temps pour voir le ciel s''embraser d''un ¨¦clat vert. Le bouclier plan¨¦taire c¨¦dait sous l''impulsion d''une navette.
¡ª Impact, commenta van Dyck avec lassitude.
La navette venait de gaspiller la majeure partie de son carburant et une violente bourrasque ne tarderait pas ¨¤ d¨¦ferler sur eux. Heureusement que ces conneries de spatialit¨¦ seront abandonn¨¦es une fois la colonie install¨¦e, pensa-t-il en descendant l¡¯¨¦chelle. Il atteignit le tarmac bien avant que le souffle ne les atteigne. Il frappa les angles aigus des batiments de b¨¦ton qui encerclaient la piste d¡¯atterrissage et s''il n¡¯en restait alors qu¡¯un relief incertain, ils se le prirent tout de m¨ºme.
¡ª Senti, nota Bell.
¡ª Oui, senti.
Les turbulences dans les cheveux, les animaux qui jaillissent des bosquets... ?Senti? comme toutes les fois o¨´ le vaisseau-arche communiquait avec les bases avanc¨¦es.
¡ª Tu es certain que les d¨¦flagrations du flux ne d¨¦t¨¦riorent pas tes implants ?
¡ª Je t''emmerde Bell. L''¨¦ternit¨¦ est mienne... En tout cas, tant qu''une d¨¦faillance syst¨¨me ne vienne me ruiner les organes vitaux... J''ai arr¨ºt¨¦ l''entretien, d''ici 150 ans grand max je serai mort, mais je peux bien crever avant que je m''en foutrais totalement !
Ses yeux ¨¦taient pleins de rage m¨ºl¨¦e ¨¤ une indicible honte.
¡ª Pardon, s''excusa Mathilda.
¡ª Ouais, pardon... Vous dites toujours cela vous autres biologiques... Si je suis sur cette putain de plan¨¨te c''est parce que je suis tout aussi convaincu que toi que la fin est pr¨¦f¨¦rable ¨¤ l''¨¦ternit¨¦. J''ai fait des erreurs en choisissant l''inverse par le pass¨¦, mais je me repens grace au Vieillard.
Elle lui tapota l''¨¦paule machinalement, l''air de s''en foutre. Peu importait en r¨¦alit¨¦ maintenant qu''ils se retrouvaient tous dans le m¨ºme panier. Les pr¨¦ceptes du R¨¦v¨¦rend Olkers ¨¦taient simples: l''¨¦ternit¨¦ par la technologie conduisait ¨¤ l''oisivet¨¦ et ¨¤ la stagnation de l''humanit¨¦ tout aussi bien qu''¨¤ la d¨¦pendance. Une bien belle croyance, mais qui ne laissait d''autre choix que celui de se faire la malle si on d¨¦sirait ¨¦viter de passer par le camp de reconditionnement groenlandais. Jan se souvint soudainement que ?a n''avait jamais ¨¦t¨¦ ce qui avait motiv¨¦ le d¨¦part de Mathilda. Elle, elle ¨¦tait de ceux pour qui le r¨¦seau clandestin d''exode avait ¨¦t¨¦ r¨¦ellement form¨¦. Le choix d''¨ºtre r¨¦¨¦duqu¨¦e ¨¤ la vie ne lui avait jamais ¨¦t¨¦ propos¨¦ sinon celui d''une mort certaine sous les balles des fusils.
¡ª J''ai honte, conclut-il.
Honte pour sa vie allong¨¦e, honte de grogner aupr¨¨s d''une femme qui aurait ¨¦t¨¦ tu¨¦e sur Terre pour des conneries g¨¦n¨¦tiques... Difficile de le d¨¦terminer.
¡ª Passons, dit-elle. C''¨¦tait avant, notre futur est ¨¤ dessiner sur cette plan¨¨te. D¨¦p¨ºchons-nous plut?t de nous occuper de cette affaire maintenant que nous avons la certitude que la d¨¦l¨¦gation de l''Olkers est bien en route.
Une affaire qui, si elle n''¨¦tait pas encore pressante, ne tarderait ¨¤ la devenir. Ils commenc¨¨rent ¨¤ se diriger vers le hangar.
¡ª J''esp¨¨re que le gonze qu''ils nous envoient saura nous apporter des r¨¦ponses... J''aime pas cette merde. J''ai entendu que les mineurs n''aiment pas l''extraire.
¡ª Ils t¡¯ont dit pourquoi?
¡ª Ils n¡¯aiment pas. Bref, hatons nous de r¨¦cup¨¦rer l¡¯¨¦chantillon avant que cet Anderson n¡¯arrive, lacha-t-il avant d''essayer d''ouvrir les portes.
La porte-coch¨¨re du hangar s''av¨¦ra gripp¨¦e, mais ne r¨¦sista pas ¨¤ ses coups d''¨¦paule. Ils se retrouv¨¨rent dans un monde de b¨¦ton qui les plongea irr¨¦m¨¦diablement dans une sale nostalgie, celle induite par les souvenirs terrestres v¨¦cus au si¨¨cle dernier mais qui ne paraissaient ¨ºtre lointain que de treize ans pour leur conscience, dont dix ann¨¦es pass¨¦es ¨¦veill¨¦s ¨¤ faire leur quart de maintenance sur l''Olkers et le reste ¨¤ arpenter Megaranea. La r¨¦miniscence terrestre empira lorsqu''ils s''approch¨¨rent du v¨¦hicule tr?nant au milieu du hangar. D''une livr¨¦e blanche et or, il poss¨¦dait deux fentes dans la verri¨¨re qui lui donnaient une allure de char d''assaut raffin¨¦. Mathilda Bell ne connaissait pas la marque avant d''arriver, mais Jan Van Dick en avait d¨¦j¨¤ crois¨¦ dans les tr¨¨s grandes villes qui autorisaient encore les v¨¦hicules individuels avant son d¨¦part. Dans ses souvenirs ils ¨¦taient plus maigre d''une bonne dizaine de tonnes, mais le p¨¦gase argent¨¦ appos¨¦ sur la calandre restait le m¨ºme: P¨¦gasus, mod¨¨le Explorer militaris¨¦. Il ¨¦touffa son rire.
¡ª On a l''air con! s''esclaffa-t-il. Nous sommes sur une plan¨¨te o¨´ les miasmes ne nous contraignent pas ¨¤ des visites m¨¦dicales mensuelles et pourtant nous utilisons des tanks pour nous d¨¦placer! Bordel, qu''est-ce que mon Horizon me manque...
¡ª Ton quoi?
¡ª Horizon 28C, une unit¨¦ domotique itin¨¦rante. C''est un engin de pseudo-nomade, s?r que tu ne connais pas.
Mais qu''est-ce qu''elle me manque! Si tu avais vu l''oc¨¦an qui s''¨¦talait ¨¤ perte de vue, les nuages jaunes qui striaient le ciel comme des coul¨¦es d''or liquide et cette magnifique boue contamin¨¦e envahie par les champignons... Cette ch¨¨re Terre, celle-l¨¤ m¨ºme qui n''existe peut-¨ºtre plus aujourd''hui...
¡ª Mouais, se contenta de r¨¦pondre Mathilda. T''¨¦tais nomade ?
¡ª Non, juste curieux.
Elle le regarda perplexe comprenant que des flottes nomades aient pu exister, h¨¦riti¨¨res de nations submerg¨¦es par les flots, mais que des gens puissent eux-m¨ºmes se vouer ¨¤ pareille vie? Impossible! Encore une nouvelle diff¨¦rence entre elle et Van Dyck qui, d¨¦cid¨¦ment, ne s''arr¨ºtait pas aux implants. Elle fit le tour du v¨¦hicule et ouvrit la porte pour s¡¯installer ¨¤ la place du conducteur. Van Dyck la regarda avec d¨¦sapprobation:
¡ª Tu vas r¨¦ussir ¨¤ conduire ?a malgr¨¦ ton bras?
¡ª On fera avec. Je suis la seule disponible l¡¯ami! Tu saurais guider cette bestiole ?
Non, il ne le saurait pas et il se dit qu''¨¤ d¨¦faut d''un pilote en parfait ¨¦tat, une bless¨¦e ferait parfaitement l''affaire. Il se hissa ¨¤ ses c?t¨¦s et d¨¦barrassa le tableau de bord du bordel laiss¨¦ par la derni¨¨re ¨¦quipe. La commande des portes se trouvait l¨¤, un peu crasseuse. Il appuya sur le bouton et les portes du hangar s¡¯ouvrirent.
¡ª Tu as attach¨¦ ta ceinture? On a trente bornes aller-retour pour chercher le caillou de Monsieur Anderson.
¡ª Tu ne l¡¯aimes pas, remarqua-t-il.
¡ª Comme je n¡¯aime pas tous ces couillons savants qui restent bien au chaud pendant qu¡¯on se coltine le gros du boulot. Tu verras qu¡¯ils s¡¯attribueront tout le m¨¦rite une fois la colonie ¨¦tablie.
Bell ins¨¦ra les clefs, tourna le commutateur principal et attendit que la magie op¨¨re. Le v¨¦hicule toussa, feignit de caler, cracha un nuage noir puis se tut. ?Fait chier? grommela-t-elle en insistant. Une tache de graisse toute neuve venait de souiller le b¨¦ton, le colis d¡¯Anderson aurait du retard.
Partie 2
¡ª Vous avez fait bon vol?
Une question rh¨¦torique ¨¤ laquelle Fitz Anderson ne put r¨¦pondre. Non, mais en m¨ºme temps son vol s¡¯¨¦tait d¨¦roul¨¦ comme tous les voyages entre le vaisseau-arche et la colonie. Il aurait bien dit qu¡¯il ¨¦tait incommod¨¦ par la pesanteur d¨¦bilitante, lui qui vivait avec 60% de la bonne vieille gravit¨¦ terrestre, et il manqua presque de le faire avant de se rendre ¨¤ l¡¯¨¦vidence: le pire ce n¡¯¨¦tait pas ?a. Passer de 0,6 ¨¤ 1,47 ?a ne faisait rien en comparaison de l''affreuse migraine inh¨¦rente au taux d''oxyg¨¨ne sur Megaranea.
¡ª Peut-¨ºtre ? hasarda-t-il en se caressant les cheveux et notant que sa calvitie progressait. Vous vous souvenez de votre premi¨¨re descente ?
¡ª J¡¯en ai fait qu¡¯une seule et comme vous je me suis retrouv¨¦ dans un exosquelette le temps que mon corps sorte reconstruit de la forge qu¡¯est cette plan¨¨te. Asseyez-vous, je vous prie, la chaise devrait tenir.
L¡¯op¨¦rateur Kumari d¨¦signa une chaise qui n¡¯avait de toute ¨¦vidence pas ¨¦t¨¦ pr¨¦vue pour supporter le poids d¡¯un homme en exosquelette. Anderson lui sourit en tirant la chaise vers lui et tachant tant bien que mal de trouver un ¨¦quilibre pr¨¦caire. Une fesse sur deux, une assise ¨¤ la c¨¦leste comme on disait.
¡ªJe dois m''attendre ¨¤ quoi de plus ?
¡ªHormis la migraine et les courbatures ? Rien.
Le sourire de Kumari s''¨¦largit et Anderson se garda de lui raconter que lorsqu¡¯il avait travers¨¦ la singularit¨¦ de G¨¹nth, seul point dans l¡¯atmosph¨¨re ¨¤ bien daigner offrir un couloir de circulation qui n¡¯ab?mait pas irr¨¦m¨¦diablement les navettes, une voix ¨¦tait venue ¨¤ lui. Une voix? Peut-¨ºtre pas. Surtout une sensation oppressante de rejet qui d¨¦passait son ¨ºtre physique.
Le truc c''est que je ne suis pas le bienvenu. Plut?t le malvenu m¨ºme.
¡ªParfait dans ce cas.
L''op¨¦rateur commen?a ¨¤ fouiller dans les papiers ¨¦parpill¨¦s sur sa table. Pas un seul caf¨¦ ne lui fut propos¨¦ alors qu''ils avaient pass¨¦s leur dix d''¨¦veil ensemble.
¡ªJe ne retrouve pas ces satan¨¦es donn¨¦es pr¨¦liminaires, grommela Kumari.
¡ªCe n''est pas la peine, l''¨¦chantillon arrivera bient?t.
¡ªJustement, le convoi a du retard, il va falloir attendre.
¡ªSi vous le dites Arun, r¨¦pondit Anderson. J''attendrais... Au moins aurais-je eu l''infini plaisir de voir ¨¤ quoi ressemble la terre ferme vue du sol.
Un rictus s''afficha sur le visage de l¡¯op¨¦rateur lorsqu''il entendit son pr¨¦nom. Il se d¨¦tourna de ce dernier pour se diriger vers l''¨¦troite meurtri¨¨re qui donnait sur l''ext¨¦rieur.
¡ª Je suis content de ne pas trop la voir d''ici. La v¨¦rit¨¦ c''est qu''elle est bien moins jolie une fois qu''on la fr¨¦quente... Je l''ai toujours vu comme une sorte de pierre pr¨¦cieuse quand je la regardais de la salle d''observation de l''Olkers et tout particuli¨¨rement quand mon regard se d¨¦portait vers la d¨¦pression de l''Our?k. Vous n''avez jamais eu la sensation que l¡¯?il unique d''un cyclope vous observait dans cette situation? Moi oui et ce profond orange me passionnait. Ma d¨¦ception a ¨¦t¨¦ grande quand j''ai appris qu''on ne s''y installerait pas, la faute aux sols sablonneux, trop instables pour y batir quoi que ce soit.
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¡ª La d¨¦pression... dit Anderson pensif. J''ai contribu¨¦ ¨¤ la r¨¦daction du rapport de viabilit¨¦ d''un avant-poste dans celle-ci et ait ¨¦t¨¦ tout aussi d¨¦?u que vous que nous ne puissions nous y installer. Cela fait une longue route jusqu''aux bases les plus proches.
¡ª Un sacr¨¦ vol, corrigea Kumari.
¡ªOui vous avez raison, s''excusa Anderson en ¨¦vitant de lui faire remarquer que les deux cent premiers kilom¨¨tres, jusqu''au tunnel qui traversait la montagne, devaient ¨ºtre r¨¦alis¨¦s en v¨¦hicule tout-terrain. C''est presque triste de se dire qu''il n''y a rien plus au sud d''ici... Je portais personnellement beaucoup d''espoir aux bandes polaires, mais il semblerait que nous soyons condamn¨¦s ¨¤ rester dans les environs.
Rejoindre ces bandes lointaines... Un jour? Des merveilles pourpres qui s¡¯agitent comme des tentacules. C¡¯est ce qu¡¯elles sont au final, elles nous englobent¡ Nous exploitent jusqu¡¯¨¤ que nous redevenions poussi¨¨res. Nous sommes le produit, elles sont les fermi¨¨res, fut ce qu¡¯Anderson aurait voulu exactement dire mais qu''il tut au risque de para?tre fou.
¡ªElles sont belles, admit Kumari, mais je crains que vous ne cherchiez la beaut¨¦ l¨¤ o¨´ elle ne se trouve pas. Regardez plut?t autour de vous ! Les for¨ºts commencent ¨¤ bien prendre, la monotonie du paysage s''estompe progressivement sous notre joug civilisateur. Ce beau monde est en devenir et il est plus certain que les glaciers du sud qui co?tent chaque mois la vie de dizaines d''explorateurs... C''est un secteur compliqu¨¦ m¨ºme si vous rirez certainement en apprenant qu''on a aussi des engelures dans le coin.
¡ªComment ?a ?
¡ª Approchez, ?a sera plus facile si je vous le montre.
Anderson se leva, quittant sa position pr¨¦caire pour venir se ficher aux c?t¨¦s de l¡¯op¨¦rateur. Sa silhouette musculeuse changeait de l¡¯homme qu¡¯il avait connu il y a trois ans et qui se rapprochait alors plus d¡¯une ramification mineure que d''un tronc. Le futur sp¨¦cifique des colons serait int¨¦ressant, peut-¨ºtre m¨ºme arriveraient-ils ¨¤ se diff¨¦rencier avec le temps de la branche primordiale de l''humanit¨¦. Le fait est que les deux hommes prenaient de la place et aussi Kumari s''¨¦carta-t-il pour lui laisser le loisir de voir une temp¨ºte naissante. Un mur blanc et opaque avan?ait vers eux tandis que le silence s''abattait sur les plaines. Anderson eut une soudaine envie de boire un th¨¦ si chaud qu''il s''en br?lerait la gorge. Le chauffage automatique s''enclencha dans le bureau et souffla avec fracas pour pallier ¨¤ la baisse subite de la temp¨¦rature.
¡ª On va perdre dans les vingt degr¨¦s en l''espace d''une heure, puis ?a remontera aussi sec, expliqua Kumari.
¡ª Merde, souffla Anderson. Je suis bien content de n¡¯¨ºtre qu''un physicien nucl¨¦aire et pas m¨¦t¨¦orologue. Je comprends mieux pourquoi la temp¨¦rature moyenne n¡¯est que de 8,7¡ãC.
¡ª Elle s¡¯approche en r¨¦alit¨¦ des 17¡ãC si on retire de l''¨¦quation ces ¨¦v¨¦nements m¨¦t¨¦orologiques.
Le front glac¨¦ venait d''atteindre une jeune for¨ºt et un groupe d''oiseaux, non adapt¨¦s ¨¤ pareilles chutes, s''envola en retraite d¨¦sorganis¨¦e. Ils feraient une boucle vers le sud avant de revenir lorsque le gros de la vague frigorifique serait pass¨¦e. Bient?t ils ne veraient plus la for¨ºt, le cimeti¨¨re serait la prochaine cible du froid et les tombes allaient encore se fissurer.
¡ª Vous comprenez mieux pourquoi le convoi est en retard ?
¡ª Oui, marmonna Anderson en fixant les st¨¨les qui givraient.
Combien de temps encore avant que nous nous retrouvions tous? Combien de temps avant que l''Enfer appartienne v¨¦ritablement au pass¨¦?
¡ª Oh, s''exclama Kumari.
Il ¨¦carta le physicien d''une bourrade et d¨¦signa un miroitement dans la temp¨ºte. Il souriait ¨¤ pleines dents d''un air un peu b¨ºte, d¨¦voilant l''une de ces couronnes color¨¦es qui ¨¦taient ¨¤ la mode lorsqu''ils avaient quitt¨¦ la Terre. L''¨¦clat lointain se stabilisa dans un bleu profond, incontestablement celui de phares au x¨¦non.
¡ª Des lumi¨¨res bleues...
¡ª ?a ne fait pas partie des ¨¦tranget¨¦s de cette plan¨¨te. Ils arrivent enfin ! La temp¨ºte ne les aura pas trop retard¨¦s finalement... Moi qui comptait vous offrir un caf¨¦, s''excusa Kumari bien que cela sonna faux.
¡ª Ils auraient pu aussi partir plus t?t, nota Anderson en pensant au caf¨¦ qu''il n''aurait pas.
¡ª Impossible, l¡¯¨¦chantillon perd de son int¨¦grit¨¦ une fois extrait. Il faudra trouver un moyen de la stabiliser s¡¯il est exploitable¡
¡ª Il perd de son int¨¦grit¨¦ et vous m¡¯?tez le plaisir de le d¨¦couvrir par moi-m¨ºme!
Comme si cela importait? La perte d''int¨¦grit¨¦ serait r¨¦solue en construisant les centrales ¨¤ proximit¨¦ des gisements. S''ils pouvaient exploiter cette ressource nouvelle, ils repasseraient de l''¨¨re du diesel ¨¤ celui de l''atome.
¡ª J¡¯esp¨¨re au fond qu''on en tirera quelque chose, soupira Anderson.
Partie 3
Le P¨¦gasus Explorer entra dans le hangar, Mathilda Bell coupa tous les interrupteurs qu¡¯elle avait activ¨¦ au cours de son voyage et descendit la premi¨¨re. Des man?uvres vinrent aider ¨¤ transporter la bo?te carr¨¦e au trisecteur. Elle mesurait une cinquantaine de centim¨¨tres de c?t¨¦ et pesait plus qu¡¯elle ne le paraissait. Jan van Dyck les guida jusqu¡¯¨¤ l¡¯annexe d¡¯¨¦tudes de la base op¨¦rationnelle dans laquelle s¡¯¨¦tait d¨¦j¨¤ install¨¦ Fitz Anderson. Il paraissait fatigu¨¦, bien qu¡¯excit¨¦.
¡ª Vous pouvez la poser sur le banc d¡¯¨¦tudes, dit-il.
Van Dyck la d¨¦posa, h¨¦sitant ¨¤ lui donner du ?Oui Monsieur!?.
¡ª Vos protections sont basiques, remarqua-t-il. Vous avez pass¨¦ la bo?te au compteur?
¡ª Le niveau est infime. On est au-del¨¤ des limites hautes de radioactivit¨¦, mais le plomb suffit encore ¨¤ nous prot¨¦ger enti¨¨rement. Une fois la bo?te ouverte et ¨¤ l''abri derri¨¨re la verri¨¨re vous ne risquerez rien.
Une bonne nouvelle pour Anderson. Il n¡¯avait pas trouv¨¦ de tenue hazmat ¨¤ sa taille et n¡¯avait pas pens¨¦ en ¨¤ apporter une. De toute fa?on, les rapports initiaux parlaient d¡¯un mat¨¦riau radioactif ¨¤ des niveaux int¨¦ressants ¨¤ d¨¦faut d¡¯¨ºtre colossaux. Marie Curie avait manipul¨¦ bien pire... M¨ºme si elle avait mal fini.
Sans dire un mot de plus, Anderson referma la verri¨¨re du banc d''¨¦tudes et glissa ses mains dans les gants de protection. Il sentait ses doigts affreusement lourds et s¡¯amusa ¨¤ les ouvrir, les refermer pour constater une adresse toute relative. Clairement, la pr¨¦cision ne serait pas au rendez-vous, mais cette ¨¦tape n¡¯¨¦tait que de la pure observation. Les appareils s¡¯occuperaient d''enregistrer tout ce qui ne serait pas visible ¨¤ l¡¯?il nu. Il ouvrit le couvercle de la bo?te qui coulissa sur ses gonds et ¨¦valua ¨¤ la louche ses risques de mourir irradi¨¦s si les mesures pr¨¦alables s''av¨¦raient fausses. Cela serait le comble pour un sp¨¦cialiste nucl¨¦aire de renomm¨¦ mondiale¡ Non, ?a c¡¯¨¦tait avant Fitz! Maintenant, tu es de renomm¨¦e galactique.
¡ª Vous y ¨ºtes all¨¦s fort pour prot¨¦ger l¡¯¨¦chantillon. J¡¯ai d¨¦j¨¤ vu du plomb, mais ¨¤ ce point? C''est sens¨¦ r¨¦sister ¨¤ quel calibre? Du .50 ?
¡ª On fait ce qui doit ¨ºtre fait, r¨¦pondit Van Dyck sans prendre la mouche. On peut disposer?
¡ª Faites.
Les charg¨¦s du convoi sortirent de la pi¨¨ce et referm¨¨rent derri¨¨re eux. L¡¯op¨¦rateur Kumari se tenait en retrait, observant la sc¨¨ne avec int¨¦r¨ºt. Il respirait avec pr¨¦caution, comme si l¡¯¨¦chantillon pouvait le tuer d''une simple volont¨¦. Anderson regarda son compteur Geiger:
¡ª Tout va bien Kumari. Les niveaux flirtent avec le r¨¦acteur naturel d¡¯Oklo, c¡¯est-¨¤-dire pas grand-chose.
Kumari grima?a. Anderson n¡¯en tint pas compte et se saisit de l¡¯¨¦chantillon. Il s¡¯agissait d¡¯une perle totalement lisse d¡¯un noir intense et sur lequel des fissures couraient. Elles oscillaient entre le dor¨¦ et l¡¯argent¨¦, des touches violettes et vertes per?aient parfois. L¡¯image d¡¯ensemble qu¡¯il s¡¯en fit fut celle d¡¯une flaque de p¨¦trole, mais solide et sph¨¦rique.
¡ª Vous l¡¯avez taill¨¦? demanda-t-il.
L¡¯op¨¦rateur r¨¦futa. La forme ¨¦tait naturelle. Anderson suivit l¡¯une des fissures qui en rejoignaient d¡¯autres et de ces ruisseaux entrem¨ºl¨¦s naissaint des rivi¨¨res. L¡¯or lui sembla couler, l¡¯argent se m¨ºla ¨¤ lui et il reposa la perle avec un sentiment de malaise. Il avait cru voir une forme d¡¯autonomie, comme si un ¨ºtre sentient habitait cette sph¨¨re de jais qui calquait ses respirations sur les siennes.
¡ª Soit¡ Il faudra que j¡¯en parle ¨¤ quelqu¡¯un de plus qualifi¨¦ que moi pour d¨¦terminer l''origine de cette forme si particuli¨¨re... Vous avez un contexte?
L¡¯op¨¦rateur ne comprit pas tout de suite, puis son visage s¡¯illumina. Il se dirigea vers un classeur m¨¦tallique et en retira le plan du site d¡¯extraction B4. Il l¡¯¨¦tala sur une table, vite rejoint par Anderson qui avait laiss¨¦ l¡¯¨¦chantillon derri¨¨re lui et ses gants de maladresse.
¡ª L¡¯¨¦chantillon provient du site d¡¯extraction B4 qui est lui-m¨ºme le plus profond de la r¨¦gion. L¡¯extraction a eu lieu ¨¤ 104 m¨¨tres de profondeur, dans ces galeries-l¨¤, montra Kumari.
¡ª Naturelles? demanda Anderson en remarquant le tron?on parfaitement octogonal.
¡ª Tout ¨¤ fait.
Encore quelque chose d¡¯insens¨¦. Le r¨¦seau de galeries ne r¨¦pondait en rien au processus de formation naturelle. Il donnait de plus l¡¯impression d¡¯¨ºtre agenc¨¦ comme la toile d¡¯une araign¨¦e... Non, ils ¨¦taient r¨¦ellement organis¨¦s comme tel.
¡ª Merde alors! s¡¯exclama Anderson. Qu''est-ce que c''est que ce foutoir?!
¡ª Oui, merde. Je suis de votre avis, r¨¦pondit calmement Kumari. Elles sont naturelles, personne n''¨¦tait l¨¤ avant nous pour les creuser et nous n''avons d¨¦couvert aucun d¨¦p?t m¨¦tallique dans les parois pour attester de l''utilisation d''outils. Si les galeries ont ¨¦t¨¦ creus¨¦es c''est ¨¤ coup de griffes dans le granit et croyez-moi, cela est impossible. Il pourrait ¨¦galement s''agir d''une technologie avanc¨¦e, mais les recherches x¨¦noarch¨¦ologiques n''ont men¨¦ ¨¤ rien. Ce monde est totalement vierge Anderson.
¡ª Myst¨¨re sur myst¨¨re en conclusion... Donc, ces¡ Perles, admettons qu¡¯on les nomme ainsi, elles sont d¨¦couvertes o¨´ en g¨¦n¨¦ral? Incrust¨¦es dans la roche? Dans des fossiles peut-¨ºtre ou bien des g¨¦odes?
¡ª Non, elles se retrouvent en grappes. Comme des grappes de raisin.
¡ª Des¡
Anderson ne captait rien. Une histoire grotesque lui vint ¨¤ l¡¯esprit, celle parlant d''un vignoble de perles noires qui pousseraient dans la nuit et laisseraient tout le monde pantois au petit matin. Il d¨¦glutit en tentant aussi bien qu¡¯il le pouvait de cacher ses craintes. Il n¡¯aimait pas cette perle, mais il finirait par r¨¦diger un rapport autorisant son exploitation si elle pouvait ¨ºtre utilis¨¦e ¨¤ des fins ¨¦nerg¨¦tiques.
¡ª Bordel! s¡¯¨¦cria soudainement Kumari en l''extirpant de ses pens¨¦es. Foutu de foutu!
Nulle crainte dans la voix de Kumari n''alerta Anderson. Il fixait simplement le banc d''¨¦tudes dans le dos d''Anderson. Le physicien remarqua que l''op¨¦rateur ¨¦tait plus visible d¨¦sormais, les pores de sa peau ressortaient sous une lumi¨¨re crue qui ne cessait de cro?tre et les gouttelettes de sueur de son front perlaient jusqu¡¯¨¤ s¡¯abattre sur le plancher. Il fit volte-face, les mains plong¨¦es devant lui dans un brusque instinct primitif. La perle irradiait d¡¯une lueur puissante, les ombres s¡¯¨¦talaient face ¨¤ elle et finissaient par totalement dispara?tre.
¡ª Fiat lux, siffla Anderson.
Le compteur Geiger ¨¤ sa ceinture s¡¯affola. La radioactivit¨¦ monta l¡¯espace d¡¯une seconde ¨¤ un niveau qui n¡¯¨¦tait plus tol¨¦rable. La peau d¡¯Anderson lui donna l¡¯impression de vouloir partir en vacances d¨¦finitives et cloqua. Il baissa ses yeux avec terreur vers son bras. Il ¨¦tait intact. Il n¡¯y avait pas de radiation et pour le peu qu¡¯il en savait il n¡¯en avait certainement jamais eu. Le compteur Geiger cessa de biper aussi vite qu''il l''avait commenc¨¦ et la perle brillait maintenant d¡¯un ¨¦clat contenu.
Capacit¨¦ secondaire: lampe halog¨¨ne. Merde, j¡¯ai besoin d¡¯une douche, pensa-t-il en n¡¯¨¦coutant pas les excuses de l¡¯op¨¦rateur qui ¨¦tait au courant que pareil ph¨¦nom¨¨ne pouvait arriver.
Les pioches qui r¨¦sonnent et marquent le futur
La ville-champignon de la Nouvelle-Amsterdam avait pouss¨¦ du jour au lendemain. La plupart des r¨¦sidents provenaient de la ville ¨¦ponyme, batie sur les ruines submerg¨¦es de l''originelle. Depuis que les mines avaient ¨¦t¨¦ ouvertes suite au rapport Anderson, leur exploitation avait attir¨¦ la cr¨¦ation de nombreuses villes ¨¦gales. La Nouvelle-Amsterdam ne se diff¨¦renciait pas des autres. Autour du puits d¡¯acc¨¨s les maisons en bois commen?aient ¨¤ dispara?tre, remplac¨¦es par des infrastructures plus stables en b¨¦ton. L¡¯ensemble avait quelque chose de sovi¨¦tique, bien que ce style ne parlat pas aux n¨¦o-amstellodamois. Peut-¨ºtre que ce dernier style ¨¦tait renforc¨¦ par la silhouette mena?ante du r¨¦acteur nucl¨¦aire ¨¤ vingt kilom¨¨tres d¡¯ici, tout aussi sommaire que suffisant. Il ingurgitait une quantit¨¦ louable de ces perles noires et personne ne s¡¯en souciait. Apr¨¨s tout, les emballements excessifs se stoppaient aussi promptement qu¡¯ils commen?aient sans que personne n¡¯ait r¨¦ussi ¨¤ en expliquer la cause. L¡¯¨¦tranget¨¦ du combustible n¡¯emp¨ºchait pas son exploitation et on en ¨¦tait venu ¨¤ la consid¨¦rer plus comme un d¨¦riv¨¦ de l¡¯or noir, dont il prenait la forme par bien des aspects, qu¡¯un mat¨¦riau susceptible de r¨¦duire ¨¤ l¡¯¨¦tat de bouillie votre int¨¦grit¨¦ corporelle.
Sous la Nouvelle-Amsterdam, les mineurs revendiquaient les galeries et trimaient par ¨¦quipe de trois ¨¤ l¡¯extraction des perles. On r¨¦compensait leurs efforts avec cette monnaie primitive, qui se refusait de l¡¯¨ºtre, portant le nom de ?bons pour service? et qui, s¡¯ils ne s¡¯int¨¦graient officiellement pas dans un syst¨¨me capitaliste, attiraient tout autant de convoitise que de bons vieux cr¨¦dits.
Aujourd¡¯hui, presque onze ans apr¨¨s qu¡¯Anderson ait r¨¦dig¨¦ son rapport, une ¨¦quipe se glissait dans une galerie silencieuse. Rapidement, ils troubl¨¨rent les lieux de leurs respirations rauques et des babillages du canari. Les frontales ¨¦clair¨¨rent les parois lisses, parfois fissur¨¦es par ce dor¨¦ un peu argent¨¦ qui avait la consistance du mercure, et cherch¨¨rent ¨¤ se fixer sur le point qu¡¯ils avaient rep¨¦r¨¦ la veille. Une exclamation vint rompre le silence imparfait :
¡ª Mate-moi ?a! Il y en a combien? Une dizaine au moins! s¡¯¨¦cria l¡¯un des mineurs.
¡ª Nouvelle r¨¨gle, celui qui en r¨¦colte le plus doit payer sa tourn¨¦e¡
Ils paieraient. Leur rep¨¦rage avait port¨¦ ses fruits. Ce n¡¯¨¦tait hier que deux bourgeons en bordure de faille et ils avaient pris du volume. Les perles noires poussaient rapidement dans les interstices et en l¡¯espace d¡¯une journ¨¦e s¡¯¨¦panchaient en une grappe solide. D¡¯apr¨¨s les anciens mineurs, le ph¨¦nom¨¨ne acc¨¦l¨¦rait lorsque les navettes entre le vaisseau-arche et la plan¨¨te ¨¦taient plus nombreuses qu¡¯¨¤ l¡¯accoutum¨¦e. ?C¡¯est comme des champignons, mon gars! Pour s?r, mais il pleut de l¡¯acier, ouais!? avait dit l¡¯un des pionniers au novice du groupe qui s¡¯empressa de v¨¦rifier ses dires aupr¨¨s de ses camarades: c¡¯¨¦tait vrai bien que parfois, ?a ne l¡¯¨¦tait pas. Cependant, les observations s¡¯av¨¦raient exactes pour aujourd¡¯hui. Les vols avaient ¨¦t¨¦ nombreux et la r¨¦colte paraissait g¨¦n¨¦reuse.
Le plus ancien du groupe leva une main et impr¨¦gna un mouvement circulaire qui signifiait qu¡¯ils pouvaient commencer. Il s¡¯imaginait d¨¦j¨¤ rentrer le sac alourdi et peut-¨ºtre acheter une de ces tenues hazmat hors-de-prix. Apr¨¨s tout, cela ne lui ferait pas de mal. Il lui restait un an ¨¤ tirer avant de prendre sa retraite, mais il se demandait si cela lui serait bien utile maintenant qu''un bouton disgracieux ¨¦tait apparu ¨¤ la base de sa nuque. Quand il pensait ¨¤ ce dernier, il imaginait qu''il avait toujours ¨¦t¨¦ l¨¤, mais dans ses moments de faiblesse il redoutait que non et qu''il puisse l''emporter vers la tombe. Il pr¨¦f¨¦rait g¨¦n¨¦ralement ne pas y penser et se saisit de sa pioche. Il la leva tr¨¨s haut pour donner le premier coup.
Clang, clang, ?a r¨¦sonna dans toute la galerie et il se plut ¨¤ se comparer ¨¤ un de ses chercheurs d¡¯or dans un pays lointain, sur une autre plan¨¨te et ¨¤ une autre ¨¦poque:
¡ª Elle m¡¯a l¡¯air bien ancr¨¦e celle-l¨¤. Souvenez-vous les gars, on n¡¯attaque pas direct la mati¨¨re. Capisce? demanda-t-il.
¡ª Compris, lui r¨¦pondit-on ¨¤ l''unisson.
¡ª Tu penses qu¡¯on va en tirer combien? demanda un novice.
¡ª 300 j¡¯imagine, 150 pour moi, 100 pour Garth et ce qui restera apr¨¨s les charges pour toi. Ce n¡¯est pas mal, Holt!
Holt jugea que ce n¡¯¨¦tait pas mal. ¨¤ la ferme communautaire, il ne gagnait que 25 bons ¨¤ la semaine. Il se pla?a d¡¯un c?t¨¦ de la grappe qui devait faire un bon m¨¨tre cinquante d¡¯un bout ¨¤ l¡¯autre et avisa des points de fragilit¨¦. Une fissure dans laquelle circulait l¡¯¨¦trange liquide qui n¡¯en ¨¦tait pas un l¡¯attira. Elle pulsait devant lui comme une veine, ou plut?t une art¨¨re, et il eut la sensation terrible qu¡¯il perdait la t¨ºte. Le petit nouveau se demanda si on arr¨ºtait vraiment pour pr¨¦server son corps des risques radioactifs ou si on ¨¦vitait ainsi de perdre la raison. Il remisa cette pens¨¦e et donna du sien. Le mur quasi-organique suinta et il se d¨¦cala pour ¨¦viter l¡¯¨¦coulement qui se figea vite avant de recommencer son labeur.
¡ª A?e, grommela Garth, je me suis pris de cette foutue coulure.
Son bras virait au rouge vif, la br?lure ne durerait pas plus d¡¯une minute et s¡¯estomperait comme si elle n''avait jamais exist¨¦, comme tout ce qui concernait les perles noires.
¡ª Bravo mon gars! Ne prends pas exemple sur lui, Holt.
Il approuva, regardant avec une fascination morbide la br?lure qui se r¨¦sorbait en armant son bras. Le coup partit, il ripa contre la pierre et finit sa course ¨¤ quelques centim¨¨tres de sa jambe. Il aurait d¨¦vi¨¦ d¡¯un pouce et se serait retrouv¨¦ unijambiste.
¡ª Putain! Qu¡¯est-ce que je viens de dire, petit?! T¡¯es pas bless¨¦?
¡ª C¡¯est OK, j¡¯ai juste rip¨¦.
¡ª Et tu saignes, va soigner ?a¡ Bordel, voil¨¤ pourquoi la part des petits nouveaux est si insignifiante...On fait une pause!
L¡¯ancien posa sa pioche et rejoint Holt. Il ne ressentait pas encore la douleur, mais le liquide qui coula le long de sa cuisse en disait long. La plaie n¡¯¨¦tait ni une ¨¦corchure ni une plaie b¨¦ante, elle se situait entre les deux.
¡ª Bon, c¡¯est juste un petit bobo. On va soigner ?a. Assis-toi, plus vite on se sera occup¨¦ de toi, plus vite on pourra reprendre.
Holt ob¨¦it, le visage rouge de honte.
¡ª Je suis d¨¦sol¨¦, je vous ralentis.
¡ª T¡¯inqui¨¨te, faut bien apprendre ¨¤ un moment ou un autre.
L¡¯ancien lui lan?a un sourire rassurant, mais rien dans son regard ne laissait entendre qu¡¯il pensait avoir la situation sous contr?le. Une vision terrible lui vint et il commen?a ¨¤ caresser les bordures de la plaie, avant de la presser fortement.
¡ª Bordel! ?a fait mal! Qu¡¯est-ce que vous faites?!
¡ª Laisse-toi faire, souffla l¡¯ancien.
Le d¨¦nomm¨¦ Garth les avait rejoints. Il empestait la sueur, mais aussi la peur. Holt avait d¨¦j¨¤ ressenti ?a quand l¡¯avarie des cryostases sur le vaisseau les avait tous r¨¦veill¨¦ sans pr¨¦venir, surtout sur les adultes qui feignaient d¡¯avoir la situation bien en main.
¡ª Merde, ?a pousse¡ grogna Garth.
¡ª Je sais, je sais!
¡ª Qu¡¯est-ce qui pousse?
Il baissa les yeux vers sa blessure. Les l¨¨vres se boursouflaient et une sph¨¨re pointait, noire et or, argent et cuivre. Son c?ur manqua un battement.
¡ª Non! Non, non! Aidez-moi!
Les doigts de l¡¯ancien s¡¯activ¨¨rent, tentant d¡¯arracher la perle qui poussait. Il n¡¯avait jamais vu ?a, ne savait m¨ºme pas si c¡¯¨¦tait grave, mais dans le doute pr¨¦f¨¦rait arracher. Une teinte de vert naquit ¨¤ la surface de la perle, il retira sa main en l¡¯agitant. Un peu de fum¨¦e s¡¯en ¨¦chappait et il cria de douleur en reculant d¡¯un pas.
¡ª Merde, merde, merde! Ma main! Fait chier! Bouge pas petit, on va chercher de l¡¯aide!
¡ª Ne me laissez pas, ne me¡
Mais la demande ¨¦tait vaine. L''¨¦quipe de mineurs s''¨¦tait d¨¦j¨¤ carapat¨¦ vers l¡¯ascenseur. Il se retrouva seul dans la galerie avec cette perle aux couleurs ondulantes dans sa cuisse et lui qui pissait le sang. Un courant d¡¯air s¡¯immis?a dans la galerie, assez pour lui soulever les cheveux. ?a aussi, ce n¡¯¨¦tait pas normal. Il entendit au loin l¡¯ascenseur qui se mettait en route, ferma les yeux dans l¡¯espoir qu¡¯ils soient de retour une fois qu''il les aurait rouvert: un ¨¦chec. Il n¡¯y avait que lui dans la galerie et l¡¯aura malveillante qui ¨¦manait de la perle. Elle s¡¯¨¦tait mise ¨¤ luire, d¡¯abord faiblement puis avec force. Il y avait quelque chose d¡¯hypnotisant l¨¤-dedans, presque apaisant.
Je d¨¦lire¡ Je d¨¦lire¡ J¡¯ai 22 ans, je ne veux pas mourir¡ Je¡ me sens fatigu¨¦, allait-il penser avant que l¡¯irr¨¦alit¨¦ de sa situation s¡¯empare de lui. Il ¨¦tait seul avec une excroissance noire sur la cuisse qui lui donnait l¡¯impression qu¡¯un ?il pr¨¦dateur l¡¯observait. Le vert qui en ¨¦manait ne cessait de cro?tre en puissance et de le d¨¦vorer. Je ne suis pas le bienvenu, se dit-il, certain de ce fait.
Puis, tout s¡¯arr¨ºta. La sensation enivrante de son d¨¦part imminent l¡¯envahit. Il n¡¯y eut plus que du vert, du vert ¨¤ perte de vue et si violent que sa r¨¦tine br?la. Une douleur indicible s¡¯empara de sa cuisse, l¡¯explosion qui suivit l¡¯envoya de l¡¯autre c?t¨¦ du mur. Des fissures de la galerie jaillirent la m¨ºme couleur, la terre m¨ºme se teinta en vert. Le Flux sortait des entrailles et inexorablement remontait o¨´ il avait toujours eu sa place, l¨¤-haut, sous l¡¯?le solitaire form¨¦e par un vaisseau-arche qui n¡¯avait pas encore ¨¦t¨¦ tout ¨¤ fait abandonn¨¦. L¡¯isolement commen?ait.
Chapitre 1
Combien de temps s¡¯¨¦tait-il ¨¦coul¨¦ depuis que les voiles de la Cit¨¦ avaient c¨¦d¨¦ pour arriver ¨¤ ce mauvais port ? Quatre mille ans ? Cinq mille ans ? Les Citoyens ignoraient depuis combien de temps leur quotidien ? par d¨¦faut ? ¨¦tait devenu celui que l¡¯on ne questionnait plus. Ils en avaient oubli¨¦ jusqu¡¯aux piliers d¡¯¨¦meraude form¨¦s par les caissons cryog¨¦niques pass¨¦s au vitriol tass¨¦s dans les profondeurs citadines. Derri¨¨re des vitres blind¨¦es des milliers de colons, qui n¡¯avaient jamais connu l¡¯horreur de devenir Citoyens, perdaient les derni¨¨res teintes d¡¯une vie qui les avait quitt¨¦s depuis l¡¯accident. Ces momies d¨¦lav¨¦es se d¨¦composaient tranquillement, oubli¨¦es de ceux qui auraient pu ¨ºtre leurs descendants, mais qui ne partageaient plus rien avec eux sinon une origine commune et lointaine.
Les Citoyens n''¨¦taient pas leurs h¨¦ritiers et se contentaient de vaquer dans leur propre microcosme culturel, vivant sans surprise des lendemains qui se ressemblaient. Une vie qui n''en ¨¦tait pas une, bien surfaite au demeurant lorsqu¡¯elle se limitait ¨¤ se lamenter devant les rares taches jaunatres que l¡¯on apercevait parfois ¨¤ travers les baies d¡¯observation alors que le Flux se dissipait sur quelques m¨¨tres, l¡¯espace d¡¯un instant. Parfois, quand la disparition prenait de l''importance, on distinguait d¡¯¨¦tranges pics d¡¯albatres, comme des formations rocheuses incongrues, qui semblaient monter jour apr¨¨s jour ¨¤ l¡¯assaut de la Cit¨¦. Rien de plus n¡¯¨¦tait visible de cette myst¨¦rieuse plan¨¨te qui le resterait encore des ann¨¦es. Ils s¡¯¨¦taient fait une raison, eux les colons devenus Citoyens d¡¯une Cit¨¦ de laquelle nul ne s¡¯¨¦chappait et o¨´ tous vivaient dans l¡¯automatisation des taches, sans r¨¦fl¨¦chir ni oublier que leur place ¨¦tait ici : entre les murs de la prison d¡¯acier et au-dessus de la ligne des mar¨¦es du Flux.
Triste sort pour ceux qui s¡¯¨¦taient retrouv¨¦s ainsi isol¨¦s et contraints de se lancer dans ce que leurs anc¨ºtres terrestres abhorraient. En fuyant une Terre hant¨¦e par la technologie et ses promesses d¡¯¨¦ternit¨¦, les pionniers du Olkers en ¨¦taient finalement revenus ¨¤ leur point de d¨¦part. De nouveau, ils ¨¦taient d¨¦pendants d¡¯une technologie pouss¨¦e ¨¤ son extr¨ºme. Pire que tout, les visions utopistes si importantes aux yeux de leurs pr¨¦d¨¦cesseurs refusant l¡¯oisivet¨¦ ¨¤ la faveur d''objectifs fix¨¦s par l¡¯¨¦ph¨¦m¨¦rit¨¦ d¡¯une vie, n¡¯¨¦taient d¨¦sormais plus que de vieilles id¨¦es s¨¦questr¨¦es dans des placards miteux. Ils avaient embarqu¨¦ les yeux ronds d¡¯espoir pour ne gagner que la r¨¦p¨¦tition des m¨ºmes sch¨¦mas de vie tout juste rompus par le seul horizon de l¡¯ascension sociale au sein des instances administratives de la Cit¨¦. Le plus souvent, personne ne d¨¦passait l¡¯¨¦chelon auquel il ¨¦tait affect¨¦ et ainsi se contentaient-ils souvent d¡¯accomplir leur labeur quotidien sans bouger d¡¯un iota. Apr¨¨s tout, il fallait bien des ing¨¦nieurs pour am¨¦liorer (ou davantage ? bidouiller ?) des machines toujours plus myst¨¦rieuses, des ouvriers pour empaqueter les bouillies et autres ¨¦crous sortant des cha?nes de production et des barmans, prostitu¨¦s, dealers ¨¤ la sauvette pour que les deux premiers groupes oublient qu¡¯au-dessus de leurs t¨ºtes coiff¨¦es du bleu de leur caste, des gars en costume trois-pi¨¨ces mangeaient autre chose que des Bakers au petit-d¨¦jeuner, d¨¦jeuner et souper¡ et puis, il y avait tous les autres : les sans-taches, ceux d¡¯en bas et d¡¯en haut, ceux qui se pr¨¦lassent au soleil et ceux qui cr¨¨vent la dalle.
Ces deux mondes n¡¯auraient jamais d? se croiser, ainsi en d¨¦pendait l¡¯¨¦quilibre d¡¯une soci¨¦t¨¦. Si les disparit¨¦s ne sont pas visibles comment s¡¯en offenser ? Restez-en bas, tout va bien et suivez les conseils des grands manitous ¨¤ pedigrees vot¨¦s sur des listes impos¨¦es. Si cela ne vous convient pas, dites-vous que vous ¨ºtes des h¨¦ros de l¡¯ombre : les m¨¦canos de la Cit¨¦. Le pouvoir central excellait en la mati¨¨re. En ¨¦coutant les annonces gouvernementales, il ¨¦tait difficile de se penser autrement que comme un maillon absolument essentiel. L¡¯individu dont l¡¯¨¦go ¨¦tait ainsi flatt¨¦ perdait toute vell¨¦it¨¦ r¨¦volutionnaire en pensant qu¡¯il se trouvait r¨¦ellement ¨¤ sa place. Il ¨¦tait d¨¨s lors si facile pour lui de croire que ces visages m¨¦diatiques, qui d¨¦bitaient que tout allait bien, ¨¦taient ceux de demi-dieux ¨¤ cravates irr¨¦prochables et si, par m¨¦garde, on venait ¨¤ songer l¡¯inverse le billet pour acc¨¦der ¨¤ la Surface afin de la v¨¦rifier par soi-m¨ºme ¨¦tait inaccessible. C¡¯¨¦tait simple et ?a avait toujours ¨¦t¨¦ ainsi : ? Passez votre chemin, il n¡¯y a rien ¨¤ voir au-del¨¤ des barrages de l¡¯¨¦tage A ?.
Rien ¨¤ voir ? ¨¦tait-ce cependant toujours le cas ? Parfois c¡¯¨¦tait vrai, parfois c¡¯¨¦tait faux, l¡¯invariable ¨¦tait qu¡¯effectivement on ne voyait rien car on ne pouvait rien voir sinon ce qu¡¯on donnait ¨¤ voir. Parfois, on pouvait voir des choses qui ne devaient ¨ºtre vues comme aujourd¡¯hui, ce mercredi apr¨¨s-midi o¨´ le corps livide de Pavla ¨¦tait apparu sur tous les ¨¦crans. Ce m¨ºme corps qui verdit dans une morgue alors qu¡¯elle attend sa place au cr¨¦matorium. Pavla qui a vu le soleil de face et dont la r¨¦tine a ¨¦t¨¦ br?l¨¦e au cinqui¨¨me degr¨¦. Celle qui est n¨¦e dans les tr¨¦fonds de la Cit¨¦ et qui aurait d? y mourir comme toutes celles qui vivent sous la violence et par la peur. Le monde ne connaissait d¡¯elle que cette photographie surexpos¨¦e qui ¨¦tait rest¨¦e en ligne deux minutes. Ses bras recouverts des cicatrices de piq?res ne tromp¨¨rent personne sur son pass¨¦ de prostitu¨¦e junkie dans un des bordels clandestins de la Cit¨¦. On ne lui avait jamais laiss¨¦ le choix, sa vie s¡¯¨¦tait envol¨¦e dans l¡¯¨¦veil vaporeux des cam¨¦s et avait d¨¦finitivement raccroch¨¦ ses bottines lorsque les deux mains meurtri¨¨res s¡¯¨¦taient referm¨¦es sur sa gorge. Pendant de longues ann¨¦es elle avait exerc¨¦ dans le secteur F47, servant d¡¯accompagnement lubrique aux app¨¦tits voraces de r¨¦sidus d¡¯humains. Le consentement n¡¯¨¦tait qu¡¯un d¨¦tail pour eux. Par leur action, n¡¯ignorant rien de son pr¨¦sent et son pass¨¦, ceux qui l¡¯avaient fr¨¦quent¨¦ ¨¦taient tout aussi coupables que le maquereau de Pavla, aussi coupables que les ravissants ravisseurs qui ne le deviennent g¨¦n¨¦ralement qu¡¯une fois ¨¦tal¨¦s dans un caniveau par un gang rival.
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Coupables, ils l¡¯¨¦taient tous de faire ainsi partie int¨¦grante de la machine qui transforme les ¨ºtres en automates du plaisir. Mais, peut-¨ºtre existait-il une cat¨¦gorie d¡¯enflure sup¨¦rieure dans laquelle aurait pu s¡¯ins¨¦rer Jinn Pertem, repr¨¦sentant de la 6e circonscription du secteur A27. Le bon vieux Jinn qu¡¯on avait retrouv¨¦ le pantalon baiss¨¦ jusqu¡¯aux chevilles ¨¤ c?t¨¦ du cadavre de Pavla. Ce m¨ºme homme adul¨¦ dans son secteur mais aussi parmi les gens des profondeurs. Un d¨¦magogue de la vieille ¨¦cole qui avait su haranguer les foules pour le porter jusqu¡¯aux limites du Grand Conseil des Pilotes ; et il serait s?rement devenu Grand Pilote s¡¯il n¡¯avait pas reconnu le meurtre de cette femme. Oui, il le serait devenu si par une houleuse matin¨¦e il ne s¡¯¨¦tait pas r¨¦veill¨¦ avec une gueule de bois carabin¨¦e, convaincu d¡¯avoir assassin¨¦ la jeune Pavla ¨¦tendue ¨¤ ses c?t¨¦s. Sans cela et avec lui, le monde aurait ¨¦t¨¦ diff¨¦rent. Si seulement il ne partageait pas les m¨ºmes bassesses que tant d¡¯autres, mais visiblement sa fougue populaire n¡¯¨¦tait qu¡¯une nouvelle illusion et les gens qui avaient cru en lui le d¨¦couvrirent avec effroi en m¨ºme temps que le communiqu¨¦ du Conseil qui r¨¦v¨¦lait l¡¯identit¨¦ du meurtrier.
L¡¯affaire de la Surface, avant de s¡¯appeler ? l¡¯affaire Pertem ?, avait fait grand bruit et aurait ¨¦t¨¦ elle aussi pass¨¦e sous silence, comme tant d¡¯autres, si la photographie n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ diffus¨¦e. Beaucoup avaient vu ce corps sur leur ¨¦cran et le petit commentaire l¡¯accompagnant ? Damnatio memoriae ?. En r¨¦action la col¨¨re ¨¦tait mont¨¦ parmi les classes les plus populaires apr¨¨s avoir vu ce visage tum¨¦fi¨¦ et la marque si claire de ces mains sur sa gorge. Les images ont un pouvoir et celles-ci avaient men¨¦ la Cit¨¦ au bord du chaos. Sans elles les ¨¦meutes dans les ¨¦tages C, D et H, vite mat¨¦es par les forces polici¨¨res, auraient ¨¦t¨¦ ¨¦vit¨¦es. Mais tout cela n¡¯avait aucune importance, force ¨¤ l¡¯habitude des r¨¦pressions qui n¡¯avaient jamais sonn¨¦ le glas des col¨¨res populaires ni m¨ºme les avaient conduites ¨¤ leur apog¨¦e. Ce ne serait pas non plus le meurtre de Pavla qui feraient que les soubresauts de l¡¯ordre ¨¦tabli se transformeraient en plongeon vers le d¨¦sordre. La seule chose certaine c¡¯est qu¡¯ils allaient souffrir, ces petites ¨¦lites calfeutr¨¦es dans leur palais, car bien trop de Citoyens avaient vu ces pixels qui autrefois ¨¦taient li¨¦s entre eux pour repr¨¦senter une vie. Tous savaient qu¡¯on ne pouvait avoir l¡¯air si r¨¦tif au soleil qu¡¯en ¨¦tant enferm¨¦ aussi loin que possible de ce vilain point br?lant.
Pavla, en plus d¡¯¨ºtre une victime des ¨¦lites du syst¨¨me ¨¦tait une victime populaire et cela changeait la donne. Peut-¨ºtre que les grands manitous tiendraient la barque ¨C ils en ¨¦taient presque certains -, mais il fallait calmer le jeu avant que la situation ne leur ¨¦chappe. Alors la toute puissante administration connue sous le nom de Conseil des Pilotes r¨¦glerait cela avec de la paperasse, comme ¨¤ son habitude, et en servant sur un plateau d¡¯argent la t¨ºte de Jinn Pertem fra?chement coup¨¦e. Mieux valait le sang d¡¯un caviard¨¦ qu¡¯une teinte ¨¦carlate r¨¦partie sur toute la soci¨¦t¨¦ et cela malgr¨¦ la propagande ¨¦tatique balanc¨¦e sur les ondes qui n¡¯avaient pas d¨¦vi¨¦e d¡¯un zest. Tous les canaux ¨¦taient satur¨¦s par les m¨ºmes messages biens¨¦ants de grandeur citadine et de foi civique pr¨¦sent¨¦s par des loups aux dents en facette¡ Un programme qui ne diff¨¦rait pas de l¡¯habituel comme si rien ne s¡¯¨¦tait pass¨¦ ¨¤ la Surface. Comme si Pavla n¡¯avait jamais exist¨¦ et que l¡¯illusion d¨¦mocratique tenait encore debout.
Mais le Grand Conseil des Pilotes n¡¯¨¦tait pas dupe. Il savait que les citoyens attendaient le prix du sang et ils l¡¯acquerraient aussi magistralement qu¡¯ils avaient toujours su le faire, cette fois-ci sur grand ¨¦cran. Un nouvel ¨¦pisode des d¨¦boires et de la fin d¡¯un politicien en pleine ascension avec Jinn Pertem ¨¤ la barre des accus¨¦s, Fill Janter ¨¤ l¡¯accusation et ce qu¡¯il fallait de larmoyant pour que la sentence soit aussi exemplaire qu¡¯elle puisse l¡¯¨ºtre.
Le grand jour arrivait.
Chapitre 2
Jinn Pertem n¡¯avait plus un seul cheveu sur le crane depuis maintenant huit ans et pourtant il ¨¦tait encore relativement jeune du haut de ses 52. L¡¯accus¨¦, v¨ºtu d¡¯une veste de tweed, associait ses v¨ºtements ¨¤ la rambarde aussi brune qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait avant la grande chute capillaire. Il avait un port altier et les yeux d¡¯un bleu tr¨¨s clair directement plong¨¦ dans l¡¯?il de la cam¨¦ra.
C¡¯¨¦tait un habitu¨¦ des repr¨¦sentations. Il ¨¦tait dans la cour des grands depuis vingt ans sans jamais avoir d¨¦pass¨¦ l¡¯¨¦tape du pr¨¦au. Fils d¡¯ing¨¦nieure et de m¨¦decin, il n¡¯¨¦tait pas naturellement ¨¤ sa place parmi ceux de la Surface mais n¡¯en ¨¦tait cependant s¨¦par¨¦ que par un mince filament. Il avait ¨¦t¨¦ dans cette cat¨¦gorie batarde, qui s¨¦pare les sans-noms des c¨¦l¨¦brit¨¦s, et il l¡¯¨¦tait demeur¨¦ jusqu¡¯¨¤ sa sixi¨¨me ann¨¦e pass¨¦e ¨¤ ?uvrer pour tous les syndicats qui sillonnaient le dernier ¨¦tage avant le paradis... M¨ºme si lesdits syndicats ¨¦taient essentiellement issus du milieu universitaire et que la seule chose qui le rapprochait du monde ouvrier ¨¦tait son lien avec les ¨¦quipes de contr?le des moteurs de la Cit¨¦. Une tache essentielle r¨¦alis¨¦es par des ouvriers en chemise blanche qui obtenait l¡¯approbation de tous. Un seul des moteurs ne fonctionnait pas au moment o¨´ la Cit¨¦ corrigeait son orbite et elle venait ¨¤ pencher, deux et la situation devenait p¨¦rilleuse. ¨¦videmment, les contacts de Jinn Pertem avec ce monde se contentaient de donner des ordres, pas de proc¨¦der aux r¨¦parations, mais quelle diff¨¦rence vu d''en bas ? Tout cela ¨¦tait d¨¦j¨¤ bien assez pour se pr¨¦tendre homme du peuple et prendre r¨¦guli¨¨rement sa d¨¦fense ¨¤ grand renfort de gueulantes.
On suivait ses interventions avec une ferveur presque religieuse et ce fut donc la m¨ºme foi que ceux qui avaient un jour song¨¦ ¨¤ voter pour lui - voyant dans le personnage quelqu¡¯un qui connaissait r¨¦ellement leur souffrance - suivirent le proc¨¨s. Ce n¡¯¨¦tait pourtant pas le proc¨¨s de Jinn Pertem qui se jouait l¨¤, mais celui de toute une classe pensante et dominante en laquelle on avait pu avoir une confiance na?ve. Certains ¨¦taient pires que d¡¯autres, mais ce n¡¯¨¦tait pas si horrible tout compte fait. Ils ne savaient juste pas ce qui se tramait plus bas, Jinn Pertem oui et s¡¯il n¡¯avait eu que lui tout aurait ¨¦t¨¦ plus simple¡ Mais il ¨¦tait d¨¦sormais ¨¦vident que les pieuses d¨¦it¨¦s de la Surface n¡¯¨¦taient pas totalement innocentes.
Les dirigeants avaient pr¨¦vu le coup pour se prot¨¦ger. La t¨ºte de Jinn Pertem dans une catapulte serait une merveilleuse image. Bien meilleure que celle d¡¯un juge hors d¡¯age en jaquette de plastique jaune qu¡¯on avait tir¨¦ en trombe de son lit. Le juge s¡¯appelait quelque chose comme H?st Meltor et tremblait compulsivement de la machoire d¡¯une mani¨¨re telle qu¡¯il ¨¦tait impossible de d¨¦terminer si Parkinson ¨¦tait venu tranquillement frapper ¨¤ la porte ou s¡¯il poss¨¦dait, dans son illustre lign¨¦e de cachetons jaunes criards surexpos¨¦s, un anc¨ºtre tenant davantage du teckel que du porcinet.
Sa bouche tremblante, ¨¦clair¨¦e cruellement, se mit ¨¤ vocaliser des mots. Les spectateurs bouche b¨¦e les d¨¦vor¨¨rent :
¡ª L¡¯audience est ouverte. Mesdames, Messieurs, nous instruisons aujourd¡¯hui le proc¨¨s de Jinn Pertem. Accus¨¦, vous pouvez vous levez.
L¡¯accus¨¦ se leva. Ses yeux autrefois p¨¦tillants ¨¦taient ternes. Il n¡¯avait pas dormi de la nuit, la faute au lit trop dur de sa cellule et ¨¤ ses pens¨¦es morbides. Les preuves contre lui avaient ¨¦t¨¦ mont¨¦es en l¡¯espace d¡¯une semaine et elles ¨¦taient accablantes. Auraient-elles pu ¨ºtre autrement ? Apr¨¨s tout, il fallait bien ¨¦tayer l¡¯aveu qu¡¯il avait fait en toute conscience de l''authenticit¨¦ de sa culpabilit¨¦.
¡ª Merci monsieur Pertem. Vous pouvez vous rasseoir. Bien, la parole est d¨¦sormais au procureur Fill Janter. Pourriez-vous nous lire l¡¯acte d¡¯accusation ?
¨C Bien votre Honneur, r¨¦pondit avec nervosit¨¦ Fill Janter. ? C¡¯¨¦tait un gar?on robuste tout juste sorti de l¡¯adolescence tardive. Le genre de visage qu¡¯on oubliait aussit?t apr¨¨s l¡¯avoir vu. ? Nous jugeons aujourd¡¯hui le cas Pertem. L¡¯accus¨¦ est inculp¨¦ de viol et de violences ayant entra?n¨¦ la mort d¡¯Hilda G?stor, vingt-sept ans et r¨¦sidente ¨¤ la surface, code 417-E5 pour ce qui est de l¡¯adresse. Elle a ¨¦t¨¦ retrouv¨¦e morte, tach¨¦e par un sperme identifi¨¦ comme celui de Monsieur l¡¯accus¨¦, Jinn Pertem qui se trouvait, au moment de la d¨¦couverte du corps, ¨¤ c?t¨¦ de ce dernier. La victime a ¨¦t¨¦ strangul¨¦e, son larynx bris¨¦, apr¨¨s qu¡¯elle ne soit viol¨¦e.
Hilda G?stor ¨¦tait une toxico de la surface dont on diffusa les images flout¨¦es. Assez proche physiquement de Pavla, mais diff¨¦rente. Les images originelles avaient disparues rapidement du r¨¦seau et on pouvait facilement se m¨¦prendre. Dans le discours officiel il n¡¯existait pas de Pavla et elle n''existerait jamais. Jinn Pertem avait ¨¦t¨¦ mis au courant. La nouvelle victime avait ¨¦t¨¦ retrouv¨¦e morte la semaine pr¨¦c¨¦dant le proc¨¨s dans son appartement. Elle vivait seule et sans famille connue. Une de ces jeunes filles en premi¨¨re ligne pour le d¨¦classement. Une victime parfaite, de la haute, qui calmerait les foules encore persuad¨¦es qu¡¯une des leurs avait ¨¦t¨¦ assassin¨¦e par un politicien se pavanant dans sa belle moralit¨¦.
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Il n¡¯en restait pas moins que Pavla gisait vraiment quelque part. Pavla ¨¦tait morte. Sans cette source anonyme pour le d¨¦noncer, Jinn Pertem n¡¯aurait pas ¨¦t¨¦ inqui¨¦t¨¦. On ne fait jamais rien pour les oubli¨¦s des tr¨¦fonds.
¡ª Monsieur Pertem, reprit le juge. Vous avez refus¨¦ l¡¯avocat qui vous a ¨¦t¨¦ commis d¡¯office. Qu¡¯avez-vous ¨¤ dire pour votre d¨¦fense ?
¡ª Votre Honneur. Honorable assembl¨¦e. J¡¯ai d¨¦j¨¤ indiqu¨¦ aux services de police ma culpabilit¨¦. Je ne me d¨¦fendrais pas car il n¡¯y a plus rien ¨¤ d¨¦fendre. J¡¯ai ¨¦t¨¦ retrouv¨¦ nu et naus¨¦eux ¨¤ c?t¨¦ du corps sans vie d¡¯Hilda G?stor. Je ne connaissais pas cette jeune femme, pas jusqu¡¯¨¤ la vieille de sa mort¡ commen?a-t-il, tout en sueur en jetant un coup d¡¯?il au texte qu¡¯il avait pr¨¦par¨¦.
Merde, c¡¯¨¦tait l¡¯unique v¨¦rit¨¦, il avait tu¨¦ une nana, pas la bonne, mais il l¡¯avait fait. Il avait pr¨¦par¨¦ ce beau mea culpa public histoire de¡ De quoi ? Remonter en piste une fois que l¡¯affaire aura ¨¦t¨¦ noy¨¦e ? Non, il ¨¦tait totalement foutu. Lui le doux meurtrier qui ne le recommencerait jamais. Oh, il le promettait, plus jamais¡ Et qui serait bern¨¦ ? M¨ºme pas lui. De toute fa?on, il ne pouvait rien y faire. On lui avait demand¨¦ de cracher cette histoire mont¨¦e de toute pi¨¨ce. ? Sois cool Jinn et nous garderons ta famille dans le confort douillet de l¡¯¨¦tage A. Tu n¡¯aimerais pas qu¡¯ils rejoignent le niveau C ? Il para?t qu¡¯ils n¡¯ont que deux choix en terme de bouillie : fade ou moins fade. ? Alors Jinn serait cool et jouerait son r?le de bouc-¨¦missaire pour tous les p¨¦ch¨¦s de ses semblables.
¡ª Et je plaide, de nouveau et en la mati¨¨re, coupable. Je ne pourrais dire quelles sont toutes les raisons qui m¡¯ont pouss¨¦ ¨¤ cette extr¨¦mit¨¦, je ne dirais pas non plus que je le regrette car vous savez que c¡¯est le cas. Je sortais d¡¯une r¨¦union avec des confr¨¨res syndiqu¨¦s dont je tairais ici le nom et nous avons d¨¦cid¨¦ de partir nous d¨¦tendre dans un de ces clubs de la Surface. ¨¦videmment, j¡¯ai un passeport qui me permet de traverser les barrages et d¡¯acc¨¦der ¨¤ cette zone comme tous les repr¨¦sentants de secteur. Nous avons beaucoup bu, avons continu¨¦ ¨¤ discuter et, dans la soir¨¦e, je l¡¯ai remarqu¨¦, cette jeune femme qui sortait des toilettes. Je ne la quittai plus de tout le temps que j¡¯ai pass¨¦ dans ce club. Lorsqu¡¯elle est finalement sortie, je me suis extirp¨¦ pour la suivre et essayer d¡¯avoir un brin de conversation avec elle. Elle m¡¯a ri au nez. D¡¯habitude, avoir une stature permet a minima une conversation polie, mais dans la plupart des cas on peut finir sa nuit accompagn¨¦. Ce n¡¯¨¦tait pas son cas, elle s¡¯est content¨¦e de me refouler. J¡¯¨¦tais furieux et je l¡¯ai suivi discr¨¨tement jusqu¡¯¨¤ qu¡¯elle se retrouve dans isol¨¦e. Je l¡¯ai gifl¨¦, une premi¨¨re fois, elle n¡¯a pas cri¨¦. J¡¯ai recommenc¨¦ avec plus de force et elle est tomb¨¦e par terre, inconsciente¡ Alors j¡¯en ai profit¨¦¡ Plus que de raison.
Du pipeau total. Apr¨¨s le sixi¨¨me verre, c¡¯¨¦tait le n¨¦ant. Absolument rien, mais les preuves existaient et c¡¯¨¦tait bien lui qui avait ¨¦t¨¦ retrouv¨¦ aux c?t¨¦s du corps. Un violeur doubl¨¦ d¡¯un meurtrier, voil¨¤ tout ce qu¡¯il ¨¦tait.
Un brouhaha contenu accueillit sa d¨¦claration. Devant leur poste multim¨¦dia, des dizaines de milliers de citoyens ordinaires fulminaient en renversant un peu de leur bi¨¨re sur la moquette souill¨¦e. Jinn Pertem avait avou¨¦ le meurtre ¨C aurait-t-il pu faire autrement au vu des preuves contre lui ? Il l¡¯avait fait avec une telle aisance, tout juste rendue un peu confuse par le frisson qui le parcourait. C¡¯¨¦tait comme s¡¯il venait de demander une ration suppl¨¦mentaire au self commun des ouvriers parce que, voyez-vous, r¨¦gler tous vos probl¨¨mes ?a consomme de l¡¯¨¦nergie plus que de raison.
¡ª Silence dans la salle je vous prie ! intervint le juge. Vous plaidez coupable, mais je le redemande une seconde fois. Souhaitez-vous vous d¨¦fendre ? Les preuves contre vous sont accablantes, mais nous pourrions revoir votre jugement ¨¤ la hausse ou ¨¤ la baisse selon ce que vous direz.
¡ª Non votre Honneur, on n¡¯attend rien d¡¯autre de moi.
¡ª Pardon ?
¡ª Vous avez entendu.
Le vieux juge paru d¨¦boussol¨¦. Le procureur ¨¦changea son sourire le plus sardonique avec, dans la foule invisible ¨¤ la froide cam¨¦ra, Gern Fulcr?ne le Premier Pilote qui s¡¯¨¦tait sp¨¦cialement d¨¦plac¨¦ pour l¡¯occasion jusqu¡¯au tribunal de l¡¯¨¦tage A. Cela ne voulait pas dire qu¡¯il avait pris, comme toute personne ordinaire, ses jambes et une s¨¦rie d¡¯interminables tapis roulant jusqu¡¯¨¤ ce dernier. Non, il avait fait usage d¡¯une capsule pneumatique grandeur humaine et avait soigneusement ¨¦vit¨¦ le bain de foule. Il ne pouvait pas manquer cette occasion. Jinn Pertem s¡¯¨¦tait tir¨¦ une balle dans le pied, d''un calibre un peu trop important et qui le rendrait ¨¦clop¨¦ ¨¤ vie, et Fulcr?ne en avait profit¨¦ pour pousser le boiteux jusqu¡¯¨¤ qu¡¯il se carapate en bas de l¡¯escalier¡ et avec lui ces maudits syndiqu¨¦s qui empestaient r¨¦guli¨¨rement le d¨¦bat public. L¡¯opposition prenait un sacr¨¦ coup.
¡ª Et bien dans ce cas¡ Les membres du jur¨¦ vont se retirer afin de d¨¦lib¨¦rer, conclut le sceptique homme de loi.
C¡¯¨¦tait bien la premi¨¨re fois en quarante ans de carri¨¨re qu¡¯il voyait un accus¨¦ se mettre le n?ud coulant autour du cou et sauter par lui-m¨ºme dans la grande fosse de l¡¯oubli.
Chapitre 3
¡ª Suranis, tu reprendrais bien un verre ?
¡ª ?a va aller H?rnt. Ce n¡¯est pas en me so?lant ¨¤ mes frais que tu finiras par me mettre dans ton lit ! lui r¨¦pondit l¡¯int¨¦ress¨¦e en posant son tumbler sur l¡¯horrible comptoir recouvert de vinyle noir.
Le bar de H?rnt Lant se situait ¨¤ l¡¯¨¦tage D, bloc 478, num¨¦ro 8. Le genre de quartier ¨¤ l¡¯allure terriblement c¨¦leste qui cachait tant bien que mal la roche nue de l¡¯ast¨¦ro?de dans lequel il ¨¦tait creus¨¦ par un foisonnement d¡¯affiches publicitaires. Apr¨¨s tout, tout valait une fortune dans la Cit¨¦ si on exceptait le papier imprim¨¦ en couleur et ces n¨¦ons qui agressaient la r¨¦tine d¨¨s qu¡¯on d¨¦portait l¡¯?il ailleurs que sur la bo?te de Prameloc, dix-huit cachetons pour que la gueule de bois ne soit plus qu¡¯un mauvais souvenir. Autre chose qui ne valait pas grand-chose aussi : le moonshine distill¨¦ par H?rnt et qui n¡¯arrivait m¨ºme pas ¨¤ surpasser la bi¨¨re infame qu¡¯on vendait un peu partout dans les bas ¨¦tages.
¡ª Mais ma ch¨¨re Suranis, c¡¯est la maison qui r¨¦gale ! rench¨¦rit H?rnt. J¡¯ai cru comprendre que les affaires n¡¯allaient pas au mieux en ce moment.
¡ª ¨¦pargne-moi ?a ! Sers-moi de ton horrible tord-boyaux et qu¡¯on n¡¯en parle plus.
¡ª Et je vais t¡¯accompagner.
¡ª Tant que ce n¡¯est pas chez moi !
Cela le fit rire. H?rnt ¨¦tait homosexuel, Suranis le savait pour l¡¯avoir d¨¦j¨¤ vu en grande conversation avec un homme bien plus jeune. Un qui aurait ¨¦t¨¦ ¨¤ son go?t si elle n¡¯¨¦tait pas si r¨¦serv¨¦e, mais qui de toute fa?on ne se serait jamais int¨¦ress¨¦ ¨¤ elle. Le barman n¡¯¨¦tait pas ce que l¡¯on pouvait qualifier de beau, mais il avait un bagou certain. Il avait aussi un foie ¨¤ toute ¨¦preuve qui r¨¦sistait m¨ºme ¨¤ son horrible gn?le.
Il en servit un verre ¨¤ Suranis, un ¨¤ lui, et il y trempa les l¨¨vres avant de vite l¡¯avaler afin de ne pas laisser la saveur s¡¯installer sur son palet. Suranis fit de m¨ºme en tremblant un peu, elle ¨¦tait so?le comme deux soirs par semaine. H?rnt l¡¯aimait bien, certainement l¡¯attrait de ce nuage noir qui planait constamment au-dessus d¡¯elle. Ce qui ¨¦tait certain, c¡¯est qu¡¯il ne lui en servirait pas un autre ce soir. Il ¨¦coulerait le peu de bi¨¨re qu¡¯il lui restait au fond des f?ts et il fermerait la boutique pour le reste de la soir¨¦e. Il n¡¯y avait de toute fa?on personne ce soir sinon les rares habitu¨¦s qui descendaient les quelques miettes de barres ? d¡¯authentiques prot¨¦ines ?, vaguement aromatis¨¦es ¨¤ la vraie viande, qu¡¯il leur restait. Ils n¡¯allaient pas tarder ¨¤ partir.
¡ª C¡¯est de la pisse H?rnt, cria sans le vouloir Suranis en tirant la langue.
¡ª Tu me l¡¯as d¨¦j¨¤ dit¡
¡ª Et je te le r¨¦p¨¨te. D¨¦dions ce verre ¨¤ Jinn Pertem, ce sacr¨¦ pisseur ! Et ¨¦teins-moi cette foutue t¨¦l¨¦vision¡ J¡¯en ai marre de voir sa sale gueule.
Le jugement de Jinn Pertem passait en boucle sur tous les postes depuis une semaine. Il ne s¡¯en ¨¦tait pas si mal tir¨¦. Il venait d¡¯¨¦coper de la peine mini¨¨re pour les vingt prochaines ann¨¦es et serait envoy¨¦ d¨¨s le lendemain sur l¡¯ast¨¦ro?de minier de la compagnie Norddle, sur lequel il ne donnerait pas un seul coup de pioche. Il ne quitterait sans doute m¨ºme pas sa cellule douillette, avec un vrai lit, par crainte de se voir offrir une tr¨¦panation gratuite par le premier venu ¨¤ la main un peu lourde. Mais la punition demeurait plus que forte pour quelqu¡¯un de son importance. Le peuple avait eu justice, d¡¯une certaine fa?on.
H?rnt haussa les ¨¦paules et leva son verre :
¡ª Comme il est de bon ton de le dire, ¨¤ la tienne ! trinqua-t-il.
¡ª Et ¨¤ la mauvaise sant¨¦ de ce connard. F¨ºtons ?a, encore une fois !
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Sant¨¦ ! Dommage pour toi, pauvre Pavla ¨¤ qui justice ne sera jamais rendue. ¨¤ peine au troisi¨¨me verre et Suranis sentait d¨¦j¨¤ sa t¨ºte sur le point d¡¯exploser. Elle occupait son d¨¦s?uvrement de la meilleure fa?on qui soit, en ramenant au plus t?t possible le moment o¨´ sa vie partirait en vacances d¨¦finitives¡ mais surtout en s¡¯¨¦clatant comme elle le pouvait tant que ses finances lui permettaient de garder la t¨ºte hors de l¡¯eau.
Ce n¡¯¨¦tait pas comme s¡¯il y avait grand-chose d¡¯autre ¨¤ faire pour l¡¯ancienne enqu¨ºtrice ¨¦vinc¨¦e ¨¤ force de poser les mauvaises questions. Elle s¡¯¨¦tait mise ¨¤ son compte depuis, ¨¤ 29 ans, mais les clients ne se bousculaient pas ¨¤ sa porte. Elle vivait essentiellement sur ses ¨¦conomies et mangeait chichement dans le mess commun, quant ¨¤ l¡¯alcool d¡¯H?rnt il ¨¦tait peu cher, ¨¤ d¨¦faut d¡¯¨ºtre de l¡¯alcool. Peut-¨ºtre pouvait-elle vivre ainsi deux ann¨¦es suppl¨¦mentaires avant de devoir descendre d¡¯un ¨¦chelon dans la soci¨¦t¨¦. Mais avec ses cheveux roux, peau pale, yeux verts et bleu de travail elle d¨¦tonnerait. La palette s¡¯est ¨¦chapp¨¦e de l¡¯atelier, cinquante k?rptes de r¨¦compense ¨¤ celui qui la ram¨¨nera ¨¤ l¡¯artiste esseul¨¦ !
¡ª Tu es l¡¯une de mes meilleures clientes Suranis, mais permet moi de m¡¯inqui¨¦ter pour toi. Je te vois un peu trop souvent en ce moment. Il va falloir se remettre en piste¡
¡ª Tu as une affaire ¨¤ me proposer ? Je suis pr¨ºte ¨¤ retrouver toutes les personnes ayant une ardoise ici et ¨¤ les faire payer rubis sous l¡¯ongle¡ Moyennant¡ Aller, de quoi payer mes trois prochains mois de loyer ? Tu sais, je n¡¯ai pas vraiment envie d¡¯exp¨¦rimenter la joyeuse r¨¦alit¨¦ des dortoirs.
Elle songea ¨¤ son quotidien si elle devait les rejoindre et aux box align¨¦s le long d¡¯un mur. Son nom serait scotch¨¦ ¨¤ l¡¯un d¡¯eux et sa seule possession serait la clef des sanitaires dans sa poche. On l¡¯entretiendrait comme une plante verte, l¡¯arrosant de gel douche, en attendant qu¡¯elle se fane compl¨¨tement, pour ¨¦viter toute agression olfactive.
C¡¯est ?a la vie d¡¯apr¨¨s Suranis, hein ? Ton appartement miteux vaut mieux, au moins tu ne t¡¯y r¨¦veilles pas avec la gale et les poches vid¨¦es.
H?rnt l¡¯observait avec une infinie tristesse alors qu¡¯elle ruminait :
¡ª Je ne pensais pas vraiment ¨¤ ce genre de travail Suranis. Tu vaux mieux que jouer aux recouvreuses¡ Il n¡¯existe donc pas de myst¨¨re qui puisse te remettre sur le bon chemin ? Ne me dis pas que cette affaire Pertem ne t¡¯excite pas ? Toi et moi, ainsi que la moiti¨¦ de ce foutu rocher volant, avons-vu les photos¡ Pas vraiment rousse la nana, pas vraiment de la haute¡
¡ª Oh, tu sais bien que j¡¯ai surtout vu les photos de cette grande dame toxicomane¡ Une vraie beaut¨¦.
¡ª Qui ne sont certainement pas celles qui ont fuit¨¦es.
¡ª Peu importe, les photos ont ¨¦t¨¦ diffus¨¦es l¡¯affaire d¡¯une minute avant que le Conseil des Pilotes reprenne le contr?le sur les m¨¦dias. La femme ¨¦tait blonde, j¡¯ai encore toute ma m¨¦moire, mais le Conseil nous dit qu¡¯elle est rousse et de la haute. Alors que veux-tu faire ? L¡¯affaire est close et ce n¡¯est pas comme si j¡¯allais pouvoir en vivre¡ Qui me paierait pour ?a ? Les gens sont d¨¦j¨¤ persuad¨¦s que c¡¯est trait pour trait la m¨ºme personne.
H?rnt acquies?a de l¡¯air s¨¦v¨¨re de la personne qui s¡¯efforce de cacher un grand secret. Il nettoya les deux verres, laiss¨¦s sur le comptoir, qu¡¯il essuya machinalement. Il aurait pu les laisser s¨¦cher tranquillement dans un coin, mais il avait besoin de s¡¯occuper les mains en attendant de pouvoir se caler devant cette nouvelle s¨¦rie qui se d¨¦roulait sur l¡¯ancienne Terre. L¡¯adaptation d¡¯un vieux bouquin parlant d¡¯un chien enrag¨¦ qui assaillait m¨¨re et enfant. Aucun citoyen n¡¯avait jamais vu de chien, mais ils ¨¦taient aussi r¨¦els pour eux que ne l¡¯¨¦taient les dinosaures pour d¡¯autres.
Suranis remarqua la dr?le d¡¯attitude d¡¯H?rnt et amus¨¦e par ce spectacle, elle parvint finalement ¨¤ finir son verre. Elle n¡¯avait pas l¡¯habitude de devoir se forcer pour en faire ainsi, mais la moindre gorg¨¦e lui br?lait la gorge et tous les indicateurs de son corps ¨¦taient au rouge. Si elle avait eu l¡¯un de ces dr?les de bo?tiers que se faisaient greffer les plus riches, elle aurait appris ¨C sans la moindre surprise pour autant ¨C qu¡¯elle ing¨¦rait une quantit¨¦ ph¨¦nom¨¦nale de m¨¦thanol. Elle serait malade le lendemain, mais n¡¯¨¦tait-elle pas venue un peu pour cela ?
Les autres clients partirent en laissant leur table aussi sale qu¡¯elle l¡¯avait ¨¦t¨¦ ¨¤ leur arriv¨¦e, c¡¯est-¨¤-dire immonde. On ne venait pas chez H?rnt pour autre chose que le prix.
¡ª Je te d¨¦range H?rnt n¡¯est-ce pas ? Je vais partir avec mes alcooliques¡ Acolytes, pardon.
¡ª Tu ne me d¨¦ranges pas Suranis, tu peux rester autant que tu le souhaites ! mentit l¡¯int¨¦ress¨¦.
¡ª Ne me la fait pas ! Aller¡ Salut et ¨¤ tr¨¨s bient?t.
Elle reposa son verre en le frappant sur le comptoir. L¡¯¨¦paisseur du fond ¨¦pargna H?rnt d¡¯avoir ¨¤ r¨¦cup¨¦rer les ¨¦clats, qui se seraient incrust¨¦s dans le caoutchouc antid¨¦rapant, si le tumbler avait explos¨¦. Il se leva pour serrer dans son ¨¦norme paluche aux ongles extraordinairement lim¨¦s la petite main de Suranis. Si l¡¯homme n¡¯¨¦tait pas si sympathique, elle aurait d¨¦j¨¤ chang¨¦ d¡¯¨¦tablissement depuis longtemps voire, pire, song¨¦ ¨¤ se faire traiter pour son addiction. Elle n¡¯¨¦tait pas dupe, elle avait de sacr¨¦s probl¨¨mes depuis qu¡¯elle comblait d¡¯une si d¨¦plorable fa?on le vide qui s¡¯¨¦tait insinu¨¦ en elle.
Chapitre 4
Elle se r¨¦veilla nue sur la couchette qu¡¯elle ¨¦tait parvenue ¨C par une extraordinaire coordination de ses mains ¨C ¨¤ d¨¦plier. La climatisation avait ¨¦t¨¦ pouss¨¦e ¨¤ son maximum, les centrales des niveaux inf¨¦rieurs surchauffaient furieusement la zone, et elle avait oubli¨¦ ¨C dans sa grande ivresse ¨C l¡¯¨¦tat lamentable de ses finances. Au moins avait-elle seulement mal au crane et ne nageait-elle pas dans des draps souill¨¦s de sueur.
Ses yeux s¡¯habitu¨¨rent ¨¤ la quasi-p¨¦nombre tout juste rompue par la petite diode rouge qui lui indiquait que l¡¯heure, ¨¤ la Surface, ¨¦tait ¨¤ la nuit noire et que cette nuit s¡¯¨¦ternisait depuis assez longtemps pour mourir d¡¯ici une heure. Le r¨¦veil indiquait six heures quarante. Une heure qui ici ne voulait rien dire, mais qui ¨¦tait en r¨¦alit¨¦ essentielle afin que tous les travailleurs de la Cit¨¦ puissent se lever ensemble, exception faite de ceux qui rentraient chez eux, ext¨¦nu¨¦s par le service du soir.
Elle frappa dans l¡¯interrupteur et la lumi¨¨re fusa du seul et ch¨¦tif n¨¦on ¨¦clairant tout l¡¯appartement. C¡¯¨¦tait v¨¦ritablement un appartement avec ses deux pi¨¨ces, chambre et bureau dans la cuisine, salle d¡¯eau s¨¦par¨¦e. Pas si mal et vraiment pas cher, m¨ºme pour la zone. Tout ¨¦tait similaire ¨¤ ses souvenirs, sinon un peu plus d¨¦rang¨¦. Sa veste avait ¨¦t¨¦ jet¨¦e ¨¤ l¡¯envers sur la table qui lui servait de bureau, recouvrant l¡¯ordinateur qui n¡¯avait pas song¨¦ un seul instant ¨¤ protester contre ce manque manifeste de tendresse. Il avait connu de meilleurs jours et en conna?trait de pires, mais Suranis ¨¦tait loin de ces consid¨¦rations l¨¤. L¡¯essentiel pour le moment ¨¦tait de se lever et le sol tangua sous ses pieds lorsqu¡¯elle le foula. Le contact du linol¨¦um la ramena ¨¤ la douce r¨¦alit¨¦ ¨C aux effluves naus¨¦abondes de moisissure depuis que l¡¯a¨¦ration ¨¦tait morte ¨C de son appartement. Sa crasse, chez elle. Elle ouvrit un paquet de barres alimentaires Bakers SmartBuy, tout ce qu¡¯il fallait pour la journ¨¦e r¨¦uni en une st¨¨le au d¨¦licieux go?t de carton. La barre fondit instantan¨¦ment dans sa bouche. Elle se permettait encore d¡¯en acheter de temps ¨¤ autre et de ne pas toujours faire la queue pour manger dans les caf¨¦t¨¦rias communes, mais elle ne pourrait encore se le permettre longtemps. C¡¯¨¦tait soit ?a, soit se passer du troquet d¡¯H?rnt. Le choix serait vite fait s''il venait ¨¤ se poser.
Elle sauta dans la douche ¨C de cela elle ne ferait pas l¡¯impasse - et s¡¯habilla d¡¯un simple t-shirt. La chose faite, elle se rendit jusqu¡¯¨¤ son ordinateur, le d¨¦barrassa de sa veste avant de l¡¯allumer. Le ch¨¦tif ventilateur s¡¯emballa dans la seconde pour signaler le grand age de l¡¯appareil. Ces machines avaient une long¨¦vit¨¦ extraordinaire, elles ¨¦taient en service et refourgu¨¦es depuis des g¨¦n¨¦rations alors que le secret de leur fonctionnement demeurait aussi myst¨¦rieux que le travail des sorciers-informaticiens. L¡¯ordinateur mit cinq bonnes minutes avant de totalement booter. Sur l¡¯¨¦cran, les ic?nes scintill¨¨rent et lui lanc¨¨rent des appels de phare. Un raccourci en particulier, celui qu¡¯elle avait cr¨¦¨¦ pour le m¨¦l, lui susurra gentiment que ses derni¨¨res factures ¨¦taient arriv¨¦es. ? Ouvre mes messages ? commanda-t-elle. Sa voix ¨¦tait ¨¦raill¨¦e, mais elle n¡¯avait pas les moyens de s¡¯offrir un de ces connecteurs c¨¦r¨¦braux qui permettaient de juste penser aux m¨¦ls pour qu¡¯ils soient transf¨¦r¨¦s directement dans le cerveau, tri¨¦s et aussit?t supprim¨¦s.
Une longue liste s¡¯ouvrit face ¨¤ elle. Du nouveau relev¨¦ bancaire ¨C 978 k?rptes, elle en utilisait 80 par mois de folie ¨C aux messages anxiog¨¨nes du gouvernement de la Cit¨¦ : ? Du mal ¨¤ boucler vos fins de mois ? Le d¨¦classement n¡¯est pas une fatalit¨¦, rapprochez-vous de votre charg¨¦ local des affaires sociales ?, direction la poubelle sans m¨ºme y jeter un coup d¡¯?il. Elle passerait directement au niveau des taudis, elle n¡¯avait pas gal¨¦r¨¦ pendant six ans pour accepter la charit¨¦ des biens-pensants. Suranis supprima ainsi m¨¦thodiquement chaque nouveau message, elle n¡¯avait ni les moyens ni l¡¯envie de s¡¯offrir tout ce qu¡¯on lui proposait. Elle ne voulait pas rencontrer l¡¯ame-s?ur dans le bloc voisin et de toute fa?on, pour ce dernier point, elle ¨¦tait particuli¨¨rement mal barr¨¦e. La timidit¨¦ est une gangr¨¨ne, heureusement qu¡¯elle ¨¦tait du genre fut¨¦ et qu¡¯on lui laissait r¨¦diger des rapports sur ordinateur¡ A la glorieuse ¨¦poque o¨´ elle ¨¦tait encore quelque chose.
La glorieuse ¨¦poque o¨´¡ Elle s¡¯arr¨ºta net. Un message venait de la captiver. Il ¨¦manait d¡¯un collectif des ¨¦tages inf¨¦rieurs, le genre d¡¯endroit o¨´ ¨ºtre une femme est une chose encore plus compliqu¨¦e que ce qu¡¯elle est d¨¦j¨¤ dans les hautes strates, parce que oui, il ¨¦tait possible d¡¯¨ºtre dans une pire situation que celle d¡¯une bourgeoise clo?tr¨¦e dans le sacro-saint domicile familial. Le collectif revenait sur la disparition, il y a des ann¨¦es de cela, d¡¯une certaine Pavla Karanth dans les niveaux class¨¦s X ¨C c¡¯est-¨¤-dire tous ceux d¨¦sert¨¦s par l¡¯autorit¨¦ gouvernementale. Ils ne savaient pas grand-chose ¨¤ son sujet, sinon le souvenir d¡¯un p¨¨re inquiet qui s¡¯¨¦tait pr¨¦cipit¨¦ chez eux en ne voyant pas sa gamine rentrer d¡¯un cours d¡¯instruments folkloriques. Elle avait sur ce point, tout du type des jeunes gens d¡¯en bas. L¡¯acc¨¨s ¨¤ une ¨¦ducation de qualit¨¦ ¨¦tait difficile, mais m¨ºme avec on se retrouvait confront¨¦ ¨¤ des personnes ayant un r¨¦seau bien plus dens¨¦ment peupl¨¦ que celui dont on pourrait, ne serait-ce, que r¨ºver et qui prenaient le pas. La seule mani¨¨re viable d¡¯esp¨¦rer s¡¯en sortir, c¡¯¨¦tait de le faire par les arts. Les bienheureux citoyens ¨¦taient ravis d¡¯¨¦couter de la musique pauvre, d¡¯admirer des sculptures rachitiques, des tableaux ch¨¦tifs et de lire des textes ¨¦pur¨¦s¡ Parce que la pauvret¨¦ ¨¤ ?a de beau qu¡¯elle ne laisse que les bras et l¡¯esprit cr¨¦atif en ¨¦tat de marche pour se tirer vers le haut.
Le m¨¦l continuait bien plus longtemps que la seule pr¨¦sentation de Pavla en pointant la possibilit¨¦ que la personne tu¨¦e par Pertem puisse ¨ºtre cette m¨ºme fille. Le collectif se basait pour cela sur la photographie qui avait circul¨¦ sur les programmations communes, celle diffus¨¦e par ? cet.te ou ces inconnu.e.s hacker.s ? comme l¡¯¨¦crivait l¡¯auteur du m¨¦l. Apr¨¨s avoir vu le visage de sa fille sur grand ¨¦cran, le p¨¨re les avait joints et suppli¨¦s de lui rendre justice. Il ne voulait pas croire ¨¤ ce visage livide, celui qu¡¯il n¡¯avait pas r¨¦ussi ¨¤ oublier. Alors le collectif avait r¨¦pondu pr¨¦sent, r¨¦pondant que dans ces cas-l¨¤ ses membres se contentaient d¡¯ordinaire de placarder des avis de recherche dans deux ou trois secteurs distincts, ce qui demandait un temps plus que consid¨¦rable, mais que cette fois-ci, la chose serait diff¨¦rente. Habituellement, le collectif recherchait des personnes disparues suppos¨¦ment vivantes, il ne cherchait pas ¨¤ savoir pourquoi les recherches avaient ¨¦t¨¦ stopp¨¦es et ne s''int¨¦ressait nullement aux personnes mortes, mais Pavla ¨¦tait sp¨¦ciale, potentiellement trop m¨¦diatique pour ¨ºtre trait¨¦e comme les autres. Puis, cela aidant, le paternel avait agit¨¦ la grosse enveloppe - du moins ¨¤ son ¨¦chelle - et en cons¨¦quence, les membres du collectif n''avaient pas rechign¨¦ ¨¤ s''emparer de l''affaire.
Ils ¨¦taient tomb¨¦ sur le profil de Suranis Rh¨¦on et le peu d¡¯argent dont ils disposaient (elle supposa qu''une partie de celui-ci avait ¨¦t¨¦ accapar¨¦e pour couvrir les "frais de fonctionnement" du collectif) demeurait bien plus que suffisant pour se payer les services de Suranis. Ils insistaient sur ce point sans avoir l''air conscient de l''humiliation d''un tel constat. De l''argent, soit, mais la d¨¦tective avait d¨¦cid¨¦ de ne plus se remettre en selle contre vents et mar¨¦es, pas ainsi, plus contre le discours officiel. Elle referma le m¨¦l, oubliant l¡¯espace d¡¯un instant qu¡¯en acceptant elle pourrait doubler son esp¨¦rance de vie rien qu¡¯avec l¡¯avance et m¨ºme l¡¯assurer pour les trois prochaines ann¨¦es ¨¤ venir. Sans compter la publicit¨¦ qu¡¯elle retirerait d¡¯une si prestigieuse affaire¡ Et puis, l¡¯attrait pour l¡¯affaire en elle-m¨ºme. Oui, pourquoi Hilda G?stor et pas Pavla Karanth ?
Pourquoi Suranis ? songea-t-elle. Et pourquoi pas. Tu es au fond du gouffre, tu n¡¯as pas vraiment d¡¯autre choix que d¡¯accepter ce qu¡¯on te propose alors arr¨ºte de faire ta fine bouche et vis encore un peu, veux-tu ?
Elle rouvrit le m¨¦l, un num¨¦ro ¨¦tait gliss¨¦ en bas, lui demandant de joindre au plus t?t le b¨¦n¨¦vole charg¨¦ de l¡¯affaire. Garth Ost?r, un nom quelconque, mais au moins avait-il un matricule d¡¯identification : IE789CBP ; pas un reclus, elle serait pay¨¦e. Elle composa le num¨¦ro, mais personne ne r¨¦pondit instantan¨¦ment et elle eut un petit soupir de soulagement. Elle resta l¡¯oreille pench¨¦e sur le t¨¦l¨¦phone une minute, puis une seconde jusqu¡¯¨¤ que quelqu¡¯un se d¨¦cida ¨¤ d¨¦crocher le combin¨¦. Elle aurait pr¨¦f¨¦r¨¦ que ?a ne soit pas le cas, elle d¨¦testait avoir ¨¤ appeler des inconnus. Heureusement pour elle, le petit ¨¦cran pour la visio resta noir et la voix ¨¦tait claire bien qu¡¯anecdotique :
¡ª All?, qui est ¨¤ l¡¯appareil ?
¡ª Bonjour, vous ¨ºtes bien Garth Ost?r ? Je suis Suranis Rh¨¦on. Je viens de consulter un m¨¦l que vous m¡¯avez envoy¨¦ r¨¦cemment, celui concernant Pavla Karanth.
Elle fut accueillie par un silence glacial. Apr¨¨s quelques secondes vides et le bruit des feuillets d''un dossier qu''on ¨¦pluchait, Ost?r lui r¨¦pondit en tr¨¦buchant sur ses mots.
¡ª Ah, oui, Madame Rh¨¦on ! Heureux que le m¨¦l vous ait trouv¨¦.
¡ª Vous ne voulez pas m''¨¦clairer ? J¡¯ai bien compris qu¡¯il concernait cette Pavla, mais en quoi requerrez vous mes services ? Le meurtre de G?stor a d¨¦j¨¤ ¨¦t¨¦ ¨¦lucid¨¦, comme vous le savez d¨¦j¨¤ et ne fait pas mention de cette femme.
¡ª G?stor¡ Vous¡
¡ª C¡¯est ce qu¡¯on attend de nous, le coupa Suranis redoutant confus¨¦ment qu¡¯elle puisse ¨ºtre ¨¦cout¨¦e.
De la parano?a sans raison d''¨ºtre. Elle n¡¯¨¦tait qu¡¯une enqu¨ºtrice priv¨¦e minable et n¡¯excellant ¨¤ rien d¡¯autre que retrouver de mauvais payeurs ¨C tout ?a via le r¨¦seau informatique. Le Conseil des Pilotes ne pouvait surveiller tous ses citoyens.
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¡ª Vous n¡¯y croyez pas ! s¡¯emporta Ost?r.
¡ª Non, pas vraiment, mais c¡¯est le discours officiel.
¡ª C¡¯est vrai, mais nous ne comptions pas vous demandez d¡¯enqu¨ºter sur le meurtre en lui-m¨ºme. Monsieur le p¨¨re de Pavla, a bien conscience qu¡¯on ne peut aller ¨¤ l¡¯encontre du discours officiel. Il est un exil¨¦ des bas niveaux et de souvenirs d¡¯a?eux jamais personne n¡¯a r¨¦ussi ¨¤ obtenir quoi que ce soit des Pilotes.
¡ª Ah ? fit Suranis soudainement int¨¦ress¨¦e. Il n¡¯est donc pas question de cela, vous voulez¡ Mes choix sont limit¨¦s... Je n''aurais pas acc¨¨s ¨¤ l''enqu¨ºte sur le meurtre de toute fa?on, mais je dois au moins pouvoir me renseigner sur la disparition de Pavla Karanth... Une partie de la r¨¦ponse qui n''est pas celle attendue par son p¨¨re, du moins pas totalement... J''en suis d¨¦sol¨¦e, mais ne devrions-nous pas nous voir en r¨¦el afin de discuter plus amplement de cette question ?
Dans un endroit sans micro. Je d¨¦teste les micros.
¡ª Non, r¨¦pondit aussit?t son interlocuteur.
¨¦videmment, la visio ¨¦teinte, m¨ºme si l¡¯association existait, le nom et le matricule de cet Ost?r devaient ¨ºtre emprunt¨¦s ¨¤ un mort qui n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ effac¨¦ du syst¨¨me central. Si Suranis n¡¯¨¦tait pas totalement parano?aque, visiblement le membre du collectif oui.
¡ª Alors dites-moi tout au t¨¦l¨¦phone, souffla-t-elle.
¡ª Que voulez-vous que je vous dise ? Le plus surprenant serait d''apprendre comment Pavla Karanth aurait pu atteindre la Surface.
Suranis amena avec elle le combin¨¦ jusqu¡¯¨¤ son lit encore d¨¦fait. La climatisation ¨¦tait certes bruyante, mais elle se trouvait ici et ces vieilles reliques t¨¦l¨¦phoniques avaient la facheuse tendance ¨¤ surchauffer lorsqu¡¯on les utilisait. Beaucoup de choses se perdaient dans la Cit¨¦, surtout les savoir-faire.
¡ª Oui, c¡¯est une question qui se pose. Comment aurait-elle pu franchir les barrages du niveau A ? Quel est son cheminement de disparue ¨¤ r¨¦apparue au dernier endroit o¨´ elle aurait pu se trouver ? Puis, s''il s''agit vraiment d''elle... Que vient faire Jinn Pertem l¨¤-dedans ? C''est la clef de vo?te de cette histoire et il ne me semble pas assez important pour faire passer en douce des personnes...
¡ª Ah ? R¨¦pondit poliment Garth Ost?r. Aurions-nous titill¨¦ votre int¨¦r¨ºt ?
Il est titill¨¦ depuis que le proc¨¨s passe en boucle sur les ondes. Tous mes neurones cognent les uns contre les autres en se demandant ce qu''il s''est pass¨¦ l¨¤-haut... Il faut ¨ºtre idiot ou bien simplement Citoyen pour ne pas s''int¨¦resser ¨¤ la question.
Elle se mordit la l¨¨vre inf¨¦rieure en tortillant une boucle de ses cheveux. Parmi les id¨¦es stupides qui ¨¦taient siennes, celle d''envisager d''accepter cette affaire ¨¦tait l''une des pires.
¡ª Allez savoir... Si je venais ¨¤ accepter, je devrais d''abord v¨¦rifier aupr¨¨s du p¨¨re s''il a bien reconnu sa fille. Il est probable qu''il se soit tromp¨¦ et revienne sur sa demande...
De la friture sur la ligne, Garth tentait vainement de prendre la parole.
¡ª Mais je sais qu''il sera toujours convaincu de l''avoir vu. Si ce n''est pas vraiment elle, ce qui peut ¨ºtre le cas, mon enqu¨ºte ne lui apportera que d¨¦ception. Je peux n¨¦anmoins essayer de retrouver sa trace et tenter de savoir ce qu''elle est devenue ces derni¨¨res temps jusqu''¨¤ son hypoth¨¦tique, et j''insiste sur ce fait, ascension surfacienne. Au moins aura-t-il quelque chose ¨¤ se mettre sous la dent...
Elle se sentit froide, marqua un temps de pause en h¨¦sitant ¨¤ s''excuser puis se souvint qu''elle ne s''adressait pas au p¨¨re mais ¨¤ un tiers qui se foutait totalement de savoir ce qui ¨¦tait advenu de Pavla Karanth.
¡ª All? ? s''enquit son correspondant.
¡ª Je suis toujours l¨¤, la ligne est surcharg¨¦e, mentit-elle en s''¨¦tonnant que ce vieux truc fonctionnait toujours et lui laissait le loisir de peser ses mots. Je disais donc que vous devriez savoir que cette enqu¨ºte est d''une certaine importance... La r¨¦tribution devra suivre et au-del¨¤ de mes tarifs habituels pour une recherche de disparu. Surtout si elle concerne r¨¦ellement l''actualit¨¦...
¡ª Ne vous inqui¨¦tez pas pour ?a Madame Rh¨¦on ! Monsieur Karanth a insist¨¦ pour que nous ne contactions que les meilleurs et lors de nos recherches, vous nous ¨ºtes vite apparue comme ¨¦tant un choix id¨¦al.
¡ª Pardon ?
¡ª Oui, Suranis Rh¨¦on... Attendez.
Il feuilleta de nouveau dans le dossier.
¡ª Ah, voil¨¤ ! Ancienne inspectrice responsable du d¨¦mant¨¨lement du r¨¦seau H?rtfeud. Un sacr¨¦ pedigree, tout le monde en a entendu parl¨¦.
Les mauvais souvenirs s''encha?n¨¨rent dans un esprit embrum¨¦. La brume se dissipa pour laisser place ¨¤ la fum¨¦e et ¨¤ H?rtfeud, le dernier et unique coup d¡¯¨¦clat de l''inspectrice Rh¨¦on. Quatre ann¨¦es pass¨¦es ¨¤ enqu¨ºter sur les incendies de l¡¯¨¦tage E. On l¡¯avait plac¨¦ ici afin qu¡¯elle se fasse la main sur une enqu¨ºte sans importance malgr¨¦ les douze morts. Douze morts tout juste citoyens. De fil ¨¤ aiguille elle avait fini par remonter jusqu¡¯¨¤ l¡¯origine des incendies : l¡¯agence H?rtfeud et ses miliciens qui pratiquaient, ¨¤ leur fa?on, le principe de la terre br?l¨¦e afin de rebatir sur les cendres encore fumantes les nouveaux quartiers de la gentrification galopante du secteur. Les E envoy¨¦s au F et les plus riches ¨¤ la recherche d¡¯authenticit¨¦ prol¨¦taire en route vers ce beau entre-soi des profondeurs avec encore ce qu¡¯il fallait de rusticit¨¦.
¨¦videmment elle ne s¡¯¨¦tait pas tue et avait men¨¦ l¡¯enqu¨ºte jusqu¡¯au bout malgr¨¦ les pressions. Cela n¡¯avait pas plu ¨¤ certaines personnes. Elle avait rejoint la police pour ?uvrer au service du Citoyen, faisant fi des rumeurs de corruption en son sein, mais elle s¡¯¨¦tait leurr¨¦e et son emploi s¡¯¨¦tait envol¨¦ pour une histoire de manquement ¨¤ l¡¯¨¦thique invent¨¦e de toute pi¨¨ce. Aucun de ses dossiers n¡¯avait ¨¦t¨¦ trafiqu¨¦. Aucun. Et bien que le dossier H?rtfeud se soit ¨¦vapor¨¦, d¨¦sapprouv¨¦ par la hi¨¦rarchie, rien de ce qui se trouvait ¨¤ l¡¯int¨¦rieur n''avait ¨¦t¨¦ falsifi¨¦. Peut-¨ºtre aurait-elle d? se la fermer plut?t que de faire ce qui lui semblait ¨ºtre son devoir de Citoyenne. Peut-¨ºtre pas. Il n¡¯emp¨ºche qu¡¯H?rtfeud n¡¯avait pas r¨¦sist¨¦ aux m¨¦dias et ¨¤ leur source anonyme : elle-m¨ºme.
¡ª H?rtfeud dites-vous¡ Tout cela a ¨¦t¨¦ d¨¦mont¨¦. Les m¨¦dias se sont occup¨¦ d''incendier l''agence. J¡¯ai¡ J¡¯aurais d? me taire, j¡¯ai outrepass¨¦ mes pr¨¦rogatives.
¡ª Peut-¨ºtre, allez savoir ? Au vu de la r¨¦ponse politique qui a suivi, nous ne pensons pas que vous avez merd¨¦, si vous me permettez l''expression. Elle ¨¦tait bien trop importante pour que l¡¯on puisse douter un seul instant que vous n¡¯aviez pas vis¨¦ juste. Bref, m¨ºme si rien n¡¯a ¨¦t¨¦ d¨¦montr¨¦ les r¨¦sultats sont l¨¤.
¡ª Oui, je ne suis plus une novice, r¨¦pondit-elle laconiquement. Puis j''ai mis ¨¤ la porte des centaines de salari¨¦s.
¡ª Peu importe, ¨¦vacua Ost?r. Cela est du pass¨¦ et a plus tendance ¨¤ nous plaire que l''inverse... Nous sommes int¨¦ress¨¦s par votre profil et pr¨ºts ¨¤ mettre la somme qu''il faut pour y acc¨¦der. Monsieur Karanth n''a aucune conscience de la valeur des cr¨¦dits qu''il nous a remit entre les mains. Les ¨¦conomies d''une vie... Avec ?a, vous pourriez donner un coup de pied dans la fourmili¨¨re une fois de plus.
L''expression fit sourire Suranis. Personne ne connaissait le principe de fourmi, mais tout le monde l''utilisait quand il s''agissait d''imager le fait de foutre le bordel quelque part. Elle esp¨¦rait ne pas en arriver ¨¤ cette extr¨¦mit¨¦ et se fit la promesse de s¡¯arr¨ºter avant que tout ne devienne incontr?lable. C¡¯¨¦tait plus gros que des agents v¨¦reux, plus encore que douze morts, juste parce qu¡¯on parlait l¨¤ de Jinn Pertem et d¡¯une prol¨¦taire. Pourrait-elle r¨¦ellement arr¨ºter si cela d¨¦passait la simple disparition ? Oui, elle en ¨¦tait persuad¨¦ et revint ¨¤ ses finances qui remonteraient temporairement. Dans le pire des cas, si la situation devenait trop complexe, elle produirait un rapport incomplet et recevrait une somme incompl¨¨te. Mieux que rien.
Elle soupira dans le combin¨¦ :
¡ª Je n''en ai pas envie et c''est une de mes conditions. Si vous acceptez que je puisse arr¨ºter mon enqu¨ºte avant qu¡¯elle n¡¯atteigne les m¨ºmes sommets que celle qui a valu ma d¨¦ch¨¦ance, je pourrais me mettre en selle. Je veux dire par-l¨¤, et j''insiste, que j''enqu¨ºterais sur la disparition et ¨¦ventuellement les derniers d¨¦placements de la disparue. Elle est peut-¨ºtre encore en vie. Comment elle s¡¯est retrouv¨¦e en haut ou tout ce qui concerne sa mort, si c''est vraiment le cas, je fais l¡¯impasse dessus.
¡ª C¡¯est d¨¦j¨¤ bien suffisant, s¡¯empressa de r¨¦pondre Garth Ost?r. Concernant les honoraires ?
Ils ¨¦taient ¨¦voqu¨¦s dans le m¨¦l. Quelles ¨¦taient les sommes d¨¦j¨¤ ? Mille... Un peu plus.
¡ª Les 1400... C''est ?a ? hasarda-t-elle.
¡ª Tout ¨¤ fait.
¡ª Les 1400 d''avance et les 4000 suppl¨¦mentaires ¨¤ la r¨¦solution me paraissent corrects. Disons m¨ºme que je vous fais une ristourne ¨¤ 2000 si je ne trouve rien et si cet accord me permet r¨¦ellement de fuir une situation dangereuse.
¡ª Tout cela d¨¦pend de vous, approuva Ost?r, mais sachez que l¡¯on peut pousser le budget, au besoin. Envoyez vos factures ¨¤ notre bureau et envoyez-nous votre formulaire. Je ne vous demanderais pas des preuves de l''avancement du dossier... Vous avez une bonne r¨¦putation et je n''aimerais vous mettre de pression suppl¨¦mentaire.
"Mais laissez-moi prendre mes pr¨¦cautions" sous-entendait il.
¡ª Bien, j¡¯en suis ravie. On continue notre correspondance par m¨¦l si vous le voulez bien ?
Garth Ost?r, ¨¤ l¡¯autre bout de la ligne, acquies?a avant de raccrocher. Le c?ur de Suranis palpita dangereusement. Elle craignait que tout cela ne soit trop gros pour elle, mais le pari ¨¦tait pris.
C''est ?a ou les taudis, chez-toi ?a y ressemble d¨¦j¨¤ furieusement... Un pied dans la mare, la vase remonte le long de ta jambe et tu t''enlises... Tu n''as pas le choix. Particuli¨¨rement depuis que les murs autours d''elle paraissaient ¨¦trangement vaseux : le choix ne lui appartenait pas.
Chapitre 5
La capsule rutilante qui attendait Suranis semblait tout droit sortie des r¨¦serves d¡¯un mus¨¦e. Elle n¡¯en avait jamais vu en si parfait ¨¦tat, mais elle savait qu¡¯ils en existaient de telles. Elles circulaient dans les art¨¨res de la Cit¨¦, bien avant qu¡¯elle ne devienne une habitation permanente, et devaient ¨¤ l¡¯origine servir aux ¨¦quipes ¨¦veill¨¦es pour veiller ¨¤ la maintenance du vaisseau-arche. Maintenant, tout le monde empruntait ces capsules propuls¨¦es par d¡¯imposants ¨¦lectroaimants pour voyager au sein de la Cit¨¦. Du moins, ceux qui ¨¦taient assez press¨¦s pour ¨ºtre pr¨ºts ¨¤ d¨¦penser de pr¨¦cieux k?rptes plut?t que d¡¯utiliser les tapis roulants qui menaient aux m¨ºmes endroits en heures plut?t qu''en minutes.
En temps normal Suranis aurait pris les tapis et ¨¦changeurs pour se rendre ¨¤ destination, mais elle n¡¯avait pas de temps ¨¤ perdre. Elle monta donc dans la capsule et apr¨¨s trente-sept minutes de trajet fut arr¨ºt¨¦e par l¡¯arriv¨¦e massive d¡¯air comprim¨¦ du syst¨¨me de freinage. Une pince vint saisir la capsule pour l¡¯encastrer dans un dock libre du secteur AE-487, ¨¦tage H, et le compte de sa passag¨¨re, un peu sonn¨¦e par le voyage, se d¨¦bita de douze k?rptes. Elle en sortit et marcha sous les lumi¨¨res rouges et sur les lambeaux d¡¯affiches parsemant le sol. Ce n¡¯¨¦tait pas si d¨¦sagr¨¦able, d¨¦couvrit-elle, il y avait quelque chose d¡¯exutoire ¨¤ tituber dans la crasse.
Lorsqu¡¯elle fut totalement revenue ¨¤ elle, elle chercha du regard les habituelles publicit¨¦s et distributeurs automatiques qui gangr¨¦naient la Cit¨¦ sup¨¦rieure, bien heureuse qu¡¯ils soient absents ici. Apr¨¨s tout, les cols blancs qui circulaient plus hauts se trouvaient remplac¨¦s par des ouvriers en tenues de travail bleues, plus ou moins gris¨¦es par la graisse, et qui profitaient de leur repos hebdomadaire pour aller flaner dans le parc voisin de la station des pods. Suranis l¡¯imaginait sans probl¨¨me : ses arbres ne seraient que des squelettes d¡¯acier rong¨¦s par la rouille et affubl¨¦s d¡¯un polym¨¨re imitation ¨¦corce de mauvaise facture. Elle ¨¦tait elle-m¨ºme habitu¨¦e ¨¤ une telle vision de l¡¯arbre, bien qu¡¯une fois elle en vu un vrai dans l¡¯¨¦tage C : un bouleau aussi gris que l¡¯ast¨¦ro?de dans lequel ¨¦tait creus¨¦e la Cit¨¦.
Elle se dirigea vers le parc, s¡¯attendant ¨¤ d¨¦couvrir un parc v¨¦tuste sans fausse pelouse ni fausse verri¨¨re donnant ¨¤ voir un faux ciel. Elle se trompait sur ce dernier point : les ¨¦crans au plafond fonctionnaient presque tous et visiblement la saison ¨¤ l¡¯honneur ¨¦tait l¡¯hiver. Cela ne suffisait cependant pas pour dissiper l¡¯¨¦touffante chaleur du secteur. Peut-¨ºtre pouvait-on accuser, pour ce point, les ouvertures perc¨¦es dans la paroi qui offraient ¨¤ voir l¡¯¨¦tendue verte-bleue du Flux et qui emmagasinaient une chaleur extr¨ºme ? Les sondes pr¨¦tendaient que le Flux ¨¦tait ¨¤ 47¡ãC aujourd¡¯hui. Ou bien ¨¦tait-ce simplement la faute aux moteurs qui ronronnaient dans la zone industrielle plus loin ? Suranis se questionna ¨¤ ce propos, mais bien vite son regard fut happ¨¦ par l¡¯un des hublots. Entre ce dernier et un panneau publicitaire vantant les m¨¦rites d¡¯un ordinateur, ¨¦puis¨¦ depuis soixante ans, se tenait un homme blond, l¡¯air r¨ºveur et plong¨¦ dans la contemplation du Flux. Il portait un b¨¦ret noir et devait avoir la petite vingtaine. Suranis sourit ¨¤ sa chance, il correspondait ¨¤ la description, mais elle h¨¦sita ¨¤ le d¨¦ranger tant il semblait absorb¨¦ par l¡¯oc¨¦an verdatre, comme s¡¯il en ¨¦tait roi ce qui d¡¯une certaine fa?on ¨¦tait vrai. Le Flux, c¡¯¨¦tait bien la seule chose qu¡¯on avait laiss¨¦e aux d¨¦laiss¨¦s des ¨¦tages inf¨¦rieurs.
Elle se glissa sans un bruit ¨¤ ses c?t¨¦s et tenta d¡¯accaparer son attention :
¡ª Le Flux est particuli¨¨rement haut aujourd¡¯hui, commenta-t-elle avec maladresse.
L¡¯homme se retourna vers elle. Il eut un petit rictus, pas moqueur mais malheureux.
¡ª Il est toujours ainsi, mais visiblement vous l¡¯ignoriez. Vous n¡¯avez pas vraiment l¡¯habitude de vous promener dans l¡¯¨¦tage H, hein ? Bienvenue chez moi, chez les meilleurs des ouvriers, dit-il en lui tendant une main qu¡¯elle serra.
¡ª Herth Phue, j¡¯en d¨¦duis ?
¡ª Suranis Rh¨¦on ? demanda-t-il en retour. Qui d¡¯autre que vous pourrait se perdre par ici ? Vous avez pris du temps, ?a fait huit ans qu¡¯elle a disparu.
¡ª Sept ans si j¡¯en crois mes sources, l¡¯enqu¨ºte pour la retrouver n¡¯a dur¨¦ qu¡¯un mois.
Herth Phue soupira, l¡¯air contrari¨¦ :
¡ª Si longtemps ? Vu ce qu¡¯ils nous ont sorti, j¡¯ai plut?t l¡¯impression que c¡¯¨¦tait une semaine¡ Bien, je ne vais pas me mettre ¨¤ ronchonner, je suis heureux que l¡¯on reprenne l¡¯affaire. Seth Karanth, le p¨¨re de Pavla, m¡¯a tout expliqu¨¦ mais est rest¨¦ ¨¦vasif ¨¤ votre propos. Vous ¨ºtes de la FCP ?
¡ª D¨¦sol¨¦ de vous d¨¦cevoir, mais non. Rien d¡¯officiel dans cette rencontre.
¡ª L¡¯inverse m¡¯aurait ¨¦tonn¨¦. Les FCP ont enterr¨¦ le dossier. Mais, dites-moi¡ C¡¯¨¦tait bien elle sur les photos ? Je ne les ai pas vues, mais son p¨¨re en ¨¦tait si s?r¡
Suranis haussa les ¨¦paules, navr¨¦e. Il ¨¦manait du jeune homme une tristesse surnaturelle et le peu qu¡¯elle connaissait sur les relations humaines ne laissait planer l¡¯ombre d¡¯un doute sur leur relation pass¨¦e :
¡ª Je n¡¯en sais rien et ce n¡¯est pas ce qui m¡¯int¨¦resse. On m¡¯a simplement demand¨¦ de m¡¯occuper de sa disparition, dit-elle en se rendant compte de son mensonge. ? Non, elle ne voulait pas d¨¦couvrir l¡¯identit¨¦ de la victime bien qu¡¯elle y serait amen¨¦e si elle continuait dans la direction pr¨¦vue.
¡ª Bien, bien¡ J¡¯imagine que de toute fa?on vous ne pouvez rien d¨¦couvrir ¨¤ ce propos. L¡¯affaire est r¨¦gl¨¦e, hein ? Il para?t. Mais je vous en prie, ne restons pas ici et accompagnez-moi plut?t pour un caf¨¦. Vous aimez ?a ? Offrez-m¡¯en un et je suis tout ¨¤ vous.
¡ª Allons-y, je vous suis et si c¡¯est mauvais je vous le recracherai au visage.
¡ª Dans ce cas n¡¯oubliez pas le sucre¡
Le sucre ? Sans se douter de ce qui l¡¯attendait, elle suivit Herth qui la guida dans les couloirs du secteur, tous d¨¦nu¨¦s de l¡¯¨¦l¨¦gance des niveaux sup¨¦rieurs. Ils ¨¦taient couleur de roche, mais plus brumeux que dans le parc. Les syst¨¨mes d¡¯a¨¦ration peinaient ¨¤ ¨¦vacuer les ¨¦missions des unit¨¦s d¡¯assemblage et parfois pouvait-on discerner certaines particules, plus brillantes que les autres : le Flux. Peu ¨¤ peu, les habitants du secteur se consumaient en lui pour que les estomacs industriels fournissent ¨¤ la Cit¨¦ toute l¡¯¨¦nergie dont elle avait besoin. Certains mouraient pour d¡¯autres, c¡¯¨¦tait ainsi.
Herth salua un ouvrier qu¡¯ils d¨¦pass¨¨rent et qui fumait sa clope, crachotant une fum¨¦e bien plus blanche que celle qui sortait de son atelier. L¡¯homme ne le remarqua pas. Suranis commen?a ¨¤ se demander o¨´ Herth la menait, puis elle d¨¦couvrit ¨¤ une encablure de l¡¯ouvrier mourant sans le savoir, une porte vitr¨¦e. Herth la poussa ¨¤ l''int¨¦rieur et ils se retrouv¨¨rent dans une salle de pause, pas un caf¨¦ bien que le monolithe noir qui servait la boisson tr?nait bien au milieu de la pi¨¨ce. Elle observa la machine d¡¯un air un peu b¨ºte. Un grain de caf¨¦ ¨C la machine n¡¯en contenait pourtant aucun ¨C la d¨¦corait et Suranis n¡¯en avait jamais vu, elle qui ¨¦tait n¨¦e dans un ¨¦tage du th¨¦. Des miettes de th¨¦, s¡¯empressa-t-elle de rectifier. C¡¯¨¦tait une ¨¦tape dans le d¨¦classement, peu avant les dortoirs. Herth s¡¯installa ¨¤ l¡¯une des tables poussi¨¦reuses et lui lan?a un dr?le de regard :
¡ª Bravo Madame Rh¨¦on, vous avez d¨¦couvert la machine ¨¤ caf¨¦.
Suranis se retourna, vex¨¦e avant de comprendre qu¡¯il ne se moquait pas vraiment d¡¯elle mais plut?t de ce qu¡¯elle incarnait. Oh, que sa vie ¨¦tait facile compar¨¦e ¨¤ celle des habitants de l¡¯¨¦tage.
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¡ª C¡¯est donc ?a ! ironisa-t-elle. Le jais des profondeurs, celui qui se terre dans ces cavernes d¡¯acier. Je vous prends quoi ?
¡ª Un caf¨¦ long, avec quatre sucres.
¡ª Bien, ?a sera sans pour moi. Autant avoir l¡¯exp¨¦rience totale, non ?
Elle porta son bras puc¨¦ devant l¡¯¨¦cran de s¨¦lection. La machine prit sa commande et cracha aussit?t son liquide trop noir pour ¨ºtre naturel. Il ¨¦tait bouillant et dilu¨¦ au sirop de glucose. Elle l¡¯apporta ¨¤ Herth en ¨¦vitant de se br?ler avec le gobelet d¡¯aluminium consign¨¦.
¡ª Merci, marmonna Herth.
Le m¨ºme spectacle se reproduisit, cette fois-ci sans sucre, et elle s¡¯assit en face d¡¯Herth. Ils trinqu¨¨rent machinalement ¨C Suranis d¨¦voilait bien vite ses vilaines habitudes ¨C et elle porta le liquide ¨¤ ses l¨¨vres. C¡¯¨¦tait infecte, d¡¯une acret¨¦ insupportable. Pas ¨¦tonnant que les gens d¡¯en haut ne connaissent pas cet infame breuvage et qu¡¯Herth ait noy¨¦ le sien sous le sucre. Elle regrettait sa bravade et grima?a. Herth sourit.
¡ª Je vous l¡¯avais pourtant dit. C¡¯est mauvais, mais ?a r¨¦veille. Avec du sucre, ?a a le m¨¦rite d¡¯avoir un go?t pas totalement d¨¦sagr¨¦able et, dans tous les cas, ?a reste meilleur que de l¡¯eau purifi¨¦e. Rien ¨¤ voir avec votre th¨¦, hein ?
¡ª Je ne dirais pas ?a, d¨¦sapprouva Suranis sans vraiment le croire. C¡¯est diff¨¦rent, c¡¯est tout. Mais passons, maintenant que nous sommes loin des oreilles indiscr¨¨tes et confortablement install¨¦s, pouvons-nous parler de Pavla Karanth ?
¡ª Seth ne nous a pas mis en relation pr¨¦cis¨¦ment pour cela ?
¡ª Effectivement. Alors, que pouvez-vous me dire sur elle ? Qui ¨¦tait-elle par rapport ¨¤ vous ?
Le regard d''Herth fuit, il avala une gorg¨¦e et r¨¦fl¨¦chit ¨¤ la question.
¡ª Oh, nous n¡¯¨¦tions pas grand-chose l¡¯un par rapport ¨¤ l¡¯autre je dirais, r¨¦pondit Herth avant de remuer son caf¨¦ sans le regarder afin de se donner une contenance. ? Visiblement, il mentait mais c¡¯¨¦tait sans importance. ? Nous ¨¦tions dans le m¨ºme cours d¡¯art folklorique quand elle a disparu vous savez. Elle ¨¦tait musicienne, j¡¯¨¦tais plut?t peintre.
¡ª Un cours d¡¯art folklorique ? demanda Suranis en inscrivant discr¨¨tement l¡¯information sur son calepin.
¡ª N¡¯allez pas me dire que vous ignorez ce que c¡¯est ? Vous savez, l¡¯une de ces r¨¦unions associatives o¨´ nous dilapidons joyeusement les subventions citadines pour faire semblant de cr¨¦er de l¡¯art populaire ?
Garth Ost?r en avait parl¨¦ dans son m¨¦l, mais l''information ¨¦tait pass¨¦e ¨¤ la trappe dans le fouilli du trop-plein.
¡ª Ah, ce genre de folklorique. J¡¯en ai entendu parl¨¦ en effet, jamais assist¨¦ cependant. C¡¯est une m¨¦thode comme une autre pour pacifier et pr¨¦parer la gentrification j¡¯imagine.
¡ª Vous dites ?a comme une simple remarque et je crois qu¡¯il n¡¯y a rien ¨¤ ajouter. C¡¯est bien ?a, on essaye de nous effacer mais sans nous qui va faire fonctionner tout le bordel citadin ?
¡ª Pardonnez-moi, j¡¯ai outrepass¨¦ la simple question de Pavla, dit Suranis en souriant. Oublions ces questions politiques et concentrons-nous sur l¡¯essentiel.
Herth Phue n''en demandait pas moins.
-
Bien, vous me dites que vous ¨¦tiez dans le m¨ºme cours folklorique donc vous la rencontriez r¨¦guli¨¨rement. ¨¤ quand remonte votre derni¨¨re rencontre ? Si vous vous en souvenez...
¡ª C¡¯est un fait, toutes les semaines nous nous voyions et la derni¨¨re fois que je l¡¯ai vu c¡¯¨¦tait il y a sept ans, presque huit, corrigea-t-il devant le regard inquisiteur de Suranis. Le jour des Anciens ! Je m¡¯en souviendrais car elle donnait une repr¨¦sentation dans le parc pour les petits vieux du coin. J¡¯y ai assist¨¦, je lui devais bien ?a. C¡¯¨¦tait mon amie vous savez.
Il s¡¯arr¨ºta pour se gratter la barbe et regarder son gobelet. Suranis avait d¨¦cid¨¦ qu¡¯elle jetterait le reste de son caf¨¦ apr¨¨s cette rencontre. Le rouge avait point¨¦ sur les joues du jeune homme, sans doute en se rendant compte qu¡¯entre ? amis ? et ? pas grand-chose ? existait un vaste monde dans lequel pouvait s¡¯incorporer bien d¡¯autres relations. Suranis s¡¯en amusa et l''observa avec bienveillance, ma?trisant tant bien que mal le tressautement de la joue qui l¡¯animait toujours lors de ses nouvelles rencontres. Elle d¨¦testait ?a et souhaitait en finir au plus vite, surtout avec les relents qui provenaient des couloirs. Elle pensait discerner au milieu des odeurs de plastique br?l¨¦ des traces d¡¯urine.
¡ª Amie ? releva Suranis. Cette repr¨¦sentation, comment ¨¦tait-elle ?
¡ª Amie. Je ne me souviens plus tr¨¨s bien de la repr¨¦sentation, elle ne devait pas ¨ºtre si mauvaise la connaissant. Pour elle, ?a n¡¯a pas d? ¨ºtre le cas. Elle ¨¦tait d¡¯un perfectionnisme rare, s¡¯imaginant toujours que le mauvais accord d¨¦livr¨¦ au milieu du morceau avait ¨¦t¨¦ entendu par tout le monde.
¡ª Bien. Peut-¨ºtre ne vous souvenez plus vraiment du moment o¨´ elle a jou¨¦, mais peut-¨ºtre aussi que vous vous souvenez d¡¯¨¦l¨¦ments qui sortaient de l¡¯ordinaire. Cela a d? vous prendre la t¨ºte apr¨¨s sa disparition, non ?
¡ª Oui, commen?a-t-il avant un silence que Suranis laissa planer. ? Il reprit. ? On a discut¨¦ apr¨¨s sa repr¨¦sentation. Elle ¨¦tait tr¨¨s excit¨¦e par un petit boulot qu¡¯elle venait de d¨¦nicher dans un bureau de l¡¯¨¦tage C. Pas grand-chose, comme on n¡¯a pas grand-chose ¨¤ quinze ans, mais de quoi grappiller une poign¨¦e de cr¨¦dits.
¡ª Int¨¦ressant. Elle vous a dit en quoi ce petit boulot consistait ? dit et gribouilla Suranis.
¡ª Plus ou moins, elle ignorait l¡¯essentiel elle-m¨ºme, mais imaginait qu¡¯elle chercherait des fichiers oubli¨¦s au fond d¡¯un poste qui l¡¯¨¦tait tout autant, se trimballerait de vieux disques durs et des th¨¦i¨¨res remplies ¨¤ ras-bord. ¨¤ l¡¯¨¦poque ils faisaient le grand tri dans leur base de donn¨¦es et abusaient des petites mains.
¡ª D¡¯accord. Et apr¨¨s, c¡¯est tout, elle a disparu ?
¡ª Oui. Elle a disparu.
Suranis se recula dans sa chaise et croisa les bras :
¡ª C¡¯est dr?le. Vous savez que la th¨¨se officielle est celle d¡¯une fugue ?
Herth se crispa. Le gobelet en aluminium r¨¦utilisable qu¡¯il tenait ¨¤ la main en subit les cons¨¦quences en se tordant¡ Cela serait retir¨¦ du compte du porteur de la puce, mais Suranis n¡¯en ¨¦tait plus ¨¤ ?a pr¨¨s. Le jeune homme n¡¯eut m¨ºme pas un regard pour la carcasse qui avait autrefois accueillit son caf¨¦. Il semblait enrag¨¦ et Suranis s¡¯inqui¨¦ta en le voyant enfoncer ses canines dans sa l¨¨vre inf¨¦rieure.
¡ª Une fugue ? Bien s?r que je suis au courant de cette merde ! Qu¡¯ils aillent se faire foutre, elle n¡¯a pas fugu¨¦ !
¡ª Calmez-vous. Pourquoi n¡¯aurait-elle pas fugu¨¦ ?
¡ª Vous connaissez beaucoup de personnes qui fuguent en laissant dans leur chambre leurs ¨¦conomies ? Qui vont donner tranquillement un concerto avant de d¨¦guerpir loin de leur paternel ? Vous en connaissez beaucoup ?! Non, merde. Elle avait plusieurs cartes ¨¤ cr¨¦dits limit¨¦s sous son lit, plus de 200 k?rptes accumul¨¦s lors de ses anniversaires. Elle n¡¯a pas fugu¨¦, elle a disparu de la circulation et ils n¡¯ont pas ¨¦t¨¦ foutus de la retrouver !
Ou alors elle a ¨¦t¨¦ jet¨¦e par-dessus bord, mais Suranis ne lui partagea pas cette hypoth¨¨se. Th¨¦oriquement, on ne pouvait pas dispara?tre de la Cit¨¦ car la puce d¡¯identification ins¨¦r¨¦e ¨¤ la base de chaque crane ¨¦mettait son signal sans faillir¡ Si elle n¡¯¨¦tait pas broy¨¦e ou tout en bas, sur le plancher terrestre. Elle n¡¯avait jamais entendu parl¨¦ de la possibilit¨¦ de se faire d¨¦puc¨¦, elle pensait m¨ºme cela impossible, alors si le cadavre retrouv¨¦ ¨¤ la Surface ¨¦tait bien celui de Pavla Karanth¡ La FCP cachait quelque chose, c¡¯¨¦tait ¨¦vident. Ils ne pouvaient pas ignorer la localisation de la disparue.
¡ª Non, ils n¡¯ont pas ¨¦t¨¦ foutus de la retrouver comme vous dites et rien ne tient la route. En tout cas, je me dois de vous remercier. Vous m¡¯avez grandement aid¨¦ avec cette histoire de petit boulot. Vous connaitriez le nom de son ancien employeur ? Que je creuse ?a, c¡¯est une piste comme une autre.
Il le connaissait, mais le renseignement ¨¦tait inutile. On ne restait pas longtemps au m¨ºme poste. Soit on descendait d¡¯un ¨¦chelon, soit on montait, mais on ne restait pas au m¨ºme endroit plus de deux ann¨¦es cons¨¦cutives. Il ¨¦tait donc peu probable que des cadres en fonction au moment des faits soient encore pr¨¦sents dans les bureaux, mais elle ne voulut pas le dire ¨¤ Herth. Il pensait que Pavla n¡¯avait pas disparu, pas aux yeux de tous. Il savait aussi qu¡¯elle ¨¦tait morte, bien que n¡¯ayant pas vu les photographies, et surtout il voulait que les crevards qui avaient fait ?a disparaissent, quitte ¨¤ faire exploser un morceau de la Cit¨¦ avec eux.
Suranis se leva et tendit la main ¨¤ Herth. Il entreprit de la serrer, mais ne fut pas assez rapide pour ¨¦viter son ¨¦treinte. Elle lui saisit l¡¯¨¦paule, couchant son avant-bras contre le sien, puce contre puce. Pas certain qu¡¯il se rende compte qu¡¯elle venait de lui transf¨¦rer vingt k?rptes - ou cr¨¦dits comme il aimait ¨¤ les appeler - mais si c¡¯¨¦tait le cas et s¡¯il pouvait se so?ler pour oublier les douloureux souvenirs qu¡¯elle avait raviv¨¦s, elle en serait heureuse.
Chapitre 6
¡ª Je t¡¯ai fait sortir le rapport sur Pertem. Tu sais tr¨¨s bien que je risque gros si je me fais prendre. C¡¯est ma foutue carri¨¨re que tu mets en jeu¡ Bordel Suranis, je t¡¯aime bien mais tu abuses quand tu t¡¯y mets.
Suranis saisit le maigre dossier. Elle sourit ¨¤ Villat Manithe, inspecteur de la FPC. Il avait pris du galon depuis leur derni¨¨re rencontre.
¡ª Je le sais et je t¡¯en remercie. Je suis d¨¦sol¨¦e de te mettre dans l¡¯embarras, mais tu sais ce que c¡¯est¡ Mon m¨¦tier n¡¯est pas toujours des plus plaisants et lorsque j¡¯ai besoin d¡¯informations, je vais les chercher o¨´ il faut.
¡ª Oui, tu me l¡¯as d¨¦j¨¤ dit et tu me le r¨¦p¨¨te ¨¤ chaque fois que tu as besoin d''infos... soupira-t-il. Je veux bien t¡¯en donner qui ne me vaillent pas de me retrouver envoy¨¦ ¨¤ la mine mais l¨¤¡ C¡¯est trop risqu¨¦. Ne me redemande plus un tel service. J¡¯ai pris du temps pour en arriver o¨´ j¡¯en suis et je n¡¯aimerais pas tout ruiner du jour au lendemain pour te faire plaisir.
Villat, malgr¨¦ son demi-sourire charmant, d¨¦gageait une telle aura d¡¯hostilit¨¦ que Suranis se promit de ne jamais le refaire. Elle avait pourtant besoin de ce document, toutes ses pistes avaient men¨¦ au mur et le seul ¨¦l¨¦ment qui rattachait Pavla ¨¤ la Cit¨¦ ¨¦tait Pertem. Du moins, potentiellement...
Avec une certaine r¨¦vulsion pour sa condition ¨C elle qui avait pr¨¦tendu que jamais elle ne mettrait son nez dans des affaires qui la d¨¦passait ¨C elle se retrouvait ici, devant le m¨ºme poste qu''elle fr¨¦quentait autrefois ¨¤ glaner des informations par la plus abjecte des m¨¦thodes : le chantage. Surtout que celui-ci ¨¦tait effectu¨¦ sur un vieil ami que Suranis rencontra alors qu''il n''¨¦tait encore qu''un brigadier v¨¦reux parmi d''autres, ayant pris pour facheuse habitude de se servir dans les preuves ¨¤ conviction. Le plus souvent il s''agissait de drogues et parfois des implants c¨¦r¨¦braux augmentatifs ¨C bien ill¨¦gaux face ¨¤ la sacro-sainte ¨¦galit¨¦ des chances, bien utilis¨¦s en r¨¦alit¨¦ - qu¡¯il revendait ¨¤ la sauvette ¨¤ du personnel surmen¨¦ qui avait bien besoin de ce petit coup de pouce. Encha?ner douze heures tous les jours et appr¨¦hender le monde avec la pr¨¦cision chirurgicale d¡¯un ordinateur, et sans qu¡¯aucune fatigue ne se manifeste, devenait d¨¨s lors possible et l¡¯ascension dans les ¨¦tages ne tardait jamais ¨¤ arriver. Les effets secondaires ¨¦taient nombreux entre les outsiders qui s¡¯¨¦croulaient sur place et les implant¨¦s qui se rendaient compte que tout le m¨¦rite de leur carri¨¨re ne revenait qu¡¯¨¤ un petit circuit imprim¨¦ gliss¨¦ dans leur crane qu¡¯ils s¡¯empressaient de faire sauter au piolet. Morts subites et suicides ne d¨¦courageaient pas les clients potentiels et Villat les rencontrait sans difficult¨¦. ¨¤ l¡¯¨¦poque de sa fortune, les gens se pressaient dans une ruelle malfam¨¦e pour lui acheter de quoi repousser la stagnation sociale (ou pire la d¨¦ch¨¦ance). Ils sacrifiaient les ¨¦conomies de vies enti¨¨res pour que, plus tard dans la soir¨¦e, ils puissent risquer leur vie sur un billard clandestin.
Les affaires marchaient alors terriblement bien pour lui, assez pour que sa hi¨¦rarchie se doute d¡¯un manquement. L¡¯ancien coll¨¨gue de Suranis, peu fut¨¦, ignorait que si les preuves ¨¦taient consign¨¦es et enregistr¨¦es, elles ne l¡¯¨¦taient non pas seulement dans le r¨¦seau interne de l¡¯unit¨¦ qu¡¯il falsifiait mais ¨¦galement dans le m¨¦ta-r¨¦seau. On chargea la nouvelle venue de mener son enqu¨ºte, en dehors de toute suspicion, et Suranis d¨¦couvrit bien vite qu¡¯il se servait. Apr¨¨s tout, quel agent pouvait se permettre de vivre ¨¤ proximit¨¦ du poste et passer la plupart de ses soir¨¦es dans les troquets locaux ? Lorsqu¡¯elle le confronta, il pr¨¦tendit d¡¯abord qu¡¯un parent g¨¦n¨¦reux lui donnait de l¡¯argent de poche, mais cela n¡¯expliquait pas pourquoi son identifiant apparaissait si souvent dans l¡¯historique de la base de donn¨¦es.
Par sympathie, Suranis lui rendit un ¨¦norme service en ne le d¨¦non?ant pas. Les vols cess¨¨rent et c¡¯est tout ce qui importait. Le dossier ¨¦tait clos et ne serait jamais rouvert, sauf qu¡¯elle agitait toujours cette vieille histoire au nez de Villat Manithe d¨¨s que le besoin s¡¯en faisait ressentir. Ce n¡¯¨¦tait pas une menace en soi, mais juste un moyen de signaler qu¡¯il lui ¨¦tait redevable au-del¨¤ de tout ce qu''elle pouvait lui r¨¦clamer et cela fonctionnait. Cependant, Suranis aurait pr¨¦f¨¦r¨¦ ne pas en arriver ¨¤ cette extr¨¦mit¨¦-l¨¤ car, assur¨¦ment, l¡¯homme derri¨¨re l¡¯uniforme avait chang¨¦. Plus rien en lui ne laissait entendre le flic v¨¦reux, plut?t l¡¯inverse m¨ºme. L¡¯inspecteur rang¨¦ ? Certainement.
¡ª Franchement Suranis, je suis d¨¦?u que tu aies encore ressorti cette vieille histoire. Quand est-ce que l''¨¦quilibre sera r¨¦tabli ? Je pensais que tu valais mieux. J¡¯ai chang¨¦ depuis et puis, merde, je ne faisais que redistribuer les richesses ¨¤ cette ¨¦poque ! Ces choses prenaient la poussi¨¨re, elles ne manquaient ¨¤ personne.
¡ª Redistribuer les richesses, tu le fais toujours en bossant pour la FPC ? l¡¯attaqua Suranis. Un vrai gaucho dans l¡¯ame ! Tu redistribuais vers ta poche...
Suranis vit l¡¯expression de Villat changer. Il arborait le plus profond d¨¦go?t envers elle.
¡ª Fait chier ! Tu sais bien que c¡¯est plus compliqu¨¦ pour ?a ! J¡¯¨¦tais dans la merde ¨¤ l¡¯¨¦poque¡ Je¡ Voil¨¤, c¡¯est un taff de merde si tu n¡¯es pas officier. On est pay¨¦s des broutilles, j¡¯avais besoin d¡¯un suppl¨¦ment ! Tu aurais fait la m¨ºme chose si tu avais ¨¦t¨¦ ¨¤ ma place, tu ne peux pas r¨¦sister si facilement ¨¤ de l¡¯argent facile quand tes journ¨¦es consistent ¨¤ te faire cracher ¨¤ la gueule.
¡ª Non, je n¡¯aurai pas fait ?a. J¡¯¨¦tais int¨¨gre et je voulais faire changer les choses ! s''emporta-t-elle. Mais je crains que je sois la seule ¨¤ l¡¯avoir ¨¦t¨¦ avant que l¡¯on me foute ¨¤ la porte.
¡ª Je suis d¨¦sol¨¦ pour ?a, vraiment. Les choses changent, tenta Villat en tendant les mains devant lui dans un signe d¡¯apaisement.
Suranis recula d¡¯un pas, refusant ce geste. Elle incommodait l¡¯inspecteur qui aurait souhait¨¦ oublier ces d¨¦tournements pass¨¦s. Le rapport entre ses mains lui faisait un dr?le d¡¯effet.
¡ª S¨¦rieusement Villat, tu me dis que vous avez chang¨¦ et tu me tends un rapport si fin que je ne sais m¨ºme pas si je pourrais me rouler une cigarette avec ?
L¡¯inspecteur se rembrunit, ses mains se joignirent au niveau de sa poitrine et une touche de rouge pointa sur ses joues.
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¡ª Ce n¡¯est pas ce que tu crois ! On a fait les choses bien pour¡ dit-il avant de jeter rapidement un coup d¡¯?il derri¨¨re lui. Pertem. C¡¯est une trop grosse affaire pour que nous lambinions dessus ! C¡¯est la FPCP qui est venue foutre son nez dedans et prendre les choses en mains. Les Forces de Pacification de mon cul ! Suranis, tu sais ce que c¡¯est !
¡ª Oui, fit-elle pensivement. Oui, j¡¯imagine. Quoi qu¡¯il en soit, je te remercie pour la docu.
¡ª Ouais, ouais. Tu verras si tu es contente de cette V1 incompl¨¨te ou pas, mais pense ¨¤ d¨¦truire le papelard une fois lu et n¡¯en parle ¨¤ personne. Jamais. De toute fa?on, on te prendrait pour une folle, le rapport n¡¯est pas canon et il a m¨ºme ¨¦t¨¦ effac¨¦ de la base de donn¨¦es. On ¨¦tait sens¨¦s le d¨¦truire, mais il en reste des copies papier et tu sais que le logotype de la FCP ne suffit pas ¨¤ prouver la v¨¦racit¨¦ d¡¯un document.
¡ª Ne t¡¯inqui¨¨te pas pour ?a. Je te le revaudrais ¨¤ l¡¯occasion.
¡ª Arr¨ºte ton char. J¡¯esp¨¨re ne jamais te revoir de mon c?t¨¦, r¨¦pondit avec un humour qui sonnait faux Villat.
Il lui tendit la main et Suranis la serra, tr¨¨s bri¨¨vement en remarqua le rictus qui envahissait le visage de l¡¯inspecteur. La bonne blague, pour la forme elle avait invers¨¦ la dette, mais le tableau venait d¡¯¨ºtre effac¨¦. Fin de l¡¯histoire et l¡¯inspecteur ne l¡¯ignorait pas alors qu¡¯il lui tournait les talons pour revenir au poste.
Suranis passa un temps ¨¤ triturer le coin du document, puis quitta les lieux. Une ruelle plus loin l¡¯univers sombre et empestant le tabac froid du poste disparaissait d¨¦j¨¤, remplac¨¦ par celui des avenues compos¨¦es de vitrines et de lumi¨¨res. Le secteur ressemblait ¨¤ tous les autres avec ces produits expos¨¦s qui ne cachaient rien, sinon leurs malfa?ons et la v¨¦ritable nature des mat¨¦riaux utilis¨¦s. Du neuf ¨¤ tout va, mais gu¨¨re plus neuf que ne l¡¯¨¦taient les cervicales de Suranis et ces derni¨¨res lui faisaient mal par intermittence.
Un vaste monde recycl¨¦, o¨´ rien ne se cr¨¦er vraiment. Oui, rien de neuf ¨¤ l¡¯horizon, d¨¦tourne le regard de ces all¨¦chantes vitrines, tu as du vieux entre les mains.
Et ces objets du quotidien recycl¨¦s elle les d¨¦passa. Bien qu¡¯int¨¦ress¨¦e elle n¡¯en avait de toute mani¨¨re pas les moyens. Elle traversa l¡¯avenue en trombe pour arriver sur une place o¨´ les bancs libres signalaient sa faible popularit¨¦. Il y avait bien quelques passants et deux retrait¨¦s qui discutaient avec ardeur, mais la place semblait assez vide pour qu¡¯elle c¨¦da totalement ¨¤ sa tentation. C¡¯¨¦tait plus fort qu¡¯elle, elle prit place et voulut lire le rapport lorsqu¡¯un badaud s¡¯arr¨ºta devant elle, le genre chemise boutonn¨¦e jusqu¡¯au menton qui n¡¯avait gu¨¨re de consid¨¦ration pour l¡¯esp¨¨ce humaine. Sans toutefois lui lancer d¡¯?illade, il la regarda avec insistance avec l¡¯air de dire : ? Toi et moi, dans la petite ruelle pour un petit coup rapide ? Je t¡¯offre un verre avant ?. Chose qu¡¯il n¡¯avait pas pr¨¦vu, bien que n¡¯ignorant pas que ses fantasmes d¡¯ordure humaine ne se r¨¦aliseraient pas, fut le regard noir de Suranis qui signifiait sans ambages : ? va te faire foutre ?. Il repartit, l¡¯¨¦go d¨¦cim¨¦ et sa r¨¦alit¨¦ ¨¦branl¨¦e.
Suranis sourit, seule sur son banc en se ressassant que non, la femme ne se limitait pas ¨¤ engendrer sa flop¨¦e de marmots pour alimenter la Cit¨¦ vorace. Elle se demanda bri¨¨vement si Pavla aussi avait connu des exp¨¦riences similaires dans son adolescence ¨¦court¨¦e. Peut-¨ºtre que les m?urs en bas ¨¦taient-elles diff¨¦rentes ? Ce n¡¯¨¦tait cependant pas le moment de penser ¨¤ de telles choses et elle mit de c?t¨¦ ses divagations pour ouvrir le dossier. Elle n¡¯avait jamais vu de toute sa (courte) carri¨¨re un si ridicule rapport. Une seule page et m¨ºme pas recto-verso. L¡¯enqu¨ºte avait ¨¦t¨¦ vite stopp¨¦e. Quelque chose ne collait pas l¨¤-dedans. M¨ºme un vol ¨¤ l¡¯arrach¨¦e occupait plus d¡¯une page. Ce dossier ¨¦tait la preuve (non canon et v¨¦n¨¦r¨¦e par ceux qui se contentent de peu) qu¡¯on occultait quelque chose. C¡¯¨¦tait ¨¦vident et cette chose ne se trouverait certainement pas dans les quelques lignes inscrites sur le papier qu¡¯elle survola pour avoir bonne conscience et surtout car elle ne pouvait pas s¡¯en emp¨ºcher :
? Jinn Pertem, cinquante-six ans, politicien affili¨¦ ¨¤ divers syndicats jug¨¦s sans danger pour la Cit¨¦. Habitant l¡¯unit¨¦ d¡¯habitation Stain ¨¤ la Surface [¡] ?
Stain, il est entach¨¦ ¨¤ vie d¨¦sormais. Celui qui n¡¯a jamais connu plus grand scandale que la tache de faux ketchup sur sa chemise se retrouve sans emploi et certainement en instance de divorce. Si des instances de divorce existent dans les mines.
? [¡] et mari¨¦ ¨¤ Felicia Pertem, sans enfant connu. Jinn Pertem a ¨¦t¨¦ trouv¨¦ inconscient aux c?t¨¦s d¡¯un corps identifi¨¦ comme ¨¦tant celui de Pavla Karanth. [¡] ?
Pavla ! Le v¨¦ritable terminus de sa vie.
? [¡] Hormis la proximit¨¦ physique entre les deux individus aucune trace sur l¡¯un ou l¡¯autre des n¡¯indique une relation quelconque entre les deux [Suranis stoppa momentan¨¦ment la lecture, ainsi le coup du sperme ¨¦tait faux, mais il se devait d¡¯exister pour consolider le volet des preuves mat¨¦rielles]. L¡¯analyse du sang de Jinn Pertem a indiqu¨¦ la pr¨¦sence de GH-Drain... ?
Le rapport continuait ainsi, ¨¦vin?ant rapidement la question du GH-Drain pour laquelle la base de donn¨¦es des laborantins se limitait ¨¤ un simple sch¨¦ma mol¨¦culaire sans en d¨¦tailler les effets. Pour l¡¯instant c¡¯¨¦tait sans importance car Suranis jubilait, elle tenait un gros morceau. D¡¯une part, c¡¯¨¦tait bien Pavla qui avait ¨¦t¨¦ vue sur toutes les t¨¦l¨¦visions et d¡¯une autre les preuves contre Pertem devenaient soudainement beaucoup moins accablantes. Pour une raison ou une autre on l¡¯accusait ¨¤ tort, en tout cas sans preuves. Le politicien en devenait sali ¨¤ vie et ¨¦vinc¨¦ des affaires politiques alors qu¡¯il ¨¦tait en pleine ascension vers le sommet.
Suranis d? cependant se ressaisir car ce n¡¯¨¦tait pas le meurtre qui l¡¯int¨¦ressait, bien qu¡¯elle d¨¦rivait ¨¤ grande vitesse vers lui. Elle devait se contenter de la disparition survenue il y a si longtemps et remonter la piste froide. M¨ºme si elle avait voulu porter les informations glan¨¦es sur Pertem devant le grand public, elle n¡¯aurait pas pu. C¡¯¨¦tait trop gros pour elle et elle ne s¡¯en sortirait jamais. Elle fulmina int¨¦rieurement ¨¤ la vue de cette affaire bacl¨¦e, rapidement reprise par les FPCP. Elle pensait aussi ¨¤ tous ces cadets et officiers qui avaient ferm¨¦ les yeux en voyant passer le rapport pr¨¦liminaire de leurs mains ¨¤ celles des grands pontes.
¡ª Fait chier, s¡¯¨¦cria Suranis.
Elle regarda autour d¡¯elle pour v¨¦rifier si personne ne l¡¯avait entendu. Tous circulaient, tant mieux il n¡¯y avait rien ¨¤ voir. Elle reprit sa lecture en machonnant un lambeau de peau vol¨¦ ¨¤ son pouce. Elle tenait quelque chose, le rapport n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ fini, mais les d¨¦placements de la victime sur une semaine, comme il ¨¦tait d¡¯usage de le faire, avaient ¨¦t¨¦ consciencieusement consign¨¦s. Les puces d¡¯identification agissaient comme des traceurs et grace ¨¤ cela elle apprit que Pavla se trouvait dans un secteur hors-carte officielle. De simples coordonn¨¦es qui s¡¯av¨¦r¨¨rent le plus pr¨¦cieux des renseignements.
Elle ¨¦tait satisfaite. Les coordonn¨¦es obtenues s¡¯av¨¦raient une premi¨¨re ¨¦tape plus que louable pour r¨¦soudre le cas de la disparition de Pavla Karanth. Suranis, ivre de r¨¦ussite, se leva et tituba les deux premiers pas en se dirigeant vers son appartement. Peut-¨ºtre ¨¦tait-ce les lumi¨¨res qui viraient tranquillement au rouge qui rendaient sa situation si irr¨¦elle ? La nuit approchait alors que le Flux baignait dans le soleil de l¡¯autre c?t¨¦ des hublots. Mais il n¡¯emp¨ºchait que Suranis avait l¡¯impression de vivre un r¨ºve aussi excitant qu¡¯angoissant.
En chemin, elle croisa deux agents en patrouille qui, bien que la d¨¦visageant ¨C ils la pens¨¨rent ¨¦m¨¦ch¨¦e ¨¤ se mouvoir si rapidement ¨C n¡¯all¨¨rent pas jusqu¡¯¨¤ scanner ses influx c¨¦r¨¦braux. Auquel cas ils l¡¯auraient arr¨ºt¨¦ avec ses niveaux de stress ¨¦lev¨¦s, son excitation redoutable et le voyant rouge associ¨¦ ¨¤ son matricule citoyen qui palpiterait comme un sinistre c?ur. Attention, danger !
Chapitre 7
L¡¯Olkers collecta l''objet Judsor lors de sa centi¨¨me assistance gravitationnelle. Les plus mystiques de l¡¯exp¨¦dition, appel¨¦s par l''unit¨¦ cosmique plus que guid¨¦s vers, virent l¨¤-dedans un signe. Les plus pragmatiques cri¨¨rent aux dieux des math¨¦matiques et au plan infaillible qui voulut qu''ils ponctionn¨¨rent des ressources en cours de route. Bien que la zone de man?uvre, pour qu''ils d¨¦couvrent un corps r¨¦pondant aux besoins ¨¦nerg¨¦tiques des r¨¦acteurs tokamak dans les temps, ils se retrouv¨¨rent au cours de la centi¨¨me assistance gravitationnelle face ¨¤ un g¨¦ant ¨¤ la d¨¦rive. Trois-cent quarante m¨¨tres de roches spatiales et de mat¨¦riaux radioactifs furent ainsi tract¨¦s derri¨¨re le vaisseau-arche et exploit¨¦s. Les ressources ainsi collect¨¦es permirent de rectifier la trajectoire de l''Olkers ¨¤ maintes reprises et de le placer dans une orbite presque parfaite ne n¨¦cessitant que des rectifications mineures et ponctuelles.
L''histoire aurait pu se finir ainsi. L''appendice amput¨¦e le vaisseau-arche n''aurait pas eu le temps de devenir la Cit¨¦ qu''il est aujourd''hui, mais lorsque le Flux monta, la flemme monumentale des colons plus int¨¦ress¨¦s par la plan¨¨te que la viabilit¨¦ de leur maison de transit les sauva. Le pauvre roc fut exploit¨¦ jusqu''¨¤ qu''il n''en subsiste presque plus rien, puis abandonn¨¦ et laiss¨¦ de c?t¨¦, remplac¨¦ par le ballet des navettes spatiales qui trouvaient de quoi faire ailleurs.
Cela serait rest¨¦ ainsi si la compagnie Norddle n''avait pas ¨¦t¨¦ mandat¨¦e par le Conseil des pilotes afin de r¨¦habiliter les criminels. L''exploitation de ce qui restait dans les mines devint un possible puis une r¨¦alit¨¦. Jour apr¨¨s jour, on d¨¦couvrait des gisements insoup?onn¨¦s bien maigrichons et qui permettraient, tout au plus, de maintenir la Cit¨¦ ¨¤ flot pendant neuf d¨¦cennies si l''espace devenait soudainement inaccessible. Juste le temps de se pr¨¦parer philosophiquement ¨¤ la disparition in¨¦vitable de l''humanit¨¦ dans ce secteur de la galaxie et de trouver des raisons d''exister ¨¤ l''esclavage des populations carc¨¦rales sur la Cit¨¦.
Les tenants de Norddle avaient d¨¦j¨¤ un discours bien r?d¨¦ ¨¤ ce sujet. La main-d¡¯?uvre servile qui travaillait ici le faisait pour racheter ses p¨ºch¨¦s ¨¤ coup de marteaux-piqueurs car les robots-extracteurs ne r¨¦sistaient pas aux vagues ¨¦nerg¨¦tiques et radioactives d''une perc¨¦e. Les prisonniers, de leur c?t¨¦, ne mouraient pas subitement, mais voyaient tout simplement leur vie s¨¦rieusement ¨¦court¨¦e malgr¨¦ les combinaisons Hazmat et les capsules color¨¦es permettant d¡¯affronter les cinq minutes d¡¯extraction journali¨¨re impos¨¦es. ? Voyez ? ajouteraient-ils si on leur posait v¨¦ritablement la question, ? nous leur offrons de quoi les prot¨¦ger ? et toute la Cit¨¦ fermerait alors les yeux face ¨¤ cette sinistre r¨¦alit¨¦ humaine, ¨¤ cette peine capitale d¨¦guis¨¦e en travaux civiques. Ce qui se passait dans la prison de Norddle, de l''autre c?t¨¦ du pont suspendu qui g¨¦missait selon les caprices de la haute-atmosph¨¨re, s''apparentait plus ¨¤ l''enfer que tout ce que la Cit¨¦ avait ¨¤ offrir.
Aujourd¡¯hui, cette prison baignait dans un ciel azur. La m¨¦t¨¦o ¨¦tait cl¨¦mente et le pont ne tremblait que peu, se taisait presque. Il s¡¯agissait d¡¯une journ¨¦e parfaite pour y conduire Jinn Pertem. Tout un c¨¦r¨¦moniel avait ¨¦t¨¦ pr¨¦vu pour l''accueillir : le voyage commencerait par une sorte de travers¨¦e du d¨¦sert dans les terres solitaires de la Surface, entre les squelettes d¡¯arbres qui dansent sous les rafales. La d¨¦ch¨¦ance citoyenne serait ainsi, entour¨¦e par cette nature ma?tris¨¦e puis abandonn¨¦e qui se mourait toujours plus alors qu¡¯on s¡¯approchait de la prison. Le politicien serait symboliquement d¨¦chu de sa citoyennet¨¦, de ce que pouvait lui offrir la Cit¨¦, et rejoindrait ce qu''il resterait sans la ma?trise parfaite des ¨¦lites. Cette image satisferait les t¨¦l¨¦spectateurs, accroch¨¦s au poste comme des moucherons ¨¤ un cadavre.
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Pour accompagner Pertem on avait d¨¦p¨ºch¨¦, en plus des drones-cam¨¦ras, six gardes. Ils pr¨¦c¨¦daient le prisonnier, six astronautes gris aux casques ferm¨¦s suivant un martien qui ¨¦tait d¨¦muni de cette protection basique sinon d¡¯un petit respirateur. Il n¡¯avait pas besoin de se prot¨¦ger du peu de radiations qui s¡¯engouffraient en lui car elles deviendraient bien vite son quotidien. Le plus grad¨¦ du convoi s¡¯¨¦carta et vint se placer devant lui, sur le pont qui grin?a sous le poids combin¨¦ des galons accroch¨¦s aux ¨¦paules et de la bonbonne d¡¯oxyg¨¨ne sur son dos :
¡ª Monsieur Pertem, dit-il avant de se plaquer contre la balustrade. Je dois vous laissez passer en premier. Nous nous engagerons ¨¤ votre suite, mais vous d¡¯abord je vous prie.
¡ª J¡¯ai toujours aim¨¦ ouvrir les marches, ironisa Jinn Pertem. Surtout en une si belle journ¨¦e et avec une si belle vue. Vous en avez d¨¦j¨¤ vu un tenter le plongeon ? Le Flux donne envie de s¡¯y noyer.
Un rictus de terreur ab?ma l''expression neutre du garde qui ausculta le visage de Pertem ¨¤ la recherche de signes avant-coureur. Le politicien d¨¦chu ¨¦tait impassible, sinon anim¨¦ par une lueur malicieuse dans le regard. ? Simple plaisanterie ? le rassura-t-il avant de s¡¯engager sur le pont. Les planches de m¨¦lamin¨¦, en v¨¦ritable bois d¨¦chiquet¨¦, grinc¨¨rent sous ses pieds. Le pont n¡¯inspirait aucune confiance avec ce mat¨¦riau issu des arbres de la Surface qui, malgr¨¦ sa raret¨¦, ¨¦tait rel¨¦gu¨¦ aux taches les plus ingrates. Surtout, il marquait ici la d¨¦limitation avec un monde diff¨¦rent de celui dont il avait coutume. Le bois rempla?ait le plastique, roi dans les beaux quartiers et qui disparaissait progressivement alors qu¡¯on s¡¯aventurait plus en avant vers la prison de Norddle. Il restait pr¨¦sent par touches sur les haubans d¡¯acier, le prot¨¦geant avec des gaines d¡¯une palette d¨¦tonante de couleurs. L¡¯impression d¡¯ensemble ¨¦tait celle d¡¯une extr¨ºme fragilit¨¦. ¨¤ voir ces couleurs, du vert, du rouge et du bleu, la lymphe jaune, l¡¯id¨¦e traversa Pertem qu¡¯ils entraient dans un arlequin d¨¦pec¨¦, ses ¨¦toffes balanc¨¦es sur des tripes qui tranquillement les absorbaient vers le monstre carc¨¦ral.
La voie, un sens unique, accapara l¡¯attention de Pertem qui s¡¯arr¨ºta en s¡¯agrippant ¨¤ la balustrade :
¡ª Allez donc Monsieur Pertem, nous n¡¯avons pas toute la journ¨¦e. Ce bon vieux pont n¡¯a jamais c¨¦d¨¦ et ne c¨¦dera pas aujourd¡¯hui, l¡¯encouragea le grad¨¦ avec ¨C ¨¦tait-ce une illusion ? ¨C une pointe de compassion dans la voix.
¡ª Esp¨¦rons, mais je doute que je ne c¨¨de pas moi-m¨ºme.
Sans le vouloir, Pertem s¡¯¨¦tait mis ¨¤ haleter. Un pas en avant, dix en arri¨¨re. Bient?t, m¨ºme sa naissance serait oubli¨¦e. Ce n¡¯¨¦tait pas tant la vue de ce qui se trouvait sous le pont, les doigts du Flux qui lui signifiaient de sauter, qui le terrorisait mais la prise de conscience de ce qui l¡¯attendait de l¡¯autre c?t¨¦ de la porte sigl¨¦e de la pioche pourpre. Cette pioche qui ne cessait de grossir alors que ses pas l¡¯en rapprochait et qui ¨¦tait la promesse d¡¯une nouvelle vie. Une vie loin de tout, d¨¦vor¨¦ par les mines qui ne le recracheraient que d¨¦confit et la peau tombant par plaque.
L¡¯emprisonnement n¡¯¨¦tait rien, l¡¯oubli ¨¦tait tout. Pertem ne serait plus Citoyen, plus de ce monde ni de l¡¯autre et l¡¯air suroxyg¨¦n¨¦ qui s¡¯engouffra dans sa gorge le terrifia. Il se ferait avaler tout cru par les portes du p¨¦nitencier qui se refermeraient derri¨¨re lui. La d¨¦ch¨¦ance le tuerait avant les radiations, tout cela c''¨¦tait rien, tout cela c''¨¦tait tout.
Chapitre 8
Dans quel merdier Herth Phue s¡¯¨¦tait-il fourr¨¦ ? La d¨¦tective de l¡¯autre jour, compl¨¨tement paum¨¦e dans son secteur ouvrier, ¨¦tait repass¨¦e, l¡¯air aussi surexcit¨¦ qu¡¯apeur¨¦. Elle avait retrouv¨¦ le signal de Pavla dans un secteur hors-carte, le genre redoutable et mal fam¨¦. En tant que femme, elle ne pouvait s¡¯y rendre par elle-m¨ºme. ? Foutus chromosomes, hein ? ? dit-elle avant de lui tendre les coordonn¨¦es griffonn¨¦es sur le papier. ? Oui, mais que vais-je foutre l¨¤-bas ? ? lui r¨¦pondit-il, mais voil¨¤, il accepta dans la foul¨¦e et commen?ait d¨¦j¨¤ ¨¤ le regretter. Il n¡¯avait rien d¡¯un fureteur et bien que la zone soit accessible, les arguments justifiant sa pr¨¦sence ne lui viendraient pas facilement si on venait ¨¤ le confronter. Bref, il serait foutu le cas ¨¦ch¨¦ant, mais Suranis Rh¨¦on utilisait ¨¤ la perfection deux atouts : les cr¨¦dits et la culpabilisation. Qui d¡¯autre que lui pourrait enqu¨ºter sur le destin d¡¯une pauvre nana disparue depuis sept ans ?
Herth Phue aurait aim¨¦ se d¨¦doubler pour ne pas ¨ºtre r¨¦ellement pr¨¦sent, l¡¯anxi¨¦t¨¦ pointait le bout de son nez ¨¤ l¡¯id¨¦e de ce qui l¡¯attendait. Dans le m¨ºme temps, il ressentait un peu de l¡¯excitation de Suranis. Il voulait savoir ce que Pavla avait v¨¦cu et aussi¡ Le voulait-il vraiment ? C¡¯¨¦tait act¨¦, trop tard pour faire marche arri¨¨re et il se rendait dans le nid des vip¨¨res pour en ressortir avec un ?uf ou deux. Maintenant qu¡¯il se trouvait devant la capsule, il se rendit compte qu¡¯il aurait d? lui demander ce qu¡¯elle attendait de lui. ? Observer et prendre des notes ? lui paraissait ¨ºtre un objectif bien trop vague. ¨¤ propos de quoi, de qui et comment ?
Refoulant cette appr¨¦hension, il monta dans la capsule et les portes se referm¨¨rent derri¨¨re lui. Suranis lui avait avanc¨¦ quelques k?rptes, assez pour se rendre jusqu¡¯au secteur et ? se faire plaisir ?. Son fonctionnement l¡¯inqui¨¦tait, de toute sa vie il n¡¯avait jamais emprunt¨¦ pareil engin de locomotion, mais il comprit tr¨¨s vite ce que le cadran attendait de lui. Il lui suffisait de le tourner pour un 1-2 ou 3 et de faire suivre l¡¯indicatif secteur sur le clavier en-dessous. ¨¦tage 127, secteur BZ489, pensa-t-il. L¡¯op¨¦ration lui prit plusieurs secondes. Le prix s¡¯afficha alors, bien trop exorbitant pour que l¡¯on puisse acc¨¦der au secteur par m¨¦garde. Il approuva la transaction avec les cr¨¦dits de Suranis. Il s¡¯attendit ¨¤ ce qu¡¯une voix d¡¯automate le pr¨¦vienne d¡¯une destination inexistante, mais cela n¡¯arriva pas.
Le voyage se d¨¦roula sans encombre bien que le temps s¡¯¨¦coula ¨¦trangement dans la capsule capitonn¨¦e. Elle le recracha malgr¨¦ tout en 127 BZ489. Il fut abasourdi par ce qu¡¯il y d¨¦couvrit. Si bas, on ne pouvait s¡¯attendre qu¡¯¨¤ un enchev¨ºtrement de couloirs ¨¦triqu¨¦s, mal ¨¦clair¨¦s et dans lesquels de fam¨¦liques h¨¨res dispara?traient derri¨¨re un rideau pour se cacher du vagabond. Apr¨¨s tout, la zone n¡¯¨¦tait plus utilis¨¦e depuis la mise en orbite de l¡¯Olkers. Les plans du vaisseau-arche indiquaient qu¡¯on n¡¯y trouvait que des placards techniques, des consoles, des couchettes et de vieilles rations p¨¦rim¨¦es. Peut-¨ºtre m¨ºme Herth pouvait-il esp¨¦rer trouver la momie d¡¯un des veilleurs, comme dans toutes les vieilles l¨¦gendes citadines qui circulaient sur ces secteurs ?
Il s¡¯attendait ¨¤ ce que l¡¯imaginaire collectif de ces lieux abandonn¨¦s se r¨¦v¨¨le vrai et non pas ¨¤ ce qu¡¯il se retrouve face ¨¤ une zone reconquise dans le plus grand secret, enrichie d¡¯une horrible moquette d¡¯un rouge criard et d¡¯un treillis en vinyle qui d¨¦limitait des murs qui n¡¯en ¨¦taient pas vraiment. Des portes, dispos¨¦es ¨¤ intervalles r¨¦guli¨¨res, marquaient les pi¨¨ces. On les poussait avec l¡¯¨¦paule ¨¤ la mode western pour se retrouver dans des salles essentiellement occup¨¦es par des tables basses et fauteuils. Herth cru d¡¯abord qu¡¯il s¡¯agissait-l¨¤ de salons priv¨¦s, mais, en s¡¯approchant d¡¯un d¡¯entre eux, son attention fut absorb¨¦e par une affiche en nuance de gris. Il comprit avec effroi qu¡¯il s¡¯agissait de salles d¡¯attente pour ce qu¡¯on vendait derri¨¨re la porte opaque des arri¨¨re-boutiques. Il n¡¯¨¦tait pas question de meubles, de bijoux, de nourriture et de verres remplis de bonheur liquide. Pas question non plus de services honn¨ºtes ou de logements d¨¦cents. Non, ce que l¡¯on proposait ¨¦tait qu¡¯une toute autre nature, charnelle, et les moyens de paiement accept¨¦s se limitaient aux cartes jetables ¨¦mises par de grands ¨¦tablissements financiers, non tra?ables, et utilis¨¦es depuis longtemps afin d¡¯acqu¨¦rir des biens illicites.
Des bordels, voil¨¤ tout. Des maquereaux tenaient les affaires sous leurs houppettes liss¨¦es et leurs airs affables dans toute l''ill¨¦galit¨¦ citadine sans ¨ºtre inqui¨¦t¨¦s. L¡¯¨¦chelle de ce r¨¦seau paraissait si grande ¨¤ Herth qu¡¯il en eut le tournis et ce qu¡¯il vit, en jetant un ?il conspirateur ¨¤ l¡¯int¨¦rieur de l¡¯antichambre, ne le r¨¦conforta pas. On servait bien des verres, comme il avait pu l¡¯imaginer en s¡¯approchant, mais les serveuses ¨¦taient deux fausses blondes aux mamelons durcis par la climatisation pouss¨¦e ¨¤ son maximum ¨¤ cet unique effet. L¡¯une d¡¯entre elle servait un bourbon ¨¤ un client qui ne manquait pas une miette du spectacle. Dans un troquet plus louable, le m¨ºme service aurait ¨¦t¨¦ r¨¦alis¨¦ par un jeune homme ¨¤ la moustache ¨¦tudi¨¦e et, en r¨¨gle g¨¦n¨¦rale, on ne finissait pas avec son sexe dans la bouche du serveur.
L¡¯imagination galopante de l¡¯enqu¨ºteur novice le figeait sur place. C¡¯en ¨¦tait trop pour lui, il ne pensait pas d¨¦couvrir pareille horreur bien qu''il se doutait qu''il s''en rapprocherait. Alors qu¡¯il observait stup¨¦fait la langue du client qui claquait avec satisfaction sous la vanille du bourbon, il ne remarqua pas le quarantenaire press¨¦ qui, le d¨¦passant, le bouscula dans la foul¨¦e. Il se retourna vers lui, h¨¦sitant ¨¤ le reprendre, mais l¡¯homme au crane d¨¦garni, exception faite des deux buissons argent¨¦s qui marquaient ses tempes, s¡¯enfuyait d¨¦j¨¤. Bien d¡¯autres que lui arpentaient les couloirs, toujours du m¨ºme type. Certainement entretenaient-ils de jolies ¨¦tudiantes en leur laissant miroiter que leur amour ¨¦tait sinc¨¨re. Aussi s?rement qu¡¯ils devaient se lasser de ce jeu pour lui pr¨¦f¨¦rer les maisons closes o¨´ on ne se questionnait pas sur l¡¯affection feinte de sa compagne d¡¯un soir. Ici, la chose ¨¦tait rapide et facile : ils venaient, baisaient et rapportaient deux ou trois saloperies ¨¤ la maison pour lesquelles ils accuseraient leurs pauvres bourgeoises, aussit?t lapid¨¦es sur la place publique du ragot.
Pavla ¨¦tait pass¨¦e par-l¨¤. Herth s¡¯¨¦loigna de l¡¯¨¦tablissement en titubant, le crane aussi bruyant qu¡¯un entrep?t en activit¨¦. Tout en lui s¡¯entrechoquait. Des bordels¡ Partout, ¨¤ perte de vue. Ce secteur ¨¦tait enti¨¨rement d¨¦di¨¦ au prox¨¦n¨¦tisme et ¨¦tant donn¨¦e la difficult¨¦ qu¡¯il avait eu pour y acc¨¦der, il ne se faisait gu¨¨re d¡¯illusion sur le consentement de ses travailleuses. Il d¨¦couvrit que son corps pouvait partager ¨¤ la fois la haine, le d¨¦go?t comme la tristesse et cela lui donna une furieuse envie de vomir. Il avisa un coin abrit¨¦ des regards, mais il ne sortit de son estomac que de la bile.
La moquette d¨¦gueulass¨¦e lui parut plus agr¨¦able ainsi. Une lueur rouge dans son champ de vision lui indiqua qu¡¯il n¡¯¨¦tait pas aussi seul qu¡¯il esp¨¦rait :
¡ª ?a va ? demanda la voix.
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L¡¯homme malade se d¨¦tourna de son d¨¦gueulis, les yeux larmoyant, et leva son regard vers la fum¨¦e bleue surr¨¦aliste qui ¨¦manait d¡¯une V¨¦nus noire. L¡¯apparition avait quelque chose de mystique.
¡ª Oui, je crois que ?a va aller, r¨¦pondit Herth en s¡¯essuyant la bouche du revers de sa main et sachant pertinemment que ce ne serait pas le cas.
¡ª En manque ? Si tu prends des cristaux, il faut les prendre chez Ion. De la bonne came, ils ne te feront pas mal.
Herth la regarda d¡¯un air d¨¦contenanc¨¦. La prostitu¨¦e lui rendit un sourire.
¡ª Cela n¡¯a rien ¨¤ voir. Je¡
¡ª Tu ?
¡ª Veux juste discuter.
¡ª Ici ? Hormis la drogue et les putes, il n¡¯y a rien mon mignon.
La prostitu¨¦e commen?ait ¨¤ se m¨¦fier. Elle glissa sa main dans son sac et m¨ºme si aucun clic ne se fit entendre, Herth imaginait tr¨¨s bien ce qui pouvait rouler entre ses doigts.
¡ª Dis-moi plut?t ce que tu me veux ? demanda-t-elle avec hostilit¨¦. Parle donc !
Un soubresaut de son estomac saisit Herth et devant l¡¯apparente douleur de l¡¯homme, l'' attitude de la prostitu¨¦e laissa place ¨¤ la circonspection. Elle cessa de manipuler le cran d¡¯arr¨ºt et attendit qu¡¯il se ressaisisse.
¡ª J¡¯ai des relents, balbutia Herth.
¡ª Tu devrais arr¨ºter la drogue. Ou la picole¡ Mais que fous-tu ici ? demanda-t-elle, ignor¨¦e par Herth qui fixait d¨¦sormais ses pieds.
¡ª Je ne sais pas.
¡ª Ils disent toujours ?a, allez¡ Je ne prends pas cher, ?a ira mieux apr¨¨s.
¡ª Non. Tout cela me d¨¦go?te, je ne suis pas venu pour ?a. Je cherche quelqu¡¯un.
Elle haussa les ¨¦paules. L¡¯homme ¨¦tait int¨¦ressant, s¡¯il ne semblait pas si horrifi¨¦ par ce qui l¡¯entourait elle serait d¨¦j¨¤ partie. Il fouilla dans la poche de sa chemise avec des mouvements maladroits et en retira une photo froiss¨¦e prise devant le centre communautaire de son secteur. Les vaisseaux stylis¨¦s, ressemblant ¨¤ des pagodes volantes, sur le batiment ¨¦taient d¡¯un bleu d¨¦fra?chi comme tout le reste de la photo, mais rien ne semblait pouvoir faire taire ce qui ressortait du couple qui se tenait devant : la tranquille assurance que leur amour est vou¨¦ ¨¤ l¡¯¨¦ternit¨¦.
La prostitu¨¦e reconnut l¡¯homme, mais pas la femme. Elle connaissait ?a :
¡ª Je suis vraiment d¨¦sol¨¦e. Je ne la connais pas. Tu n¡¯as pas une photo plus r¨¦cente ? ¨¤ cet age on les envoie dans le salon rouge, lui dit-elle avec une compassion teint¨¦e d¡¯infinie tristesse.
¡ª Le salon ?
¡ª Merde, mais tu ne sais donc vraiment rien ? Comment as-tu eu les coord¡¯ ? Et puis, comment tu as chopp¨¦ la thune pour venir jusqu¡¯ici si ce n¡¯est pas pour baiser ?
¡ª Dites-moi, insista Herth.
La prostitu¨¦e d¨¦voila ses grandes dents blanches. Elle prenait piti¨¦ de l¡¯homme qui comme d¡¯autres avaient vu dispara?tre des ¨ºtres chers engloutis par les vices de d¨¦bauch¨¦s. Entre filles, elles s¡¯entraidaient mais ce n¡¯¨¦tait pas valable envers les inconnus. Puis, pour ce qu¡¯elle en pensait, ce ne serait pas rendre service ¨¤ l¡¯homme de tout lui d¨¦voiler.
Il lui lan?a un regard de chien battu, elle baissa les yeux. Soudain, il se souvint d¡¯un des conseils de Suranis, celui selon lequel on pouvait d¨¦lier les langues, et tendit son avant-bras vers la prostitu¨¦e qui tendit le sien en retour. 50 k?rptes furent ainsi transf¨¦r¨¦s et elle soupira. D¡¯habitude on lui demandait bien pire pour ce tarif-l¨¤ :
¡ª Tu y tiens absolument, hein ? Alors, je ne vais pas t¡¯emp¨ºcher de l¡¯apprendre... Apr¨¨s tout, si ce n¡¯est pas par ma bouche ?a sera par une autre. Ouvre grand tes oreilles, je ne me r¨¦p¨¦terais pas. Le salon rouge c¡¯est l¡¯endroit o¨´ ils entassent les nouvelles, le temps qu¡¯elles apprennent les rudiments du m¨¦tier. Puis apr¨¨s on les envoie tapiner dans le secteur ou une des maisons closes.
¡ª Elles¡ dit-il avec un nouveau relent. Merde. Oui, ¨¦videmment¡ Comment arrivent-elles ici ?
¡ª Bordel, je ne sais pas si tu es con ou juste masochiste.
Herth ne parvint pas ¨¤ prendre un air vex¨¦. Son esprit vagabonda vers les derni¨¨res ann¨¦es de Pavla ¨C parce qu¡¯il en ¨¦tait certain, il n¡¯y avait pas eu d¡¯¨¦tapes interm¨¦diaires avant sa mort. Il sentit qu¡¯il n¡¯avait aucune envie d¡¯en apprendre davantage, mais qui vengerait son aim¨¦e si ce n¡¯¨¦tait pas lui-m¨ºme ? Il se l¡¯imagina dans le salon rouge, son visage entre les toiles qui ne parvenaient pas ¨¤ cacher l¡¯horreur du bordel. Il sut aussi qu¡¯il ne d¨¦pendait que de lui de mettre fin ¨¤ tout cela.
La prostitu¨¦e l¡¯examina de pied en cape et se d¨¦cida qu¡¯elle pouvait continuer ¨¤ parler. La r¨¦solution qui br?lait en lui ¨¦tait trop forte :
¡ª Bon. Faisons vite, je vais devoir y retourner, alors je vais te dire que je ne sais pas comment ta nana s¡¯est retrouv¨¦e ici. Mais j¡¯ai bien un exemple ¨¤ te donner : celui d¡¯une gamine appel¨¦e Arinthe, le mien. Avant que l¡¯on me tra?ne ici, je vivais dans le niveau F ou G, je ne sais plus, mais tu sais, celui avec les n¨¦ons mauves ? J¡¯¨¦tais jeune, dans les douze, et je me foutais pas mal de ces conneries citadines qu¡¯on nous rabachent ¨¤ bout de bras. Mon adolescence se profilait et j¡¯avais pr¨¦vu d¡¯en profiter ¨¤ mort en zonant. Puis, un jour, un gars s¡¯est pr¨¦sent¨¦ ¨C un chasseur comme ils disent. Il s¡¯est int¨¦ress¨¦ ¨¤ moi pour ma couleur de peau : tu n¡¯imagines pas le nombre de triques que peut susciter l¡¯exotisme aupr¨¨s de ces cons racistes... Alors voil¨¤, il a essay¨¦ de m¡¯attirer ¨¤ lui et il l¡¯a fait en me proposant un petit taff¡¯ de bureau. Rien de bien m¨¦chant et j¡¯avais besoin de thune. J¡¯ai accept¨¦e, je suis arriv¨¦e au taff et il n¡¯y avait personne sinon ses copains qui m¡¯ont enlev¨¦. Voil¨¤, voil¨¤ tout¡ Tu sais, parfois je me dis que j¡¯aurais d? insister davantage dans le salon pour me fracasser le crane contre les murs capitonn¨¦s, mais les pilules m¡¯emp¨ºchaient de trop y penser... Puis...
Mais il ne l''¨¦coutait plus. Les pilules, l¡¯enl¨¨vement. Tout cela, ressemblait trop ¨¤ l¡¯histoire de Pavla. Le pire en soit-ce n¡¯¨¦tait m¨ºme pas ?a, remarqua-t-il, mais les yeux d¡¯Arinthe. Ils ¨¦tincelaient de r¨¦signation, elle ne connaissait plus rien d¡¯autre que la soumission et il alla jusqu¡¯¨¤ douter qu¡¯elle r¨ºve encore de libert¨¦. Ou d¡¯une libert¨¦ en dehors de la mort. Pavla avait d? passer par cette ¨¦tape elle aussi, drogu¨¦e ¨¤ mort.
Il s¡¯excusa aupr¨¨s d¡¯Arinthe, s¡¯enfuyant avant qu¡¯elle ne finisse de d¨¦voiler l''int¨¦gralit¨¦ son histoire. Il en savait assez et la gerbe remontait le long de son ?sophage. Lorsqu¡¯il arriva devant la sortie, il vomit tout son so?l. Cette fois-ci, ce ne fut pas de la bile.
Chapitre 9 & 10
Une grande surprise attendait Jinn Pertem lorsqu¡¯il d¨¦couvrit sa cellule. Il connaissait bien la r¨¦alit¨¦ carc¨¦rale pour avoir milit¨¦ en faveur d¡¯une am¨¦lioration des conditions de d¨¦tention. Surtout parce qu¡¯il ¨¦tait de bon ton de le faire dans son milieu. Il fut donc ravi de constater qu¡¯on lui avait octroy¨¦ une cellule hors-standard de neuf m¨¨tres carr¨¦s poss¨¦dant sa propre douche et toilette. Le luxe relatif qui l¡¯entourait lui faisait parfois douter de sa sanit¨¦. C¡¯¨¦tait trop beau pour ¨ºtre vrai, et pourtant¡ Jinn s¡¯en tirait bien contre toute attente, il avait m¨ºme acc¨¨s un jour sur deux ¨¤ l¡¯eau courante ou ¨¤ une tablette num¨¦rique afin de consulter les derni¨¨res informations. Compte tenu des circonstances, Jinn n¡¯avait pas eu une seule nouvelle de l¡¯ext¨¦rieur depuis son emprisonnement. Aux sinistres informations du monde, il pr¨¦f¨¦rait de loin prendre une douche car, sinistr¨¦, il l¡¯¨¦tait d¨¦j¨¤ bien assez pour ne pas avoir ¨¤ rajouter ¨¤ sa propre peine celle du reste de la Cit¨¦. La salet¨¦ s¡¯¨¦tait incrust¨¦e en lui avec une r¨¦solution sans ¨¦quivoque et il se frottait la peau sous l¡¯eau jusqu¡¯¨¤ qu¡¯elle vire au rouge. Pourtant, malgr¨¦ tous ses efforts, il ne parvenait pas ¨¤ se sentir propre. Il pouvait frotter autant qu¡¯il le d¨¦sirait, quand on est une ordure on le reste et parfois vaut-il mieux ¨¦viter d¡¯¨¦ventrer le sac-poubelle que l¡¯on est devenu.
Jinn se ha?ssait. Un soir, il sortit de la douche sans ressentir le r¨¦confort attendu. Il ressentait la souillure en lui, ressassait le meurtre qu¡¯il avait commis et tachait d¡¯en attraper des bribes parce que c¡¯¨¦tait important. Il ne pouvait pas vivre avec ce poids sur la conscience et l¡¯oubli bienvenu de son acte dont il souffrait lui pesait comme un pr¨¦sent empoisonn¨¦. Au moins, en se souvenant, pourrait-il mettre de c?t¨¦ l¡¯indicible horreur qui s¡¯emparait de lui ¨¤ la simple constatation de ce qu¡¯il incarnait. Ce n¡¯¨¦tait pas seulement un meurtrier, mais un menteur. En l¡¯espace d¡¯une soir¨¦e il avait d¨¦truit la confiance des citoyens de sous-rangs qui voyaient en lui une lumi¨¨re dans les profondeurs. Jusqu¡¯¨¤ ce moment il avait cru sottement qu¡¯il existait pour eux. Mais non, il s¡¯¨¦tait menti et le terme d¡¯imposteur s¡¯imposait ¨¤ lui. Quelle id¨¦e de croire en cela ? Avait-il d¨¦j¨¤ train¨¦ ses pattes dans leur mis¨¦rable quotidien pour oser pr¨¦tendre qu¡¯il les comprenait ?
Non, et rien ne changerait d¨¦sormais. Il m¨¦ritait ce qu¡¯il lui arrivait et il s¡¯en fit la r¨¦flexion alors qu¡¯¨¤ moiti¨¦ sec sur une chaise pliable, il entendit le bruit caract¨¦ristique du repas que l¡¯on glissait par la fente de sa porte. Le gardien n¡¯accompagna pas le repas d¡¯un mot et ¨¤ quoi bon ? Il ne diff¨¦rait pas de l¡¯habituelle bouillie de l¨¦gumes accompagn¨¦e de sa barre insipide de Bakers. Il se leva, s¡¯en empara et la croqua machinalement. Il mangeait mieux que la plupart des Citoyens. Des l¨¦gumes¡ Une f¨ºte pour son palet et cette id¨¦e le fit rire. Le citoyen ostracis¨¦, mieux nourri qu¡¯un honn¨ºte gars ? Sous quel pr¨¦texte ? Qu¡¯il devait miner deux ou trois morceaux de roches tous les jours ? Il y avait une certaine coh¨¦rence l¨¤-dedans, mais Jinn n¡¯avait jamais donn¨¦ le moindre coup de pioche.
Toute cette ¨¦nergie superflue s¡¯effrita dans sa bouche. Il se recentra sur le film de cette soir¨¦e maudite comme il avait pris pour habitude de le faire apr¨¨s sa douche, pendant son repas et en esp¨¦rant que le lendemain ne se d¨¦roule pas comme la veille.
Garnt Om?yer, le syndiqu¨¦, qui l¡¯appelait dans la matin¨¦e pour lui proposer de faire un tour au M¨¦tronome. La fin d¡¯apr¨¨s-midi o¨´ ils se rejoignirent pour boire un coup, puis un autre, avant de se mettre en qu¨ºte de cette salle de concert aux allures de bo?te de nuit. Oh, entre temps il y avait eu toutes les ¨¦tapes interm¨¦diaires. Celle o¨´ Om?yer passe la fronti¨¨re surfacienne en pr¨¦sentant son autorisation d?ment ratifi¨¦e et celle o¨´ on lui pr¨¦sente discr¨¨tement son pacificateur. Le pacificateur, un agent de la FPCP, les suivra en veillant ¨¤ leur protection, comment c¡¯¨¦tait l¡¯usage de le faire pour les personnalit¨¦s. Il interviendra une fois dans la soir¨¦e, juste ¨¤ l¡¯angle du M¨¦tronome lorsqu¡¯un rabatteur s¡¯approchera d¡¯eux, puis dispara?tra dans la foule en les laissant d¨¦raper ce qu¡¯il fallait. Jinn et Om?yer consommeraient de la coke achet¨¦e ¨¤ un client-dealer que le pacificateur conna?trait, ils boiraient des whiskys jusqu¡¯¨¤ que le h¨¦ros de la soir¨¦e tombe dans le coltard. Et la suite de l¡¯histoire ? Elle ¨¦tait publique. Il ne se r¨¦veillerait cependant pas aux c?t¨¦s d¡¯un cadavre, mais dans une cellule de d¨¦grisement o¨´ il ne comprendrait pas pourquoi les factionnaires lui jetteraient ces regards meurtriers. On l¡¯interrogerait et on lui passerait des m¨¦dicaments pour qu¡¯il oublie la douleur lancinante qui lui battait la tempe¡ Et puis voil¨¤, il avouerait face aux preuves accablantes qu¡¯on lui pr¨¦senterait. Pourtant, il ne se souviendrait de rien et les d¨¦tails ne revenaient toujours pas malgr¨¦ le temps. Il se contentait d¡¯¨¦couter cette voix en sourdine qui lui disait qu¡¯il avait bien tu¨¦ cette nuit-l¨¤.
¡ª Mais comment as-tu fait pour en arriver l¨¤, Jinn ? murmura-t-il entre deux bouch¨¦es.
Pourquoi le souvenir de cette nuit s¡¯¨¦tait-il envol¨¦ ? La clef se trouvait l¨¤, quelque part et pour la premi¨¨re fois il la vit remonter ¨¤ la surface. La clef ! Il recracha son l¨¦gume-racine ¨¤ moiti¨¦ mach¨¦. Comment avait-il pu ¨ºtre si sot ? Le pacificateur ¨¦tait la pierre angulaire de cette soir¨¦e. Leur ange-gardien les avait suivis toute la soir¨¦e et s¡¯¨¦tait pr¨¦serv¨¦ d¡¯intervenir lorsque Jinn agressait cette femme. Il ¨¦tait encore l¨¤ en tout cas quand il perdit conscience de ses actes. D¡¯ailleurs, le moment exact o¨´ il perdait ses moyens lui revenait clairement. Une connaissance du haut-conseiller Helfarn lui offrait un shooter et puis¡ Plus rien, le n¨¦ant dans lequel son chaperon disparaissait jusqu¡¯¨¤ cette ¨¦ni¨¨me soir¨¦e solitaire dans une cellule de Norddle. Il se demanda pourquoi ce d¨¦tail ne lui ¨¦tait pas remont¨¦ plus t?t ¨¤ l¡¯esprit et refusa d¡¯abord de l¡¯entendre, mais h¨¦las¡ Il ne le savait que trop bien. Les m¨¦dicaments contre sa migraine avaient ¨¦t¨¦ pris en dose r¨¦guli¨¨re pendant toute son incarc¨¦ration et voil¨¤ qu¡¯il se sevrait tranquillement. Pendant tout ce temps il en avait oubli¨¦ l¡¯existence d¡¯une personne susceptible de l¡¯innocenter. ¨¤ vrai dire, le pacificateur aurait ¨¦t¨¦ un acteur-clef pendant le proc¨¨s. Jinn Pertem ¨¦tait innocent, il ne pouvait en ¨ºtre autrement si le pacificateur se trouvait incapable de r¨¦v¨¦ler le meurtre. Avec cet argument en t¨ºte, cet argument expos¨¦ pendant le proc¨¨s, on aurait demand¨¦ ¨¤ voir le rapport du pacificateur et puis¡ Il aurait ¨¦t¨¦ libre et pourtant on n¡¯avait jamais song¨¦ ¨¤ l¡¯interroger. Tout devenait clair, on avait doubl¨¦ Jinn et lui, connement, y avait cru ! Sinistre abruti.
Il se rua sur la porte, pris d¡¯une rage soudaine :
¡ª Bande d¡¯enfoir¨¦s ! Je suis innocent ! Laissez-moi sortir ou je vous buterais vraiment autant que vous ¨ºtes ! Vous m¡¯entendez ? hurla-t-il en tapant de ses gros poings sur la porte avant de se mettre ¨¤ pleurer.
Une voix tr¨¨s lointaine dans le couloir lui demanda de se la fermer. Elle le fit sans violence et avec grande sagesse. ¨¦videmment, l¡¯administration savait d¨¦j¨¤ qu¡¯on l¡¯accusait ¨¤ tort. N¡¯¨¦tait-ce pas eux qui avaient rajout¨¦ cette histoire de ? preuves accablantes ? sur la sc¨¨ne du crime ? N¡¯¨¦tait-ce aussi pas eux qui avaient ¨¦chang¨¦ les victimes au dernier moment ? On s¡¯¨¦tait foutu de sa gueule et maintenant il se retrouvait enferm¨¦ entre quatre murs blancs sans autre contact humain que sa propre voix. On les laisserait vieillir tous les deux, vriller et crever sans chercher ¨¤ acc¨¦l¨¦rer la cadence.
Fut un temps o¨´ il s¡¯imaginait lion, pourtant il n¡¯¨¦tait gu¨¨re plus qu¡¯un chaton en cage bien loin de se douter que dans les tr¨¦fonds de la Cit¨¦ on se questionnait aussi. Bien loin de concevoir qu¡¯on se mettait en branle pour que la v¨¦rit¨¦ ne soit pas occult¨¦e.
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¡ª Vous en ¨ºtes absolument certaine ?
L¡¯homme s¡¯approchait de la soixantaine et une canule dans sa gorge pr¨¦sageait qu¡¯il ne d¨¦passerait cet age canonique que de peu d''ann¨¦es. Il parlait d¡¯une voix extr¨ºmement grave et, install¨¦ dans son fauteuil d¨¦fonc¨¦, il se perdait r¨¦guli¨¨rement dans le Flux au-del¨¤ d¡¯un hublot qu¡¯il ne s¡¯¨¦tait jamais d¨¦cid¨¦ ¨¤ obstruer. Aujourd¡¯hui, il ¨¦tait bas et avait quelque chose de f¨¦erique dont tant oubliaient l''existence. Rares ¨¦taient ceux qui appr¨¦ciaient encore de se lover contre un hublot et Karanth faisait partie de ces marginaux. La contemplation des cimes verdoyantes qui ondulaient paresseusement poss¨¦dait des vertus apaisantes.
Il avait dit ?a sans quitter le Flux du regard et Suranis pensa l¡¯avoir d¨¦finitivement perdu. Il parvint cependant ¨¤ s¡¯extirper de sa r¨ºverie pour ¨¦couter sa r¨¦ponse :
¡ª Oui, confirma Suranis apr¨¨s avoir bu une gorg¨¦e d¡¯eau fra?che. J¡¯ai de quoi prouver que votre fille se trouvait-l¨¤ bas et vivante qui plus est. Sachez que je suis infiniment d¨¦sol¨¦e de vous apprendre cela d¡¯une fa?on si abrupte.
¡ª Elle a ¨¦t¨¦ enlev¨¦e comme l¡¯autre femme du rapport¡ Arinthe ?
¡ª C¡¯est une possibilit¨¦. Son t¨¦moignage ressemble beaucoup ¨¤ l¡¯exp¨¦rience de votre fille.
¡ª Ah, ainsi soit. Qui sont les responsables ?
Le calme exacerb¨¦ qui ¨¦manait de lui troublait Suranis. Le temps semblait avoir ?uvr¨¦ pour qu¡¯il accueille la nouvelle avec flegme et malgr¨¦ cela, elle se doutait que derri¨¨re cette apparence se cachait une souffrance profonde.
¡ª Qui sont-ils ? Je n¡¯en sais rien Monsieur Karanth. Tout s¡¯arr¨ºte ¨¤ Jinn Pertem, la piste est aussi froide que votre cendrier.
Cela fit rire Seth Karanth dont la derni¨¨re clope remontait ¨¤ son cancer, des ann¨¦es auparavant.
¡ª Je regrette parfois le go?t de ces merdes roul¨¦es, se lamenta-t-il. Vous ne savez pas qui sont les responsables, mais vous avez bien une id¨¦e, non ? Le Conseil...
¡ª Je ne m¡¯avancerais pas sur ce terrain. Ce qui est probable, c''est que des personnalit¨¦s ayant un certain poids politique ont occult¨¦ des ¨¦l¨¦ments de l¡¯affaire. Cela peut tr¨¨s bien s¡¯expliquer par les cons¨¦quences induites si on venait ¨¤ r¨¦v¨¦ler la pr¨¦sence d¡¯une habitante des niveaux inf¨¦rieurs ¨¤ la Surface.
¡ª Certainement. C¡¯est d¨¦j¨¤ compliqu¨¦ pour des gens de notre condition d¡¯acc¨¦der ¨¤ l¡¯¨¦tage A¡ Quoi qu¡¯il en soit, qu¡¯ils soient coupables ou pas, ils savaient qu¡¯elle se trouvait dans ce¡ Bordel.
¡ª Oui.
¡ª Et ils n¡¯ont rien fait. Ils couvraient au moins ?a. Il existe des ombres qui ne sauraient jamais ¨ºtre touch¨¦es par la lumi¨¨re, hein ?
¡ª Pardon ?
¡ª Dan Perth, un mauvais auteur que j¡¯appr¨¦cie parce qu¡¯il est du coin. C¡¯est seulement que ?a me para?t appropri¨¦, ils nous cachent le pot aux roses¡ Serait-ce extrapoler de conclure de tout cela que nos braves dirigeants sont impliqu¨¦s dans cette¡ traite ? S¡¯ils tiennent tant ¨¤ cacher son existence, j¡¯ai du mal ¨¤ croire qu¡¯ils l¡¯ignorent si ma Pavla se trouvait l¨¤-bas...
Il rumina cette pens¨¦e. Suranis ne r¨¦pondit pas. Elle n¡¯en savait rien. Le fait qu¡¯ils ne soient jamais intervenus dans le bordel ne signifiait pas qu¡¯ils le couvraient. Il existait une tradition qui voulait que le gouvernement n¡¯intervienne pas pass¨¦ certains ¨¦tages, une zone libre de droit en quelque sorte.
¡ª J¡¯esp¨¨re que non. En m¨ºme temps, je me demande qui sont les clients de ce secteur ? Qui d¡¯autre qu¡¯un carri¨¦riste acharn¨¦ peut avoir les moyens de fr¨¦quenter pareils lieux ? Je ne serais pas surprise d¡¯apprendre que quelques-uns de nos politiciens sont actifs dans cette horreur... Les bureaux dans lesquels ont disparu notre t¨¦moin et votre fille appartiennent ¨¤ des filiales dont les propri¨¦taires sont des noms bien connus en politique.
¡ª Lesquels ? demanda-t-il et devant le blanc laiss¨¦ par Suranis il continua. Laissez tomber. Ce n¡¯est pas parce que leurs locaux sont utilis¨¦s qu¡¯il faut en d¨¦duire quoi que ce soit. Mais je crois qu¡¯on peut au moins ¨¦vincer la mafia de la liste des salopards susceptibles de faire tourner l''affaire... Ils sont plus vers¨¦s dans le trafic d¡¯humains d¨¦pec¨¦s, n¡¯est-ce pas ?
¡ª Oui, c¡¯est souvent le cas. J¡¯ai cependant entendu parl¨¦ de r¨¦seaux de prostitution entretenus par des groupes mafieux, mais ils sont marginaux. Se lancer dans la revente d¡¯implants, c¡¯est bien plus lucratif et moins risqu¨¦. Les victimes ne se rebellent jamais.
Mais je ne pourrais pas te dire si c¡¯est plus sordide. Il y a une certaine humanit¨¦ ¨¤ ne pas enfermer son prochain dans un cauchemar ¨¦veill¨¦. La mort n¡¯est-elle pas pr¨¦f¨¦rable ¨¤ ce que subissent les filles de 127 BZ489 ? Ou est-ce encore moi qui ressasse certaines id¨¦es ?
Ce fut au tour de Suranis de se perdre dans le vide. Seth Karanth se leva de son fauteuil en prenant appui. Quelque-chose de nouveau animait son visage, peut-¨ºtre du soulagement ¨¤ l¡¯id¨¦e que sa fille ¨¦tait finalement morte. Il lui tendit sa main.
¡ª Quoi qu¡¯il en soit, je n¡¯obtiendrais pas plus de r¨¦ponses et la savoir morte s¡¯av¨¨re finalement un soulagement pour moi. Je pourrais la pleurer sans craindre que son quotidien soit aussi affreux que celui que vous venez de me d¨¦crire.
¡ª Je n¡¯en suis pas ravie Monsieur Karanth. Mais si ?a peut apaiser votre peine, je doute que votre fille ait souffert, trop de psychotropes dans ses veines, mentit-elle.
¡ª All¨¦luia dans ce cas, approuva-t-il sans la croire.
L¡¯all¨¦luia r¨¦sonna ¨¦trangement dans l¡¯appartement et vint se heurter aux bibelots amass¨¦s au cours d¡¯une vie. L¡¯all¨¦gresse feinte ne trompait personne. Seth Karanth ressentait en lui une implacable appr¨¦hension alors que se construisait son dernier plan. Depuis la disparition de sa fille, il avait eu des soup?ons sur les coupables potentiels, mais jamais ne s¡¯¨¦tait-il d¨¦cid¨¦ ¨¤ ouvrir les yeux pour passer ¨¤ l¡¯¨¦tape suivante. Pourtant, les indices s¡¯entassaient sur le pas de sa porte indiquant que tout n¡¯¨¦tait pas dit dans cette triste affaire. Pavla n¡¯avait-elle pas disparu le jour-m¨ºme o¨´ elle devait commencer son travail dans ce bureau rempli de libidineux fonctionnaires ? Il regrettait de s¡¯¨ºtre laiss¨¦ convaincre, mais que pouvait-il faire d¡¯autre ¨¤ l¡¯¨¦poque ? Ses finances stagnaient vers le z¨¦ro absolu, sa femme baignait dans le Flux depuis des ann¨¦es et il se retrouvait seul ¨¤ la charge de sa fille. Et puis, il y avait le cancer qui le clouait au lit. Les aides du Conseil peinaient ¨¤ rendre leur quotidien acceptable, alors oui, apr¨¨s qu¡¯elle eut insist¨¦ il avait mis de c?t¨¦ son orgueil. Sa Pavla fantastique, bien trop clairvoyante, s¡¯¨¦tait faite bern¨¦e¡ Tout cela parce que lui, Seth Karanth, avait ¨¦t¨¦ faible. Pour une histoire de bouche ¨¤ nourrir et une mort qu¡¯il refusait.
Mais, il n¡¯existait plus de bouche ¨¤ nourrir. Bient?t, il n¡¯aurait m¨ºme plus ¨¤ nourrir la sienne. Il se perdit encore dans la contemplation du Flux, dans la Cit¨¦ et ses bas caniveaux. Suranis se leva discr¨¨tement pour le laisser apr¨¨s lui avoir lanc¨¦ un ? Au revoir ? inaudible. Seth Karanth se trouvait d¨¦j¨¤ loin sous le doigt aguicheur de la vengeance.
Chapitre 11
Bien avant que ne naissent le parent le plus ¨¦loign¨¦ de Seth Karenth, le march¨¦ noir s''¨¦tait d¨¦j¨¤ d¨¦velopp¨¦ dans les ¨¦tages inf¨¦rieurs de la Cit¨¦. Plus on s¡¯¨¦loignait des yeux du pouvoir, plus on acquerrait ce que l¡¯on voulait sans se donner trop de peine. L¡¯un des produits qui se vendait le mieux se retrouvait sous forme de pi¨¨ces d¨¦tach¨¦s, faciles ¨¤ assembler entre elles pour former une arme sommaire. Avec du recul, Seth Karanth aurait trouv¨¦ la chose particuli¨¨rement dr?le quand on consid¨¦rait l¡¯¨¦quipement non-l¨¦thal dont ¨¦taient ¨¦quip¨¦s les forces de l¡¯ordre. Il ¨¦tait si facile de se procurer un pistolet fait de bric et de broc, dont l¡¯alimentation ne cesse de d¨¦faillir, quand d¡¯autres se contentaient d¡¯un neutraliseur qui, m¨ºme s¡¯il pouvait tuer, ne le faisait pas avant la cinqui¨¨me fl¨¦chette.
L¡¯arme que Seth ¨¦tait venu acqu¨¦rir tirerait difficilement le m¨ºme nombre de munition de son chargeur v¨¦tuste, mais elle tuerait. Le contact qu¡¯il avait trouv¨¦ lui assurait que les pi¨¨ces contenues dans le carton ¨¦taient fiables et pourraient tenir au moins les deux chargeurs fournis avec. Seth n¡¯y croyait pas, surtout quand le carton qu¡¯il lui tendit cliqueta trop ¨¤ son go?t :
¡ª Sur quoi vous avez mis la main ? demanda-t-il.
¡ª C¡¯est une surprise¡ Mais je sais que c¡¯est du 10 mm et que ?a vaut grosso modo 270 k?rptes l¡¯ami.
¡ªC¡¯est dr?le, j¡¯ai ¨¤ peu pr¨¨s gal¨¦rer pour obtenir les 270 k?rptes.
Le contact cach¨¦ derri¨¨re une casquette lui sourit et Seth lui tendit un sac rempli d¡¯¨¤ peu pr¨¨s 270 k?rptes en bijoux, alcools et marchandises diverses. Un coup d¡¯?il rapide aurait estim¨¦ la valeur des objets accumul¨¦s aux alentours des 300. Mais c¡¯¨¦tait ainsi que ?a fonctionnait d¨¨s que la possibilit¨¦ d¡¯¨ºtre trac¨¦ devenait une hantise.
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Le gars ¨¤ la casquette le remarqua rapidement :
¡ª Il y a trop, dit-il. Vous m¡¯en voudrez si je garde la petite monnaie ?
¡ª Faites donc.
¡ª Vous ¨ºtes trop bon.
Bon ? Pas vraiment, mais indulgent encore moins. Il venait de saigner ses derni¨¨res ¨¦conomies et il n¡¯en aurait plus besoin pour ce qu¡¯il s¡¯appr¨ºtait ¨¤ faire.
¡ª Vous allez faire quoi de ?a ? demanda le contact, curieux.
¡ª Chasser des rats.
¡ª Un peu d¨¦connant comme calibre, non ? Je parle trop peut-¨ºtre ?
¡ª Peut-¨ºtre bien, adieu.
Humains ou rats, quelle diff¨¦rence ? Pour Seth Karanth, il n¡¯en existait aucune. Il s¡¯¨¦loigna du vendeur louche et se mit ¨¤ l¡¯abri des cam¨¦ras, dans une ruelle sombre et empestant l¡¯urine. Il entrouvrit la bo?te et vit l¡¯¨¦clat argent¨¦ d¡¯une culasse qui se promenait librement. Le ressort, le marteau et toutes les autres pi¨¨ces semblaient pr¨¦sentes bien que pas forc¨¦ment con?ues pour ¨ºtre mont¨¦es ensemble. Il y avait aussi une bo?te de cartouches en mauvais ¨¦tat, rouill¨¦es et dont il doutait que l¡¯amorce ait surv¨¦cu aux ann¨¦es. Mais il en ferait l¡¯exp¨¦rience par lui-m¨ºme et dans le pire des cas, l¡¯arme lui exploserait en main.
Pour peu qu¡¯il arrive ¨¤ tirer un chargeur, il en serait heureux et garder le clou du spectacle bien au chaud sous sa chemise. ?a ronronnait avec la pr¨¦cision d¡¯une horloge et il eut la certitude que tout br?lerait avec lui. Cramer les mauvaises herbes, voil¨¤ la seule technique qu¡¯il exp¨¦rimentera de toute sa courte existence de jardinier.
Chapitre 12
¡ª Une autre H?rnt !
Sans faillir, H?rnt Lant sorti sa meilleure bouteille de sous le comptoir. Suranis ne manquait pas d¡¯argent ces derniers temps. Difficile de dire cependant si elle manquait de malheur. Son humeur ¨¦tait ex¨¦crable. Elle paraissait triste.
¡ª Tiens, voil¨¤ pour toi. Mais tu devrais arr¨ºter, tu flirtes avec le gramme.
Elle lui fit signe qu¡¯elle s¡¯en moquait ¨¦perdument et son attention fut happ¨¦e par l¡¯¨¦cran de t¨¦l¨¦. Un match se jouait, du hockey en salle ¨C ?a changeait du football en salle -, mais les armures ambulantes venaient de dispara?tre pour laisser place ¨¤ une pr¨¦sentatrice, un rictus tenace sur le visage et les yeux vairons qui expliquaient ¨¤ eux seuls pourquoi on avait tant souhait¨¦ remplacer l¡¯ancien pr¨¦sentateur moribond. Elle parla et Suranis n¡¯entendit rien.
¡ª Tu pourrais monter le son ? demanda-t-elle.
¡ª Tu as d¡¯autres demandes particuli¨¨res ?
Mais il ¨¦tait aussi curieux. Il ordonna, par une simple pens¨¦e, au volume d¡¯¨ºtre hauss¨¦ d¡¯un ton, ce que les haut-parleurs firent. Ils couvrirent tout juste le brouhaha des habitu¨¦s du bar qui parl¨¨rent plus fort, toisant Suranis.
Suranis se suspendit aux l¨¨vres de la pr¨¦sentatrice qui s¡¯agitaient sans discontinuer, tremblantes sous l¡¯¨¦motion :
¡ª Citoyens, nous sommes au regret d¡¯interrompre notre programmation habituelle pour ce flash. Nous venons d¡¯apprendre qu¡¯un attentant tragique a eu lieu aux alentours de 18h30 dans l¡¯¨¦tage A.
¡ª C¡¯est quoi ce bordel ? coupa H?rnt et les habitu¨¦s se turent.
¡ª Selon les premiers ¨¦l¨¦ments de l¡¯enqu¨ºte, un individu d¡¯une cinquantaine d¡¯ann¨¦es se serait pr¨¦sent¨¦ dans le tr¨¨s r¨¦put¨¦ restaurant Branthes. Le personnel l¡¯aurait dans un premier temps refus¨¦, celui-ci n¡¯ayant pas de r¨¦servations. C¡¯est alors que l¡¯homme, faisant mime de sortir, aurait d¨¦gain¨¦ un pistolet semi-automatique et tir¨¦ une balle sur l¡¯h?te d¡¯accueil laissant tout juste le temps au second employ¨¦ de se cacher en attendant la fin de la folie meurtri¨¨re.
Le flash d¡¯informations se d¨¦partit du visage de la pr¨¦sentatrice pour pr¨¦senter des images du restaurant Branthes. Sa fa?ade noircie derri¨¨re le cordon de s¨¦curit¨¦ ne trompait pas sur la suite des ¨¦v¨¦nements.
¡ª Phill Anton, l¡¯employ¨¦ vis¨¦, est d¨¦c¨¦d¨¦ avant d¡¯avoir pu atteindre l¡¯infirmerie sectorielle. Il n¡¯¨¦tait que la premi¨¨re victime de ce carnage. Ce jour-l¨¤, le Coordinateur Olden se trouvait ¨¦galement dans l¡¯¨¦tablissement avec ses collaborateurs. Il semblerait qu¡¯il ait ¨¦t¨¦ la cible de cet attentat. Le suspect, selon les t¨¦moins pr¨¦sents, se serait ru¨¦ sur le groupe une fois les portes franchies. Le conseiller Jarn Arsem a ¨¦t¨¦ touch¨¦ ¨¤ la poitrine et bien que les secours soient rapidement arriv¨¦s, le pronostic vital de ce dernier est s¨¦rieusement engag¨¦.
La pr¨¦sentatrice se porta une main ¨¤ l¡¯oreille et grima?a :
¡ª Le conseiller Arsem est mort trente-sept minutes apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ gri¨¨vement bless¨¦, le communiqu¨¦ vient de tomber. [silence alors qu¡¯elle ¨¦coute la suite des ¨¦v¨¦nements] Le Coordinateur Olden pr¨¦sent ¨¤ ses c?t¨¦s n¡¯a quant ¨¤ lui qu¡¯¨¦t¨¦ l¨¦g¨¨rement bless¨¦ au bras et sa vie n¡¯est pas en danger selon son cabinet.
Suranis se porta une main ¨¤ la bouche, presque ¨¤ d¨¦goupiller les restes de son repas. Les attentats restaient rares dans la Cit¨¦, elle n¡¯en avait pas connu d¡¯autres que celui de 1048 apr¨¨s le Flux, il y a dix ans de cela. Elle d¨¦cuva subitement, du moins en eut l¡¯impression.
H?rnt se signa, elle l¡¯ignorait croyant.
¡ª L¡¯assassin a rapidement ¨¦t¨¦ ma?tris¨¦ par les services de s¨¦curit¨¦ attach¨¦s au minist¨¨re.
On diffusa dans la foul¨¦e une s¨¦rie de photo d¡¯hommes ¨¤ la coupe r¨¦guli¨¨re qui les estampillait comme p¨¨res de famille et flics. Les noms apparaissaient.
¡ª Ces derniers ignoraient qu¡¯il poss¨¦dait des explosifs sur lui.
L¡¯image changea une nouvelle fois pour pr¨¦senter un cercle noir sur le sol. Beaucoup de rouge aussi qui s¡¯¨¦talait sur deux m¨¨tres de diam¨¨tre si ce n¡¯¨¦taient trois. Des restes ind¨¦chiffrables ¨¦taient camoufl¨¦s par un algorithme. Parfois, ils paraissaient bien gris.
¡ª Comment peuvent-ils montrer ?a ?! hurla hyst¨¦rique un des habitu¨¦s.
¡ª Comment ont-ils pu entrer sur la sc¨¨ne du crime ? se demanda Suranis ¨¤ voix basse, mais elle le savait d¨¦j¨¤ : ? Autorisation expresse du minist¨¨re ?.
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Ce qui signifiait que l¡¯enqu¨ºte moins d¡¯une heure apr¨¨s l¡¯attentat ¨¦tait assez avanc¨¦e pour que l¡¯on en d¨¦voile tant. Comme si on avait laiss¨¦ l¡¯homme agir ? Improbable, se dit Suranis.
¡ª Bilan de l¡¯assaut : huit morts. Les premiers ¨¦l¨¦ments de l¡¯enqu¨ºte dressent le portrait de l¡¯assaillant. Seth Karanth, ouvrier-assembleur de l¡¯¨¦tage H proche des milieux anarchistes. Nous ignorons pour l¡¯instant les motivations de son acte, mais l¡¯enqu¨ºte suit son cours. Nous devrions en apprendre davantage d¡¯ici les prochaines heures.
La photographie qui fut diffus¨¦e renversa Suranis. Elle se tassa sur son tabouret devant la canule qui s¡¯agitait en pens¨¦e devant elle. C¡¯¨¦tait son client et elle repensa ¨¤ leur conversation : ? Vous ne savez pas qui sont les responsables, mais vous avez bien une id¨¦e, non ? L¡¯¨¦tat. ? Elle connaissait le mobile et aussi qui l¡¯avait men¨¦ ¨¤ cette extr¨¦mit¨¦. Elle blanchit ostensiblement.
¡ª Notre honor¨¦ Premier Pilote Fulcr?ne devrait prendre la parole dans l¡¯heure ¨¤ venir¡
¡ª ¨¦teins moi-?a, supplia Suranis. Et file moi un truc plus fort.
La demande de Suranis fut approuv¨¦e par l¡¯ensemble des habitu¨¦s. Ils ¨¦taient trop ivres pour accepter que l¡¯horreur s¡¯immisce dans leur soir¨¦e. Le patron, contre toute attente, refusa de servir un verre ¨¤ Suranis et lui confisqua son verre. La bonne humeur qui l¡¯habitait disparut subitement et il s¡¯installa face ¨¤ elle dans la douce musique d¡¯ambiance qui venait de remplacer la voix monotone.
¡ª ?a pue, commenta-t-il. Tu penses qu¡¯ils vont faire quoi ?
¡ª Continuer d¡¯enqu¨ºter, mettre sur ¨¦coute la moiti¨¦ de la Cit¨¦ jusqu¡¯¨¤ tenir la liste des personnes qui font l¡¯amour et l¡¯heure pr¨¦cise de leur orgasme¡ Qu¡¯est-ce que j¡¯en ai ¨¤ foutre H?rnt ?!
¡ª Calme-toi ! Je ne t¡¯ai jamais vir¨¦ de mon bar, m¨ºme quand tu vomissais dans un coin, mais je pourrais ¨ºtre contraint de le faire.
? Et ?a te rendrait service ?, s¡¯ajouta-t-il pour lui-m¨ºme. ? Ceux qui tiennent encore debout pourraient dire que tu as paru avoir la mort aux trousses lorsque le flash est pass¨¦. ?
Suranis se tut, sanglotant sous l¡¯effet de la peur.
¡ª Il va falloir que tu me rassures. Ne me dis pas que c¡¯est ce connard qui t¡¯a pay¨¦ ?
¡ª Merde¡ Je suis foutue. C¡¯est bien lui H?rnt¡ Je veux dire, ce type.
¡ª Mais c¡¯est lui qui t¡¯a pay¨¦ ? rench¨¦rit H?rnt.
¡ª Non, non¡ Un interm¨¦diaire, mais ils peuvent remonter jusqu¡¯¨¤ moi¡ Ils¡ Pourvu que ce gars n¡¯existe pas.
¡ª Tu lui as dit quoi ?
¡ª Rien, absolument rien. Ce n¡¯est pas moi qui lui ait donn¨¦ un flingue et ce n¡¯est pas moi qui lui ai recommand¨¦ de se disperser dans les assiettes d¡¯un resto branch¨¦ !
Certaines t¨ºtes se tourn¨¨rent vers eux. Ils n¡¯avaient rien entendu de la conversation, seulement que la nana qui se noyait le gosier en solo venait de prendre une octave et de perdre vingt d¨¦cibels dans la foul¨¦e.
¡ª OK. Maintenant, tu vas respirer un bon go?t et faire profil bas. Tu es capable de faire ?a ? Je sais que ce n¡¯est pas toi qui est responsable de cette tuerie, mais tu agis comme si tu l¡¯avais d¨¦clench¨¦. J¡¯ignore ce que tu as pu lui dire, mais¡
¡ª Seth, murmura-t-elle. Je t¡¯ai juste dit que j¡¯avais un client dont le pr¨¦nom ¨¦tait Seth comme ton p¨¨re qui passait ici autrefois, enfoir¨¦. Enfoir¨¦ !
¡ª J¡¯ai maintenant le nom complet, dit H?rnt. Allez Madame, partez avant que vous ne parliez davantage.
Pour faire bonne figure il se leva, empoigna d¡¯une main Suranis par le poignet, une bouteille d¡¯eau de l¡¯autre et la for?a ¨¤ faire de m¨ºme. Elle le gifla, mais il ne r¨¦agit pas. Elle comprendra plus tard qu¡¯il souhaitait donner ¨¤ voir, et ¨¤ raison, un patron lambda virant une cliente trop ¨¦m¨¦ch¨¦e m¨ºme selon ses standards. H¨¦las, elle n¡¯eut jamais l¡¯occasion de s¡¯excuser pour la gifle et de le remercier pour ce qu¡¯il venait de faire avec une violence inou?e, totalement feinte.
Elle fut jet¨¦e par la porte du bar, la bouteille atterrit ¨¤ ses c?t¨¦s et elle entendit H?rnt faire un commentaire ¨¤ la salle : ? Pas de coma ¨¦thylique chez moi. Le prochain qui demande autre chose que de la flotte alors qu¡¯il tient ¨¤ peine debout finira comme elle, c¡¯est bien compris ? ?. Elle se sentit humili¨¦e, son poignet gonflait suite ¨¤ la trop grande vigueur du patron pour la faire taire.
Elle se retrouvait seule, l¡¯air d¨¦mente et parano?aque dans la grande rue. Que se passerait-il si on remontait la piste jusqu¡¯¨¤ elle ? Elle n¡¯ignorait pas sa responsabilit¨¦ dans l¡¯attentat. La cible n¡¯¨¦tait-elle pas une incarnation de l¡¯¨¦tat ? Particuli¨¨rement le Coordinateur Olden, d¨¦j¨¤ mis en cause dans plusieurs affaires de p¨¦dopornographies et de viols ayant tous donn¨¦s ¨¤ des non-lieux (et des versements cons¨¦quents). Oh, si on venait ¨¤ la confronter, elle en dirait bien assez pour ¨ºtre condamn¨¦e. Elle ne r¨¦sisterait pas ¨¤ leurs m¨¦thodes, surtout ¨¤ celles de la FPCP.
Tu es juste entrain de vriller Suranis. Recentre-toi. Tu n¡¯as rien fait de mal en enqu¨ºtant, tu n¡¯as pas franchi la fronti¨¨re de l¡¯acceptable¡ Si Seth Karanth s¡¯est imagin¨¦ des choses, ce n¡¯est en rien de ta faute.
Et elle n¡¯irait pas croupir dans une cellule pour une mis¨¦rable enqu¨ºte, pour s?r. Alors qu¡¯est-ce qui l¡¯angoissait tant ? L¡¯id¨¦e qu¡¯elle soit responsable des morts ? Non, ce n¡¯¨¦tait pas elle la tar¨¦e au pistolet. Devait-elle donc se rendre d¡¯elle-m¨ºme au poste le plus proche pour faire la lumi¨¨re sur son rapport ¨¤ Karanth ? Apr¨¨s tout, ils d¨¦couvriraient bien avec ses capteurs incrust¨¦s dans la nuque qu¡¯elle d¨¦raillait sec, pourquoi ne pas prendre les devants avant qu¡¯ils s¡¯en rendent compte ? La r¨¦ponse lui vint, clairement, ils n¡¯interrogeraient jamais ses relev¨¦s biom¨¦triques car bien d¡¯autres indiqueraient des ¨¦tats mentaux d¨¦licats dans la foule citoyenne. De plus, elle ne gagnerait de cette r¨¦v¨¦lation qu¡¯une r¨¦putation ternie et l¡¯assurance d¡¯une carri¨¨re enterr¨¦e.
Oui, elle ne dirait rien. Son id¨¦e lui nuirait. Alors que lui restait-il ¨¤ faire ? Se taire et rentrer sagement chez-elle comme si de rien n¡¯¨¦tait ? C¡¯est le choix qu¡¯elle fit, cogitant d¨¦raisonnablement en s¡¯¨¦loignant du bar. Elle traversa en hate le quartier, gardant la t¨ºte basse et la sensation d¡¯¨ºtre trop expos¨¦e par les n¨¦ons des vitrines. Il fallait qu¡¯elle se cache et qu¡¯elle se fasse oublier en attendant que tout se tasse. Dans le pire des cas, on pourrait l¡¯utiliser comme un bouc-¨¦missaire satisfaisant, mais dans le meilleur on trouverait bien quelqu¡¯un d¡¯autre. Seth Karanth devait bien avoir quelques contacts pour l¡¯aider et peut-¨ºtre m¨ºme trouverait-on une raison politique ¨¤ son acte ? Si ce n¡¯¨¦tait pas le cas¡
Elle r¨¦fl¨¦chissait ¨¤ tout cela, tentant de se rassurer avec son c?ur qui battait la chamade sous l¡¯effet combin¨¦ de la peur et de l¡¯alcool. Elle se sentit naus¨¦euse en se repassant le fil de l¡¯affaire, revit l¡¯expression naus¨¦euse d¡¯Herth ¨¤ son retour du bordel et le regard d¡¯acier de Seth Karanth en apprenant la nouvelle. Elle pensa ¨¤ tous les endroits o¨´ elle pouvait se terrer, dans l¡¯attente de jours plus calmes. Un ghetto ? Ils d¨¦fonceraient la porte en t?le. Des amis, des parents ? Ils la trouveraient sans faillir. Il restait les ¨¦tages inconnus, ceux hors-carte, mais elle n¡¯y ferait pas long feu ¨¦galement. Et puis, ¨¤ bien y penser, ne serait-ce pas une fa?on d¡¯admettre qu¡¯elle se sentait coupable pour l¡¯attentat ? On se renseignerait volontiers ¨¤ son sujet apr¨¨s avoir retrac¨¦ son point d¨¦part et celui d¡¯arriv¨¦.
Puis, vint la solution alors qu¡¯elle d¨¦passait deux retrait¨¦s qui discutaient. Leurs cranes chauves, deux boules lisses, renvoyaient la lumi¨¨re d¡¯une enseigne de guingois. Les secrets de l¡¯invisibilit¨¦ lui ¨¦taient inaccessibles, mais elle pouvait se terrer dans son appartement. L¡¯obscurit¨¦ serait pour elle un linceul et les murs en pr¨¦fabriqu¨¦s les parois d¡¯un cercueil inviolable. On ne d¨¦rangeait pas les morts, or elle en avait d¨¦j¨¤ la paleur. Elle resterait ainsi jusqu¡¯¨¤ que tout se tasse¡
Chapitre 13
La premi¨¨re nuit de sa retraite, elle r¨ºva de Pavla Karanth. La jeune femme se trouvait sur une plage de tessons de verre, rong¨¦e par le Flux. Elle la retourna, ses yeux bleus ¨¦taient tomb¨¦s dans ses orbites et les chairs de sa bouche s¡¯effa?aient sous l¡¯acre pourriture. Le reste de son corps n¡¯¨¦tait pas en meilleur ¨¦tat, boursoufl¨¦ l¨¤ o¨´ il avait ¨¦t¨¦ l¨¦ch¨¦ par la mar¨¦e verte. Le cadavre commen?a ¨¤ claquer des molaires, d¨¦vorant le verre et ouvrant une br¨¨che vers le vide infini. Suranis s¡¯¨¦loigna avec effroi et commen?a ¨¤ fuir, mais vint se heurter au p¨¨re, souriant au travers de sa poussi¨¨re. ? Tire mon doigt ?, la bonne blague. Il explosa une seconde fois dans un shrapnel d¡¯os.
Elle se r¨¦veilla en sursaut, les tempes battantes. Les autres nuits furent plus paisibles, bien qu¡¯elle se mit ¨¤ d¨¦tester son lit. Elle ne le quittait plus que rarement comme si sa mousse anthropophage tentait d¨¦sesp¨¦r¨¦ment de l¡¯assimiler. Des monts d¡¯immondices s¡¯entassaient p¨¦riodiquement dessus ¨C jusqu¡¯¨¤ que dans des sursauts d¡¯humeur elle se mette ¨¤ nettoyer fr¨¦n¨¦tiquement son appartement. Suranis peinait ¨¤ s¡¯en d¨¦barrasser, ils ¨¦taient pour elle la seule compagnie depuis l¡¯attentat du Branthes.
Son emprisonnement volontaire commen?ait ¨¤ lui peser. Les nouvelles s¡¯encha?naient sur son poste. L¡¯enqu¨ºte avan?ait et toujours rien ne venait la convaincre de mettre le nez ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur pour autre chose que de menus achats ¨¤ l¡¯¨¦picerie locale. Sa conversation la plus longue ces derniers temps se limitait ¨¤ un ¨¦change courtois avec le vendeur, rien de plus. Elle ¨¦t¨¦ all¨¦e jusqu¡¯¨¤ refuser la visite d¡¯un ami, mandat¨¦ par son cercle restreint, pr¨¦textant qu¡¯une fi¨¨vre terrible ¨C mais anodine, une sale grippe contagieuse ¨C la privait de tout contact humain. C¡¯¨¦tait un mensonge, ¨¦videmment. Le seul d¨¦sagr¨¦ment de Suranis ¨¦tait en r¨¦alit¨¦ ses acc¨¨s de tachycardie nocturne qui lui rendait ses nuits d¨¦licates et de cela elle connaissait la cause.
Elle passait le plus clair de ses soir¨¦es ¨¤ s¡¯imaginer tous les sc¨¦narios possibles. Si l¡¯enqu¨ºte les menait ¨¤ elle, se laisserait-elle faire ou se ruerait-elle vers la moiti¨¦ inf¨¦rieure de la Cit¨¦ ? Elle admettrait ainsi sa culpabilit¨¦, mais¡ Elle ne l¡¯¨¦tait pas et elle ignorait ce qu¡¯elle d¨¦couvrirait plus bas. Des gangs, de la violence et des junkies ? Des utopies inachev¨¦es ? Des marginaux ? Tr¨¨s peu de donn¨¦es existaient ¨¤ ce sujet, bien que l¡¯endroit poss¨¦dat une r¨¦putation sordide qui se basait sur la seule possibilit¨¦ qu¡¯existent des r¨¦seaux clandestins. Le Conseil des Pilotes avait bien men¨¦ des campagnes de pacification (ou d¡¯exploration, le terme ¨¦tait plus ad¨¦quat) : en vain. Cette qu¨ºte finit par ¨ºtre abandonn¨¦e face au d¨¦compte fastidieux des pertes entre les cadavres ramen¨¦s (et av¨¦r¨¦s) de ceux tomb¨¦s dans des embuscades, ceux que l¡¯on signalait et dont le traceur s¡¯affolait, ainsi que tous les autres qui disparaissaient des ¨¦crans de surveillance.
Tout compte fait, elle ne voyait dans cette ¨¦chappatoire rien de rassurant. Les terra incognita, n¡¯¨¦taient pas faites pour elle et si la FPCP venait ¨¤ se pointer sur le perron de sa porte, elle se laisserait certainement faire en pr¨¦sentant, en tout ¨¦tat de cause, le dossier bidon qu¡¯elle aurait ¨¦labor¨¦ sur Pavla Karanth. Une histoire d¡¯enl¨¨vement par des voyous ou une fugue¡ Elle ignorait encore comment le mener ¨¤ terme, mais en tout ¨¦tat de cause il lui faudrait quelque chose qui diff¨¨re assez amplement de la r¨¦alit¨¦ en se basant sur de solides ¨¦l¨¦ments pour ne pas ¨ºtre inqui¨¦t¨¦e. Oui¡ C¡¯est une id¨¦e, pensa-t-elle avachi dans son sofa, une canette de soda ¨¤ la main et l¡¯air d¡¯avoir le double de son age, mais toute preuves solides ne m¨¨nent vers rien d¡¯autre que la v¨¦rit¨¦. Je suis cuite s¡¯ils viennent frapper ¨¤ ma porte.
Ce qu¡¯elle redoutait le plus se passa alors. On frappa ¨¤ la porte et elle se tassa, tendant l¡¯oreille par-del¨¤ le poste qui crachait en attendant le fatidique : ? Police, ouvrez. On a quelques questions ¨¤ vous poser ?. Sauf qu¡¯on ne dit rien ; ce qui n¡¯¨¦tait pas un bon point. Peut-¨ºtre qu¡¯on venait s¡¯occuper d¡¯elle, qui en savait tant et bien trop, et qu¡¯elle se retrouverait face au canon lisse d¡¯un pistolet coll¨¦ contre le judas ? Elle se leva sur la pointe des pieds, se dirigea ¨¤ pas l¨¦gers vers sa porte et entreprit de jeter un coup d¡¯?il ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur.
Contre toute attente, le flingue portait un b¨¦ret noir. Elle poussa un soupir de soulagement :
¡ª Suranis ? Je t¡¯ai entendu soupirer, dit Herth Phue ¨¤ travers la porte qui aussit?t se d¨¦verrouilla pour que la t¨ºte de l¡¯int¨¦ress¨¦e s¡¯incruste dans l¡¯entrebaillement. Bon sang ! Tu as une de ces t¨ºtes ! Quelque chose ne va pas ?
La porte s¡¯ouvrit en grand sur la rue presque d¨¦serte qui le devint quand Herth entra dans l¡¯appartement sur l¡¯invitation de Suranis. Il remarqua aussit?t le d¨¦sordre et l¡¯odeur d¨¦sagr¨¦able qui r¨¦gnait. Puis, il remarqua le visage blafard qui prenait une teinte l¨¦g¨¨rement bleut¨¦e, comme si ¨¤ force de s¡¯inqui¨¦ter le c?ur de la d¨¦tective manquait un battement pour deux. Il suspecta aussit?t que l¡¯attentat soit la cause de son ¨¦tat et compatit. Elle ¨¦tait bien plus impliqu¨¦e qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait lui-m¨ºme. Si une d¨¦partementale rattachait Karanth ¨¤ Herth, une autoroute bien indiqu¨¦e menait de ce premier ¨¤ l¡¯enqu¨ºtrice.
¡ª Oh, tu sais. Ce n¡¯¨¦tait que pour la forme que je le disais, je sais tr¨¨s bien ce qui ne va pas. J¡¯ai entendu pour Karanth et je comprends ton ¨¦tat¡ Ils ne sont toujours pas venus t¡¯interroger ?
¡ª Non, r¨¦pondit Suranis. Mais ils finiront par arriver.
¡ª Tu n¡¯y es pour rien, tenta de la rassurer Herth. Vraiment¡ Mais, je dois m¡¯excuser car je ne suis pas venu pour discuter de ?a. J¡¯ai besoin de tes conseils¡ Tu sais¡ Envie de faire quelque chose.
Elle ¨¦carta les bras, pr¨ºte ¨¤ lui offrir tout ce qu¡¯elle pouvait et en r¨¦ponse il d¨¦gaina un dossier reli¨¦ de cuir synth¨¦tique. L¡¯¨¦paisseur le rendait presque digne d¡¯appartenir ¨¤ la cat¨¦gorie des pav¨¦s, son poids pouvait ¨¤ lui seul servir d¡¯arme mortelle.
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¡ª Qu¡¯est-ce que c¡¯est ? murmura Suranis, puis plus fort. Ne me dis pas que tu as continu¨¦ ?
¡ª Oui, c¡¯est bien ce ¨¤ quoi tu penses. Je n¡¯allais pas laisser tomber la mine d¡¯or que tu m¡¯as confi¨¦ ! Tu n¡¯imagines pas un seul instant ce que j¡¯ai pu y d¨¦nicher.
¡ª Je n¡¯ai pas forc¨¦ment envie de la creuser davantage cette mine d¡¯or¡ ¨¦loigne-moi ?a.
Herth lui lan?a un regard noir. Il ouvrit le dossier ¨¤ un intercalaire.
¡ª Ouais, ouais. Tu veux quand m¨ºme savoir ce que j¡¯ai d¨¦nich¨¦ dans ce merdier, n¡¯est-ce pas ?
¡ª Peut-¨ºtre, admit-elle, mais nous ne pourrons rien en faire. Nous sommes d¡¯insignifiants grains de sable que l¡¯on concasse entre les rouages d¡¯une machine dont nous n¡¯avons pas les commandes.
¡ª Du blabla. Jette d¡¯abord un coup d¡¯?il ¨¤ ?a !
La page ¨¦tait envahie par les photographies ce qui expliquait l¡¯¨¦paisseur du dossier. Des notes manuscrites les accompagnaient, mais Suranis n¡¯eut pas besoin d¡¯y jeter un coup d¡¯?il pour reconna?tre les personnes qui filaient, les mains dans les poches et la bourse vide apr¨¨s avoir pass¨¦ du bon temps dans un des bordels de 127 BZ489.
¡ª C¡¯est Arthes Milgram ? dit-elle en montrant un homme blond d¡¯une quarantaine d¡¯ann¨¦es.
¡ª Bingo ! Notre cher Pilote de l¡¯¨¦tage C et l¨¤ c¡¯est Jan Pons, r¨¦pondit-il en montrant un autre. On se demandait encore si les autorit¨¦s n¡¯¨¦taient pas au courant pour le 127 et des brouettes, mais maintenant que je sais qu¡¯au moins six haut-fonctionnaires le fr¨¦quente, peut-on en dire autant ?
Suranis soupira. L¡¯hypoth¨¨se de Karanth s¡¯av¨¦rait et il ¨¦tait mort. Si le Conseil des Pilotes n¡¯¨¦tait pas le gestionnaire du bordel, il en connaissait l¡¯existence. Un homme pouvait toujours agir en dehors du cercle, mais six cela commen?ait ¨¤ faire beaucoup. Cela expliquait certainement pourquoi rien n¡¯avait ¨¦t¨¦ fait pour Pavla Karanth. Elle ¨¦tait tomb¨¦e entre leurs pattes.
¡ª Oui, tu as raison. ?a me para?t trop gros aussi, mais que veux-tu faire ? Tu sais comme moi tout ce qui a ¨¦t¨¦ occult¨¦, chouette ! Mais tu veux aller les d¨¦noncer gentiment au poste le plus proche ? H¨¦, les gars ! Regardez ce que j¡¯ai pour vous ? Ils sont d¨¦j¨¤ au courant...
¡ª Cela nous impose-t-il donc de plier l¡¯¨¦chine ? s¡¯¨¦nerva Herth. Nous ne pouvons pas laisser pareilles horreurs se produire !
Suranis rit pour la premi¨¨re fois depuis des jours. Des ¨¦chines porcines dont elle connaissait l¡¯existence sans jamais en avoir vu un seul, comme tous les non-surfaciens. Herth la regarda, une petite veine marqu¨¦e sur le front :
¡ª Pardonne-moi. C¡¯est juste que je n¡¯ai aucune envie de me faire pr¨¦lever ma fameuse ¨¦chine. Je pr¨¦f¨¨re plier. C¡¯est nerveux.
¡ª Je crois comprendre ce que tu veux dire, mais tu sais¡ J¡¯ai des contacts, je peux outrepasser les flics pour diffuser aussi largement que possible¡ Je peux salir la r¨¦putation de ces salauds, je peux¡
La d¨¦tective lui posa une main sur l¡¯¨¦paule en fron?ant les sourcils. Si elle pouvait encore s¡¯en tirer avec un dossier fauss¨¦, elle ne donnait pas cher de sa peau si on venait ¨¤ ¨¦bruiter l¡¯existence de ce r¨¦seau de prox¨¦n¨¦tisme. Elle comprenait la col¨¨re d¡¯Herth et voulait, elle aussi, montrer au monde que les apparences ¨¦taient bien trompeuses¡
¡ª Arr¨ºte. Tu es venu me demander conseil, non ? Alors br?le ce dossier. Ils vont te prendre et te pendre avant que tu aies pu ouvrir ta gueule. Et oublie tes contacts, fais-le pour toi et pour Pavla. Elle n¡¯aurait pas aim¨¦ que tu cr¨¨ves connement.
¡ª Tu n¡¯es qu¡¯une merde apeur¨¦e ! Une foutue collabo !
Elle se recula, bousculant une chaise qui tomba avec fracas. Cela n¡¯avait rien ¨¤ voir, elle n¡¯¨¦tait pas assez folle pour le suivre c¡¯est tout. Elle aurait voulu crier la diff¨¦rence ¨¤ Herth et ne put lui r¨¦pondre que la v¨¦rit¨¦. Les larmes lui mont¨¨rent aux yeux, elle tremblait compulsivement.
¡ª Tu ne comprends donc pas ?! J¡¯ai peur, j¡¯ai si peur. Si les informations contenues dans ce dossier venaient ¨¤ s¡¯¨¦bruiter ils remonteraient ta piste puis la mienne. Ils nous tueraient tous les deux, tu m¡¯entends ? Ils ¨¦vinceraient les personnalit¨¦s impliqu¨¦es et pr¨¦tendraient que seul un cercle restreint est impliqu¨¦. Fait chier Herth ! Je ne veux pas que ma t¨ºte soit envoy¨¦e valdinguer dans le Flux !
¡ª On peut te prot¨¦ger, commen?a Herth. Mes amis¡
¡ª Personne ne le peut !
Cette derni¨¨re phrase avait ¨¦t¨¦ hurl¨¦e. Par exp¨¦rience, Suranis savait que les ventilations de son appartement servaient de couloirs aux ragots. Peut-¨ºtre quelqu¡¯un avait-il d¨¦j¨¤ appel¨¦ la FPC pour leur demander de se rendre en urgence chez cette ¨¦trange voisine ? Cela serait mauvais.
Un craquement leur parvint de l¡¯a¨¦ration suivi d¡¯un petit cri de rongeur. Suranis sursauta, lui se retourna.
¡ª Fous le camp, s¡¯il te pla?t, dit-elle en commen?ant ¨¤ pleurer.
¡ª Repense-y. Je repasserais, il existe un endroit o¨´ ils ne pourront pas te toucher et o¨´ Pavla pourra ¨ºtre veng¨¦e¡ Mais je te le promets, je ne ferais rien sans ton autorisation.
Elle hocha la t¨ºte avant de se diriger, avec lui, vers la porte qu¡¯elle lui ouvrit. En elle-m¨ºme, elle savait d¨¦j¨¤ qu¡¯elle ne mettrait pas sa vie en jeu pour la v¨¦rit¨¦. Une fois, elle avait ¨¦t¨¦ outre le discours officiel et n¡¯avait obtenu en cons¨¦quence qu¡¯une vie mis¨¦rable ¨C mais libre ¨C en tant que d¨¦tective priv¨¦e. Elle ne se sentait pas pr¨ºte de remettre le couvert et encore moins ¨¤ rencontrer les fameux contacts d¡¯Herth Phue, mais elle lui fit la promesse fallacieuse qu¡¯elle y r¨¦fl¨¦chirait.
Herth paru satisfait, bien que d¨¦?u. Il ¨¦changea un sourire contrit avec elle et ce fut le dernier qu¡¯elle vit. Une fois la porte referm¨¦ derri¨¨re lui, elle ne le reverrait que le visage ensanglant¨¦ sous les coups de balourds en uniforme. La filature touchait ¨¤ sa fin pour trois agents.
Chapitre 14
Deux minutes apr¨¨s qu¡¯Herth soit sorti, il y eut un cri de douleur suivi d¡¯un bruit sourd qui ¨¦branla les charni¨¨res de la porte. Instinctivement, Suranis su que le cri et le choc ne provenaient pas du m¨ºme corps. Un juron prouva ce fait avant que ne survienne un dernier coup qui provoqua un souffle proche de l¡¯agonie chez sa victime. Dans la rue d¨¦serte, Herth Phue s¡¯¨¦tait recroquevill¨¦ et encaissait tant bien que mal les coups. Suranis ouvrit le judas ¨¤ deux mains pour ma?triser ses tremblements. Elle les vit, ils ¨¦taient quatre : Herth et trois hommes en uniforme dont deux qui le tabassaient. Elle crut entendre, tr¨¨s ¨¦touff¨¦, l¡¯un des policiers dire que tout cela c¡¯¨¦tait pour Olden, qu¡¯Olden saluait les salauds de son esp¨¨ce et que si ceux qui ¨¦taient morts dans l¡¯attentat en avait le pouvoir ils lui pisseraient ¨¤ la gueule. Il ne m¨¦ritait pas plus de consid¨¦ration.
La main de Suranis remonta vers le verrou, tatonnant la cha?nette pour la tirer avant que ses yeux ne se r¨¦vulsent de terreur lorsque la poign¨¦e s¡¯enclencha. Dans l¡¯entrebaillement vint se glisser une botte noire de nazillon qui remontait si haut sur la cuisse qu¡¯elle se confondait avec le treillis. Deux bandes vermeilles la stup¨¦fi¨¨rent. Ni la FPC, ni la FPCP mais les forces d¡¯intervention de la Cit¨¦. Ils n¡¯en ¨¦taient encore qu¡¯¨¤ l¡¯¨¦tape matraquage mais ils gardaient bien pire dans leur besace. Pire comment ? Et bien Suranis ne voulait pas le savoir alors qu¡¯elle continuait de fixer cette botte en synth¨¦tique noir qui brillait sous les n¨¦ons :
¡ª Suranis Rh¨¦on ? demanda l¡¯homme apr¨¨s l¡¯avoir scann¨¦. ? En ¨¤ juger par son inaction, il devait-¨ºtre un officier. Il se tenait le bras gauche sur lequel une rose de sang s¡¯¨¦panchait. ? Vous ¨ºtes ¨¦galement attendue au poste pour nous expliquer ce que vous trafiquiez avec le terroriste Phue.
¡ª Allez-vous faire foutre ! parvint ¨¤ cracher Herth entre deux coups.
Une nouvelle vol¨¦e vint faucher le susnomm¨¦ terroriste et l¡¯un des hommes le mit en joue. En th¨¦orie, l¡¯arme ne devait pas ¨ºtre l¨¦tale. En th¨¦orie rien n¡¯expliquait la pr¨¦sence d¡¯un chargeur ajour¨¦ dans lequel brillaient les balles. Herth, s¡¯il l¡¯avait remarqu¨¦, s¡¯en moquait. Les morts amenaient de la paperasse et la paperasse ¨¦tait l¡¯ennemie du fonctionnaire. Il savait qu¡¯il ne tirerait pas et continuait sa diatribe insouciant du danger jusqu¡¯¨¤ qu¡¯une main se pose contre sa nuque, explosant son nez contre le sol :
¡ª Ferme la, pauvre con ! On sait avec qui tu manigances et on a un relev¨¦ de ton niveau de stress lorsque tu nous as crois¨¦¡ Les coups, ce n¡¯est que du bonus pour avoir aid¨¦ ce connard de Karanth et ensuite viendra le tour de ta nana.
¡ª Ta gueule le facho ! parvint-il ¨¤ cracher.
Une botte vint frapper les c?tes du jeune homme. Un souffle s¡¯¨¦chappa de ses poumons, mais il prenait les coups avec une certaine noblesse. Du moins, sans se d¨¦partir de ses bravades. Suranis se tenait ¨¤ proximit¨¦ de la sc¨¨ne, l¡¯officier lui souriant avec avidit¨¦. Elle se sentait pi¨¦g¨¦e, prise dans un cauchemar ¨¦veill¨¦.
Le subordonn¨¦ rengaina son arme et sortit les menottes, bien superflues pour Herth qui se trouvait dans un piteux ¨¦tat. Si Suranis r¨¦sistait, elle finirait comme lui. Le message ¨¦tait bien pass¨¦. Les l¨¨vres ¨¦clat¨¦es, les dents ruin¨¦es et les c?tes bris¨¦es, Herth Phue n¡¯¨¦tait plus si beau ¨¤ voir. Il cracha un mollard rouge quand on lui mit les menottes et qu¡¯on le releva de force.
¡ª Kern, tu as aussi des menottes pour elle ? demanda l¡¯officier en se frottant avec vigueur le bras. J¡¯ai l¡¯impression qu¡¯elle veut nous fausser compagnie.
¡ª Jamais ! se pr¨¦cipita Suranis. Je ne vais pas¡
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¡ª Pour l¡¯amour de dieu, tais-toi !
Suranis se tut. L¡¯officier se frottait toujours sa plaie qui cessait peu ¨¤ peu de saigner.
¡ª J¡¯ai du rab¡¯ chef. Je vous apporte ?a, r¨¦pondit le d¨¦nomm¨¦ Kern.
En se rapprochant de Suranis accul¨¦e, il laissa derri¨¨re lui Herth menott¨¦ sous la garde du troisi¨¨me agent. Il gigotait faiblement, le menton baignant dans son propre sang presque comme mort, mais les forces d¡¯intervention avaient le savoir-faire n¨¦cessaire pour le garder en vie jusqu¡¯¨¤ avoir retir¨¦ de lui ce qu¡¯ils souhaitaient.
Le quartier commen?a ¨¤ manifester des signes de vie, alert¨¦s par le bruit. Les voisins sortaient progressivement et regardaient cette quasi-inconnue taciturne accompagn¨¦e de cet homme menott¨¦ maintenu au sol. Il se racontait ¨¤ demi-mots que les complices de Karanth venaient d¡¯¨ºtre arr¨ºt¨¦s. Personne n¡¯imaginait qu¡¯il partageait les m¨ºmes rues que ces ignobles enflures. Les agents s¡¯adoucirent ¨¤ la vue des badauds, celui qui gardait Herth intima ¨¤ la foule de se disperser tandis que Kern tendait les menottes ¨¤ son officier qui ne r¨¦agit pas.
¡ª Chef ? demanda Kern.
L¡¯officier ne r¨¦pondit pas. Il ne r¨¦cup¨¦ra pas les menottes. Sa bouche tremblait compulsivement dans un rictus de douleur. L¡¯agent Kern s¡¯inqui¨¦ta et lacha les menottes pour tendre ses mains vers son sup¨¦rieur, en vain. L¡¯homme chut raide, l¡¯¨¦cume aux l¨¨vres et se serait fracass¨¦ le crane si son subordonn¨¦ ne l¡¯avait pas rattrap¨¦ dans la foul¨¦e. Il l¡¯amena au sol avant de se pr¨¦cipiter vers Herth et de lui ¨¦craser sauvagement la cuisse :
¡ª Qu¡¯est-ce que tu as foutu sur ton surin ?! Dis-le-moi connard !
Suranis ne prit pas la peine d¡¯observer la r¨¦action d¡¯Herth, mais elle l¡¯imagina dans une splendide insolence. Elle ne devait pas conna?tre la nature du poison utilis¨¦, sinon entendit-elle que l¡¯officier n¡¯en mourut pas.
Oh Suranis, si tu avais ¨¦t¨¦ l¨¤ quand il a pos¨¦ sa main sur mon ¨¦paule avec son petit sourire ¨¤ la con, aurait pu dire l¡¯homme au b¨¦ret. Si tu avais pu ¨ºtre l¨¤ lorsque je l¡¯ai piqu¨¦ comme un vulgaire moustique¡ Ils auraient d? se marrer, je n¡¯¨¦tais qu¡¯un chaton s¡¯attaquant ¨¤ des clebs. Regarde-les maintenant, affol¨¦s, regarde-le avec son corps de molosse qui refuse d¡¯ob¨¦ir ¨¤ ses ordres. Il ne cr¨¨vera pas, mais laisse-moi emporter cette victoire dans le charnier. Mais sa gorge ¨¦tait enserr¨¦e compulsivement par Kern. Herth ne pouvait pas parler.
¡ª Tu vas parler ?! hurla-t-il. Quel est le putain d¡¯antidote ? PARLE !
Herth glapit, on hurla qu¡¯on allait le tuer et le coll¨¨gue rest¨¦ en surveillance se pr¨¦cipita sur Kern. Une courte lutte s¡¯enclencha alors entre les deux agents et Suranis vit une ¨¦chappatoire. Elle se tourna vers la ruelle, ses voisins lui jet¨¨rent un dr?le de regard. Elle se rappela alors qu¡¯elle ¨¦tait en sweat, pieds-nus et qu¡¯elle n¡¯irait pas loin avant qu¡¯on ne la rattrape, mais elle essaya quand m¨ºme. Le motif antid¨¦rapant sous ses pieds lui assurait un appui ferme, bien que douloureux. Mais ses jambes la portaient bien au-del¨¤ de la souffrance.
¡ª Elle se tire, cria Kern en revenant ¨¤ la r¨¦alit¨¦. Je m¡¯occupe de Phue, file !
L¡¯autre lui jeta un regard inquiet.
¡ª Je ne vais pas le buter imb¨¦cile, d¨¦p¨ºche !
L¡¯agent rassur¨¦, mais humili¨¦, se lan?a ¨¤ la poursuite de Suranis. Celle-ci avait d¨¦j¨¤ deux croisements d¡¯avance et sa vo?te plantaire s¡¯¨¦tiolait sur le m¨¦tal. Ils ne se r¨¦sumaient pas encore ¨¤ deux moignons, mais ses pieds ¨¦taient assez ab?m¨¦s pour qu¡¯on la suive ¨¤ la trace et l¡¯agent n¡¯eut aucun mal ¨¤ retrouver son chemin. Les citoyens qu¡¯il croisait lui indiqu¨¨rent la direction prise par la fuyarde qui se demandait ¨¤ quoi allait la mener sa futile fuite. Elle prit le tournant ¨¤ l¡¯angle entre Elypathes et le boulevard des Carmins, sentit le souffle du labyrinthe et entendit le vacarme derri¨¨re elle.
Suranis avait d¨¦j¨¤ perdu, cette certitude s¡¯emparait d¡¯elle. Mais elle courait.
Chapitre 15
L¡¯¨¦tranget¨¦ du quartier des Perdus tenait lieu d''expression dans l¡¯¨¦tage D. Tout le monde le connaissait et tout le monde s¡¯y perdait. Ce n¡¯¨¦tait pas une bizarrerie terrifiante dans la mesure o¨´ vous ne risquiez pas d¡¯y voir briller les yeux d¡¯une gargouille malveillante ou sentir dans votre cou la palme d¡¯un habitant aux yeux globuleux. Rien de surnaturel ne hantait le quartier et pourtant on ne pouvait s¡¯emp¨ºcher de s¡¯y sentir mal ¨¤ l¡¯aise. Peut-¨ºtre ¨¦tait-ce l¡¯encha?nement insens¨¦ des ruelles et des culs-de-sac ? Il suffisait qu¡¯un ¨¦tranger y passe cinq minutes pour qu¡¯il se mette ¨¤ paniquer et qu¡¯il s¡¯imagine que des cr¨¦atures, autrement inexistantes, se terrent dans son ombre. Finalement, la capacit¨¦ de traverser le quartier des Perdus sans prendre le mauvais chemin donnait ¨¤ l¡¯habitant du quartier de Suranis sa l¨¦gitimit¨¦.
Il ¨¦tait difficile, sinon impossible, de conna?tre les raisons de ce non-sens urbaniste. Plusieurs th¨¦ories circulaient dont l¡¯une des plus populaires s¡¯apparentait ¨¤ des ¨¦conomies de bout de chandelle. On savait le co?t on¨¦reux des cables ¨¦lectriques, comme optiques, gain¨¦s de rouge, de vert ou bien de bleu, qui alimentaient sans cesse la vorace Cit¨¦ dans tous les flux possibles. Aussi, des ing¨¦nieurs avaient longtemps pr¨¦conis¨¦ des chemins singuliers pour les signaux les plus importants et s¨¦lectionn¨¦ l¡¯emplacement de relais. Tout cela co?tait une fortune et si les cables les plus on¨¦reux prenaient le chemin le plus direct, les secondaires louvoyaient dans les br¨¨ches laiss¨¦es ce qui pouvait, ¨¤ terme, mener ¨¤ des couloirs partant dans tous les sens.
Pour Suranis, cette th¨¦orie bien que plaisante au premier regard, tenait de la pure foutaise. Les moyens incommensurables, mis en ?uvre pour la construction d¡¯un vaisseau-arche, imputaient que l¡¯efficacit¨¦ pr¨¦valait sur le co?t. Il fallait donc voir ailleurs la raison d¡¯exister de ce chaos urbanistique. La d¨¦tective qui courait pour sa libert¨¦ savait que certaines ruelles du quartier des Perdus menaient sur de lourdes portes blind¨¦es. De l¡¯autre c?t¨¦ se trouvaient des sas puis l¡¯espace et c¡¯est par ce chemin que des pilleurs de vaisseaux auraient ¨¦t¨¦ susceptibles de s¡¯introduire. En r¨¦fl¨¦chissant ainsi, le d¨¦dale qui s¡¯en suivait ne servait qu¡¯¨¤ perdre l¡¯assaillant en laissant le temps ¨¤ l¡¯¨¦quipage ¨¦veill¨¦ de se pr¨¦parer au combat. Cela, pour Suranis, faisait sens et elle tenait ferme ¨¤ sa propre th¨¦orie. Qu¡¯elle s¡¯av¨¨re ou non la v¨¦rit¨¦, l¡¯origine du quartier des Perdus n¡¯importait pas plus que son existence m¨ºme pour Suranis. Sans ce d¨¦dale, l¡¯agent ¨¤ ses trousses l¡¯aurait d¨¦j¨¤ rattrap¨¦.
Pourtant, bien que loin d¡¯elle et la distance ne cessant de s¡¯accentuer, elle n¡¯¨¦tait pas encore tir¨¦e d¡¯affaire. Au moins, la rumeur lointaine du poursuivant lui laissait-elle le temps de r¨¦fl¨¦chir. Essouffl¨¦e par sa course, elle h¨¦sita ¨¤ se r¨¦fugier temporairement dans un troquet, mais ce n¡¯¨¦tait pas la solution : il fallait qu¡¯elle disparaisse bien plus loin. La question ¨¦tait de savoir o¨´. Elle repensa ¨¤ son environnement et, peut-¨ºtre ¨¦tait-ce la vue d¡¯une antique poutre, ¨¤ son pass¨¦ industriel. Maintenant, la zone ressemblait ¨¤ toutes les autres, d¨¦volues au bien-¨ºtre des travailleurs, mais ?a n¡¯avait pas toujours ¨¦t¨¦ le cas. La proximit¨¦ avec l¡¯espace avait attir¨¦ les usines lors des premi¨¨res d¨¦cennies suivant la mont¨¦e du Flux et on discernait encore la forme des entrep?ts qui, ¨¤ une ¨¦poque plus radieuse, d¨¦bordaient. Les ressources d¨¦barqu¨¦es de l¡¯espace arrivaient ici, ¨¦taient transform¨¦es puis aussit?t exp¨¦di¨¦es dans toute la Cit¨¦. Des tunnels de service pr¨¦existants rendaient l¡¯industrie plus ais¨¦e en permettant un transit efficace des ¨¦tages C ¨¤ E.
D¨¦sormais, le flux de marchandise s¡¯¨¦tait bien tari, mais la gare de triage existait encore. Elle distribuait son contingent ¨¤ droite et ¨¤ gauche, jusqu¡¯¨¤ tr¨¨s bas dans la Cit¨¦, et se targuait d¡¯une totale autonomie. Suranis comprit que cette autonomie pourrait ¨ºtre sa porte de sortie. Si quelqu¡¯un venait ¨¤ tomber par m¨¦garde sur la voie, il n¡¯existait pas de commande manuelle d¡¯interruption. La prise de d¨¦cision se prenait plus haut et si elle venait ¨¤ sauter sur le tapis, le flic ¨¤ ses trousses devrait entrer en communication avec le PC qui d¨¦battrait en interne de la sagesse ¨C ou non ¨C d¡¯interrompre le flux de marchandises. Une heure s¡¯¨¦coulerait pendant laquelle la discussion serait men¨¦e et, certainement, refuseraient-ils de stopper le tapis pour une petite fuyarde. M¨ºme s¡¯ils venaient ¨¤ l¡¯arr¨ºter, Suranis serait d¨¦j¨¤ loin. Elle n¡¯aurait alors plus qu¡¯¨¤ prendre une cage d¡¯escalier pour visiter les ¨¦tages du grand inconnu¡ Quant ¨¤ savoir la vie qu¡¯elle aurait en bas, elle pr¨¦f¨¦rait ne pas y penser bien que cette id¨¦e l¡¯effraya moins que celle de voir ses jours s¨¦rieusement ¨¦court¨¦s par une confrontation avec les forces de l¡¯ordre.
Mais tu n¡¯as toujours rien ¨¤ te reprocher Suranis ! pensa-t-elle. Elle ¨¦tait dans le camp de la justice, mais ce n¡¯¨¦tait pas cette derni¨¨re qui menait la chasse. Oui, c¡¯¨¦tait la solution ¨¤ son probl¨¨me pressant. Elle s¡¯approcherait du tapis, sauterait dessus et se perdrait dans les profondeurs. Ce serait une ¨¦chapp¨¦e folle dont elle ne ressortirait peut-¨ºtre pas indemne. Elle ne parvenait pas ¨¤ se souvenir de la distance entre la voie pi¨¦tonne et le tapis¡ Huit m¨¨tres environ, peut-¨ºtre moins. Puis il y avait le coup du tapis qui avan?ait ¨¤ la vitesse aussi faible que fiable de 27,4 km/h. Il faudrait qu¡¯elle saute dessus, assez rapidement pour ne pas ¨ºtre prise de vertige et dans la foul¨¦e viser un containeur pour r¨¦duire de moiti¨¦ sa chute. La peur qui la tiraillait lui donna envie de rire face au ridicule de sa situation. Elle venait de traverser le quartier avec sa crini¨¨re rousse au vent, comme un rougegorge pourchass¨¦ par un chat, et elle ne serait pas foutue de prendre son envol !
Allez Susu, tu vas te jeter avec bonne humeur sur le premier containeur venu. C¡¯est ?a ou te retrouver sommairement jug¨¦e pour que rien ne s¡¯¨¦bruite. Soit, mais elle restait anxieuse ¨¤ l¡¯id¨¦e de sauter. Elle quitta le quartier des Perdus pour se retrouver sur le pont surplombant le tapis et elle entendit un cri. Le chat venait de d¨¦barquer et malgr¨¦ son teint rougeaud, il n¡¯¨¦tait qu¡¯¨¤ peine essouffl¨¦. Elle enjamba le muret et regarda le tapis plong¨¦ dans l¡¯obscurit¨¦. Les marchandises arrivaient dans sa direction et elle discerna un containeur charg¨¦ de granul¨¦s de plastique. Ils amortiraient sa chute, si elle pouvait se permettre d¡¯attendre qu¡¯il passe sous elle, mais l¡¯homme dans la petite trentaine qui arrivait sur elle n¡¯¨¦tait pas de cet avis.
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L¡¯agent Gharn s¡¯arr¨ºta et la d¨¦visagea d¡¯un air courrouc¨¦. Depuis douze heures, il ¨¦tait r¨¦veill¨¦ et se souvenait encore des r¨¦primandes matinales de sa femme lev¨¦e dans la foul¨¦e. Sa main tremblait alors qu¡¯il bouclait sa ceinture et qu¡¯il faisait tomber le bibelot ¨C foutue boule dor¨¦e ! - qui tr?nait sur sa table de chevet. Maintenant, sa main se rendait sans faillir jusqu¡¯¨¤ son holster. Il ¨¦tait d¡¯une humeur massacrante apr¨¨s sa journ¨¦e. Elle devait se terminer avec l¡¯arrestation du terroriste et voil¨¤ qu¡¯il coursait une inconnue dans le secteur le plus d¨¦gueulasse qu¡¯il n¡¯ait jamais vu. Parfois, Gharn d¨¦testait son m¨¦tier et se demanda, alors qu¡¯il visait la poitrine de la fuyarde avec son pistolet-neutralisant, quelle image d¨¦testable il devait donner :
¡ª Rendez-vous ! cria-t-il. Ne m¡¯obligez pas ¨¤ tirer, je n¡¯en ai aucune envie.
Elle le crut, mais sentit sa colonne vert¨¦brale se r¨¦tracter sous l¡¯effroi comme si elle disparaissait en elle-m¨ºme. Le vide sous elle n¡¯¨¦tait pas aussi bon qu¡¯elle l¡¯esp¨¦rait. Le containeur qui la sauverait se trouvait encore loin. Gharn s¡¯approcha en veillant ¨¤ ce que la s¨¦curit¨¦ de son arme soit bien retir¨¦e, Suranis passa une jambe par-del¨¤ le muret :
¡ª N¡¯approchez pas ou je saute ! le pr¨¦vint Suranis en se proposant au vide.
¡ª C¡¯est une id¨¦e bien triste que la v?tre¡ Arr¨ºtez, on va discuter et faire la lumi¨¨re sur cette affaire. Si vous n¡¯avez rien ¨¤ vous reprocher, vous ressortirez demain du poste, sinon vous finirez ¨¤ l¡¯ombre¡ Dans les deux cas, vous ¨ºtes vivante !
Vivante, mais certainement pas libre. L¡¯agent ¨¦tait d¨¦pass¨¦.
¡ª Je finirais mal dans tous les cas, r¨¦pondit-elle en songeant avec amertume ¨¤ tout le temps qu¡¯elle avait ¨¤ grappiller pour que le containeur se pr¨¦sente sous elle.
¡ª Je le r¨¦p¨¨te, si vous ¨ºtes innocente vous n¡¯avez rien ¨¤ craindre. Descendez avant de vous blessez mademoiselle, continua-t-il en d¨¦vorant l¡¯espace entre eux.
¡ª Pas un pas de plus sale con !
L¡¯agent prit l¡¯insulte de plein fouet, mais ne se d¨¦mit pas de son flegme. Il observait avec une horreur grandissante la fuyarde qui se projetait vers le vide. Elle allait mourir, elle le voulait. Du moins c¡¯est ce qu¡¯il pensa.
¡ª Allons voyons¡ Vous n¡¯allez pas me laisser le choix. Descendez ou je tire au bout de trois. Je pr¨¦f¨¨re prendre le risque que vous tombiez du mauvais c?t¨¦ plut?t que celui que vous sautiez par vous-m¨ºme, dit l¡¯agent en tentant de l¡¯apaiser. Au moins, vous aurez une chance sur deux de tomber du bon c?t¨¦¡
Trois secondes. C¡¯¨¦tait bien trop peu pour que quelque chose susceptible d¡¯amortir sa chute se pr¨¦sente ¨¤ elle. Les granul¨¦s ne semblaient pas vouloir s¡¯avancer.
¡ª 3.
Toujours rien. Rien de rien. Le prochain containeur ¨¦tait recouvert, mais la toile n¡¯avait ¨¦t¨¦ plac¨¦e l¨¤ pour le stabiliser grace ¨¤ des crochets harnach¨¦s au tapis. Elle venait de voir leurs petits doigts argent¨¦s dans l¡¯obscurit¨¦. Une main squelettique qui sort du caoutchouc et l¡¯aguiche.
¡ª 2.
Rejoins-nous l¨¤ o¨´ le rouge r¨¨gne. Rejoins-nous et marchons vers cet enfer que tu n¡¯as jamais choisi¡ Au petit pas, s¡¯il te pla?t.
Entre les phalanges se dressaient des canules si grandes qu¡¯elles projetaient leurs ombres sur presque un m¨¨tre. Elle repensa ¨¤ Seth Karanth, puis sa pens¨¦e alla aux vampires. Les crochets l¡¯embrocheraient et lui pomperaient son sang jusqu¡¯¨¤ la derni¨¨re goutte. Elle mourait en tombant dessus. Mais le temps s¡¯¨¦coulait.
¡ª 1. Je vais tirer.
Suranis se pencha en avant, rendant le risque qu¡¯elle choit c?t¨¦ tapis trop important. L¡¯agent ne tirera pas, mais il se rapprocherait encore et encore jusqu¡¯¨¤ pouvoir l¡¯attraper par une jambe.
¡ª Vous ne devriez pas¡
Gagner du temps. Elle reprit son ¨¦quilibre sur le muret, sa situation ¨¦tait moins p¨¦rilleuse et l¡¯agent parut rassur¨¦.
¡ª Bien, maintenant vous allez descendre et¡
Il s¡¯arr¨ºta net. Sur le visage de la fuyarde se lisait l¡¯infinie folie. Le suicide qu¡¯il redoutait s¡¯instilla en lui avec une telle certitude qu¡¯il tira dans l¡¯espoir de la sauver. Oh, il aurait tant souhait¨¦ la sauver¡ Si seulement l¡¯aiguille foudroyante qui p¨¦n¨¦tra le haut de sa cuisse ne l¡¯avait pas fait chut¨¦ du mauvais c?t¨¦ et qu¡¯apr¨¨s ces interminables secondes il n¡¯entendit pas le dong caract¨¦ristique d¡¯un choc. Le temps qu¡¯il s¡¯approche du muret pour observer le tapis, le corps avait d¨¦j¨¤ disparu dans un tunnel technique. Gharn se l¡¯imaginera ¨¦clat¨¦ contre le tapis, ses tissus imbriqu¨¦s dans le caoutchouc¡ Il ne pourra gu¨¨re faire davantage, car on ne retrouvera jamais la fuyarde. Les charognards des profondeurs l¡¯avaient d¨¦vor¨¦, il ne pouvait exister d¡¯autre r¨¦ponse ¨¤ sa disparition.
Le m¨ºme soir, Amshar Gharn re?u son premier blame.
Chapitre 16
L¡¯alarme qui retentit dans la cellule de Jinn Pertem le r¨¦veilla en sursaut. La diode qui indiquait la p¨¦riode de temps peinait ¨¤ sortir de son rose matinal, le soleil ne se l¨¨verait de ce c?t¨¦ de la Cit¨¦ que d¡¯ici une bonne heure. Jinn s¡¯¨¦tait toujours lev¨¦ t?t, mais c¡¯est les yeux alourdis qu¡¯il se releva au premier clic de dame ¨¦lectrique. On venait d¡¯allumer les lumi¨¨res dans sa cellule et dans la brume irr¨¦elle du r¨¦veil, il d¨¦tourna le regard de l¡¯ampoule qui crachait ce blanc agressif.
¡ª Merde, ils ne connaissent donc pas le concept de douceur ?! grin?a-t-il.
Malgr¨¦ sa mauvaise humeur, une sourde excitation tiraillait Jinn. Il se passait quelque-chose. Jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent, il n¡¯avait pas re?u la visite du maton un peu mauvais, un peu triste et qui d¨¦gorge sa haine sur le corps des prisonniers. Cela pouvait ¨ºtre ce qui l¡¯attendait, mais tout autant autre chose. Il pensa alors qu¡¯il se trouvait dans le d¨¦shonneur de son unique cale?on et enfila sa chemise en hate. Il tenait ¨¤ affronter ce qui arrivait vers lui avec dignit¨¦ et s¡¯agenouilla, les fesses en l¡¯air et les bras tendus, devant la trappe de service qu¡¯il souleva. Un observateur ext¨¦rieur aurait d¨¦crit ce pauvre Jinn en position de pri¨¨re, en attente d¡¯un deus ex machina auquel il ne croyait pas. Le politicien d¨¦chu accueillait la vie et son tortionnaire ¨C qui venait ¨¤ lui aux aurores ? ¨C avec cynisme¡ Peut-¨ºtre m¨ºme envie. ?a restait une visite, amicale ou non, et son dernier contact humain remontait ¨¤ si longtemps qu¡¯il en oubliait presque l¡¯odeur rance de ses cong¨¦n¨¨res.
Au travers de la trappe, il vit que le couloir ¨¦tait plong¨¦ dans l¡¯obscurit¨¦ mais qu¡¯un rayon lumineux la dissipait. Ils ¨¦taient deux. Le porteur de la torche s¡¯approcha en premier de sa cellule. Il remarqua le pantalon ocre et il se retira de son poste pour s¡¯asseoir en tailleur avant que sa porte ne soit ouverte ¨¤ la vol¨¦e. Grand bien lui fasse car sa porte s¡¯ouvrait vers l¡¯int¨¦rieur, donc vers son crane d¨¦garni, comme toutes celles de son aile qui abritaient auparavant des bureaux et d¨¦sormais les sommit¨¦s incarc¨¦r¨¦es L¡¯administration p¨¦nitentiaire ne craignait pas qu¡¯un pleutre, endurci ¨¤ l¡¯usage d''une main d¡¯?uvre servile pour l''accomplissement de ses basses-besognes, se risque ¨¤ attaquer un de ses membres.
Jinn ne d¨¦rogea pas ¨¤ la r¨¨gle. Il se tenait loin de la porte et la bouche grande ouverte comme un poisson s¡¯asphyxiant hors de l¡¯eau :
¡ª Putain Jinn¡ Arr¨ºte de faire cette tronche, on dirait que tu vas nous clampser entre les pattes ! dit l¡¯un d¡¯entre eux en enlevant sa casquette grise estampill¨¦e du sigle de la compagnie Norddle.
¡ª Bordel de merde ! fut la seule r¨¦ponse de Jinn.
Le terme d¡¯abasourdi serait une litote ¨¤ propos de l¡¯¨¦tat de Jinn Pertem lorsqu¡¯il reconnut Olaf Ethers. Le syndiqu¨¦ avait fait la rencontre du politicien dix ans auparavant dans une usine de l¡¯¨¦tage K. ¨¤ l¡¯¨¦poque, c¡¯¨¦tait un ouvrier r¨¦volt¨¦ face ¨¤ l¡¯augmentation hebdomadaire de la dur¨¦e de travail. Avec des coll¨¨gues, ils avaient stopp¨¦ la production d¡¯oxyg¨¨ne de l¡¯¨¦tage jusqu¡¯¨¤ que son employeur leur accorde la victoire. K.O. asphyxiant. D¡¯apr¨¨s ce que Jinn en entendit par la suite, Olaf Ethers aurait fait quelques mois de prison en repr¨¦sailles, mais gu¨¨re plus tant l¡¯opinion publique ¨¦tait favorable ¨¤ une bonne lutte ouvri¨¨re de temps ¨¤ autre.
S¡¯il y avait une personne que Jinn ne pensait pas retrouver dans la prison la mieux gard¨¦e de toute la Cit¨¦, c¡¯¨¦tait bien ce bon vieux Olaf. Il consid¨¦ra son apparition avec circonspection, mirage ou r¨¦alit¨¦ ?
¡ª Qu¡¯est-ce que vous faites ici Ethers ? Vous avez chang¨¦ de profession ? demanda-t-il avec une pointe narquoise qui venait camouflait son incr¨¦dulit¨¦.
¨ºtre maton, c¡¯est ¨ºtre alli¨¦ des patrons, c¡¯est ¨ºtre un tra?tre ; la suite de ces mots ¨¦tant toujours ¨¤ prendre avec d¡¯¨¦normes pincettes, mais il n¡¯en demeurait pas moins qu¡¯un Ethers n¡¯¨¦tait pas ¨¤ sa place ici.
Olaf Ethers lui sourit.
¡ª J¡¯ai chang¨¦ de bord, r¨¦pondit ce dernier avec sarcasme. Oh, ne tire pas cette tronche ! Je fais comme si¡
¡ª Comment avez-vous pu entrer ici ?
Jinn avait toujours tenu en horreur ce tutoiement syndiqu¨¦. Il n¡¯y parvenait juste pas, pas faute de s¡¯y ¨ºtre essayer.
¡ª La porte m¡¯a ¨¦t¨¦ grande ouverte. J¡¯ai une intersyndicale au petit matin avec les gars de la t?le.
¡ª Oh ? Et vous avez trouv¨¦ une tenue ¨¤ votre taille pour une visite de courtoisie ?
¡ª Ouais, c¡¯est presque le projet. Je suis venu te faire sortir et par piti¨¦, tutoie-moi. ?a ne te va pas...
¡ª Et ils ne vous ont pas pos¨¦ de question quand vous vous ¨ºtes point¨¦ aux aurores ? encha?na Jinn en ignorant la demande d¡¯Ethers ce qui provoqua, chez ce dernier, une grimace.
¡ª Les trains sont ce qu¡¯ils sont. J¡¯arrivais t?t ou je n¡¯arrivais pas, ils n¡¯allaient pas me faire poireauter dehors.
¡ª Vous avez bien du pouvoir pour vous promener par ici¡ Et songer ¨¤ me faire sortir.
¡ª On est sur le coup¡
Il avait presque susurr¨¦ ce pronom. L¡¯histoire paraissait trop grosse et irr¨¦elle ¨¤ Jinn. Olaf Ethers rev¨ºtait toute l¡¯apparence du deus ex machina qu¡¯il n¡¯attendait pas et avait les bras sacr¨¦ment plus longs qu¡¯il ne le laissait para?tre. C¡¯¨¦tait louche et il ne se d¨¦mordait pas de ses suspicions.
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¡ª On ? C¡¯est qui ? D¨¦veloppez, voulez-vous ?
Un rictus conscrit sur le visage, Olaf ne lui r¨¦pondit pas mais se contenta de lui montrer son pantalon ¨¦tendu sur une chaise :
¡ª Habille-toi, tu d¨¦couvriras tout plus tard sauf si tu tiens tant ¨¤ croupir ici. D¨¦p¨ºche-toi Jinn-to au lieu de blablater !
Jinn-to, voil¨¤ une ¨¦ternit¨¦ qu¡¯on le l¡¯avait pas appel¨¦ ainsi et cela le fit douter davantage sur les motivations d¡¯Olaf Ethers. O¨´ avait-il appris ce surnom ? C¡¯¨¦tait ainsi qu¡¯on l¡¯appelait dans certains d?ners mondains pour sa tendance assum¨¦e ¨¤ encha?ner les cocktails du m¨ºme nom. Sauf que le syndiqu¨¦ ne l¡¯avait jamais vu l¨¤-bas.
Il s¡¯habilla en hate. Non pas car Olaf lui avait demand¨¦, mais parce que le second homme qui n¡¯avait pas encore parl¨¦ semblait inquiet. D¡¯ici dix minutes, le garde de nuit ensommeill¨¦ effectuerait sa derni¨¨re ronde avant de rentrer chez lui. Il se contenterait de passer dans les couloirs et mieux valait ne pas se trouver sur son chemin. Par ailleurs, ce type qui accompagnait le syndiqu¨¦, il le connaissait¡ Mais d¡¯o¨´ ? Un ancien ouvrier ? Ou bien quelqu¡¯un de plus terrible. Un mafieux ? Allez savoir, Jinn avait rencontr¨¦ tant de monde que cela ne l¡¯¨¦tonnerait pas et cela le troubla davantage encore qu¡¯il ne pouvait d¨¦j¨¤ l¡¯¨ºtre. Jinn peinait ¨¤ croire que l¡¯¨¦vasion propos¨¦e par Ethers soit innocente, tout ?a avait l¡¯air d¡¯une mauvaise repr¨¦sentation th¨¦atrale avec cette mise en sc¨¨ne fr?lant le surr¨¦alisme. Trois hommes dans une cellule, un qui fermait sa braguette sous les regards impatients des deux autres. Jinn craignait que la suite de la pi¨¨ce se d¨¦roule dans une autre ambiance, genre pi¨¨ce capitonn¨¦e derri¨¨re une porte blind¨¦e. Olaf Ethers appuierait alors sur le gros bouton rouge et Jinn se retrouverait largu¨¦ vers la plan¨¨te. En soit, le syndiqu¨¦ n¡¯aurait pas menti : Jinn Pertem aurait bien d¨¦guerpi.
¡ª Il faut qu¡¯on y aille Ol¡¯, souligna le second homme.
¡ª Tu as entendu Jinn-to ? Allons-y !
Le politicien, ¨¦vad¨¦ en puissance, suivit les deux hommes dans le couloir. Ils se rendirent jusqu¡¯¨¤ l¡¯ascenseur de service et Jinn poussa un soupir de soulagement. Non, ce n¡¯¨¦tait pas un sas. Sauv¨¦, mais il ne comprenait toujours pas les motivations d¡¯Ethers.
Ce dernier se pencha apr¨¨s avoir appuy¨¦ sur le bouton du dernier ¨¦tage. Il d¨¦crocha une trappe d''acc¨¨s en aluminium bross¨¦ qui renfermait une combinaison d¡¯un orange vif. Il tendit son tr¨¦sor ¨¤ Jinn :
¡ª Tu ne vas pas filer tout nu, dit-il. Je veux dire, tu ne vas pas en ville alors enfile-moi quelque chose de plus sympathique¡ D¨¦sol¨¦ pour la couleur, mais tu passeras inaper?u parmi les autres mineurs. Peut-¨ºtre m¨ºme que tu ne deviendras pas aveugle avant que ton carrosse arrive... Courage Cendrillon.
Deux des trois neurones actifs de Jinn ¨C le dernier ¨¦tant occup¨¦ ¨¤ traiter la question du meurtre de Pavla Karanth ¨C s¡¯occup¨¨rent activement de la question. Il ne deviendrait pas aveugle, mais fou certainement. Personne ne s¡¯¨¦tait jamais ¨¦vad¨¦ de Norddle et voil¨¤ qu¡¯un petit syndiqu¨¦ organisait tout avec ses myst¨¦rieux copains. Ethers en savait trop, mais il ne le menait pas ¨¤ la mort ce qui ¨¦tait un bon point :
¡ª Je n¡¯ai jamais aim¨¦ l¡¯orange, plaisanta maladroitement Jinn en enfilant la tenue hazmat.
¡ª C¡¯est ?a ou te faire irradier l¡¯ami. Tu vas juste trimer une petite heure, c¡¯est plus que la norme mais comme ce n¡¯est qu¡¯une seule fois ce n¡¯est pas tr¨¨s grave. L¡¯uranium n¡¯est pas encore enrichi, tu devrais survivre.
¡ª On n¡¯a pas d¨¦couvert un r¨¦acteur nucl¨¦aire naturel dans cet ast¨¦ro?de ? hasarda Jinn.
¡ª Pas ici et puis, c¡¯est recouvert de plomb l¨¤-bas. Ici ils se contentent de pelleter dans les containeurs, qu¡¯ils envoient ensuite vers les usines de traitement. C''est ce que tu vas faire en attendant le containeur 57. Il sera marqu¨¦ d¡¯une croix blanche, ce qui indiquera qu¡¯il est charg¨¦. Tu n¡¯auras qu¡¯¨¤ te glisser ¨¤ bord¡
¡ª Mais¡
¡ª Du vrac non radioactif, intervint le second homme. Rien ¨¤ craindre Monsieur Pertem.
¡ª Et apr¨¨s ? Je devrais faire quoi ? demanda Jinn. J¡¯ai une puce dans le ciboulot pour info, ils me pisteront. Puis, comment connaissez-vous si bien les locaux ? Dans quel secteur avez vous s¨¦journ¨¦ Ethers ? Haute s¨¦curit¨¦ ?
Olaf Ethers s¡¯appr¨ºtait ¨¤ faire une r¨¦ponse vaseuse, mais il fut stopp¨¦ par la voix amplifi¨¦e qui demanda ¨¤ ce que l¡¯¨¦quipe 632 se pr¨¦sente ¨¤ son poste de travail. Jinn en d¨¦duit qu¡¯il ferait bri¨¨vement partie de l¡¯¨¦quipe avant de rejoindre celle de ciao et ¨¤ jamais.
Lorsque le silence fut revenu, alors que l¡¯ascenseur approchait de sa ligne d¡¯arriv¨¦e, Ethers sortit une enveloppe :
¡ª Tu verras bien, dit-il ignorant lui-m¨ºme comment ceux des profondeurs parvenaient ¨¤ dispara?tre des radars de la Cit¨¦. Enfin, j''ai entendu une histoire de containeur blind¨¦, d''ondes qui ne passaient pas... Impossible ¨¤ d¨¦tecter sur la voie ! Mais tu t''en branles de tout ?a... La seule chose que tu dois faire c''est descendre en U-2478, station 3. C¡¯est indiqu¨¦ ¨¤ l¡¯entr¨¦e des stations, mais pas annonc¨¦ par haut-parleurs alors tu v¨¦rifieras bien l¡¯heure indiqu¨¦e sur la fiche de route pour pointer le nez dehors au bon moment. Puis, tu sortiras et on s¡¯occupera de toi.
¡ª Tout est marqu¨¦ ? demanda Jinn en jetant un ?il ¨¤ l¡¯int¨¦rieur de l¡¯enveloppe.
¡ª Oui Monseigneur et tu as m¨ºme une lampe extraplate pour lire tranquillement dans ton studio itin¨¦rant.
Jinn esp¨¦rait que son ? studio itin¨¦rant ? ne soit pas permanent. Si on le d¨¦couvrait en route vers la libert¨¦, qu¡¯adviendrait-il de lui ? ? Je ne comptais pas me tirer d¡¯ici, mais on me l¡¯a propos¨¦ et je n¡¯ai su refuser ? serait sa seule d¨¦fense et elle serait bien maigre. Les risques qu¡¯il prenait restaient mineurs compar¨¦s ¨¤ ceux pris par Olaf et sa bande.
¡ª Merci. Mais vous n¡¯allez pas me dire qui veut me voir dehors ? Vous ne faites pas seulement ?a pour ma belle poire, non ?
En guise de r¨¦ponse, les yeux d¡¯Olaf Ethers scintill¨¨rent de malice, criant au monde que quoi qu¡¯il dise cela serait faux et qu¡¯il se foutait qu¡¯on le croit ou non :
¡ª Bien s?r que non ! Nous sommes plusieurs ¨¤ conna?tre la v¨¦rit¨¦ ¨¤ ton sujet et parmi eux, j¡¯ai des amis. Arr¨ºte tes questions, tu d¨¦couvriras tout t?t ou tard¡ r¨¦pondit-il en jetant un ?il sur l¡¯¨¦cran de l¡¯ascenseur. Bien, ligne d¡¯arriv¨¦e en vue. Bon voyage Jinn-to, souque ferme mais pas trop.
Il ne souquerait pas pour ce qu¡¯il en savait. Il essaya d¡¯imaginer qui pouvaient ¨ºtre ces amis et quel ¨¦tait leur int¨¦r¨ºt ¨¤ faire ¨¦vader un homme dont la culpabilit¨¦ ne faisait pas l¡¯ombre d¡¯un doute.
La porte de l¡¯ascenseur s¡¯ouvrit sur un sas, en m¨ºme temps que son imagination le portait vers un cercle rouge A-typique, celui des commanditaires de son ¨¦vasion. Il n¡¯y pensa pas davantage, puis tout lui parut tr¨¨s clair alors qu¡¯il ajustait un masque blanc sur son visage. Il venait de s¡¯affubler d¡¯un nouveau surnom : Jinn-to ? Dynamite ? Pertem. C¡¯est ce ¨¤ quoi il devait ressembler v¨ºtu ainsi, tout devenait fou. Il finirait par exploser, si c¡¯¨¦tait l¨¤ ce que souhaitait les anars, il le ferait volontiers.
Chapitre 17
Jinn Pertem, dans un ¨¦tat proche de l¡¯endormissement, ne remarqua pas que la lumi¨¨re filtrait de nouveau par l¡¯encadrement des portes. Quand il s¡¯agissait de la vingti¨¨me fois que cela arrivait, ¨¤ quoi bon ? Il se trouvait sur des tapis expos¨¦s ¨¤ la grande rue, voil¨¤ tout, et son temps n¡¯¨¦tait pas encore arriv¨¦. Le chronom¨¨tre num¨¦rique, en suppl¨¦ment dans l¡¯enveloppe d¨¦j¨¤ bien garnie, indiquait T-10/57//28. Lorsqu¡¯il avait quitt¨¦ la prison, l¡¯appareil marquait un T-15/49//37, ce qui lui apprit qu¡¯il avait quitt¨¦ la prison depuis cinq heures et qu¡¯il lui restait onze heures de voyage jusqu¡¯¨¤ son terminus en U-2478.
Plusieurs fois, son containeur avait cess¨¦ de progresser pour ¨ºtre saisi par des pinces m¨¦caniques et r¨¦-aiguill¨¦. Jinn ne se souciait que de peu de ces changements. Il connaissait la ponctualit¨¦ m¨¦ticuleuse de la soci¨¦t¨¦ g¨¦rante des voies de transit. Il arriverait ¨¤ l¡¯heure, ¨¤ la seconde pr¨¨s. Pour ?a, au moins, elle gagnait un point, mais pour ce qui ¨¦tait du confort de son r¨¦seau¡ De toute ¨¦vidence, il n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ pens¨¦ pour accueillir des ¨ºtres humains. Jinn en ¨¦tait arriv¨¦ ¨¤ la conclusion que son moyen de transport faisait figure de parangon invers¨¦ en la mati¨¨re, avec ses angles saillants, m¨¦talliques et glac¨¦s qui coop¨¦raient ¨¤ son pire inconfort. Il se tenait recroquevill¨¦ derri¨¨re les derni¨¨res caisses dans un espace qui ne devait gu¨¨re exc¨¦der le m¨¨tre de profondeur. Malgr¨¦ cela, cet am¨¦nagement ne devait pas ¨ºtre une norme et ce luxe ne lui permettait certainement pas de trouver une position plus confortable.
Meurtri et terrifi¨¦, Jinn se tenait o¨´ il le pouvait. Apr¨¨s cinq heures d''¨¦vasion, l¡¯homme qui lui apportait son petit-d¨¦jeuner avait d¨¦couvert une cellule vide. Des agents rigoureux et de mauvais poil fouillaient syst¨¦matiquement le moindre containeur dans l¡¯espoir de le d¨¦couvrir car il s¡¯agissait-l¨¤ du seul moyen par lequel le prisonnier aurait pu s¡¯¨¦chapper. Un travail titanesque dans la mesure o¨´ dans l¡¯heure qui suivit sa fuite, on comptait d¨¦j¨¤ soixante-sept containeurs exp¨¦di¨¦s et l¡¯administration ignorait ¨¤ quel moment de la nuit Pertem s¡¯¨¦tait fait la malle. Heureusement pour lui on ne pouvait pas le d¨¦tecter aussi facilement que dans le reste de la Cit¨¦. Le r¨¦seau de transit des marchandises ne poss¨¦dait pas de capteur biom¨¦trique. ¨¤ sa connaissance, il s¡¯agissait m¨ºme de l¡¯unique endroit ¨¤ en ¨ºtre d¨¦pourvu. M¨ºme plus bas, l¨¤ o¨´ des boitiers dispos¨¦s ¨¤ la va-vite ¨¦mettaient quand ils le souhaitaient, on parvenait ¨¤ localiser un individu avec une pr¨¦cision de trois ¨¦tages toutes les deux heures. Ce qui n¡¯¨¦tait pas si mal compte tenu des moyens techniques mis ¨¤ disposition.
Par ailleurs, et Jinn avait du mal ¨¤ se faire ¨¤ cette id¨¦e, le pire ¨¦tait d¨¦j¨¤ pass¨¦. Son containeur avait ¨¦t¨¦ inspect¨¦ l¡¯heure pr¨¦c¨¦dente et son c?ur ne parvenait pas ¨¤ retrouver un rythme honn¨ºte. L¡¯homme en tenue civile ¨¦tait entr¨¦ avec une attitude de propri¨¦taire, avait soigneusement braqu¨¦ sa lampe-torche sur les caisses avant de se mettre ¨¤ les frapper une ¨¤ une pour v¨¦rifier qu¡¯aucune ne lui semblat vide (ou presque). Les chaussures cir¨¦es avaient criss¨¦ sur toute la surface du plancher pour s¡¯arr¨ºter ¨¤ trente centim¨¨tres de sa cachette. Jinn avait cess¨¦ de respirer, on appela l¡¯homme sur son talkie-walkie et il fit demi-tour.
En tout ¨¦tat de cause, le containeur ne serait pas fouill¨¦ derechef, mais cela n¡¯avait pas emp¨ºch¨¦ Jinn de plonger dans la parano?a. Il se retrouvait d¨¦sormais envelopp¨¦ dans une bache, assis sur son s¨¦ant, et il y crevait de chaud. Au moins, se r¨¦p¨¦tait-il inlassablement, si les gars me trouvent, ils penseront ¨¤ rien d¡¯autre qu¡¯un tas de merde et ne pousseront pas plus loin leur investigation. Pas le temps. De toute fa?on, qui se risquerait ¨¤ d¨¦ranger la momie ass¨¦ch¨¦e au fond du wagon ? Personne. Ma mal¨¦diction s¡¯abattrait sur lui.
En cet instant, il s¡¯imagina rester ¨¦ternellement sous sa bache pour n¡¯en ressortir que transform¨¦. Mais il se trompait sur ce point. Un choc ¨¦branla le containeur et il entendit distinctement le gros ? MERDE ? lanc¨¦ de bien plus haut. Il s¡¯extirpa aussit?t de la stupeur induite par son demi-sommeil, tenta de retrouver son souffle et y parvint. Il h¨¦sita ¨¤ sortir de sa tombe pour voir ce qui se tramait dans le cimeti¨¨re et se d¨¦cida de faire un compromis. Il s¡¯approcha de la porte du containeur, regardant par la minuscule fente laiss¨¦e entre les portes barr¨¦es pour ne voir que la lueur rouge diabolique des tunnels techniques.
Apr¨¨s une minute d¡¯observation apeur¨¦e, peut-¨ºtre deux voire trois, il entendit une nouvelle chute ¨C plus r¨¦duite et ma?tris¨¦e que la pr¨¦c¨¦dente ¨C suivie de pas. Il repensa ¨¤ ces mythes autour du Styx et du Passeur, se demanda si c¡¯¨¦tait lui qui l¡¯attendait sur sa barque puis se rassura en se disant que le passeur ne se foulait pas la cheville. Cela ferait de lui un mortel et de toute ¨¦vidence, les gens continuaient de se rendre dans les enfers connus sous le nom d¡¯hospice pour y mourir. Clairement, ce qui venait de lui tomber dessus ¨¦tait tout aussi vivant qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait lui-m¨ºme et en bien piteux ¨¦tat. Quoi que cela fusse, Jinn-to le Sobre (mais le resterait-il ?) aurait le dessus.
Il alluma sa mini-lampe, frissonnant devant les ombres si titanesques dans un espace si r¨¦duit. Il d¨¦ferlerait dans le tunnel, verrait ce qui se passe dehors puis rentrerait ¨¤ l¡¯abri. Il se d¨¦cida d¡¯ouvrir les portes d¡¯une bourrade et en eut l¡¯¨¦paule engourdie. La barre m¨¦tallique emp¨ºchant le containeur de s¡¯ouvrir avait ¨¦t¨¦ referm¨¦e avec trop de z¨¨le par l¡¯agent qui le visitait plus t?t. Cette derni¨¨re ¨¦tait branlante lors de son embarquement, mais d¨¦sormais elle se trouvait solidement ancr¨¦e. Un mince interstice, suffisant pour que son index s¡¯y glisse, demeurait et Jinn entreprit d¡¯y passer un doigt pour jouer sur la barre. Elle bougeait un peu par petits bonds de quelques millim¨¨tres ce qui, du bout des doigts, demandait un effort certain. Jinn suait, tachant de voir dans le sel de sa sueur ce qui se passait de l¡¯autre c?t¨¦ de la fente avec toujours, en fond sonore, le bruit de ces pas qui s¡¯¨¦loignaient dans une lenteur infinie. Bient?t, l¡¯¨ºtre tomb¨¦ du ciel serait trop loin et lui demeurerait enferm¨¦ dans son containeur jusqu¡¯au terminus et qu¡¯un docker s¡¯¨¦tonne de retrouver, apr¨¨s 3,5 tonnes d¡¯uranium et 400 kilogrammes de caillasses, le paquet final de 84 kilos de politicien d¨¦chu.
La panique commen?a ¨¤ monter alors qu¡¯il comprenait qu¡¯il n¡¯arriverait ¨¤ rien en s¡¯acharnant de la sorte. Il tenta un dernier coup, la barre rebondit dans le mauvais sens apr¨¨s un saut audacieux. Il ¨¦tait foutu. Son c?ur s¡¯emballa avant qu¡¯il ne se mette ¨¤ tambouriner la porte. Il n¡¯y eut aucune r¨¦ponse de l¡¯individu qui s¡¯¨¦loignait, aussi d¨¦cida-t-il de tenter une m¨¦thode diff¨¦rente en utilisant sa mini-lampe comme d¡¯un levier. Il se sentait l¡¯ame d¡¯un cambrioleur qui, au lieu de chercher ¨¤ rester discret, souhaitait se faire conna?tre du monde entier. Les r¨¦sultats s¡¯av¨¦r¨¨rent bien meilleurs, la barre se souleva, restant dans un ¨¦quilibre pr¨¦caire avant de retomber. En s¡¯acharnant, il y arriverait, s¡¯il n¡¯¨¦tait pas aid¨¦ avant car une voix f¨¦minine lui vint du couloir technique en entendant le son du m¨¦tal contre m¨¦tal :
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¡ª Qui est l¨¤ ?
Si la faiblesse pouvait ¨ºtre incarn¨¦e, elle l¡¯aurait ¨¦t¨¦ par cette voix. La distance n¡¯avait rien ¨¤ voir avec cette voix qui disparaissait. La femme bless¨¦e ne tarderait pas ¨¤ tomber et lui, Jinn Pertem, ¨¤ faire tomber cette maudite barre de fermeture :
¡ª Ouvrez-moi ! cria-t-il.
Il y eut un silence, suivi du bruit des pas qui recommen?aient. Ils ne venaient pas vers lui. Jinn rugit et r¨¦essaya de glisser sa lampe dans l¡¯ouverture. Le risque de ruiner d¨¦finitivement sa seule source de lumi¨¨re pour les heures ¨¤ venir ne lui effleura pas la conscience et, voyant que le loquet se relevait pour se remettre en ¨¦quilibre pr¨¦caire, donna un coup de pied aux portes qui s¡¯ouvrirent en grand. Dans son ¨¦lan, il manqua de chuter sur le tapis roulant. Il fut aussit?t ¨¦bahi par la fra?cheur du tunnel et le silence qui y r¨¦gnait. Ses yeux s¡¯habitu¨¨rent ¨¤ la p¨¦nombre alors qu¡¯il fixait le plafond o¨´ r¨¦gnaient les seules sources lumineuses. Des gaines aux couleurs vives pendaient mollement, certaines ¨¦taient d¨¦faites et la plupart coll¨¦es ¨¤ la va-vite. C¡¯¨¦taient l¨¤ les tentacules du monstre urbain qui hurlait que tout finirait avec lui et sa chute vers la plan¨¨te ¨C qui finirait par arriver.
Il s¡¯extirpa de ce spectacle pour pointer sa lampe sur l¡¯autre monstre, pr¨¨s du containeur suivant. Le sweat-shirt rapi¨¦c¨¦ qu¡¯il portait, semblable ¨¤ un haillon, lui paru d¡¯abord rouge, mais il ¨¦tait gris et ensanglant¨¦, ruin¨¦ par la chute. Une jeune femme se terrait derri¨¨re, pale. Elle se tenait le bras gauche, ne parvenant pas ¨¤ cacher un fort relief, l¨¤ o¨´ l¡¯hum¨¦rus s¡¯embo?tait dans le duo ulna-radius. L¡¯usage de ce bras serait d¨¦licat pendant un bout de temps, s¡¯il venait ¨¤ ¨ºtre rafistol¨¦. Bien que gri¨¨vement bless¨¦e, ses yeux irradiaient de peur et elle se lan?a vers Jinn. Il la re?ut de plein fouet, ne cherchant m¨ºme pas ¨¤ l¡¯esquiver, et la bloqua de son coude. Elle ne broncha pas alors qu¡¯elle tombait ¨¤ la renverse, son plan visant ¨¤ le bousculer pour fuir tomb¨¦ ¨¤ l¡¯eau :
¡ª Bordel fillette, faites gaffe ! gronda Jinn, oubliant que c¡¯¨¦tait lui le fugitif.
Eux, rectifia-t-il pour lui-m¨ºme, personne ne pouvait se jeter de si haut sans raison ou alors avait-elle manqu¨¦ son suicide. La ? fillette ? qui ne devait l¡¯¨ºtre que pour lui, leva les yeux :
¡ª Jinn Pertem, bafouilla-t-elle. Jinn Pertem, r¨¦p¨¦ta-t-elle en crachant un fragment d¡¯incisive.
¡ª Oui, peut-¨ºtre.
¡ª Je me suis cogn¨¦e si fort ? Je¡ Vais mourir ?
¡ª Pour le peu que je peux en dire, je ne pense pas que vous soyez sur le point de mourir. Vous ¨ºtes encore bien consciente, mais votre bras est en bien piteux ¨¦tat¡ Venez que je vous fasse un bandage avant que vous ne me claquiez entre les bras.
Suranis Rh¨¦on, la ? fillette ? tomb¨¦e du ciel, le regarda avec m¨¦fiance, mais sa m¨¦fiance c¨¦da face ¨¤ sa jambe gauche qui ¨¦tait elle aussi bousill¨¦e. Ses membres d¨¦faillaient les uns apr¨¨s les autres. Elle avait le bras d¨¦truit, la jambe bien ab?m¨¦e et certainement deux ou trois c?tes cass¨¦es. L¡¯adr¨¦naline d¨¦croissant, elle sentit la douleur la clouer au sol en lui laissant tout juste le loisir de repenser ¨¤ sa chute : si elle avait ¨¦t¨¦ consciente, elle n¡¯aurait pas eu tout cela, elle se serait mieux r¨¦ceptionn¨¦e et aurait juste ? un peu mal ?.
Jinn s¡¯approcha d¡¯elle et se mit ¨¤ genoux en arrachant l¡¯une de ses propres manches pour lui bander ses principales plaies. Il esp¨¦rait qu¡¯elle ne mourait pas d¡¯h¨¦morragie avant qu¡¯ils ne soient arriv¨¦s ¨¤ destination. Si elle allait jusqu¡¯¨¤ l¨¤. Pour l¡¯instant, Jinn pensait plut?t ¨¤ l¡¯abandonner dans le premier entrep?t venu, ¨¤ la vue des ouvriers qui penseront qu¡¯elle est tomb¨¦e sur le tapis et s¡¯est ¨¦croul¨¦e ici :
¡ª Quel est votre nom ? demanda-t-il avec une infinie douceur tout en lui serrant la bande de tissu autour du bras.
¡ª Suranis¡ Suranis Rh¨¦on. Vous ¨ºtes sorti¡ Comment ? Je¡ Suis contente. Il existe une justice.
¡ª Quelle justice ?
¡ª Je sais tout, j¡¯ai enqu¨ºt¨¦ sur Pavla Karanth... Je¡ On me suit, mais je leur ai ¨¦chapp¨¦.
¡ª Nous sommes donc deux, r¨¦pondit Jinn en se mordant les l¨¨vres.
Pavla Karanth, elle connaissait donc le v¨¦ritable nom de la victime ? Elle ¨¦tait de plus ? contente ? qu¡¯un criminel comme lui se soit ¨¦chapp¨¦. Jinn lui aurait bien demand¨¦ ce qu¡¯elle avait pu d¨¦couvrir, qui elle ¨¦tait vraiment au juste, mais elle venait de fermer les yeux. Pas morte, remarqua-t-il, juste ¨¦vanouie. Profite donc du meilleur antidouleur qui soit.
Il la tra?na vers le containeur et se repassa sa derni¨¨re phrase. ? Je sais tout ?. Elle pouvait peut-¨ºtre l¡¯aider ¨¤ s¡¯innocenter ? Il ne l¡¯abandonnerait pas ¨¤ la premi¨¨re gare de triage, risquat-elle de mourir lors du voyage. Ce n¡¯¨¦tait pas possible, il la tra?nerait avec lui et supplierait ses contacts de l¡¯embarquer. La jeune femme ¨¦tait la v¨¦ritable lumi¨¨re dans l¡¯obscurit¨¦ et cela aurait son importance dans l¡¯avenir de Jinn.
Une nouvelle fois tu projettes d¡¯utiliser une ame innocente pour arriver ¨¤ tes fins. Tu es peut-¨ºtre bien l¡¯ordure qu¡¯ils pensent tous que tu es Jinn-to, se dit-il en refermant derri¨¨re lui les portes du containeur et remarquant la marque jaune faite par l¡¯agent : ? Contr?l¨¦ ?.
Chapitre 18
T+0/02//26. Le retard minime, bien que non n¨¦gligeable, n¡¯avait pas emp¨ºch¨¦ le containeur d¡¯arriver en U-2478. Une erreur d¡¯aiguillage avait ralenti le syst¨¨me et de toute ¨¦vidence, le containeur de Jinn Pertem passerait 2 minutes 26 de moins sur les quais que ce qui ¨¦tait pr¨¦vu. Cela ne ferait rien, Jinn avait encore largement le temps de s¡¯extirper de sa cachette en supportant le dr?le d¡¯oiseau qui lui ¨¦tait tomb¨¦ dessus. Il ne savait pas encore si ses sauveurs s¡¯emb¨ºteraient d¡¯un tel poids mort, mais il allait tenter le coup et, dans le pire des cas, il l¡¯abandonnerait dans une rue passante. L¡¯¨¦tat inqui¨¦tant de la jeune femme ne l¡¯¨¦tait plus, elle vivrait encore assez pour qu¡¯on s¡¯occupe de d¨¦finitivement la stabiliser dans le monde des vivants et au diable la curiosit¨¦ insatiable de Jinn. Pour ce qu¡¯il en pensait, il pouvait tr¨¨s bien s¡¯agir d¡¯une de ces hyst¨¦riques croyant dur comme fer que Jinn Pertem ¨¦tait le Messie, qu¡¯il ne pouvait qu¡¯¨ºtre innocent et qu¡¯il n¡¯avait pas besoin du moindre justificatif en la mati¨¨re. La Foi a r¨¦ponse ¨¤ tout et la Foi ¨¦tait la piste la plus probable aux yeux de Jinn¡ Il en oubliait d¨¦j¨¤ Pavla Karanth, doutant de n''avoir jamais entendu son nom.
Un autre myst¨¨re autre que celui de Suranis Rh¨¦on subsistait. Celui de ceux qui le sauverait. ¨¦taient-ils du m¨ºme acabit que ses fid¨¨les embarqu¨¦s sur le vaisseau de l¡¯Espoir ? Ses d¨¦vou¨¦s fid¨¨les qui n¡¯avaient jamais cess¨¦ de croire que Jinn Pertem ne fut autre chose qu¡¯une marionnette agit¨¦e face ¨¤ la foule en col¨¨re ? Une sorte de bouc ¨¦missaire qui r¨¦soudrait bien des tensions en s¨¦journant en prison, m¨ºme si son s¨¦jour venait ¨¤ ¨ºtre s¨¦rieusement ¨¦court¨¦ ?
Quoiqu¡¯il en soit, Jinn n¡¯¨¦tait plus de la partie car apr¨¨s lui viendrait un autre ¨¤ la chaire du d¨¦mago bienveillant. Jinn pensa ¨¤ celui qui avait d? le remplacer dans ce r?le : un ? vrai ami du peuple ? aux cheveux grisonnant et dans la petite trentaine, qui serait devenu le nouveau timonier de l¡¯Espoir, un bien plus docile et aseptis¨¦. Combien de temps durerait encore la supercherie visant ¨¤ le remplacer par un laquais du Conseil ? Peut-¨ºtre assez pour que tout le monde d¨¦barque au port de Mauvaise Esp¨¦rance et que personne ne se rende compte qu¡¯il pi¨¦tine dans le garum. Et apr¨¨s cela ? Quand ils auront atteint leur destination finale, celle de la paix sociale, restera-t-il seulement quelqu¡¯un sur le navire ? Croira-t-on encore dans le vieux capitaine exil¨¦ Jinn-to ? Qui croyait encore en lui d¨¦j¨¤ apr¨¨s tout ? Des marins perdus en qu¨ºte de justice sociale. Les m¨ºmes qui certainement, souriaient ¨¤ pleines dents devant ce connard ¨¤ cravate finalement chati¨¦ ? La chose ¨¦tait moins que probable, moins que peu probable, proche du n¨¦ant. Plus grande ¨¦tait la probabilit¨¦ que les sauveteurs du vieux capitaine proviennent de Libertalia et lui ¨¦taient plus apathiques que sympathiques. Le capitaine n¡¯aimait pas cette id¨¦e, car ces pirates-l¨¤ se passaient des d¨¦voy¨¦s et ne voudrait de lui que ce qu¡¯il ¨¦tait devenu : un pantin bris¨¦ et ¨¤ reconditionner.
Ce fut donc sans grande surprise que Jinn, accompagn¨¦ d¡¯une Suranis, qui parvenait ¨¤ peine ¨¤ se d¨¦placer appuy¨¦e sur son ¨¦paule et qui n¡¯avait pas d¨¦croch¨¦ un seul mot depuis qu''elle eut recouvr¨¦ conscience, d¨¦couvrit ¨¤ la sortie de la gare de triage - ¨¤ une heure o¨´ personne ne furetait sinon les insomniaques - un homme et une femme emmitoufl¨¦s jusqu¡¯au nez dans des parkas aussi noires que la nuit. Ils balayaient m¨¦thodiquement la zone sans enlever leurs mains de leur holster d¡¯¨¦paule. Lorsque l¡¯un surveillait le flanc droit, l¡¯autre surveillait le flanc gauche. De toute ¨¦vidence ils avaient une formation qu¡¯on ne pouvait retrouver que dans trois milieux : les FPCP, mais aucun d¡¯eux n¡¯avaient l¡¯air militaire d¡¯un flic en civil ; ou bien un des r¨¦seaux criminels impliqu¨¦s dans les trafics humains ou, r¨¦ponse la plus vraisemblable, une mouvance de r¨¦sistance au Conseil des Pilotes. Apr¨¨s tout, Jinn trouverait la blague particuli¨¨rement mauvaise si tout avait ¨¦t¨¦ organis¨¦ par les FPCP - pour, disons, l¡¯abattre dans le feu de l¡¯action - et les r¨¦seaux criminels ne se seraient jamais donn¨¦s la peine de le faire s¡¯¨¦vader. Alors il ne restait plus que la troisi¨¨me voie, celle qu¡¯il avait d¨¦j¨¤ envisag¨¦ : des anars.
Bravo Jinn, mais o¨´ avais-tu foutu ton extraordinaire sens de d¨¦duction lorsque tu te faisais entub¨¦ ? Abruti.
La femme se d¨¦tacha du duo et vint ¨¤ leur rencontre. Elle avait la peau lisse, si lisse¡ Comme si on lui avait fondu de la cire dessus ce qui ¨¦tait plus ou moins le cas. Elle portait un masque r¨¦aliste qui modifiait suffisamment son apparence pour berner totalement les cam¨¦ras de surveillance. Le visage ayant ¨¦t¨¦ improvis¨¦, il n¡¯y aurait aucun renvoi dans la base de donn¨¦es ou alors quelques 70% de similitude qui, apr¨¨s v¨¦rification par un agent, conduirait ¨¤ la notification : non identifi¨¦.
Lorsqu¡¯elle parla, ce fut avec une voix l¨¦g¨¨rement rocailleuse r¨¦sultante de ses deux paquets de clopes journalier. Jinn en resta bouche-b¨¦e avant qu¡¯une once de honte ne vienne pointer son nez et ne le fasse rougir. Lui, le beau parleur habitu¨¦ ¨¤ s¡¯entourer de midinettes n¡¯avait jamais song¨¦ autrement ¨¤ une femme sinon sous l¡¯angle de la douceur. Il se bernait, elles n¡¯¨¦taient pas douces, elles n¡¯¨¦taient pas tendres, elles n¡¯¨¦taient qu¡¯humains affubl¨¦s de poitrine et d¨¦munis de p¨¦nis. Elles n¡¯avaient pas besoin de cet attirail pour ¨ºtre tendues, ¨¤ cran, pr¨ºtes ¨¤ le liquider s¡¯il le fallait pour le bien de la cause. Dire que lui, Jinn Pertem, pensait na?vement ¨ºtre ¨¤ la pointe des questions f¨¦ministes et voil¨¤ qu¡¯une voix sortant de l¡¯ordinaire le mettait dos au mur. Tout ce en quoi il croyait, ce qu¡¯il pensait d¨¦fendre, n¡¯¨¦tait qu¡¯un mensonge : il ¨¦tait l¡¯ennemi d¨¦rang¨¦ par cette voix en dehors des standards citoyens.
¡ª Tiens, tiens¡ Jinn Pertem, le gars qu¡¯on nous a demand¨¦ de r¨¦cup¨¦rer. Mais il n¡¯est pas seul ? Si on m¡¯avait dit qu¡¯il y aurait deux paquets dans le m¨ºme colis, je ne me serais pas lev¨¦e ce matin, attaqua-t-elle.
Jinn entrouvrit la bouche pour se d¨¦fendre dans une attitude offens¨¦e, du moins aurait-il voulu le para?tre, mais seule sa surprise se d¨¦voila :
¡ª Quoi ? Qu¡¯est-ce que tu as ¨¤ me regarder bouche b¨¦e ? Tu n¡¯as jamais vu de nana ?
¡ª Je¡ Qui ¨ºtes-vous ?
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La femme ¨¦clata d¡¯un rire moqueur :
¡ª Et bien, tu crois que je vais te sortir mon ID comme ?a ? Appelle-moi simplement Nesta, c¡¯est bien assez, r¨¦pondit-elle. Et lui c¡¯est Zed.
Ce dernier ¨¦tant rest¨¦ en retrait, il se contenta de hocher la t¨ºte. Jinn lui rendit sa vague salutation.
¡ª Nesta et Zed alors, dit-il.
¡ª Excellent, maintenant que les pr¨¦sentations sont faites, je vais ¨ºtre claire avant que tu nous suives. Il n¡¯y a pas de hi¨¦rarchie o¨´ tu vas, ce que tu repr¨¦sentes ¨¤ la Surface ne veut rien dire pour nous. Tu es un gros poisson, je sais, mais tu n¡¯es plus dans l¡¯eau alors tu vas te montrer humble l¡¯ami¡ On a des copains ¨¤ te pr¨¦senter, des choses ¨¤ t¡¯apprendre, mais va falloir oublier qui tu ¨¦tais, capisce ? Apprendre ¨¤ voler.
Son compagnon les rejoint d¡¯un pas nonchalant assum¨¦. Bien que poss¨¦dant le double de son age, il ne menait pas les op¨¦rations. Personne ne les menait d¡¯apr¨¨s ce qu¡¯en comprit Jinn. Hormis une attitude militaire, ils n¡¯avaient gu¨¨re d¡¯organisation en conclut-il :
¡ª Faudrait qu¡¯on se bouge Nest¡¯, lan?a-t-il. Notre nouveau pote est habill¨¦ comme un canari, on va nous sauter dessus ! Et puis, d¡¯abord c¡¯est qui elle ?
¡ª Bonne question, admit Nesta en d¨¦signant la femme meurtrie d¡¯un signe de t¨ºte. Je ne sais pas quoi en faire¡ Tu es qui au juste ? Il y a une infirmerie dans le secteur si jamais.
Elle, c¡¯¨¦tait Suranis Rh¨¦on, fra?chement r¨¦veill¨¦e et qui venait de passer des heures sans s¡¯¨¦vanouir : un exploit. Ses bajoues tombaient sous l¡¯effet de la fatigue, des cernes immenses envahissaient ses orbites lui donnant plus que jamais l¡¯allure d¡¯un squelette ambulant. Et elle souffrait terriblement.
¡ª Je m¡¯appelle Suranis¡ dit-elle.
¡ª Ah, dit Nesta avant de se retourner vers son compagnon. Comme cette Rh¨¦on.
Suranis lui lan?a un regard sans ¨¦quivoque. Elle approuva, aussi surprise qu¡¯ils ne l¡¯¨¦taient eux-m¨ºmes. Les deux ennemis de la Cit¨¦ se regard¨¨rent interloqu¨¦s, h¨¦sitant ¨¤ r¨¦agir comme s¡¯il s¡¯agissait de la meilleure blague du monde ou d¡¯accepter que le personnage face ¨¤ eux soit le bon. Ils opt¨¨rent pour la premi¨¨re proposition :
¡ª Putain, et moi je suis cette foutue reine ! se moqua Nesta en pensant aux porte-bonheurs que tout le monde se trimbalaient, les papiers avec un visage couronn¨¦ imprim¨¦ dessus.
¡ª Je suis bien Suranis Rh¨¦on, insista-t-elle en en doutant elle-m¨ºme.
¡ª On verra ?a, dans le doute tu nous accompagnes. T¡¯en penses quoi Zed ?
¡ª De toute fa?on elle nous a vu et elle conna?t ton petit surnom¡ Tu veux qu¡¯on fasse quoi d¡¯autre ?
¡ª Vous la connaissez ? intervint Jinn.
¡ª T¡¯occupes Pertem.
Jinn laissa de c?t¨¦ ce point qui l¡¯int¨¦ressait tant et s¡¯attacha ¨¤ faire remarquer un autre d¨¦tail crucial :
¡ª Bon. Mais je peux vous demander en quoi cela est si important de ne pas ¨ºtre vus ? Ils ont des cam¨¦ras partout et nous ne sommes pas grim¨¦s comme vous l¡¯¨ºtes.
¡ª Elles sont explos¨¦es, il y a de la neige sur canal.gov aujourd¡¯hui, fit Zed en montrant le pistolet ¨¤ plomb dans son holster. Mais ils finiront par envoyer un tech.
Effectivement, maintenant qu¡¯il le disait on pouvait discerner les ¨¦clats brillants qui formaient comme un chemin de diamants jusqu¡¯aux cam¨¦ras bris¨¦es. Bien que Jinn ne vu rien, Suranis s¡¯empressa de reconstituer leur cheminement. Ils avaient saut¨¦ par-dessus un muret, la poubelle renvers¨¦e le t¨¦moignait, puis flingu¨¦ toutes les cam¨¦ras qu¡¯ils croisaient. C¡¯¨¦tait un jeu courant chez les petites frappes, mais elle doutait qu¡¯ils se contentent d¡¯envoyer un technicien pour v¨¦rifier pourquoi cinq cam¨¦ras ne fonctionnaient plus dans la gare de triage d¡¯U-2478.
Non, une cohorte marcherait bient?t sur les quais.
¡ª Ils te cherchent Jinn, encha?na Nesta. S¡¯ils te voient, ils rappliqueront aussit?t. Mais, bon, ils ne vont pas tarder. C¡¯est juste le temps qu¡¯ils outrepassent nos brouilleurs pour localiser ta puce.
¡ª Alors hatons-nous. Vous allez pouvoir tenir le coup Suranis ? demanda Jinn.
¡ª Je vous aide, intervint Nesta.
¨¤ eux deux ils soulev¨¨rent Suranis. Elle marchait encore, mais tout juste et parvint ¨¤ lacher un ? merci ? dans la foul¨¦e. Ses pieds ne touchaient pas vraiment le sol et une douleur terrible irradiait de son bras gauche. Ils sortirent par l¡¯entr¨¦e conventionnelle sur un chemin d¨¦sert qui s¡¯illumina pour les accueillir. Une propret¨¦ chirurgicale y r¨¦gnait avec ses dalles grises organis¨¦es avec rigueur et qui s¡¯¨¦loignaient dans les deux directions. Le chemin traversait le secteur sur une infime portion, rejoignant la grande rue d¡¯un c?t¨¦ et de l¡¯autre un couloir, pas tr¨¨s large et muni de rails qui desservait les arri¨¨re-boutiques avec son chariot automatis¨¦. Ils s¡¯y dirig¨¨rent pour arriver sur une cage d¡¯escalier laiss¨¦e entrouverte. Elle rompait avec l¡¯antisepsie ambiante, tout n¡¯y ¨¦tait que rouille et t¨¦tanos.
¡ª Je ne vais pas pouvoir.
¡ª On va essayer, dirent-ils ¨¤ l¡¯unisson.
Ils y parvinrent en pressant le pas. La porte se referma derri¨¨re eux et la pestilence d¡¯un lieu gu¨¨re fr¨¦quent¨¦ leur monta aux narines. D¨¨s la premi¨¨re marche, les jambes de Suranis lach¨¨rent d¨¦finitivement. Jinn pesta int¨¦rieurement, redoutant de ne pouvoir descendre plus d¡¯un ¨¦tage avec ce fardeau sur les ¨¦paules. Il se trompa sur ses capacit¨¦s d¡¯au moins deux ¨¦tages car au troisi¨¨me ils d¨¦couvrirent un ascenseur branlant.
Le caisson d¡¯acier les mena ¨¤ un autre, ce n¡¯¨¦tait qu¡¯un simple avant-go?t de ce qui les attendait plus bas. Le cercueil blanc.
Chapitre 19
Les portes grinc¨¨rent en coulissant sur un ¨¦ni¨¨me centre de d¨¦tention. Ils ¨¦taient descendus assez bas pour que le vacarme des moteurs de propulsion r¨¦sonne dans tout le secteur. Gu¨¨re habitu¨¦s, ils sentirent leurs dents vibrer alors que les portes se refermaient d¨¦finitivement dans leur dos.
Aucunes des structures habituelles ne se d¨¦voil¨¨rent au regard des nouveaux venus. Tout paraissait irr¨¦el, presque f¨¦¨¦rique. Tr¨¨s certainement avaient ils atterri dans un ancien entrep?t comme en t¨¦moignaient les rang¨¦es d¡¯¨¦tag¨¨res g¨¦antes, align¨¦es avec une r¨¦gularit¨¦ navrante. Des cabanes improvis¨¦es envahissaient chaque ¨¦tage, des ¨¦chelles en cha?nes comme des lianes, des escaliers en agglom¨¦r¨¦s qui peinaient ¨¤ tenir fich¨¦s dans l¡¯acier¡ Tout cela donnait l¡¯impression que la jungle rebelle ¨¦tait en travaux perp¨¦tuels.
Des myriades d¡¯ampoules halog¨¨nes, aussi exub¨¦rantes que voraces, cascadaient entre les entit¨¦s bigarr¨¦es et s¡¯illuminaient au passage du groupe. Rapidement, ils sentirent le regard de centaines d¡¯yeux braqu¨¦s sur eux. Vu d¡¯en haut, ils semblaient si petits que l¡¯on pouvait se demandait comme ces primates avaient pu tomber de l¡¯arbre qu¡¯ils partageaient. Aucune r¨¦ponse ¨¦vidente ne vint, mais une paire de mains commen?a ¨¤ applaudir suivie par d¡¯autres, bien plus timides. Bien qu¡¯ignorants tout des nouveaux venus, il n¡¯en demeurait que le pool g¨¦n¨¦tique de la zone se restreignait g¨¦n¨¦ration apr¨¨s g¨¦n¨¦ration. La jungle anarchiste d¨¦p¨¦rissait depuis son dernier coup d¡¯¨¦clat, un quart de si¨¨cle auparavant, et il ¨¦tait devenu rare qu¡¯un sang neuf ne vienne alimenter ce microcosme humain. Plus rare encore que ce sang suffise v¨¦ritablement ¨¤ renouveler la fougue mollassonne qui animait les marginaux r¨¦unis ici.
¡ª J¡¯imaginais un accueil plus grandiose, ironisa Jinn.
¡ª Parle pour toi, lui r¨¦pondit Nesta. On est tous crev¨¦s. Bien s?r, ils savent qui tu es, mais ils s¡¯en foutent royalement. Certains pensent que tu es vraiment un connard.
¡ª Ils auraient raison, admit-il.
¡ª Nous verrons ?a.
Jinn approuva. Les t¨ºtes sorties par les fen¨ºtres rentr¨¨rent et les personnes qui se promenaient en bas des ¨¦tag¨¨res ne les salu¨¨rent qu''avec une hate non dissimul¨¦e. ¨¤ quoi bon sortir de sa cabane quand l¡¯ext¨¦rieur ¨¦tait aussi l¡¯int¨¦rieur ?
Ils s¡¯approch¨¨rent d¡¯une ¨¦tag¨¨re diff¨¦rente des autres. Des plaques de t?les soud¨¦es en faisait un batiment ¨¤ part enti¨¨re qui s¡¯illuminait d¡¯une inscription au n¨¦on souple : ? Tous Grands Pilotes ?. Il n¡¯y avait que trois portes ¨¤ sa base et qu¡¯une seule couleur pour la fa?ade : grise. Cela changeait du reste de l¡¯entrep?t et des individualit¨¦s affich¨¦es sur les cabanes v¨¦tustes, mais indiquait sans contexte le caract¨¨re communautaire du batiment.
¡ª C¡¯est l¨¤ qu¡¯on se r¨¦unit toutes les quinzaines pour discuter de la communaut¨¦. Il y a un grand amphith¨¦atre ¨¤ l¡¯¨¦tage et y on vote ¨¤ main lev¨¦e, pr¨¦senta Zed. Vous verrez plus tard ce qu¡¯il en est, mais pas aujourd¡¯hui.
¡ª Tu ne donnerais d¨¦j¨¤ pas trop d¡¯infos ? le reprit Nesta. Allez, en route vers l¡¯infirmerie si vous le voulez bien.
L¡¯infirmerie. Zed gloussa ¨¤ cette id¨¦e. De toute mani¨¨re ils ne monteraient pas ¨¤ l¡¯¨¦tage car l¡¯¨¦quivalent de la douane frontali¨¨re se trouvait aussi dans ce batiment, dans la m¨ºme pi¨¨ce que l¡¯infirmerie ¨¤ vrai dire, et c¡¯est l¨¤-bas qu¡¯ils se rendaient. Suranis et Jinn s¡¯appr¨ºtaient ¨¤ subir l¡¯Analyse, ce passeport d¡¯entr¨¦e sur le territoire. Elle r¨¦pondait aux besoins pragmatiques de discr¨¦tion et de confiance. Beaucoup de ceux qui la connaissait la redoutait, mais Suranis et Jinn avaient encore le privil¨¨ge de l¡¯ignorance.
Ils se dirig¨¨rent vers l¡¯une des portes, la plus ¨¦loign¨¦e. Son encadrement ¨¦tait rouge et l¡¯aspect ext¨¦rieur diff¨¦rait du reste de la structure. La pi¨¨ce cach¨¦e derri¨¨re les murs puait le module pr¨¦fabriqu¨¦. Nesta, Jinn et Suranis entr¨¨rent en premier. Zed ferma la marche. La pi¨¨ce les accueillit difficilement, bien qu¡¯ils ne parvenaient pas ¨¤ discerner sa fin v¨¦ritable. Tout n¡¯y ¨¦tait que carrelages d¡¯un blanc si pur que les lumi¨¨res, tout aussi blanches, en ¨¦clataient les angles. La seule id¨¦e de sa taille ¨¦tait produite par les ombres des arrivants qui s¡¯¨¦talaient, pouss¨¦e par l¡¯¨¦clairage ext¨¦rieur.
¡ª ?a va ¨ºtre rapide, les rassura Zed en tapant dans la main tendue de l¡¯infirmier qui attendait-l¨¤. Regardez-moi ces beaut¨¦s.
Il d¨¦signa du regard les seuls mobiliers de la pi¨¨ce. Sur un r¨¦ceptacle d¡¯un noir de basalte tr?naient ce qui ressemblait ¨¤ des caissons hyperbares. Ils ¨¦taient au nombre de deux, peints en rouge sous lequel un gris clair per?ait, celui de la carcasse.
¡ª C¡¯est des caissons hyperbares ? demanda Jinn.
¡ª Non, r¨¦pondit l¡¯infirmier avec un grand sourire.
Suranis n¡¯avait pas jug¨¦ bon de poser la question. Elle connaissait l¡¯existence des caissons hyperbares car il s¡¯agissait d¡¯une blague r¨¦currente ¨¤ propos des Anciens. La plan¨¨te ¨¦tant d¨¦finitivement hors de contact, il ¨¦tait risible d¡¯avoir voulu, ¨¤ une ¨¦poque, en explorer les oc¨¦ans.
¡ª Pertem, regardez-mieux, l¡¯invita Suranis.
Une pieuvre ¨¦lectronique sortait et enla?ait les caissons. Elle rejoignait, de ses tentacules, le monolithe de la modernit¨¦ dont les diodes s¡¯illuminaient selon un sch¨¦ma qui ne saurait ¨ºtre compr¨¦hensible que par les dieux eux-m¨ºmes. Un ordinateur que l¡¯infirmier rejoignit et sur lequel il frappa des lignes de commande. Depuis bien longtemps on ne proc¨¦dait plus ainsi. De toute ¨¦vidence, les caissons, peu importe leur utilit¨¦, ¨¦taient vieux et ils s¡¯ouvrirent sans bruit pour d¨¦voiler des lits en aluminium bross¨¦ sillonn¨¦s de rigoles et de sangles.
Des foutus sangles en plastique, ces machines sont con?ues pour accueillir des humains. Conscients, se dit Suranis en d¨¦glutissant.
¡ª Qu¡¯est-ce que¡ ?! s¡¯exclama Jinn.
¡ª Il faut bien soigner la Suranis et faire sauter les puces, non ? r¨¦pondit Nesta. Tu ouvres la marche Jinn ? Ne me dis pas que l¡¯id¨¦e te d¨¦pla?t d¡¯¨ºtre en t¨ºte de convoi.
Cela lui d¨¦plaisait horriblement. Il savait qu¡¯il devait se d¨¦barrasser de sa puce d¡¯identification qui ¨¦mettait inlassablement, mais cela c¡¯¨¦tait trop pour lui. Il jeta un regard livide vers le masque de cire que Nesta n¡¯avait toujours pas pris la peine d¡¯arracher. Qu¡¯est-ce que cela aurait chang¨¦ ? Elle ¨¦tait d¨¦j¨¤ sans identit¨¦. C¡¯¨¦tait ?a le prix ¨¤ payer pour la libert¨¦, la perte de ce qui d¨¦finissait Jinn comme Citoyen, un nombre parmi d¡¯autres¡ Parmi d¡¯autres.
Il s¡¯appr¨ºtait ¨¤ mourir, socialement parlant. Il serait comme un chien d¨¦barrass¨¦ de sa puce, sans son identit¨¦ de deux nanom¨¨tres de c?t¨¦.
¡ª Nos puces ? marmonna-t-il en se tatant machinalement la nuque. C¡¯est¡ Essentiel.
¡ª Essentiel pour pr¨¦server tes droits citoyens ? Arr¨ºte donc Jinn, tu n¡¯es plus rien l¨¤-haut et tu peux toujours tomber bien plus bas qu¡¯ici, dit-elle en pensant qu¡¯il se trouvait bien plus haut qu¡¯il ne l¡¯avait jamais ¨¦t¨¦, mais la libert¨¦ avait ce quelque chose d¡¯aussi grisant que terrifiant.
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¡ª Je ne veux pas, renvoyez-moi d¡¯o¨´ je viens¡ Vous allez me tuer !
¡ª Ils vont te tuer. Tu as fui, je crois que ton traitement de faveur vient de dispara?tre et que tu vas finir aussi brillant que les ¨¦toiles apr¨¨s deux coups de piolets. Montre donc l¡¯exemple, c¡¯est indolore¡ Pour le corps.
Mais une d¨¦chirure pour l¡¯ame citoyenne. L¡¯infirmier s¡¯approcha d¡¯eux et posa sur Jinn des yeux compatissants. Il commen?a ¨¤ lui d¨¦voiler le processus, mais Jinn n¡¯entendit rien. Il fixait sa pomme d¡¯Adam qui montait et descendait, ¨¤ hauteur d¡¯yeux. Cette boule mena?ante et enivrante allait de pair avec le rythme assourdissant de son c?ur.
Ce n¡¯est pas lui qui se contr?le, c¡¯est cette pomme qui le dirige. Derri¨¨re se trouve le si¨¨ge de la voix, mais elle ne parvient m¨ºme pas ¨¤ atteindre mes tympans. Je finirais fou¡ Tout ce que j¡¯ai obtenu, c¡¯est parce que je suis un Citoyen. Il n¡¯y a plus rien apr¨¨s¡
? Ils vont me tuer ? se r¨¦p¨¦ta-t-il, s¡¯imaginant d¨¦j¨¤ ¨¦tendu sur la table pendant qu¡¯ils s¡¯escrimeraient avec un scalpel sur sa nuque. Il recula d¡¯un pas, projetant ses mains en avant en glapissant un ? Non ? sans force. Un corps le stoppa, celui de Zed, et un frisson le parcourut lorsqu¡¯il sentit la froide piq?re. Le dard se retira et l¡¯envoya dans les bras de l¡¯homme ¨¤ la parka noire :
¡ª C¡¯¨¦tait risqu¨¦, remarqua ce dernier alors qu¡¯il jetait la seringue par terre. Je n¡¯aime pas en arriver l¨¤, mais notre num¨¦ro fonctionne toujours aussi bien Garth¡
L¡¯infirmier hocha la t¨ºte et entreprit de tra?ner le corps inanim¨¦ jusqu¡¯¨¤ la machine. Cinq minutes plus tard, Jinn se retrouvait en cale?on et sangl¨¦ pour un tour de man¨¨ge d¨¦rangeant.
¡ª Bien Suranis, tu as vu ce qui t¡¯attends si tu ne t¡¯allonges pas par toi-m¨ºme dans le Doc¡¯, dit Nesta. Je t¡¯aide ?
¡ª Oui, parvint-elle ¨¤ murmurer.
Qu¡¯elle le veuille ou non, elle finirait dans l¡¯un de ces cercueils et elle y rena?trait. Nesta l¡¯aida ¨¤ se diriger vers le caisson et se retourna, ¨¤ l¡¯unisson avec ses compagnons, pendant qu¡¯elle se d¨¦shabillait.
¡ª N¡¯h¨¦site pas ¨¤ demander de l¡¯aide, lui dit Nesta dont la voix se r¨¦verb¨¦ra sur les murs.
Mais elle n¡¯eut pas besoin d¡¯aide. Elle aurait pass¨¦e dix minutes de moins ¨¤ s¡¯acharner sur ses v¨ºtements tremp¨¦s de sang si elle en avait eu. Contre toute attente, le passage du bras fut le plus facile. Engourdi comme il l¡¯¨¦tait, elle ne le sentit pas. Le reste s¡¯av¨¦ra plus d¨¦licat et elle parvint, apr¨¨s s¡¯¨ºtre ¨¦chin¨¦e, ¨¤ se retrouver en sous-v¨ºtements, un petit tas sanguinolent ¨¤ ses pieds.
¡ª J¡¯ai fini.
Nesta revint ¨¤ elle, ce fut la seule car les autres regardaient toujours avec fascination le mur carrel¨¦ ¨¤ l¡¯exact oppos¨¦ d¡¯elles. La femme la souleva sans le moindre effort pour la disposer avec pr¨¦caution sur la table. Elle attacha les sangles avant de finir par ramener sur ses tempes deux petits coussinets qui maintinrent sa t¨ºte, d¨¦gageant sa nuque. Une grimace ab?ma son visage de cire qui craquela et le couvercle se referma d¡¯une chiquenaude.
Le monde blanc disparut ¨¤ Suranis pour ¨ºtre remplac¨¦ par l¡¯horizon des ¨¦clairages bleus de la machine. Elle ¨¦touffa, s¡¯approchant dangereusement de la crise claustrophobique. Elle se savait ¨¤ la merci du Doc¡¯, n¡¯entendant plus rien de l¡¯ext¨¦rieur sinon un vague murmure. Bient?t, son univers fut envahi par le bruit de la machine qui se mit en branle. Le caisson vibra et le bruit d¡¯un couteau ¨¦lectrique naquit dans son dos. Le Doc¡¯ r¨¦cup¨¦rait visiblement ses pi¨¨ces dans une ancienne charcuterie ¨C de la viande, voil¨¤ tout ce que je suis.
¡ª Ne te tracasse pas, lui dit un ¨¦metteur ¨¤ c?t¨¦ d¡¯elle. Le Doc¡¯ est vieux, mais il fait des merveilles.
Le couteau ¨¦lectrique se mit en stand-by en attendant le diagnostic procur¨¦ par l¡¯outillage m¨¦dical. Le rapport s¡¯afficha ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur du caisson et Nesta s¡¯exclama :
¡ª Merde ! Tu verrais l¡¯¨¦tat de ta guibole¡ Sept morceaux, plus ou moins en place¡ Et tu es encore consciente ! Puis, il y a aussi ton bras¡ Ce n¡¯est pas du sable, mais pas loin.
¡ª C¡¯est arrangeable ? demanda faiblement Suranis, amplifi¨¦e ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur.
¡ª Le Doc¡¯ fait des miracles t¡¯ai-je dit ! Ne bouge surtout pas le temps de l¡¯op¨¦ration, de toute fa?on tu ne peux pas.
Elle ricana doucement ¨¤ sa propre blague. Le Doc¡¯ d¨¦plia un minuscule bras m¨¦canis¨¦ muni d¡¯une seringue si longue qu¡¯il ne pouvait la manipuler que par d¡¯extraordinaires prouesses d¡¯agilit¨¦. La seringue s¡¯enfon?a dans les chairs meurtries avec une telle vigueur que Suranis ne put retenir un cri qui r¨¦sonna si fortement dans le caisson que ses tympans battirent en retraite. L¡¯acouph¨¨ne dura, mais la douleur aussit?t s¡¯estompa alors qu¡¯un liquide froid louvoyait entre les fissures et les d¨¦bris de ses os.
Apr¨¨s cette premi¨¨re ¨¦tape, la machine changea d''outil et un vacarme infernal envahit le caisson. Suranis ne ressentait rien sinon un l¨¦ger tremblement dans ses membres bless¨¦s alors que le Doc¡¯ soudait des plaques de titane dans l¡¯attente que la r¨¦sine ne fige 48 heures plus tard.
Qu¡¯elle soit soign¨¦e, c¡¯est ce qu¡¯elle esp¨¦rait, mais elle ne ressentait que la d¨¦sagr¨¦able odeur des chairs caut¨¦ris¨¦es et des os br?l¨¦s par le per?age. Le Doc¡¯ lui ?terait ses jambes, qu¡¯elle ne sentirait aucune diff¨¦rence et elle ressentit une vive terreur envers son m¨¦decin m¨¦canique.
¡ª Bon, ?a va durer un moment. La r¨¦paration d¡¯une carcasse si amoch¨¦e, c¡¯est du boulot m¨ºme pour le Doc¡¯, pr¨¦vint l¡¯homme en blouse blanche.
Il avait raison. Le reste de l¡¯op¨¦ration dura deux longues heures pendant lesquelles l¡¯odeur du caf¨¦ envahit la salle blanche. Une derni¨¨re s¨¦rie de tic-tacs, d¡¯injections suppl¨¦mentaires et la machine conclut sa tache. Les membres bless¨¦s ¨¦taient en voie de gu¨¦rison (toute artificielle), engourdis et l¡¯anesth¨¦sie commen?ait ¨¤ dispara?tre. On lui avait administr¨¦ la dose minimale et l¡¯id¨¦e que l¡¯effet ait pu s¡¯estomper alors qu¡¯elle ¨¦tait tritur¨¦e en tous sens lui fit faire un haut le c?ur. Suranis se retint de vomir.
La voix de Nesta lui parvint et peina ¨¤ la rassurer :
¡ª C¡¯est parfait ma grande. Jinn a d¨¦j¨¤ pass¨¦ cette ¨¦tape et maintenant c¡¯est ¨¤ ton tour. Le plat de r¨¦sistance ! On va te retirer la puce sinon tu devras passer le restant de tes jours dans cette pi¨¨ce, isol¨¦e des capteurs de la Cit¨¦.
¡ª C¡¯est sans danger ?
Ce fut l¡¯infirmier qui lui r¨¦pondit :
¡ª Le Doc¡¯ a d¨¦j¨¤ proc¨¦d¨¦ ¨¤ une op¨¦ration d¨¦licate en un temps record et vous avez surv¨¦cu. Ne vous inqui¨¦tez pas pour la suite¡ Il faudra juste coop¨¦rer. Vous avez une manette au niveau de votre main droite, un petit bouton que vous presserez d¨¨s que vous recevrez le stimuli. Bien compris ?
¡ª Oui.
Les communications avec l¡¯ext¨¦rieur furent coup¨¦es pour laisser place au ? plat de r¨¦sistance ?. Suranis, contrairement ¨¤ Jinn, n¡¯avait pas la m¨ºme r¨¦ticence ¨¤ l¡¯id¨¦e de se d¨¦barrasser de sa puce d¡¯identification, mais elle ne pouvait s¡¯emp¨ºcher de penser au lien qui les unissaient. La puce ne quittait jamais son cocon c¨¦r¨¦bral, de six mois ¨¤ votre mort¡ ou alors de six mois ¨¤ votre rencontre avec des infich¨¦s. Et Suranis venait de rencontrer ces l¨¦gendes urbaines.
La table pivota brusquement et elle sentit le sang couler le long de son dos. La machine ne s¡¯¨¦tait pas donn¨¦e la peine de l¡¯essuyer. Cette m¨ºme machine qui se changea sans attendre en coiffeuse, mode militaire, et qui lui rasa le crane tandis qu¡¯une puissante aspiration faisait dispara?tre les traces de son crime.
La premi¨¨re ¨¦tape termin¨¦e, la machine changea une nouvelle fois d¡¯outil et entreprit d¡¯ouvrir une br¨¨che ¨¤ la base de son crane. Un petit carr¨¦ d¡¯os qu¡¯elle tint d¡¯une de ses pinces comme s¡¯il s¡¯eut s¡¯agit de la plus pr¨¦cieuse des reliques. Suranis retint un nouveau cri d¡¯effroi, non pas pour pr¨¦server son audition, mais par crainte qu¡¯un mauvais mouvement lui pulv¨¦rise la cervelle expos¨¦e pour la seconde fois de sa vie. Elle se savait soumise ¨¤ l¡¯intelligence artificielle, elle-m¨ºme ob¨¦issante sans faillir aux lois de la robotique¡
Non, ?a n¡¯a rien ¨¤ voir. Un auteur de science-fiction du XX¨¨me si¨¨cle ne peut d¨¦cider de ce que sera le futur¡ Et me voil¨¤, sangl¨¦e dans un tombeau d¡¯acier, plut?t qu¡¯une caverne, ¨¤ attendre qu¡¯un robot, dont des semblables tu¨¨rent par le pass¨¦, me trifouille le ciboulot¡ Si un 0 se transforme en 1, qu¡¯au lieu de tater d¨¦licatement mon cerveau le Doc¡¯ se d¨¦cide ¨¤ se pr¨¦parer une omelette¡ J¡¯esp¨¨re qu¡¯ils ont de belles assiettes en porcelaine pour servir le plat de r¨¦sistance.
Elle serra les dents, ferma les yeux et attendit les stimuli. Une aiguille se planta dans le cervelet, elle ne sentit rien puis vint l¡¯impulsion qu¡¯elle confirma aussit?t. Elle confirmerait toutes les d¨¦charges ¨¤ venir car sa sant¨¦ mentale en d¨¦pendait. Au-del¨¤ de sa sanit¨¦, sa vie toute enti¨¨re. Avec une d¨¦licatesse extraordinaire, le m¨¦decin-coiffeur devenu neurologue m¨¦canique pr¨¦para sa propre topographie du si¨¨ge de la conscience de Suranis. Il retira rapidement un petit rectangle m¨¦tallique qui lui effleura les bordures de la br¨¨che. La puce ? Qu¡¯est-ce qui pouvait ¨ºtre petit et compos¨¦ d¡¯un m¨¦tal quelconque (mais assur¨¦ment non toxique pour l¡¯organisme) ?
Pourquoi alors les longues aiguilles n¡¯avaient-elles cess¨¦ de visiter toujours plus en profondeur son cerveau apr¨¨s cette ultime ¨¦tape ? Sous la lumi¨¨re crue de l¡¯atelier de r¨¦paration pour humains, on l¡¯ensemen?ait des termites qui d¨¦voreraient avec avidit¨¦ ses moindres secrets, des plus communs aux plus inavouables. Le prix ¨¤ payer n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ son identit¨¦, mais son intimit¨¦. De cela, elle n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ pr¨¦venue. Doucement, elle pleura.
Chapitre 20
La terrible migraine ne se terminait pas. Elle durait depuis bien plus longtemps que sa derni¨¨re gueule de bois. Le crane de Suranis r¨¦sonnait et elle voulait mourir pour qu¡¯¨¤ jamais il se taise. Elle se sentait faible, futile et d¨¦pass¨¦e par les ¨¦v¨¦nements :
¡ª ?a va Suranis ? lui demanda une de ses compagnes de dortoir.
¡ª Non, ?a ne va pas, r¨¦pondit-elle m¨¦chamment.
¡ª C¡¯est leur foutue ? Analyse ?, dit-elle en mimant les guillemets. Mais la douleur n¡¯a pas dur¨¦ aussi longtemps avec moi.
Suranis s¡¯adossa contre le mur m¨¦tallique. Une mince toison rousse repoussait d¨¦j¨¤ sur son crane, mais elle demeurait assez fine pour que le contact froid du m¨¦tal irradie en elle. On lui avait administr¨¦ des antalgiques, elle arrivait ¨¤ sa dose maximale journali¨¨re. Le gardien, qui les visitait r¨¦guli¨¨rement, lui avait assur¨¦ qu¡¯elle n¡¯en aurait bient?t plus besoin. Pouvait-elle vraiment lui faire confiance alors qu¡¯elle attendait ses r¨¦sultats depuis une semaine avec ces trois autres femmes ?
Elle se demanda pourquoi on lui infligeait pareille chose. Jinn Pertem n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ enferm¨¦ lui¡ Le gardien racontait m¨ºme qu¡¯il n¡¯eut m¨ºme pas ¨¤ subir l¡¯Analyse car les preuves amoncel¨¦es en sa faveur suffisaient. Pourquoi un tel traitement pour Jinn ? Parce que l¡¯Analyse pouvait aussi bien faire ressortir l¡¯unique v¨¦rit¨¦ que bousiller un cerveau fonctionnel. Mais, on n¡¯avait pas h¨¦sit¨¦ une seule seconde avant de s¡¯attaquer ¨¤ celui de Suranis.
¡ª Ils vont nous garder longtemps, tu penses ? J¡¯ai d¨¦j¨¤ un mal de crane pas possible, si au moins je pouvais quitter cette taule je serais la plus heureuse des femmes, demanda-t-elle.
¡ª Dortoir, rectifia sa cod¨¦tenue. Une semaine ils nous ont dit. Je leur fais confiance. Quand ils sauront qui tu es vraiment, ils se jetteront ¨¤ terre sur ton passage. Tu es Suranis Rh¨¦on, la d¨¦tective de Seth Karanth.
¡ª Il para?t.
Son enqu¨ºte la poursuivait jusqu¡¯au SAGI, le Secteur auto-g¨¦r¨¦ des Infich¨¦s. Seth Karanth ¨C un membre de la premi¨¨re g¨¦n¨¦ration ¨C partageait certaines informations avec le groupe et, parmi elles, celles concernant sa d¨¦funte fille. Le SAGI s¡¯¨¦tait occup¨¦ de v¨¦rifier ses dires avec leur fr¨ºle r¨¦seau et en d¨¦duisait que Pertem ¨¦tait innocent, totalement.
Le gardien, qui ne savait garder un secret, avait aussi racont¨¦ qu¡¯on aurait pay¨¦ le prix fort pour une prostitu¨¦e ¨C incluant si on l¡¯entendait les pires s¨¦vices jusqu¡¯¨¤ la mort. Tout cela pour couler un concurrent trop s¨¦rieux pour que l¡¯on ne se questionne pas devant les r¨¦sultats ¨¦lectoraux pip¨¦s¡ Suranis avait ¨¦t¨¦ prise d¡¯¨¦pouvante en entendant cette histoire et s¡¯imaginait Pavla recroquevill¨¦e dans une grosse malle de voyage, baillonn¨¦e et ligot¨¦e, alors qu¡¯elle passait la fronti¨¨re surfacienne. Le mercenaire se serait pr¨¦sent¨¦ avec son astronef chrom¨¦ (en toc) agraf¨¦ sur la chemise, tendu un ticket ¨¤ l¡¯agent en poste, puis aurait rejoint son contact qui aurait promis de r¨¦gler les derniers d¨¦tails de cette ? vaste mascarade ? avant de dispara?tre en tra?nant la lourde malle. Suranis ne voulait pas savoir comment le SAGI ¨¦tait parvenu ¨¤ obtenir ces donn¨¦es, pour un r¨¦seau en perte de vitesse il n¡¯en oubliait pas l¡¯importance cruciale des informations.
¡ª Sans toi, on ne saurait rien. On croyait dans ces photos et on se convainquait d¨¦j¨¤ qu¡¯une junkie avait ¨¦t¨¦ la victime d¡¯un monstre¡ Mais ce n¡¯est pas le cas¡
Suranis ne lui r¨¦pondit pas et ferma les yeux. Elle voulait que l¡¯admiration stupide dans sa voix disparaisse. Elle n¡¯¨¦tait pas une h¨¦ro?ne, juste une nana mal plac¨¦e qui, si elle avait su, n¡¯aurait jamais d¨¦voil¨¦ qu¡¯Hilda, la gentille junkie, n¡¯avait jamais crois¨¦ le chemin de Jinn Pertem. Pourquoi ce changement de victime ? Peut-¨ºtre que les commanditaires de cette horreur s¡¯¨¦taient-ils rendus compte que la victime ¨¦tait trop blanche pour ¨ºtre ¨¤ sa place ¨¤ la Surface et qu¡¯on questionnerait sa d¨¦couverte ?
Non, ce n¡¯est pas ?a. Tout est bien trop calcul¨¦ pour qu¡¯ils fassent une erreur aussi grossi¨¨re¡ L¡¯ordure ¨¤ l¡¯origine de tout s¡¯appr¨ºte ¨¤ sortir son plus beau jeu. Il va se taper le all-in de sa vie et nous n¡¯aurons plus rien d¡¯autre que nos yeux pour pleurer. Je viens de ruiner ma vie et celles de tous ces gens qui pr?nent la v¨¦rit¨¦¡ Mes bourreaux, mes sauveurs.
La cod¨¦tenue continua de lui parler. Elle se lan?ait dans un interminable monologue admiratif. Elle ne cessera donc jamais ? Si seulement je pouvais dispara?tre, ici et ¨¤ jamais. On r¨¦pondit ¨¤ une partie de sa pri¨¨re. Elle demeura enti¨¨re sur son lit, mais un individu entra dans la pi¨¨ce. Ce n¡¯¨¦tait pas le gardien qui piaillait autant que sa cod¨¦tenue. L¡¯homme se pavanait avec un air qui criait qu¡¯il ne venait pas pour rien. Suranis remarqua aussit?t le mastodonte qui le suivait de pr¨¨s et qui tenait entre ses mains un lanceur de balles de caoutchouc. Caoutchouc ou pas, une balle bien plac¨¦e reste une balle. ?il en moins, dents ¨¦clat¨¦es. ¨¤ l¡¯ancienne, hein ?
La cod¨¦tenue se tut, l¡¯homme qui ressemblait ¨¤ un gros ?uf avec des sourcils broussailleux lan?a d¡¯une voix mielleuse, obs¨¦quieuse et d¨¦testable : ? Suranis Rh¨¦on ? ?. Elle fit mine de ne pas l¡¯entendre et se retourna sur son lit.
¡ª Ne me fuyez pas, je vous vois bien, continua-t-il.
Les raisons d¡¯une telle visibilit¨¦ ¨¦taient ¨¦videntes. Suranis ¨¦tait la seule rousse du dortoir et surtout sa peau, singuli¨¨rement blanche, d¨¦tonnait. Un blanc bien moins ¨¦clatant que celui de la salle d¡¯op¨¦ration. Sans daigner le regarder elle lui r¨¦pondit :
¡ª Que me voulez-vous ? L¡¯Analyse est tomb¨¦e ?
L¡¯?uf la fixa avec une ardeur d¨¦concertante. Les Sagistes avaient ouvert ¨¤ la vol¨¦e tous les tiroirs que Suranis avait estampill¨¦s ? Top secret ?. En petites lettres, peu lisibles mais pr¨¦sentes, pouvait-on aussi y lire qu¡¯il ¨¦tait fortement recommand¨¦ de se jeter par la premi¨¨re fen¨ºtre venue si on venait ¨¤ se montrer trop curieux. Suranis se disait qu¡¯ils n¡¯¨¦taient pas all¨¦s jusqu¡¯¨¤ l¨¤. Elle ignorait ce que l¡¯Analyse pouvait vraiment apprendre. ? C¡¯est pour lire dans tes pens¨¦es ? lui avait dit sa fan num¨¦ro 1 et bien qu¡¯elle n¡¯eut aucun terrible secret ¨¤ cacher, elle n¡¯appr¨¦ciait pas cette id¨¦e.
Puis voil¨¤, ils venaient de la finir leur foutue Analyse. Le r¨¦sultat arrivait ¨¤ elle sous la forme grotesque de cet homme :
¡ª Pardon, dit-il. Je ne voulais pas vous effrayez, mais nous avons finalement eu les r¨¦sultats de votre Analyse¡
Il laissa un blanc.
¡ª Oh, ne me faites pas languir¡
Elle ignorait s¡¯il s¡¯agissait d¡¯une forme de sadisme ou d¡¯un mauvais trait d¡¯humour de l¡¯homme. Elle n¡¯oubliait pas que derri¨¨re lui se trouvait une brute arm¨¦e et qu¡¯elle venait potentiellement pour en finir avec le cas Rh¨¦on.
¡ª L¡¯Analyse a r¨¦v¨¦l¨¦ votre puret¨¦ d¡¯esprit, mes f¨¦licitations ! s¡¯exclama-t-il en agitant ses bras, le rendant d¡¯autant plus ridicule qu¡¯il ne pouvait d¨¦j¨¤ l¡¯¨ºtre.
¡ª Chouette, r¨¦pondit-elle. Ce qui veut dire que je suis libre ?
¡ª Presque. Disons que vous pouvez sortir, sous ma bonne escorte, oui.
? F¨¦licitations ? lan?a la cod¨¦tenue. Suranis ne voulut pas rester davantage, elle tourna le dos ¨¤ la femme dans l¡¯espoir de ne pas la recroiser dans le SAGI. Elle n¡¯avait pas oubli¨¦ le lanceur de balles dans les mains de la brute. Quelqu¡¯un avait ¨¦chou¨¦ ¨¤ leur Analyse et elle pensait qu¡¯il s¡¯agissait de Myrthes, la jeune femme arriv¨¦e une semaine avant elle et qu¡¯on gardait le temps de s¡¯occuper de formalit¨¦s suppl¨¦mentaires. Officieusement, ils v¨¦rifiaient les r¨¦sultats de son Analyse une seconde fois, puis une troisi¨¨me¡
C¡¯est donc ce qui arrive quand on ¨¦choue ¨¤ leur conne d¡¯Analyse ? Adieu Myrthes, je ne te reverrais jamais.
Les pires images des camps de concentration se dessin¨¨rent ¨¤ elle. Qu¡¯ils soient nazis ou ceux qui suivirent, ils op¨¦raient toujours avec la m¨ºme r¨¦gularit¨¦ morbide. ¨¤ ¨¦liminer les faibles et les fourvoy¨¦s¡ Elle imagina Myrthes plaqu¨¦e contre un mur, les mains ligot¨¦es dans le dos et le peloton d¡¯ex¨¦cution qui tirerait ¨¤ l¡¯unisson. Les balles d¨¦fonceraient son visage adolescent et la vie s¡¯¨¦chapperait d¡¯elle en un souffle. Elle comprenait que pareilles extr¨¦mit¨¦s puissent exister sans pour autant daigner les accepter. Les petits secrets du SAGI, l¡¯ombre derri¨¨re la lumi¨¨re.
Ils sortirent du dortoir-prison et dans l¡¯entrep?t, Suranis osa poser sa question :
¡ª Il venait pour Myrthes ?
L¡¯?uf baissa les yeux, honteux :
¡ª Oui, elle a ¨¦chou¨¦. C¡¯est une espionne du Conseil, j¡¯ignore comment elle a pu arriver jusqu¡¯ici¡ De toute fa?on, elle ne peut pas remonter si facilement aupr¨¨s de son employeur, c¡¯est un vrai d¨¦dale par ici.
¡ª Que va-t-il lui arriver ?
¡ª Nous ne savons toujours pas comment effacer les souvenirs, nous ne sommes pas des magiciens. Et ¨¤ quoi bon ? Le Conseil doit bien avoir en r¨¦serve la recette pour les r¨¦cup¨¦rer. Nous allons nous contenter de la mettre ¨¤ la porte du SAGI.
? Ce n¡¯est pas une sentence de mort ? voulut-il continuer, mais Suranis n¡¯¨¦tait pas dupe. Il n¡¯existait rien d¡¯autre sinon le SAGI ici et le cheminement jusqu¡¯¨¤ la civilisation ¨¦tait bien trop complexe pour qu¡¯on y parvienne sans assistance. Il y avait des portes bloqu¨¦es par des digicodes sur le chemin. Myrthes errerait dans les ¨¦tages, chercherait une semaine la sortie en grignotant les vieilles rations abandonn¨¦es par les Fondateurs et mourra de botulisme. Tout cela parce que des termites c¨¦r¨¦braux avaient creus¨¦ des galeries dans son cerveau¡ Au moins, une balle ne viendrait pas faire une derni¨¨re tranch¨¦e franche.
Ils ne parl¨¨rent pas davantage alors qu¡¯ils s¡¯engag¨¨rent dans l¡¯entrep?t. Myrthes s¡¯¨¦loignait de Suranis physiquement et intellectuellement. Elle pr¨¦f¨¦rait se recentrer sur son pr¨¦sent, sur sa libert¨¦ soudaine bien que cloisonn¨¦e et sur ce qui l¡¯attendait. Elle ne pensait ¨¤ rien d¡¯autre quand, soudain, ils atteignirent les rang¨¦es d¡¯¨¦tag¨¨res sur lesquelles naquirent le Boucan. Le grand Boucan perch¨¦ ¨¤ la cime des ¨¦tag¨¨res ne cessait de glapir. Une espionne d¨¦couverte ? ¨¦tait-on ¨¤ l¡¯abri ? Suranis Rh¨¦on dans le SAGI ? La porteuse de flamme est-elle plus proche de Prom¨¦th¨¦e ou de Pandore ? Qu¡¯est-ce que les termites avaient vraiment d¨¦couvert ? Suranis, Suranis, Suranis¡ Son pr¨¦nom faisait office de ponctuation dans les conversations qui redoubl¨¨rent ¨¤ leur passage. Il lui parvenait comme une double interrogation, comme si les S s¡¯¨¦taient mu¨¦s en points d¡¯interrogations. Suranis, la vraie ? Suranis, celle qui savait ?
L¡¯?uf eut un sourire en coin en entendant ces murmures lointains et pressa le pas jusqu¡¯au batiment communautaire :
¡ª Vous n¡¯¨ºtes pas n¡¯importe qui Suranis.
Elle n¡¯aspirait qu¡¯¨¤ l¡¯anonymat. Ce m¨ºme anonymat qu¡¯on lui avait d¨¦vor¨¦ derri¨¨re la porte cercl¨¦e de rouge. Elle soupira.
¡ª Il para?t, mais j¡¯ai toujours du mal ¨¤ comprendre pourquoi l¡¯innocence de Pertem est si importante pour vous.
¡ª Vous verrez, on va rencontrer des copains qui expliqueront ?a mieux que moi.
Ils contourn¨¨rent le batiment et arriv¨¨rent sur un parc b¨¦tonn¨¦ ferm¨¦ par une grille de fer. Elle s¡¯ouvrit sans bruit et un monde merveilleux s¡¯offrit ¨¤ eux, bien diff¨¦rent des lierres et cahutes perch¨¦es du SAGI.
¡ª Une plantation hydroponique ! s¡¯exclama Suranis.
Elle n¡¯en avait jamais vu de sa vie, mais connaissait leur existence dans les derniers ¨¦tages. Les troncs de plastique s¡¯¨¦tendaient ¨¤ perte de vue et se paraient de magnifiques feuilles d¡¯un vert naturel. L¡¯alliage du mat¨¦riel hydroponique et des cultures donnaient ¨¤ la fois la naus¨¦e et la sensation d¡¯avoir d¨¦couvert les Cit¨¦s d¡¯Or, bien que dor¨¦es elles ne le soient pas. C¡¯¨¦tait une d¨¦bauche de vert et du rouge des tomates, Cit¨¦s pomodoro, qui lui donn¨¨rent aussit?t l¡¯eau ¨¤ la bouche. Elle repensa au slogan des insipides barres Bakers ? En un croc, d¨¦vorez un potager ? et, confront¨¦e ¨¤ la r¨¦alit¨¦, elle se sentit d¨¦faillir. L¡¯?uf, visiblement, se rendait compte de son ¨¦tat car il continuait ¨¤ sourire b¨ºtement. Une telle d¨¦bauche alimentaire semblait particuli¨¨rement d¨¦plac¨¦e dans le SAGI et en m¨ºme temps¡
C¡¯est la v¨¦rit¨¦, ce que je vois est vrai. Je peux toucher une plante, arracher une feuille¡ L¡¯utopie r¨¦alis¨¦e ici n¡¯est pas frugale, elle est abondante et finira par mourir quand elle aura ¨¦puis¨¦ son fertile substrat.
¡ª Oui, je sais, fit l¡¯?uf. C¡¯est quelque chose.
Suranis l¡¯ignora. Elle le suivit au milieu des plantes qui murissaient et qui paraissaient presque vivantes, presque aptes ¨¤ entendre tous les secrets de la r¨¦union qui avait lieu entre elles. Qui des humains ou des plantes se trouvent ¨ºtre les pixies en ces lieux ? se demanda-t-elle en remarquant les chaises de plastique jauni sur lesquelles s¡¯affalaient des figures famili¨¨res. Nesta sans son masque, la silhouette filiforme et chauve (mais son crane ¨¦tait-il aussi lisse la semaine pass¨¦e ?) de Jinn Pertem et un inconnu que tous observaient avec une adoration juv¨¦nile. Tout d¡¯abord, elle crut qu¡¯il s¡¯agissait d¡¯un fruit moins mur que les autres avec ses cheveux verts, puis ils s¡¯agit¨¨rent et elle en laissa presque tomber sa machoire avec stupeur.
Le fruit, elle l¡¯avait vraiment vu. Elle en ¨¦tait persuad¨¦e bien qu¡¯il tournait son visage rougeaud vers elle pour lui sourire du peu des dents qu¡¯il lui restait. Un junkie, pensa-t-elle d¡¯abord, non¡ Il n¡¯a rien perdu ¨¤ force de consommer, ses dents ont ¨¦t¨¦ bris¨¦es.
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Ce fut Jinn qui brisa le silence de ce moment un peu hors du temps, un peu ¨¦trange :
¡ª Ah ! Voil¨¤ Suranis est de retour ! Je suis si heureux qu¡¯on vous ait enfin donn¨¦ une autorisation de sortie, lui dit-il en tendant une main qu¡¯elle serra, h¨¦sitante ¨¤ lui donner l¡¯accolade.
¡ª Vous avez l¡¯air ¨¦puis¨¦, remarqua-t-elle en s¡¯¨¦cartant d¡¯un pas.
Les yeux de Jinn ¨¦taient cercl¨¦s de noir. Lui non plus ne dormait pas tr¨¨s bien de toute ¨¦vidence.
¡ª C¡¯est OK, mentit-il. J¡¯ai simplement encore du mal ¨¤ m¡¯habituer aux turbines¡ Trop de bruit, vieille habitude surfacienne.
¡ª Tant mieux alors, r¨¦pondit-elle avant de se retourner vers Nesta pour la saluer.
La femme ¨¤ qui elle devait la vie esquiva la main tendue pour lui donner l¡¯accolade.
¡ª Salut Suranis, tu es enfin dans le coin ! dit-elle avec une once de honte dans la voix. D¨¦sol¨¦e de ne pas t¡¯avoir cru sur parole¡ La parano?a est une habitude tenace dans le SAGI.
¡ª Que je comprends, crois-le bien¡
¡ª Grand bien alors. Par contre, il va falloir que vous commenciez ¨¤ vous tutoyer¡ J¡¯ai l¡¯impression que nous venons d¡¯accueillir deux petits bourges en pleine reconversion pro Nate !
L¡¯homme aux cheveux verts remua une main impatiente, mais ne dit pas un mot. Nesta continua :
¡ª Mais dis-moi, comment se porte ta caboche ?
¡ª Douloureuse. J¡¯ai entendu dire que ?a devait s¡¯att¨¦nuer avec le temps, mais j¡¯attends toujours les r¨¦sultats¡ Je commence ¨¤ songer ¨¤ un traitement plus radical. Il para?t qu¡¯une amputation ¨¤ la premi¨¨re cervicale est formidable pour ce qui est des migraines.
La blague fut accompagn¨¦ d¡¯un rire forc¨¦. Un petit rire cocktail sans ambition et qui ne trompa personne. Sa t¨ºte l¡¯¨¦lan?ait assez pour qu¡¯elle puisse songer ¨¤ des m¨¦thodes radicales et si elle ne passait pas ¨¤ ces extr¨ºmes c¡¯¨¦tait seulement car ?a s¡¯am¨¦liorait. D¨¦j¨¤, elle n¡¯avait plus envie de d¨¦goupiller sur place et puis, ses id¨¦es s¡¯¨¦claircissaient. Elle ressentait cela comme l¡¯¨¦quivalent psychique d¡¯un lavement, purifi¨¦e et essor¨¦e dans la foul¨¦e.
Le troisi¨¨me personnage de la r¨¦union, celui qui ¨¦merveillait visiblement Jinn, lui lan?a un petit air d¨¦sol¨¦. Pour les rares bases de sociabilit¨¦ que Suranis poss¨¦dait, elle vit en lui un leader. Du moins, une sorte d¡¯aura s¡¯en d¨¦gageait et supplantait la pr¨¦sence d¡¯un ancien candidat en lice pour le Pilotage de l¡¯¨¦tage A. L¡¯homme lui tendit une main aux doigts si fins qu¡¯on aurait pu la confondre avec une serre de rapace.
C¡¯est ce que tu es. Un rapace curieux venu zieuter ce qui se passe sur le plancher des vaches et tu t¡¯es li¨¦ de sympathie avec elles, n¡¯est-ce pas le Vert ?
¡ª Bonjour Suranis ! Je suis bien content de te rencontrer enfin depuis le temps que l¡¯on me parle de toi. Je suis Nate Killian, mais Nate suffira.
Le nom ne lui ¨¦tait pas inconnu et pour cause, avant Seth Karanth il y avait eu Nate Killian sauf que lui avait surv¨¦cu. La troisi¨¨me ann¨¦e du 27e Conseil fut l¡¯occasion d¡¯un feu de joie singulier dans le palais sectoriel de l¡¯¨¦tage B et les pyromanes ¨¦taient men¨¦s par Nate Killian. Le plus grand des terroristes, il en ¨¦tait devenu l¨¦gendaire.
Elle d¨¦glutit. Le croquemitaine se tenait face ¨¤ elle, impassible. Elle n¡¯y croyait pas vraiment.
¡ª Le Nate du palais sectoriel ? balbutia-t-elle ¨¦prise d¡¯une soudaine envie de prendre la fuite, mais la for¨ºt se refermait derri¨¨re elle.
¡ª Celui-l¨¤ m¨ºme.
¡ª Vingt-trois morts¡
¡ª Dans un coup d¡¯¨¦clat d¡¯une tristesse absolue, admit-il.
¡ª Vous ¨ºtes l¡¯ennemi public num¨¦ro 1 !
Il ricana sans humour.
¡ª Personne n¡¯a donc fait mieux depuis ? Tu n¡¯es pas au courant de tout¡ Mais soit. Tu n¡¯es pas mal aussi¡ Bien recherch¨¦e, heureusement que ta puce est off et que¡
Elle n¡¯entendit pas la suite. Sa vue s¡¯obscurcit puis revint. Une nouvelle c¨¦phal¨¦e, une ¨¦ni¨¨me envol¨¦e dont elle ne serait de sit?t d¨¦barrass¨¦e. Le fruit pas m?r reprenait le dessus et Nesta se pla?a ¨¤ ses c?t¨¦s pendant que Nate la d¨¦visageait avec la plus profonde des tristesses.
Il sortit de sa veste une petite flasque d¡¯alcool, le meilleur des rem¨¨des contre une bonne migraine¡ Paraissait-il si on oubliait que celle du lendemain serait pire et que notre foie nous clouerait au lit sous peu. Suranis s¡¯en empara, avala une gorg¨¦e et se garda de la recracher. L¡¯huile de moteur ferment¨¦e devait avoir le m¨ºme go?t.
¡ª ?a va mieux ? s¡¯enquit-il. C¡¯est le mieux que je puis t¡¯offrir contre ce l¨¦ger d¨¦sagr¨¦ment¡ Mais bon, tu sais ce qu¡¯on dit¡ L¡¯eau fait rouiller et l¡¯alcool conserve.
Un nez plus rouge que la moyenne indiquait que l¡¯adage ¨¦tait tout sauf vrai. Elle se demanda quand elle commencerait ¨¤ lui ressembler. J¡¯arr¨ºterais avant cette ¨¦tape, se persuada-t-elle comme tous les alcooliques en devenir.
¡ª L¡¯alcool ne r¨¦soudra pas mes l¨¦gers probl¨¨mes.
¡ª Tu m¡¯en vois navr¨¦¡ Je suis l¡¯unique responsable de ton ¨¦tat actuel. C¡¯est la faute de l¡¯Analyse¡ On appelle les petits monstres qui ont ?uvr¨¦ ¨¤ la tienne des ? termites c¨¦r¨¦braux ?. Je crois que le nom officiel est plut?t du genre 542-AD. Des nano-robots que nous sommes incapables de reproduire¡
¡ª Qui bouffent nos cerveaux parce que vous ¨ºtes paranos ? intervint Suranis, furieuse.
¡ª Ta gueule Suranis, lan?a Nesta et, ¨¤ la grande surprise de la concern¨¦e, Jinn approuva. Laisse-le finir.
Une grimace ab?ma le visage de Nate Killian. Il croisa ses jambes et enfon?a son menton entre ses mains jointes :
¡ª Ness, c¡¯est normal. Elle a raison, nous sommes parano?aques et nous ne savons plus faire sans les termites.
¡ª Mais c¡¯est normal, c¡¯est la seule solution Nate !
¡ª Ah bon ? Elle me para?t bien risible pour des gens qui, comme nous, aspirons ¨¤ la libert¨¦ et une belle ¨¦galit¨¦ entre tous les ¨ºtres. Nous faisons passer des Analyses de force parce que, si nous venions ¨¤ la proposer, devrions nous voir dans le refus un engagement aupr¨¨s de l¡¯Ennemi ou un simple acte de pudeur ?
¡ª Pudeur, murmura pour lui-m¨ºme Jinn.
¡ª Peut-¨ºtre, murmura ¨¤ son tour Nate. Tiens, je m¡¯¨¦loigne du sujet. Suranis, veux-tu savoir ce que nous t¡¯avons fait ? Une partie de notre histoire ?
Elle en avait oubli¨¦ la raison de cette futile dispute. Elle souhaitait entendre la suite, non pas pour les excuser mais pour mieux les comprendre. Ils feraient partie de sa vie un temps, pensa-t-elle am¨¨rement. Elle approuva.
¡ª Bien. Alors, tu dois savoir que nous ne sommes pas les premiers insurg¨¦s de la Cit¨¦. Les tentatives de r¨¦bellion, il y en a une nouvelle tous les si¨¨cles et, quand ils sont fertiles, toutes les d¨¦cennies. Elles se sont toujours sold¨¦es par des infiltrations de flicailles dans les rangs, puis des mises ¨¤ bas. Tu as peut-¨ºtre entendu parler de B¨¦ladonia sous le 26e Conseil ?
¡ª Tr¨¨s vaguement, admit-elle.
¡ª Oui, ce n¡¯est connu que des milieux militants et encore¡ La v¨¦rit¨¦ a ¨¦t¨¦ oubli¨¦e. J¡¯y ¨¦tais, une belle occupation dans l¡¯¨¦tage H. Nous vivions chichement en empoisonnant le syst¨¨me avec une douceur inou?e. Des placardages pour l¡¯essentiel, mais aussi des actions plus marquantes comme le sabotage de certains bureaux de vote.
¡ª Ils sont all¨¦s jusqu¡¯¨¤ faire ¨¦lire un camarade au Pilotage de l¡¯¨¦tage, ajouta Nesta en d¨¦voilant ses dents.
¡ª Oui, gloussa Killian. On tournait bien, puis un jour un ver a bouff¨¦ la pomme. Les flics ont d¨¦barqu¨¦ ¨¤ dix contre un et nous ont balanc¨¦ tellement de lacrymos que certains sont tomb¨¦s raides morts, ¨¦touff¨¦s par leurs propres glaires. J¡¯¨¦tais l¨¤, planqu¨¦ dans un couloir. Je cherchais la sortie comme mes poumons. Si ma fuite n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ camoufl¨¦e par les souffles de mes camarades mourants, je ne m¡¯en serai pas sorti. C¡¯¨¦tait mon premier squat, pas le dernier. J¡¯ai appris et nous avons tous appris ¨¤ nous d¨¦fendre. La troisi¨¨me ann¨¦e du 27e Conseil, lorsqu¡¯ils sont de nouveau venus, on les a repouss¨¦s en leur balan?ant le contenu de gros extincteurs rouges dans la gueule et, tu sais ce qu¡¯il y a de beau l¨¤-dedans ? Ils ont flipp¨¦, ils ont pris la fuite. Le chat s¡¯attend rarement ¨¤ ce que la souris r¨¦plique ¨¤ croire¡ Nous ¨¦tions en force apr¨¨s cette victoire et dans un tel ¨¦tat d¡¯excitation que nous avons fonc¨¦ sur le palais sectoriel. Nous voulions juste le cramer au d¨¦part, mais en cherchant les archives pour les br?ler, nous sommes tomb¨¦s sur bien pire¡
Il ferma les yeux, se rem¨¦morant le moment. Le d¨¦go?t d¨¦goulinait de lui.
¡ª Les termites, compl¨¦ta Suranis.
¡ª Oui, ces putains de termites. Ils les exp¨¦rimentaient encore et ils en avaient tout un stock. On les a vol¨¦s, lib¨¦r¨¦ les victimes puis un gars a commenc¨¦ ¨¤ donner de la cravache sur un laborantin terroris¨¦¡ Puis un autre et encore et encore... Nous ¨¦tions devenus incontr?lables.
¡ª Vous avez tu¨¦.
¡ª Je n¡¯ai tu¨¦ personne, ce sont mes camarades. C¡¯est dr?le hein ? Personne ne raconte que Nate Killian a sauv¨¦ la vie de sept fonctionnaires regroup¨¦s dans un bureau que ses petits copains voulaient d¨¦gommer.
Bien que sans preuves de ce qu¡¯il avan?ait, Suranis le crut. Elle lisait en lui quelque chose de fonci¨¨rement sinc¨¨re. Le martellement sourd des derniers termites c¨¦r¨¦braux dans son crane qui creusaient leur chemin vers leur tombe reprit. Elle fron?a les sourcils, mais ne vacilla pas.
¡ª Je vous crois.
¡ª Je m¡¯en moque que tu me crois ou non. Dans tous les cas, c¡¯est de l¨¤ que viennent nos termites et ils sont en bout de course. On les r¨¦utilise quand on peut¡
¡ª Vous savez au moins comment ils fonctionnent ? le coupa Suranis.
¡ª Oui. Ils stimulent certaines zones du cerveau en proposant certains arguments dans le langage du cerveau-h?te. Tout un tas d¡¯id¨¦es ont d? te traverser l¡¯esprit concernant le SAGI, le monde, le Conseil¡ Ce ne sont pas les tiennes, mais des stimili des termites pour te tester. Je te rassure, elles ne d¨¦cortiquent pas ¨¤ proprement parler tes pens¨¦es, elles t¡¯interrogent en sous-marin et ne peuvent avoir comme r¨¦ponses que des oui ou des non.
¡ª Ce qui veut dire, si je peux me le permettre Nate, ajouta Jinn. Que nous ne pouvons m¨ºme pas crier ¨¤ l¡¯enl¨¨vement si vous nous gardez ici car les termites auront d¨¦j¨¤ d¨¦voil¨¦ notre consentement.
Nate ¨¦clata de rire puis se leva pour piocher dans une glaci¨¨re une canette encore fra?che d¡¯une bi¨¨re locale qu¡¯il ouvrit d¡¯un index expert. Il la tendit ¨¤ Suranis qui la refusa. Elle r¨¦fl¨¦chissait encore aux cons¨¦quences de cette r¨¦v¨¦lation. Elle n¡¯¨¦tait pas prisonni¨¨re et en m¨ºme temps oui. Prisonni¨¨re de choix r¨¦alis¨¦s en amont dont elle ignorait tout.
L¡¯Alt aux cheveux verts regarda la canette et en but une gorg¨¦e. La s¨¦cheresse qu¡¯il ressentait s¡¯estompa et il reprit :
¡ª Donc, je sais d¨¦j¨¤ que toi et Jinn nous suivront dans ce que nous projetons.
¡ª Certainement, souffl¨¨rent en ch?ur, et avec d¨¦pit, Suranis et Jinn.
¡ª Les termites nous ont souffl¨¦ la r¨¦ponse avant vous. Vous ¨ºtes assez malins pour savoir qu¡¯il n¡¯y a rien pour vous plus haut. Jinn Pertem s¡¯est retrouv¨¦ dans la fosse ¨¤ purin de l¡¯histoire et Suranis Rh¨¦on, qui devra tenter de le r¨¦habiliter, est avec nous. Je crois que je peux remercier mon ami Seth pour nous avoir envoy¨¦ nos deux personnalit¨¦s m¨¦diatiques¡
¡ª Mes condol¨¦ances, dit Jinn en remarquant que ses yeux s¡¯embrumaient, pr¨¦lude d¡¯une temp¨ºte qu¡¯il ne souhaitait voir.
¡ª Ce n¡¯est rien. Il a mis un coup dans la fourmili¨¨re¡ Mais grace ¨¤ lui on vous tient. Nous avons des projets pour vous deux et un projet qui ne vous concerne pas¡ Des projets qui dans tous les cas participeront ¨¤ votre r¨¦habilitation, sauf si vous souhaitez vivre ad vitae eternam avec de vieux croulants ?
¡ª Non. Mais je veux quand m¨ºme conna?tre l¡¯autre projet avant d¡¯entendre ce que vous attendez de nous, demanda Suranis.
¡ª Herth vit ses derni¨¨res heures, admit Killian.
¡ª Pardon ?
¡ª Il ¨¦tait des n?tres.
Suranis chercha du regard un endroit o¨´ s¡¯asseoir pour dig¨¦rer le choc. Elle s¡¯en doutait. Pour l¡¯instant le jeune homme devait survivre l¨¤ o¨´ le Conseil envoie ses victimes dormir d¡¯un sommeil fragmentaire, mais il finirait par ¨ºtre ¨¦limin¨¦ comme tous suspects un peu trop g¨ºnants. De plus, s¡¯il appartenait au SAGI alors rien n¡¯emp¨ºcherait les termites de d¨¦voiler leur position. ?a prendrait du temps et avec pragmatisme le mouvement pr¨¦voyait son assassinat.
Je ne sais pas si j¡¯aurai pu faire la m¨ºme chose¡ Des ombres titanesques s¡¯¨¦tendent sur le SAGI et je vais les suivre, docilement¡ Parce que quoi ? Ah oui, je n¡¯ai nulle part o¨´ aller.
¡ª Tu vas bien Suranis ? demanda Nesta.
¡ª Oui, ?a va.
¡ª Jamais personne ne mourra pour rien, continua Nate Killian. Herth connaissait les risques, il n¡¯est pas un interne au SAGI mais conna?t des personnes qui peuvent indiquer le chemin de la maison et nous sommes forc¨¦s d¡¯agir pour l¡¯emp¨ºcher de parler. Cela ne nous r¨¦jouit pas, mais dans tous les cas il est foutu et finira pendu ¨¤ un moment ou un autre. Nous avions un commun accord si de telles conditions se r¨¦unissaient et il avait accept¨¦.
Sa chaise craqua alors qu¡¯il se rasseyait, puis ce fut au tour de ses doigts. Sa voix m¨ºme craqua lorsqu¡¯il aborda les raisons qui l¡¯avait pouss¨¦ ¨¤ faire venir ¨¤ lui Suranis Rh¨¦on ¨C avec les r¨¦unions sagistes, ils avaient eu la semaine pour r¨¦fl¨¦chir ¨¤ ce qu¡¯ils allaient faire de l¡¯opportunit¨¦ pr¨¦sent¨¦e.
¡ª Bref. Vu que Jinn est d¨¦j¨¤ au courant de ce qu¡¯on attend de lui, j¡¯aimerais aborder ce point avec toi Suranis.
¡ª Si je suis d¡¯accord.
¡ª Tu ne l¡¯es pas ?
Sieurs termitiers avaient d¨¦j¨¤ tout sond¨¦. Elle se mordit la l¨¨vre en baissant la t¨ºte.
¡ª Une r¨¦ponse ¨¦loquente. Bien, de toute ¨¦vidence tu ne pourras pas remonter vers la Surface sous peu. Tu es recherch¨¦e et pour te r¨¦habiliter il n¡¯existe qu¡¯une seule m¨¦thode : montrer la v¨¦rit¨¦ sur l¡¯affaire Pertem, le faux proc¨¨s qu¡¯on lui a coll¨¦ au cul et la femme qu¡¯ils essaient de liquider parce qu¡¯elle en sait trop. Mais, apr¨¨s consultation du SAGI, on a pens¨¦ qu¡¯on pouvait faire un peu plus que ?a¡ Rien ne vous prot¨¦gera si le Conseil reste en place, ce qu¡¯il fera certainement, alors nous allons le faire exploser. Le meurtre de Pavla Karanth n¡¯est qu¡¯un mensonge parmi d¡¯autres. Je ne dis pas qu¡¯il est sans importance, mais il est assez isol¨¦ pour qu¡¯on pardonne le Conseil. Cependant, si nous r¨¦unissions une multitude des merdes conseill¨¨res, nous pourrions les pr¨¦senter aux Citoyens. Parce que, tu vois Suranis, on peut agiter une bougie dans l¡¯obscurit¨¦ pendant des d¨¦cennies - ce que j¡¯ai essay¨¦ de faire - sans que rien ne bouge. La population est trop favorable au Conseil pour qu¡¯elle puisse se faire une image d¡¯ensemble de ce dernier alors on va un peu forcer la main¡ Le plan est simple, on peut toujours ¨¦clairer une partie d¡¯une pi¨¨ce sans jamais la d¨¦voiler enti¨¨rement ou on peut balancer des millions de watts.
L¡¯id¨¦e de s¡¯impliquer dans pareille affaire d¨¦concerta Suranis. Mais maintenant qu¡¯elle se trouvait dos au mur, que pouvait-elle faire sinon montrer son approbation en hochant docilement la t¨ºte ? Jinn emprunta du tabac ¨¤ Nesta et roula deux cigarettes : une pour elle, l¡¯autre pour lui. Il ¨¦coutait tr¨¨s distraitement la conversation avec l¡¯impression de ne pas ¨ºtre ¨¤ sa place ici. Personne ne l¡¯¨¦tait vraiment, conclut-il en remarquant l¡¯air troubl¨¦ de Killian.
Il est dans la Zone, voil¨¤ tout. Ses r¨ºves ne porteront jamais et il le sait, mais il s¡¯escrime ¨¤ combattre et nous allons l¡¯aider parce que nous n¡¯avons rien de mieux ¨¤ faire¡ Aussi parce que l¡¯injustice est un sentiment puissant et qu¡¯on ne pourrait se r¨¦soudre ¨¤ ne pas rendre les coups qu¡¯on nous a donn¨¦. M¨ºme si cela doit faire de nous des pantins.
Il tira sur sa cigarette, Nesta lui donna une tape amicale sur l¡¯¨¦paule.
¡ª ?a me para?t coh¨¦rent, dit Suranis. Comment comptez-vous monter tout ?a ?
¡ª Il nous faut accumuler des preuves. J¡¯ai entendu dire que tu bossais ¨¤ la FPC ¨¤ une ¨¦poque. Tu as toujours ta carte ?
¡ª Elle a ¨¦t¨¦ d¨¦magn¨¦tis¨¦e, mais je l¡¯ai encore. J¡¯¨¦tais sens¨¦ la d¨¦truire, mais j¡¯ai oubli¨¦ et eux aussi.
¡ª Alors, profitons de leur foi totale dans les sacro-saintes puces d¡¯identification pour qu¡¯ils ne fassent pas le lien entre un nom sur une carte et une femme recherch¨¦e¡
Il lui d¨¦voila le reste du plan qui se d¨¦roulerait dans les couloirs froids d¡¯une morgue. Elle imagina son cheminement, ressentit de la peur ¨¤ l¡¯id¨¦e de remonter et de se glisser l¨¤-bas. Elle n¡¯avait aucune envie d¡¯enqu¨ºter en utilisant une identit¨¦ qui n¡¯¨¦tait plus la sienne, mais quelles autres solutions s¡¯offraient ¨¤ elle ? Elle n¡¯attendrait pas que l¡¯¨¦tat d¨¦barque dans sa vie avec force et violence, elle sortirait du four avant que sa cuisson ne d¨¦passe le stade du bleu.
Non, tu es d¨¦j¨¤ au stade carbone. Rien ne me pla?t, mais le terroriste a raison. Je vrillerais si je reste ici.
Elle accepta m¨ºme si rien ne lui plaisait.
Chapitre 21
Le terme de ? bapt¨ºme du feu ? pr¨ºte ¨¤ sourire lorsque les Molotov sont votre quotidien. C¡¯est pourtant ce que l¡¯on avait demand¨¦ ¨¤ Suranis, une rupture nette avec sa vie rang¨¦e pour mettre le feu aux poudres et faire imploser la soci¨¦t¨¦ telle qu¡¯on la connaissait.
Elle avait accept¨¦ sa mission, non pas frapp¨¦e par une r¨¦v¨¦lation ¨¤ la fronti¨¨re du politico-religieux, mais avec un d¨¦senchantement exacerb¨¦. Toutes ses r¨ºveries de jeunes gens, les carri¨¨res extravagantes et l¡¯¨¦mancipation par le travail : finis. Le r¨ºve d¡¯ind¨¦pendance avec sa mis¨¦rable agence qui croulait sous les dettes et elle sous l¡¯alcool : aussi fini. Elle venait d¡¯¨¦teindre le phare d¡¯une vie id¨¦elle qui la pla?ait comme engrenage du syst¨¨me parce qu¡¯on ne lui avait pas laiss¨¦ le choix. Le train soci¨¦tal avait d¨¦raill¨¦ et elle en avait ¨¦t¨¦ ¨¦ject¨¦e. Sur le bas-c?t¨¦ de la voie ferr¨¦e, elle observait le d¨¦sastre. Suranis Rh¨¦on, l¡¯inspectrice des petites affaires et d¨¦tective des infimes n¡¯¨¦tait plus rien sinon un animal sauvage ¨¦chappant ¨¤ une battue brutale.
Au d¨¦part, elle s¡¯¨¦tait sentie abattue et d¨¦sabus¨¦e, mais petit ¨¤ petit le souffle de la r¨¦volte s¡¯¨¦tait insinu¨¦ en elle. Elle n¡¯avait jamais vraiment souhait¨¦ cette vie et maintenant qu¡¯elle voyait l¡¯¨¦tendue des d¨¦gats, elle batirait une nouvelle tour ¨¤ faire palir Babylone. Aussi savait-elle que pour pr¨¦server ce qu¡¯elle ¨¦difiait avec les Sagistes, il faudrait se d¨¦barrasser de certains pions. Notamment, l¡¯un d¡¯entre eux parti ¨¤ la rescousse d¡¯une Reine tomb¨¦e dans les oubliettes qui ne tarderait pas ¨¤ se retrouver gaz¨¦e dans sa propre cellule. Bient?t, tous les m¨¦dias oublieraient la capture d¡¯un suspect dans l¡¯attentat du Branthes pour se concentrer sur sa mort atroce et sur ce visage crisp¨¦ dans une ¨¦ternelle douleur.
Suranis regarda sa montre. 17 heures 30. D¡¯ici dix-sept minutes, Herth Phue marcherait dans les t¨¦n¨¨bres. L¡¯¨¦quipe devait arriver dans la chambre d¡¯oxyg¨¦nation et ¨¦changer les bonbonnes. Elle ¨¦vita d¡¯y penser, on ne lui avait pas demand¨¦ de participer ¨¤ cette op¨¦ration et ¨¤ l¡¯aquarium qui en r¨¦sulterait. Un aquarium rempli de poissons aux yeux vitreux. Dont Herth. C¡¯est de ma faute, pensa-t-elle en tapotant docilement sa carte p¨¦rim¨¦e de la FPC stipulant ? Inspectrice ? en lettres d¡¯argent. Cette ? Inspectrice ? ¨¦tait morte depuis des mois, d¨¦sarticul¨¦e par sa chute et d¨¦membr¨¦e par un ferrailleur, du moins tel ¨¦tait le discours officiel. Mais, elle demeurait enti¨¨re face ¨¤ ses semblables, le morceau de plastique lui donnait une importance qui outrepassait les simples questions mortelles.
L¡¯infirmerie de la Charit¨¦, qui abritait la morgue 27 de l¡¯¨¦tage B, se trouvait face ¨¤ elle. Derri¨¨re les portes vitr¨¦es qui s¡¯ouvrirent ¨¤ son passage dormait la victime ¨¤ l¡¯origine de bien des bouleversements. Dans l¡¯univers de bancs blancs et de n¨¦ons vieillissants, un secr¨¦taire moribond l¡¯accueillit d¡¯un regard mauvais :
¡ª Je peux vous aider ? demanda-t-il.
¡ª Oui. J¡¯aimerais acc¨¦der ¨¤ la morgue, r¨¦pondit-elle en montrant sa carte, anxieuse ¨¤ l¡¯id¨¦e qu¡¯il ne laisse pas passer.
Il ne jeta qu¡¯un bref coup d¡¯?il ¨¤ la photographie d¨¦fra?chie d¡¯une femme aux cheveux plus longs, courba la t¨ºte en signe de soumission et murmura :
¡ª Tout ¨¤ fait Madame, je vous ouvre la porte. Vous trouverez s?rement le Docteur Hervistk dans son bureau au sixi¨¨me niveau. Dois-je le pr¨¦venir de votre arriv¨¦e ?
¡ª Non, surtout pas. Je vais m¡¯annoncer par moi-m¨ºme.
La surprise marqua son visage. Il parvint ¨¤ r¨¦pondre un faible ? Oui ?. Les morgues pouvaient ¨ºtre soumises ¨¤ des visites des autorit¨¦s pour diverses raisons, dont le trafic d¡¯implants. La morgue 27 ¨¦tait irr¨¦prochable en la mati¨¨re, mais une suspicion restait terrifiante.
Le secr¨¦taire appuya sur un bouton derri¨¨re son bureau et un panneau coulissa dans le mur. Suranis y ¨¦tait d¨¦j¨¤ venu une fois, au septi¨¨me niveau se trouvaient entrepos¨¦s les corps des enqu¨ºtes en cours. Elle entra dans les couloirs aseptis¨¦s de la morgue, se rem¨¦morant l¡¯¨¦troitesse de l¡¯endroit et le personnel qui riait ¨¤ tout va comme pour apaiser la pesanteur des lieux. Ce n¡¯¨¦tait pas le cas aujourd¡¯hui. Une anxi¨¦t¨¦ palpable se ressentait dans toute la morgue et Suranis la partagea. Elle se sentait ¨¤ cran, ignorant qui des cam¨¦ras ou des regards tourn¨¦s vers elle ¨¦taient les pires. Certainement les cam¨¦ras, se dit-elle. Elles tentaient d¨¦sesp¨¦r¨¦ment de lire sa puce d¡¯identification, sans succ¨¨s.
Ils vont finir par envoyer quelqu¡¯un v¨¦rifier ce qu¡¯il en est. Un ¨¦chec d¡¯identification, ?a peut ¨ºtre le mat¨¦riel ou la connexion, deux ?a commence ¨¤ faire, mais trois¡ Elle se trompait, personne ne viendrait. La foi absolue dans les puces impliquait que la sienne ne pouvait ¨ºtre fautive et que le mat¨¦riel vieillissant de la morgue m¨¦ritait d¡¯¨ºtre remplac¨¦.
Elle arriva ¨¤ un ascenseur, les brancardiers transportaient un corps et la d¨¦visag¨¨rent avec un ¨¦tonnement qui se transforma en stupeur et, peut-¨ºtre, aussi en effroi. Ils remarqu¨¨rent sa coupe caract¨¦ristique et cette cicatrice ¨¤ l¡¯arri¨¨re du crane¡ Une de leur patiente ne pouvait se pavaner dans les locaux et pourtant tel ¨¦tait le cas. Un seul d¡¯entre eux parvint ¨¤ sortir de son ¨¦tat quasi-l¨¦thargique pour d¨¦crocher un ? Bonjour Inspectrice ? ¨¤ cette goule avec le respect d? aux empereurs. Elle lui d¨¦crocha un signe imp¨¦rieux de la t¨ºte et le groupe s¡¯¨¦loigna d¡¯elle, hatant le pas jusqu¡¯¨¤ dispara?tre au d¨¦tour du couloir.
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L¡¯ascenseur descendit sans eux, ¨¦vitant soigneusement le bureau du Docteur Hervitsk pour rejoindre l¡¯¨¦tage inf¨¦rieur. Le 7¨¨me se pr¨¦senta ¨¤ elle comme elle s¡¯en souvenait. Il n¡¯y avait qu¡¯une pi¨¨ce immense aux allures de catacombes surexpos¨¦es. Les alc?ves r¨¦frig¨¦r¨¦es d¡¯un vert pomme, celui des jeunes tiges et de l¡¯immaturit¨¦, juraient terriblement avec les occupants des lieux au summum de leur maturit¨¦, ¨¤ jamais tas d¡¯os et de chairs inanim¨¦es. Elle s¡¯en refit la remarque en s¡¯approchant des alc?ves, rep¨¦rant ceux qui ¨¦taient usit¨¦s aux fiches des propri¨¦taires actuels. Aujourd¡¯hui, seul une vingtaine ¨¦taient occup¨¦es et parmi elles se trouvait celle qu¡¯elle recherchait. ? Pavla Karanth ID547-896BC / Affaire PER-KAR ? lut-elle sur la fiche. Combien avaient touch¨¦s les employ¨¦s de la morgue pour se taire ? Plus encore, combien n¡¯avaient pas fait le rapprochement entre PER et Pertem ?
Ce n¡¯est pas le moment de te poser des questions Suranis. Tu as ¨¤ faire. Effectivement, un cadavre l¡¯attendait. Elle tira le tiroir, l¡¯odeur du corps s¡¯av¨¦ra puissante. Les n¨¦crophages stopp¨¦s en plein banquet avaient assez ?uvr¨¦ pour lui retirer une grimace de d¨¦go?t. La chair blanche de Pavla Karanth virait au bleu, ses yeux tournaient au gris opaque. On toussa derri¨¨re elle, sentencieusement :
¡ª Je peux savoir ce que vous faites ici ? demanda une voix d¡¯homme.
Le Professeur quinquag¨¦naire ¨¤ la petite franche soign¨¦e et ¨¤ la blouse immacul¨¦e d¨¦visagea l¡¯inconnue avec suspicion. Son pr¨¦nom devait s¡¯approcher de Mortimer, du moins son allure squelettique et son teint blafard le sugg¨¦raient. Il n¡¯¨¦tait cependant pas mort, mais peut-¨ºtre gu¨¨re diff¨¦rent de ses patients. Son badge indiquait Pr. Hervitsk.
¡ª Professeur Hervitsk ? demanda Suranis. Je suis venue recueillir des informations compl¨¦mentaires pour une affaire en cours. Inspectrice Rh¨¦on de la FPC.
Hervitsk s¡¯empara de la carte tendue et l¡¯observa sous toute ses coutures. Il en d¨¦duisit sa v¨¦racit¨¦ et lui rendit avec un haussement d¡¯¨¦paules imperceptibles. Rien ne rattachait le morceau de plastique ¨¤ l¡¯ordinateur central de la Cit¨¦, rien n¡¯indiquait son expiration et le statut de sa d¨¦tentrice : morte.
¡ª Bien Inspectrice, nous n¡¯avons pas ¨¦t¨¦ pr¨¦venu de votre visite. Mais ?a ne serait pas la premi¨¨re fois¡
Il se d¨¦tendit. La police ¨¦tait arriv¨¦e et le rapport avec ses agents ¨¦tait simple : on ne les questionnait pas. Elle fur¨¨terait autant qu¡¯elle le voudrait et m¨ºme si un cadavre venait ¨¤ dispara?tre, il ferait mine de n¡¯avoir rien vu. G¨¦n¨¦ralement, cela n¡¯arrivait pas.
Il d¨¦signa du doigt le casier devant lequel se trouvait Suranis :
¡ª Je peux peut-¨ºtre vous aider. C¡¯est pour Karanth ?
¡ª En partie. On m¡¯a demand¨¦ de r¨¦cup¨¦rer une copie du dossier suite ¨¤ des suspicions d¡¯erreurs.
¡ª Une erreur ? s¡¯¨¦cria-t-il surpris. Cela serait¡ Amusant. Le rapport ne stipule qu¡¯une strangulation et des marques aux genoux. Comme si la victime avait ¨¦t¨¦ jet¨¦e ¨¤ terre puis ¨¦trangl¨¦e ¨¤ mort¡ Il n¡¯existe rien d¡¯autre, pas d¡¯empreintes, pas d¡¯ADN¡ Un travail de pro.
Il avait h¨¦sit¨¦ en parlant d¡¯empreinte.
¡ª Aucune empreinte ? insista Suranis.
¡ª Une parcellaire ¨¤ la base de la nuque, admit le Professeur. Sur son col plus exactement, du vinyle. Trop ab?m¨¦e pour qu¡¯on en fasse quoi que ce soit¡
¡ª Nous n¡¯avions pas cette information dans notre dossier, mentit Suranis. Je peux en obtenir une copie ?
¡ª Oui, vous avez de quoi photocopier au troisi¨¨me ¨¦tage et vous trouverez l¡¯original l¨¤-bas, r¨¦pondit servilement le Professeur. C¡¯est organis¨¦ par ID des victimes. Vous arrivez au bon moment, nous allions l¡¯archiver celle-l¨¤.
Au bout de son doigt se trouvait un mastodonte d¡¯acier sur roulement ¨¤ billes. Suranis hocha la t¨ºte en rangeant sa carte.
¡ª Milles merci, vous pouvez disposer.
Hervitsk la salua et sortit, laissant Suranis seule. Elle se sentait stress¨¦e, mais infiniment soulag¨¦e d¡¯avoir en sa possession la carte d¡¯un fonctionnaire de la Cit¨¦. C¡¯¨¦tait un art¨¦fact presque magique, elle ouvrait bien des portes et rendait tout le monde plus coop¨¦ratif.
Elle la titilla un instant au travers de sa poche, comme un f¨¦tiche, avant de sortir un appareil photo pour cribler le casier ouvert. Des photographies de la fiche d¡¯identification, du cadavre aux cheveux si longs avec ces ongles rong¨¦s qui ne repousseraient plus. Elle n¡¯avait jamais r¨¦alis¨¦ pareil acte, se contentant d¡¯observer les donn¨¦es r¨¦colt¨¦es par les ¨¦quipes techniques lorsqu¡¯elle ¨¦tait inspectrice, et ressentait un sentiment croissant d¡¯horreur. Comme l¡¯impression de violer Pavla Karanth une ¨¦ni¨¨me fois. D¨¦sol¨¦e. Bient?t il ne restera plus qu¡¯une tra?n¨¦e dans le Flux de toi, mais tu serviras ¨¤ ce que d¡¯autres ne soient us¨¦es jusqu¡¯au dernier fil¡
Les photographies prisent lui convenaient. Habituellement, on proc¨¦dait par une num¨¦risation 3D des lieux du crime, mais le mat¨¦riel en sa possession ne permettait pas de r¨¦aliser pareil acte. De plus, la m¨¦thode rudimentaire qu¡¯elle usait ¨¦tait plus difficilement falsifiable, on pourrait difficilement r¨¦cuser les photographies lorsqu¡¯elles seront expos¨¦es ¨¤ tous. En pressant la gachette de l¡¯appareil une derni¨¨re fois pour prendre l¡¯ensemble, elle ressentit un haut-le-c?ur. Pavla Karanth, comme son p¨¨re, ¨¦tait une bombe. Elle exploserait en emportant la soci¨¦t¨¦ toute enti¨¨re avec elle pour que de ses cendres naquisse quelque chose de neuf. Du moins, c¡¯¨¦tait la promesse silencieuse que Suranis fit en renfermant avec respect le casier avant de s¡¯approcher de l¡¯armoire aux dossiers. La mort des Karanth ne seraient pas veines, l¡¯Armageddon r¨¦unirait les unit¨¦s disparates qui fa?onnaient le monde. Elle esp¨¦rait que cela soit pour le mieux.
¡ª Salut Pavla, dit-elle dans la pi¨¨ce sans vie.
Chapitre 22
¡ª On est enfin arriv¨¦s ? demanda Melter.
Hellas, plus habile qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait lui-m¨ºme avec ces gadgets trafiqu¨¦s, sortit sa tablette et examina la carte. Il haussa les ¨¦paules avec un sourire :
¡ª Si j¡¯en crois les derni¨¨res plaquettes crois¨¦es, nous sommes bien arriv¨¦s, r¨¦pondit Hellas.
D¡¯apr¨¨s les indications donn¨¦es par sa carte cependant. Tous les conduits se ressemblaient et rien ne laissait entendre que leur point d¡¯arriv¨¦e se soit situ¨¦ face ¨¤ eux. Hellas soupira en rangeant sa tablette.
¡ª Il faudra que tu me dises comment tu fais pour te d¨¦placer si vite. Deux putains d¡¯heures qu¡¯on se trimballe dans ces conduits avec le matos sur le dos¡ Je suis en compote, admit-il. Comment tu fais pour para?tre en si bonne forme malgr¨¦ tes vieux os ? J¡¯ai m¨ºme pas entendu un seul grincement.
Melter d¨¦voila ses dents, plus un ricanement qu¡¯un sourire. De la lumi¨¨re de la frontale d¡¯Hellas, son ombre prenait des allures de renard jusqu¡¯¨¤ sa posture tass¨¦e. Ils se tra?naient dans un conduit de quatre-vingt centim¨¨tres de large sur un m¨¨tre vint de hauteur. Subitement, celui-ci s''¨¦largit pour passer ¨¤ un g¨¦n¨¦reux m¨¨tre cinquante en toute direction.
? Attends ? balbutia Hellas en profitant de l¡¯espace pour faire une pause, s''asseyant avec pr¨¦cautions. Malgr¨¦ elles, l¡¯aluminium vibra. Il porta un index ¨¤ sa bouche, l¡¯air contrit, puis quand les vibrations cess¨¨rent d¨¦signa une grille d¡¯a¨¦ration. Son installation avait ¨¦t¨¦ bacl¨¦e, les mauvaises soudures sugg¨¦raient qu¡¯elle n¡¯¨¦tait pas d¡¯origine. C¡¯¨¦tait un bon point, le renouvellement de l¡¯air dans la Cit¨¦ n¡¯¨¦tait devenu une priorit¨¦ que lorsqu¡¯elle commen?a ¨¤ vraiment exister.
¡ª Je dois t¡¯avouer que je suis bien content d¡¯avoir un peu de place pour ¨¦tendre mes jambes, dit Hellas. Puis... Regarde. T¡¯as vu la grille ? Je pourrais jurer sur qui tu veux que notre prince est de l¡¯autre c?t¨¦.
-
Ah, et il nous attend avec une bouteille de champagne pour trinquer ¨¤ son ¨¦ternit¨¦ ? le taquina Melter.
-
Tu lui demanderas.
-
Plus tard, l¨¤ j''aimerais juste pouvoir rester dans ces conduits froids, voir l''horizon qui marque la fin de ma libert¨¦. Tant que ma mis¨¦rable caboche la con?oit et tient bon...
Hellas n''¨¦tait pas au courant. ? Il te reste cinq ans ¨¤ vivre Melter, d¨¦sol¨¦e de te l¡¯apprendre comme ?a¡ La tumeur est ma?trisable, pour l¡¯instant, mais elle va continuer de s¡¯¨¦tendre¡ Tes capacit¨¦s cognitives vont diminuer, puis tu t¡¯¨¦teindras. C¡¯est ainsi ? lui avait-on appris cinq ans auparavant. Il survivait bien qu¡¯¨¦voluant dans un flou constant. Il commen?ait ¨¤ oublier des choses et, le plus souvent, qu¡¯il mourait bient?t. Mais l¨¤, tout de suite, il s¡¯en souvenait et grima?a. Ouais, c¡¯¨¦tait tenace, mais ¨¤ son age il pouvait mourir n¡¯importe quand, tumeur ou pas.
¡ª Ta t¨ºte peut tenir une ann¨¦e de plus d¡¯apr¨¨s Sera. Tu es solide Melt et puis, tu es toujours capable de philosopher ¨¤ ce que je vois¡ Mais par piti¨¦, ¨¦pargne-moi cette conne de libert¨¦, elle s''arr¨ºte de l''autre c?t¨¦ de la grille¡ marmonna celui qui l¡¯accompagnait en frottant ses coudes rougis par une activit¨¦ qu¡¯il n¡¯avait plus pratiqu¨¦ depuis ses deux ans et les pr¨¦mices de son d¨¦placement bip¨¨de.
¡ª Nous apportons l¡¯enfer l''ami¡ dit Melter en marquant une pause. Bref, on peut se bouger ? Il para?t que Nils s¡¯est mise ¨¤ faire de la bi¨¨re avec sa r¨¦colte de champignons. Ne me demande pas comment, mais j¡¯ai une foutue envie d¡¯y go?ter¡ Bien fra?che de pr¨¦f¨¦rence.
¡ª Moi aussi, mais nous l¡¯aurons bien ti¨¨de la connaissant.
Ils rirent, aussi fort qu¡¯ils os¨¨rent le faire malgr¨¦ la certitude que personne ne se trouvait dans le coin. Une bi¨¨re ¨¦tait une id¨¦e agr¨¦able, voire deux¡ Histoire d¡¯oublier qu¡¯ils auraient gaz¨¦ une dizaine de personnes pour les besoins de la cause et que l¡¯un des deux dispara?trait sous peu (ou pas, le premier pronostic de Sera avait ¨¦t¨¦ foireux apr¨¨s tout).
¡ª J¡¯imagine que tu as raison¡ dit Melter lorsqu¡¯il se reprit enfin. Bien, comme tu l¡¯as si bien dit bougeons-nous. Ton temps n¡¯est pas compt¨¦, mais le mien¡
Melter laissa sa phrase en suspens et sortit de sa trousse ¨¤ outils un petit tournevis. Il commen?a ¨¤ desserrer les vis qui maintenaient la grille branlante. Elle avait ¨¦t¨¦ mal pos¨¦e, mais les vis solidement enfonc¨¦es lui d¨¦fonc¨¨rent les mains. Ses paumes ¨¦corch¨¦es, il maudit le nom de ces ouvriers persuad¨¦s que bien serrer les choses ¨¦tait un besoin aux limites du sacr¨¦. Vis ou autres¡
Bien que difficile ¨¤ retirer, il parvint finalement ¨¤ en venir ¨¤ bout sous le regard m¨¦dus¨¦ de Hellas qui avait rumin¨¦, par deux fois, l¡¯envie de se fumer une clope en attendant que le boulot soit fini.
¡ª Bon, tu m¡¯aides ¨¤ retirer la grille ou tu pr¨¦f¨¨res rester l¨¤ ¨¤ r¨ºvasser ? T¡¯es peut-¨ºtre myope et moi ¨¤ moiti¨¦ tar¨¦, mais on a en commun d¡¯avoir des bras fonctionnels.
Avec sa myopie avanc¨¦e, il aurait ¨¦t¨¦ bien incapable du travail de pr¨¦cision (et de force) effectu¨¦ par Melter, mais pouvait tr¨¨s bien tirer comme une brute sur la grille d¡¯a¨¦ration. Apr¨¨s tout, n¡¯¨¦tait-ce pas lui qui s¡¯¨¦tait trimball¨¦ la bonbonne d¡¯un jaune criard sur le dos ? Son envie de nicotine s¡¯effa?a alors qu¡¯il se rapprocha de la grille et commen?a ¨¤ tirer dessus par ¨¤-coups. Il ne pouvait d¨¦cemment pas fumer alors qu¡¯il pr¨¦parait l¡¯asphyxie des occupants d¡¯un bloc cellulaire¡ Une question de respect, bien qu¡¯au fond il tentait de se persuader qu¡¯il rendrait un grand service aux pauvres h¨¨res enferm¨¦s dans cette prison pourrie. Oui¡ Il tentait de s¡¯en persuader et s¡¯il en avait discut¨¦ avec Melter ce dernier lui aurait r¨¦torqu¨¦ qu¡¯ils ne feraient rien d¡¯autre que faire monter l¡¯¨¦cume aux l¨¨vres d¡¯innocents¡ Ah, et qu¡¯il ne faudrait pas oublier les yeux r¨¦vuls¨¦s. Personne ne pouvait souhaiter partir ainsi.
Une id¨¦e similaire traversa l¡¯esprit de Melter avant que la grille ne tombe vers l¡¯int¨¦rieur, un moignon rouill¨¦ de vis encore fich¨¦ dans un coin. Il sauta le premier dans la chambre ouverte et dans laquelle ronronnait l¡¯unit¨¦ d¡¯enrichissement en air de la prison. Il s¡¯agissait d¡¯un mod¨¨le classique, balis¨¦ de cyan et de rouge, qu¡¯on pouvait retrouver partout dans la Cit¨¦. Avec l¡¯augmentation de la population citadine, ces horreurs ¨¤ bonbonnes avaient ¨¦t¨¦ le moyen bricol¨¦ ¨¤ la va-vite pour alimenter la Cit¨¦ en oxyg¨¨ne. L¡¯atmosph¨¨re n¡¯offrait ¨¤ cette attitude qu¡¯un taux d¡¯O2 avoisinant les 4%, tout juste suffisant pour survivre plus de deux bouff¨¦es en se ramassant le long des hublots bris¨¦s. Les 16% manquants ¨¦taient pourvus par ces poumons g¨¦ants, eux-m¨ºmes aliment¨¦s par les insatiables planctons ¨C le Grand Pilote b¨¦nisse les prot¨¦ines v¨¦g¨¦tales des barres Bakers qui r¨¦sultent de leurs morts ¨C et une savante ¨¦lectrolyse de l¡¯eau capt¨¦e dans l¡¯espace proche ¨C et que celui qui a fait le Grand Pilote soit reconnu pour avoir gliss¨¦ o¨´ il le pouvait cette belle mol¨¦cule qu¡¯est l¡¯O2 !
Hellas s¡¯esclaffa ¨¤ la vue de l¡¯unit¨¦ d¡¯enrichissement :
¡ª Les poumons de la Cit¨¦ ! s¡¯¨¦cria-t-il dans la lumi¨¨re bleue qui illuminait la chambre absolument vide en dehors du ronronnant appareil. Ils sont ridicules, ils me font penser ¨¤ des cyborgs cabl¨¦s¡ Ou ¨¦tait-ce des mutants ?
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Il rit derechef. Son compagnon ne comprit pas la r¨¦f¨¦rence et le d¨¦visagea avec d¨¦sapprobation, mais lui aussi avait besoin de ce rire nerveux. Peut-¨ºtre plus encore.
¡ª On s¡¯en branle de ce ¨¤ quoi ils ressemblent, mais par piti¨¦¡ Pas si fort ! Je suis aussi content que toi de pouvoir ¨¦tendre mon dos de vieillard, mais les murs ont peut-¨ºtre des oreilles.
¡ª Foutaises ! Tant qu¡¯on ne crie pas, tout devrait bien se passer. On peut se marrer autant que l¡¯on veut¡ Apr¨¨s tout, on a le droit.
Oui, ils en avaient le droit. L¡¯acte final de leur sordide journ¨¦e s¡¯approchait et ils seraient bient?t au sommet de leur carri¨¨re terroriste¡ Mais jamais, dans des circonstances normales, ils ne se seraient attaqu¨¦s ¨¤ des innocents et peut-¨ºtre, m¨ºme si la certitude n¡¯¨¦tait pas absolue, ¨¤ un crevard. H¨¦las, les circonstances ¨¦taient extraordinaires et ils s¡¯appr¨ºtaient ¨¤ entrer dans le cercle restreint des salauds explosifs auquel faisait d¨¦j¨¤ partie Seth Karanth¡ Avec une diff¨¦rence notable : leurs photographies n¡¯appara?tront pas aux c?t¨¦s des cadavres flout¨¦s et les ? dommages collat¨¦raux ? ne seraient pas des familles qui d?naient tranquillement la table ¨¤ c?t¨¦.
Un point de ressemblance cependant existait. Personne n¡¯expliquerait pourquoi les prisonniers devaient mourir. Le SAGI ne revendiquerait m¨ºme pas l¡¯acte, ils pourraient bien d¨¦tailler leurs objectifs, la corruption du syst¨¨me et les perspectives d¡¯un monde meilleur ¨C pas pour tous, mais pour l¡¯essentiel ¨C et tout cela ne servirait ¨¤ rien. On ne diffuserait jamais leur message et les m¨¦dias se contenteraient de parler de la douzaine de morts, dont le suspect du Branthes qui aura au moins le m¨¦rite de faire pousser un soupir de soulagement aux partisans de la peine capitale. Bien entendu, ils ne pr¨¦ciseront jamais que parmi les victimes se trouvait un ripou qu¡¯on avait d¨¦cid¨¦ d¡¯envoyer ici plut?t que de l¡¯exposer et que ce voyou en uniforme passait sa mis¨¦rable existence ¨¤ tater de la matraque t¨¦lescopique.
Melter pensa ¨¤ tout cela, pensa ¨¤ cette ordure ¨C hypoth¨¦tique, juste histoire de penser que ? au moins il y avait¡ ? - et une euphorie l¨¦g¨¨re s¡¯empara de lui. Lui aussi c¨¦da au rire. Son c?ur battait ¨¤ vive allure et il supposa, avec effroi, qu¡¯il devait s¡¯agir d¡¯excitation. Hellas lui posa une main sur l¡¯¨¦paule et il revint ¨¤ la r¨¦alit¨¦, ¨¤ ces affreux salopards en uniforme qui ne l¡¯¨¦taient devenus que par un concours de circonstance, fabriqu¨¦s ¨¤ la cha?ne et interchangeables, puis ¨¤ Herth Phue et ¨¤ la mission.
¡ª Tu vas bien ? demanda Hellas.
¡ª Je¡ Comment dire ? Je pense que je suis excit¨¦. Je ne comprends pas¡ dit Melter en se grattant le menton ce qui indiquait chez lui une grande g¨ºne.
¡ª Oui, je vois ce que tu veux dire. Je me d¨¦go?terais aussi si je ne savais pas d¡¯o¨´ ?a venait. Je me sens tr¨¨s l¨¦ger, le cerveau en ¨¦bullition, mais ce n¡¯est pas de l¡¯excitation. Tiens, mate un peu ta montre et tu verras pourquoi nous nous sentons ainsi.
Melter regarda la montre digitale ¨¤ son poignet. En plus de l¡¯heure, elle affichait des donn¨¦es imm¨¦diates sur l¡¯environnement. Elles n¡¯¨¦taient pas utiles pour un habitant lambda mais essentielle pour les techniciens amen¨¦s ¨¤ se d¨¦placer dans des zones o¨´ l¡¯insuffisance en oxyg¨¨ne comme la surcharge en monoxyde de carbone pouvaient s¡¯av¨¦rer dangereux.
La montre indiquait une concentration ¨¤ 27% d¡¯oxyg¨¨ne, de quoi alimenter un brasier ou, avec le temps, produire des humains de trois m¨¨tres de haut qui d¨¦velopperaient des crocs et des comportements de piafs trifouillant le sol.
¡ª 27% ! Bordel, s¡¯exclama Melter en r¨¦initialisant sa montre mais le nombre ne bougea pas. Tu penses que ?a explique la rouille ?
¡ª Il y a bien assez d¡¯oxyg¨¨ne dans l¡¯air pour que toute la Cit¨¦ rouille, mais je me serais attendu ¨¤ quelque chose de plus ? chaotique ? vu les chiffres, fit Hellas. Les mat¨¦riaux doivent ¨ºtre de bien meilleure qualit¨¦ que je ne l¡¯escomptais. Bref, je crois que ce chiffre explique ? l¡¯euphorie ?. Il doit y avoir quelques pertes dans le syst¨¨me, mais rien d¡¯alarmant. Tu sais¡ Un tuyau perc¨¦ ou une bonbonne d¨¦viss¨¦e.
Il prit une pause, sortit son paquet de clopes et envisagea de s¡¯en griller une, une nouvelle fois. Le paquet resta en suspens dans sa main. Risquait-on l¡¯explosion ¨¤ une telle concentration ? Il ma?trisait mal le sujet et rangea le paquet par pr¨¦caution avant de secouer sa t¨ºte :
¡ª Waouh, ?a ne va pas¡ Bien, si tu veux bien, Chef, et tant que nous sommes shoot¨¦s ¨¤ l¡¯oxyg¨¨ne, d¨¦p¨ºche-toi de brancher cette bonbonne. Cet endroit me fout les jetons¡
Le Chef grima?a avant de lui tirer la langue. Il ¨¦tait vieux, un peu, avec sa cinquantaine bien tass¨¦e ¨C dans laquelle il mourait ¨C et en d¨¦pit de son age d¨¦testait ¨ºtre appel¨¦ ainsi. Chef de rien du tout, voil¨¤ ce qu¡¯il ¨¦tait. Bient?t macchab¨¦, pour s?r. Il se dirigea vers les bonbonnes en place et d¨¦vissa le tuyau de l¡¯une d¡¯entre elle avant de la retirer. Un pssst se fit entendre et le taux d¡¯oxyg¨¨ne grimpa lentement jusqu¡¯¨¤ 30% alors que la bouteille se vidait dans un coin. Elle ¨¦tait d¡¯un rouge vif, son code couleur CPK, qui ¨¦tait aussi, et d¡¯une mani¨¨re saugrenue, celui du danger. Pourtant, le v¨¦ritable danger ¨¦tait ailleurs dans la pi¨¨ce et d¡¯un jaune biologique.
Il s¡¯empara de la bonbonne que le jeune transportait et la fixa avec une attitude d¨¦go?t¨¦e. Une fois ouverte le duo reviendrait au SAGI, on ne jetterait pas l¡¯opprobre sur eux (ils s¡¯¨¦taient r¨¦sign¨¦s ¨¤ la tache, n¨¦cessaire mais ¨¦c?urante), mais on les dorloterait pour tenter d¡¯apaiser leurs consciences ¨¦corch¨¦es. Pourtant, il n¡¯y aurait plus rien ¨¤ faire, ceux rest¨¦s sur place ne partageraient jamais avec eux la puanteur du meurtre. Jamais n¡¯apprendraient-ils, aussi, ce que ?a fait d¡¯ouvrir les vannes.
Melter se retourna avec un sourire presque sardonique, et tr¨¨s certainement triste, vers Hellas :
¡ª Et bordel¡ Nous y voil¨¤ mon grand... Toute ce voyage pour quelle foutue raison ? Assassiner des inconnus pour sauver notre petit cul et penser que nous le faisons pour la cause. Parce que nous avons une meilleure solution que les autres alors que merde, elle n¡¯est pas parfaite. Elle est juste diff¨¦rente et, je crois, meilleure pour le plus grand nombre. J¡¯ose croire qu¡¯il existe un meilleur monde, ailleurs, et que nous y aurons notre place.
¡ª Il n¡¯existe pas de meilleur monde, commenta un Hellas livide, l¡¯id¨¦e qu¡¯il puisse en exister un l¡¯effleura et il regretta aussit?t d¡¯avoir exprim¨¦ ses doutes ¨¤ l¡¯homme mourant. Je veux dire, je ne pense pas¡ Peut-¨ºtre. Ce que je sais c¡¯est qu¡¯il existe un monde qu¡¯on peut am¨¦liorer et un autre dans cette bonbonne¡ Un terrible monde que voil¨¤, totalement inconnu au bataillon et qu¡¯on va leur offrir¡ Ouvre les vannes, ?a leur rendra service.
¡ª Quel service ? Ils vont crever Hell¡
? Et moi aussi bordel ! ? allait-il dire, mais le bruit sec d¡¯un rat grimpeur vint l¡¯interrompre. Il chuta d¡¯une bonbonne, retomba ahuri sur sa queue et d¨¦visagea les deux hommes avant de s¡¯enfouir ¨¤ batons rompus. Tic, tac, tic, tac¡ Ses pas pr¨¦cipit¨¦s sonnaient comme les aiguilles malicieuses d¡¯une horloge. Celle du canc¨¦reux, celles des prisonniers et celle du jeune encore un peu pi¨¦g¨¦ dans son d¨¦lire d¡¯¨¦ternit¨¦. Les deux hommes se d¨¦visag¨¨rent, puis regard¨¨rent la bonbonne jaune qui venait d¡¯¨ºtre rattach¨¦e ¨¤ l¡¯unit¨¦ d¡¯enrichissement. Elle contenait du gaz sarin, la seule libert¨¦ accessible ¨¤ tous dans la Cit¨¦ : la mort. ?a c¡¯¨¦tait quelque chose que tout le monde pouvait obtenir avec une facilit¨¦ d¨¦concertante et avant qu¡¯ils n¡¯atterrissent en orbite autour de cette plan¨¨te, c¡¯¨¦tait m¨ºme un d¨¦sir. Ils avaient quitt¨¦ une Terre promise ¨¤ l¡¯¨¦ternit¨¦ biotechnologique pour que la monotonie ne s¡¯installe jamais. ? La fin impos¨¦e par l¡¯annihilation sensorielle cr¨¦er les possibles ?, du moins, c¡¯est ce que pensaient les colons ¨C morts depuis des g¨¦n¨¦rations -, aspirants ¨¤ retourner ¨¤ la Mati¨¨re. Maintenant leur descendance entrevoyait plut?t la fin de la route comme celle de l¡¯Oubli. L¡¯Oubli¡ Ou la lib¨¦ration par la Chimie des esprits gangr¨¦n¨¦s par la pens¨¦e unique de la Cit¨¦ ? Les aspirants assassins s¡¯accroch¨¨rent ¨¤ cette id¨¦e, essayant de ne pas penser ¨¤ ce que ressentiraient leurs victimes alors qu¡¯elles suffoqueraient. Apr¨¨s tout, aucun des cobayes du gaz sarin n¡¯avait t¨¦moign¨¦ de sa souffrance¡ Aucun non plus n¡¯en ¨¦tait ressorti en levant les deux pouces, un sourire radieux sur le visage pour dire ? OK ! M¨¦ga chouette les gars, je suis partant pour un autre petit tour ! ?.
Melter sur un signe d¡¯approbation d¡¯Hellas se noua un torchon mouill¨¦ autour de la bouche et du nez afin d¡¯¨¦viter de vomir. Avec plus de moyens, ils se seraient empar¨¦s de masques ¨¤ gaz, mais cela resterait superflu car ils seraient d¨¦j¨¤ ¨¤ l¡¯autre bout du colon m¨¦tallique, d¨¦f¨¦qu¨¦s comme des merdes assassines, lorsque la concentration en gaz serait devenue dangereuse dans les locaux de l¡¯unit¨¦ d¡¯enrichissement qui pulv¨¦riserait l¡¯essentiel des gaz vers la prison sectorielle.
Une fois pr¨ºts, l¡¯a?n¨¦ posa une main sur la vanne et Hellas, naturellement, vint poser la sienne sur la premi¨¨re parchemin¨¦e. L¡¯infinie tristesse dans leur regard pr¨¦c¨¦da leur acte final. La vanne tourna sans difficult¨¦. Des remords distants s¡¯approch¨¨rent d¡¯eux ¨¤ grande vitesse alors que, bien conscients de leur s¨¦curit¨¦, ils songeaient que rien ne pouvait leur arriver ¨¤ eux, les h¨¦ros pleins d¡¯abn¨¦gation.
Ils vers¨¨rent une larme, ensevelis sous cette chape de certitude selon laquelle ils survivraient. C¡¯¨¦tait une larme de douleur. Ils se mirent ¨¤ saliver, leurs yeux s¡¯exorbit¨¨rent grotesquement alors que le gaz qu¡¯ils pr¨¦voyaient d¡¯envoyer dans les cellules revenait des conduits cens¨¦s les repousser au loin. Ils comprirent trop tard les raisons qui poussaient la concentration d¡¯oxyg¨¨ne aux fronti¨¨res du 30%. Pas de fuite mais des conduits bouch¨¦s pour transformer le circuit ouvert en ferm¨¦ et pour qu¡¯assez de gaz revienne dans la chambre d¡¯enrichissement pour tuer un r¨¦giment de chevaux dans la fleur de l¡¯age. La r¨¦ponse ¨¤ la question qu¡¯il se posait ne se fit pas attendre : c¡¯¨¦tait douloureux. Melter r¨¦pondit ¨¤ une autre question : il lui restait quinze secondes ¨¤ vivre.
Deux heures plus tard la FPCP d¨¦couvrirait les corps dans le ronronnement m¨¦prisant de la machine. L¡¯un d¡¯entre eux aurait le goulot rouge vif d¡¯une bonbonne d¡¯oxyg¨¨ne enfonc¨¦ jusqu¡¯¨¤ la glotte, mais m¨ºme ?a n¡¯aurait pas suffi ¨¤ le sauver. Ils n¡¯avaient sauv¨¦ personne et gagn¨¦ un linceul en cours de route. Et peut-¨ºtre une visite dans le Flux.
Chapitre 23
Le dossier, si mis¨¦rable entre ses mains, pesait plus que de raison. Suranis le serrait contre elle, la carte m¨¦moire de son appareil photo gliss¨¦e ¨¤ l¡¯int¨¦rieur, sans m¨ºme songer ¨¤ le cacher sous sa veste. Elle jubilait, l¡¯adr¨¦naline s¡¯effondrant et avec elle sa vigilance. Elle avait en sa possession le Saint Graal des d¨¦sabus¨¦s. C¡¯¨¦tait grisant et dans les larges couloirs qu¡¯on prenait pour des rues, elle se sentait ¨¦ternelle. Elle ne se contentait plus de faire semblant d¡¯¨ºtre relativement heureuse en se rendant dans de faux bars tenus par de faux barmans et se persuadant que le monde lui appartenait plus qu¡¯elle ne lui appartenait.
Sa vie avait pris un tournant inattendu et les plus hautes responsabilit¨¦s auxquelles elle pouvait aspirer venaient d¡¯¨ºtre chang¨¦es. Il ne s¡¯agissait plus seulement de gagner en qualit¨¦ de vie, de monter les ¨¦tages pour des appartements plus grands, des boutiques plus ch¨¨res mais plus accessibles ¨¤ sa bourse plus lourde¡ Il s¡¯agissait d¨¦sormais de gagner une vie neuve en dehors de tout et surtout loin des cr¨¦dits qui hantaient son quotidien lorsqu¡¯elle croulait sous la surcharge de travail pour maintenir la t¨ºte hors de l¡¯eau. Elle n¡¯en ¨¦tait jamais arriv¨¦e ¨¤ v¨¦ritablement s¡¯endetter, mais devait bien une centaine de cr¨¦dits ¨¤ un ami qui n¡¯en verrait jamais la couleur. Elle comptait la rembourser, cette petite dette, avec l¡¯argent obtenue grace ¨¤ son enqu¨ºte sur Pavla Karanth, mais avec le recul une id¨¦e plaisante lui traversait l¡¯esprit. Les cr¨¦dits ne poss¨¨dent aucune couleur dans l¡¯obscure banque de donn¨¦es qui en crache autant qu¡¯elle en consomme. D¡¯o¨´ proviennent-ils ? D¡¯un monde qui va ¨¤ vau-l¡¯eau et elle qui allait aussi mal que lui. Elle ne surveillerait plus son compte en banque pendant un moment et ?a, c¡¯¨¦tait fou.
Elle ne put s¡¯emp¨ºcher de rire ¨¤ cette id¨¦e. La gorge d¨¦ploy¨¦e, l¡¯air un peu folle, la pression s¡¯¨¦vacuait en grandes ¨¦missions sonores. Elle revenait indemne et insoup?onn¨¦e de la morgue, ce n¡¯¨¦tait pas rien. Deux miliciens de la Cit¨¦ la d¨¦visag¨¨rent mais ne la retinrent pas. Suranis ne les vit m¨ºme pas et ne put remarquer l¡¯¨¦change de regards entre les deux qui se conclut par un soupir amus¨¦. Apr¨¨s tout, quelle importance y avait-il ¨¤ conna?tre le nom de cette inconnue s¡¯esclaffant sur la grande rue ? Un num¨¦ro parmi d¡¯autres qui riait sans doute ¨¤ raison et qui, s¡¯il avait ¨¦t¨¦ interrog¨¦, aurait renvoy¨¦ ¨¤ la mention ? disparue et/ou d¨¦c¨¦d¨¦e ? ?.
Ils auraient ¨¦t¨¦ bien en peine d¡¯obtenir davantage avec la puce de la femme abandonn¨¦e quelque part dans les profondeurs citadines. Et puis, ¨¤ quoi bon se renseigner ? Rire n¡¯¨¦tait pas un crime et Suranis passa entre les mailles du filet avant de se ressaisir au coin de la rue pour remplacer son rire par un air satisfait. Elle d¨¦tenait la pi¨¨ce ma?tresse qui m¨¨nerait ¨¤ l¡¯effondrement et elle allait ¨ºtre diffus¨¦e dans toutes les chaumi¨¨res jusqu¡¯¨¤ que le courant soit coup¨¦. Pour une fois, Suranis se trouvait aux commandes et avec un brin d¡¯imagination, en humant avec ardeur l¡¯air ambiant, elle pouvait sentir une l¨¦g¨¨re odeur. Celle-l¨¤ m¨ºme que ressentirent les premiers conquistadors spatiaux lanc¨¦s ¨¤ la conqu¨ºte de ces plan¨¨tes vierges, durent-ils d¨¦vorer les si¨¨cles endormis pour d¨¦couvrir l¡¯Eden pr¨¦sent¨¦ au travers des t¨¦lescopes orbitaux. Non, ce n¡¯est pas une odeur, rectifia-t-elle. C¡¯est une sensation, celle qui pr¨¦existe ¨¤ la cr¨¦ation de l¡¯univers, le pr¨¦curseur de tous les possibles¡ Tous les possibles dont la renaissance sociale dont je porte un chromosome hasardeux¡ C¡¯est moi qui vais faire ?a. Nous.
Elle se demanda ce qu¡¯elle deviendrait apr¨¨s qu¡¯ils auraient recr¨¦er, ¨¤ l¡¯¨¦chelle citadine, le Big Bang. Dans son esprit virevolt¨¨rent ses r¨ºves de renaissance ¨C plut?t naissance que recommencement ¨C et elle aurait pu continuer longtemps ¨¤ d¨¦ambuler ainsi, imb¨¦cile heureuse face ¨¤ un avenir id¨¦el, si une main gant¨¦e s¡¯¨¦tait retenue de jaillir de l¡¯ombre pour la saisir par l¡¯¨¦paule. Aussit?t ses divagations r¨ºveuses s¡¯¨¦vapor¨¨rent et elle faillit crier. Le cri ne vint pas. Ses l¨¨vres morfl¨¨rent avec l¡¯agrafe de ses dents ce qui la sauva d¡¯un contr?le d¡¯identit¨¦ d¨¦sastreux. Cependant, consciente qu¡¯elle devait se d¨¦fendre par elle-m¨ºme, elle eut le r¨¦flexe de se baisser et de r¨¦agir d¡¯instinct selon le principe antique du ? Visez o¨´ ?a fait mal ?. Elle d¨¦crocha son coude en un arc de cercle d¨¦vastateur vers les testicules de son agresseur, ¨¦quivalent humain d¡¯un interrupteur humain. La douleur envahit le mauvais corps, l¡¯homme s¡¯¨¦tant recul¨¦ d¡¯un pas le coude de Suranis finit sa course dans la t?le bien bossel¨¦e d¡¯une habitation. La plaque de t?le tomba et exhiba l¡¯installation ¨¦lectrique sommaire qui alimentait une lampe en aluminium bross¨¦ que le locataire des lieux avait oubli¨¦ d¡¯¨¦teindre. La lumi¨¨re vacilla, mais tint bon, pour la lampe comme pour Suranis.
¡ª Bordel, fais gaffe l¡¯amie ! la r¨¦primanda l¡¯homme. Tu as failli m¡¯exploser les couilles !
Son coude irradiait, mais il restait entier pour ce qu¡¯elle en constatait. Recroquevill¨¦e contre un mur, une sueur froide lui br?lant les yeux, elle regarda le bandit qui l¡¯avait agripp¨¦ au d¨¦tour de la rue. Elle haleta, honteuse de ne pas avoir reconnu tout de suite l¡¯homme ¨¤ la parka noire. Zed ne piaffait pas beaucoup, mais le peu qu¡¯elle savait de lui le pla?ait dans toutes les cat¨¦gories autres que celle d¡¯enfoir¨¦.
¡ª Excuse-moi, bafouilla Suranis. Je pensais qu¡¯on me suivait, tu sais¡
¡ª Jackpot ! On te suit, mais je dois pr¨¦ciser qu¡¯on te suit deux fois. Si tu ne te marrais pas, tu aurais pu t¡¯en apercevoir. Il va falloir qu¡¯on se bouge avant qu¡¯ils ne nous rattrape, je pense que c¡¯est un pervers et bien que je sois ¨¤ tes c?t¨¦s, le risque d¡¯agression ne vient pas de chuter drastiquement vers le z¨¦ro absolu.
Suranis se releva aid¨¦e par Zed.
¡ª Merci pour l¡¯avertissement Zed. Je suis sotte¡ Pourquoi me suivais-tu ?
¡ª Je me suis propos¨¦ d¡¯encadrer ta sortie, au cas o¨´¡ C¡¯est ta premi¨¨re apr¨¨s tout et tu n¡¯imagines pas le risque que j¡¯ai pris pour me tirer du SAGI...
¡ª Ness¡¯ ? hasarda Suranis.
Il hocha la t¨ºte. Elle avait appris que le taciturne Zed entretenait plus qu¡¯une relation amicale avec Nesta et cela depuis quelques mois, entre d¡¯autres relations plus br¨¨ves. Celle-ci paraissait plus s¨¦rieuse et m¨ºme si la question d¡¯un amour unique n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ encore discut¨¦e, c¡¯¨¦tait comme si.
¡ª Elle va m¡¯¨¦triper, tu aurais d? voir la gueule qu¡¯elle a tir¨¦¡ Mais d¨¦p¨ºchons, j¡¯ai un mauvais pressentiment.
Il venait de lui mentir. Partiellement. Il s¡¯¨¦tait bien propos¨¦, mais la demande ¨¦manait d¡¯une r¨¦union entre Sagistes dont l¡¯id¨¦e m¨ºme avait-¨¦t¨¦ ¨¦mise par Nesta. Ils se dirig¨¨rent vers la grande rue, s¡¯attendant ¨¤ voir dispara?tre une ombre au premier croisement, mais il n¡¯en fut rien. Ils n¡¯avaient pas encore d¨¦pass¨¦ la bicoque amoch¨¦e par Suranis que des bruits de pas pr¨¦cipit¨¦s r¨¦sonn¨¨rent. Pas une course en soi, mais une marche press¨¦e qui claquait sur le parterre m¨¦tallique. Un homme arrivait vers eux, les yeux d¡¯un cyan brillant et un rictus d¨¦formant sa bouche. Un cam¨¦ ? Ses pupilles dilat¨¦es le sugg¨¦raient et pourtant il avait davantage l¡¯allure d¡¯un ¨¦tudiant ¨¦chapp¨¦ d¡¯une grande ¨¦cole avec sa chemise cramoisie associ¨¦e ¨¤ un pantalon noir.
¡ª Salut, marmonna-t-il sans se d¨¦faire de son rictus.
Zed passa le bras dans le cou de Suranis et l¡¯invita ¨¤ se reculer. Une rapide palpation de son avant-bras le troubla. Le mat¨¦riel policier qu¡¯il s¡¯¨¦tait fait implant¨¦ ne r¨¦agissait pas, l¡¯homme ¨¦tait infich¨¦¡ Mais n¡¯¨¦tait pas un copain du SAGI.
¡ª Salut l¡¯ami, r¨¦pliqua Zed. Il y a un probl¨¨me ?
¡ª No problemo, r¨¦pondit l¡¯homme en croisant ses bras dans son dos. Je ne vous aurai pas d¨¦j¨¤ vu Madame ?
¡ª Je ne vous connais pas, r¨¦pondit Suranis en tremblant plus qu¡¯elle ne le souhaitait.
La tomate verte qui se mouvait par elle-m¨ºme et maintenant ?a¡ L¡¯Analyse lui avait vraiment bousill¨¦ le cerveau. L¡¯¨¦tudiant cramoisi prenait des allures grotesques. Il se tr¨¦moussa vivement sur ses anneaux, ouvrit une bouche animale pour r¨¦pondre d¡¯une r¨¦partie qu¡¯elle n¡¯entendit pas, puis revint ¨¤ la normale.
Tu n¡¯as rien vu Suranis, ressaisis-toi ! se dit-elle alors que le nouveau venu l¡¯¨¦tudiait avec circonspection. Il en ¨¦tait certain, il avait d¨¦j¨¤ vu la femme sur une photographie transmise ¨¤ tous les mercenaires du Conseil. Deux versions existaient ¨¤ son propos : 1) Suranis Rh¨¦on est morte et/ou disparue, 2) sa puce a cess¨¦ d¡¯¨¦mettre l¨¤ o¨´ bien trop d¡¯autres disparaissent pour que le doute ne soit pas parmi. Si un mercenaire venait ¨¤ croiser son chemin, il pouvait s¡¯empresser de la ramener vivante ou morte ¨¤ son contact. Les forces de l¡¯ordre n¡¯¨¦taient peut-¨ºtre pas impliqu¨¦es dans le maintien du m¨¦ta-ordre, mais les mercenaires d¨¦fonc¨¦s oui. Il sourit de toutes ses dents.
¡ª Mais moi oui Madame¡ Voyons, quel est votre nom d¨¦j¨¤ ? demanda-t-il en plombant l¡¯univers de ses dents.
¡ª Jana, intervint Zed vivement. Maintenant, laissez-nous, on a un rendez-vous.
Il fit un pas vers le mercenaire, pensant que ce dernier s¡¯¨¦carterait. L¡¯homme ne bougea pas d¡¯un iota et son visage s¡¯imprima de la plus ravissante des joies. Une fortune extraordinaire l¡¯attendait, il tenait la fille. Son visage se fendit encore plus qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait d¨¦j¨¤.
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¡ª Suranis Rh¨¦on, n¡¯est-ce pas ? C¡¯est votre nom¡ Et vous, vous ¨ºtes inconnu au bataillon.
¡ª Fous le camp bordel ! hurla Zed en le repoussant violemment.
L¡¯homme recula d¡¯un pas. Aucune expression de surprise ne vint ab?mer son visage qui en d¡¯autres circonstances aurait pu ¨ºtre plaisant. Il s¡¯attendait ¨¤ ce moment et accompagna le mouvement sans exhiber ses mains. Un d¨¦clic dans son dos se fit entendre, mena?ant de certitude. Seul contre deux, l¡¯¨¦crasante sup¨¦riorit¨¦ qui ¨¦manait de lui le transformait en mur. Un mur avec des dents.
¡ª Tu ne veux pas jouer avec moi, le pr¨¦vint le mercenaire. Ta nana vaut 10.000 k?rptes et je compte bien les rapporter chez moi.
¡ª Elle ne peut pas.
Le mercenaire bondit en avant, son cran d¡¯arr¨ºt d¡¯un noir militaire jaillissant de l¡¯ombre pour se planter ¨¤ quelques centim¨¨tres du ventre de Zed qui parvint ¨¤ le faire d¨¦vier, au dernier moment, de son avant-bras. L¡¯adversaire de Zed se r¨¦v¨¦lait ¨ºtre d¡¯une grace f¨¦line qui ne lui laissait aucune place. Il eut la soudaine certitude que l¡¯homme jouait avec lui. La lame s¡¯¨¦tait arr¨ºt¨¦e sans ¨¤-coups, bien trop promptement pour que cela ne soit la cons¨¦quence que de sa parade. Les pronostics en faveur de Zed s¡¯av¨¦raient d¨¦favorables.
¡ª Fuis Suranis, je le retiens ! cria Zed.
Un rapide coup d¡¯?il dans son dos lui apprit que Suranis prenait racine. Elle se tenait avachie dans un recoin, le souffle court. Zed pensa ¨¤ une attaque de panique et s¡¯il touchait presque la r¨¦alit¨¦, tapait pile ¨¤ c?t¨¦ de la plaque. Suranis souffrait d¡¯horreur. La vision fugitive de l¡¯homme devenait r¨¦elle, son visage cauchemardesque s¡¯ouvrait en deux pour d¨¦voiler une double rang¨¦e d¡¯¨¦pines qui coulaient, cessaient de cro?tre et recommen?aient. Le gris plomb de ses dents ¨¦clipsait les lueurs bleut¨¦es des yeux et les anneaux sur sa gorge pulsaient avec une morbide r¨¦gularit¨¦. Le mercenaire n¡¯¨¦tait plus humain. Un lombric arm¨¦ de crocs. Pourquoi le voyait-elle ainsi ? Un des effets secondaires de l¡¯Analyse qui disparaissait rapidement chez tous, sauf chez Suranis.
¡ª Par piti¨¦, arr¨ºte de phaser et casse-toi ! insista Zed.
Suranis crispa ses l¨¨vres. Elle n¡¯entendait rien. Le mur dans son dos absorbait tout son pour ne lui renvoyer que des ondes de terreur. Le flot de libert¨¦ de la grand-rue lui paraissait ¨ºtre ¨¤ des ann¨¦es-lumi¨¨re. Il n¡¯existait plus rien pour elle sinon les rales de l¡¯homme-lombric qui se mourait lentement. Il est malade, se rendit-elle compte. Le mal en lui nous d¨¦passe tous, c¡¯est¡ Elle cligna des yeux, les interstices cyans de ses yeux se refermaient. Sa transformation devenait totale. Elle se priva de nouveau de la vue en pointant du doigt le nom de sa maladie : soci¨¦t¨¦. La soci¨¦t¨¦ ali¨¦nait assez pour que tout un chacun devienne assassin. Un assassin-lombric qui comme un certain cadavre d¨¦vorerait l¡¯espace entre elle et le n¨¦ant.
Le mercenaire se d¨¦tourna de Zed un instant pour observer Suranis pendant que ce premier se tenait en boxeur, attendant l¡¯assaut qui ne viendrait que plus tard. L¡¯assassin ¨¦tait trop occup¨¦ ¨¤ d¨¦tailler Suranis, terroris¨¦e. Le scanner de combat, cadeau du Conseil apr¨¨s une battue redoutable, lui indiqua qu¡¯elle ne bougerait pas, se restreignant ¨¤ sa posture apeur¨¦e. La victoire serait acquise une fois son gars mis ¨¤ terre.
¡ª Vous avez fait quoi ¨¤ la petite ? demanda-t-il curieux rapidement en tentant de fixer Zed, mais ses yeux allaient et venaient d¡¯un point ¨¤ l¡¯autre.
Cette poudre sens¨¦e lui permettre de tenir deux jours sans sommeil commen?ait ¨¤ atteindre ses limites, mais il ne voulait pas ¨ºtre au lit si une prime se pr¨¦sentait. L¡¯assassin ne se leurrait pas, il ¨¦tait un junkie.
¡ª Quoi ? Mon gars, range ce couteau, on n¡¯a pas ¨¤ se battre¡ lui r¨¦pondit Zed.
¡ª J¡¯aimerais, mais non.
Une baisse de tension dans le secteur fit vaciller les lampadaires ¨¤ ce moment-l¨¤. ? Ah ? s¡¯exclama l¡¯assassin. Il ne l¡¯avait pas demand¨¦, mais elle tombait au bon moment. Zed se retrouva assez d¨¦stabilis¨¦ pour offrir une ouverture ¨¤ son adversaire qui fon?a, le cran d¡¯arr¨ºt fendant l¡¯air d¡¯un coup de taille ¨¤ la hauteur de l¡¯abdomen.
Zed ne vit rien arriver. Le scanner du mercenaire venait de lui donner un taux de r¨¦ussite de 78,7% et il ne se trompait jamais. Son coup atteignit sa cible qui bondit en arri¨¨re, frappa le mur aux c?t¨¦s de Suranis et glissa une main tremblante sur sa veste qui se tachait de sang. ? Merde ? s¡¯¨¦cria Zed.
¡ª Touch¨¦, pas encore coul¨¦, remarqua l¡¯assassin.
La blessure, bien que l¨¦g¨¨re, troubla Zed. Il survivrait ¨¤ celle-ci, mais peut-¨ºtre pas au combat. Le premier sang vers¨¦ glissa le long du vinyle et vint se m¨ºler ¨¤ la poussi¨¨re. Agglutin¨¦e en moutons, la poussi¨¨re ne s¡¯agita pas sous le regard vide de Suranis bien que ses pulsations cardiaques flirt¨¨rent avec les 160. Elle leva les yeux vers l¡¯assassin, une couronne d¡¯¨¦pine ¨¤ la place de sa bouche se parait de minuscules gouttelettes de plomb qui tombaient pour ¨ºtre remplac¨¦es par de nouvelles. Le pire, c¡¯¨¦tait ces pupilles cyan qui se dilataient jusqu¡¯¨¤ atteindre le diam¨¨tre d¡¯un poing. Des trous noirs qui attiraient Suranis vers eux.
Zed profita de la br¨¨ve distraction de l¡¯homme pour lui foncer dessus, ¨¦paule la premi¨¨re. Il le renversa, t¨ºte en premi¨¨re, mais ce dernier se rattrapa in extremis ¨¤ une excroissance urbaine. Son scanner de combat lui r¨¦torqua que 44% de risque repr¨¦sentait environ une chance sur deux. Qu¡¯il eut entrepris une attaque en son encontre, maintenant que la partie ¨¦tait termin¨¦e, mis ¨¤ mal le mercenaire qui lui balan?a un coup de poing dans le nez ¨¤ une vitesse surhumaine. Il ne restait au milieu du visage de Zed qu¡¯une fraise sanguinolente. Alors qu¡¯il ¨¦tait encore sonn¨¦ par le coup, l¡¯assassin le saisit par le col et le jeta contre le mur, ¨¤ c?t¨¦ de Suranis. Zed s¡¯effondra, glissant sans bruit alors que le r¨¦seau ¨¦lectrique amoch¨¦ par Suranis rendait l¡¯ame. Il cracha une incisive bris¨¦e, il vivait encore, mais il finirait la gorge tranch¨¦e.
¡ª Tu aurais d? fuir quand tu en avais le temps¡ Mais non, toujours ¨¤ vouloir jouer les grands seigneurs¡ Tu as oubli¨¦ que c¡¯est moi le saigneur par ici.
L¡¯assassin ramassa le cran d¡¯arr¨ºt qu¡¯il avait laiss¨¦ tomber dans la lutte pour l¡¯approcher de la gorge offerte. Zed marmonna quelque chose qui ressemblait ¨¤ ? piti¨¦ ? et Suranis ¨¤ ses c?t¨¦s grattait d¨¦sesp¨¦r¨¦ment le mur dans l¡¯espoir de s¡¯y fondre. ? Tar¨¦e ? dit l¡¯assassin en tirant les cheveux de Zed pour l¡¯¨¦gorger. D¡¯apr¨¨s son scanner de combat, sa prochaine victime ¨C apr¨¨s le gars ¨C n¡¯avait que 0,03% de chance d¡¯agir. La voie ¨¦tait libre. Une pluie de platre tomba des cheveux de Zed lorsque le cran d¡¯arr¨ºt se posa contre sa gorge, par¨¦ ¨¤ verser a libation sanguinaire sur le sol citadin.
¡ª Tout sera vite fini, promit l¡¯assassin.
Il ne remarqua alors pas ce que Suranis ¨¦tait parvenue ¨¤ accomplir. M¨ºme s¡¯il l¡¯avait vu, l¡¯appareil embarqu¨¦ dans son crane lui aurait susurr¨¦ que rien n¡¯¨¦tait ¨¤ craindre et pourtant une erreur grossi¨¨re se serait gliss¨¦ dans les calculs : on ne sonde pas les spectres mit¨¦s. Suranis, ¨¤ force de gratter le mur, ¨¦tait parvenue ¨¤ arracher un rivet. Tout d¡¯abord, elle ne sut qu¡¯en faire. L¡¯objet, petit et froid entre ses doigts se d¨¦litait. Il tenait par une ame de fer rong¨¦e par la rouille. La Cit¨¦ tombe en ruine l¨¤ o¨´ personne ne regarde, pensa-t-elle et aussi se dit-elle, dans la foul¨¦e, que ces ¨¦l¨¦ments bris¨¦s pouvaient ¨ºtre remplac¨¦s voire ¨¦limin¨¦s.
Une id¨¦e s¡¯empara d¡¯elle. Elle comprit qu¡¯elle pouvait s¡¯opposer Elle pouvait s¡¯opposer ¨¤ l¡¯homme-lombric. Si elle ne tentait rien, elle mourait et voil¨¤ que soudainement elle se retrouvait elle aussi arm¨¦e. Dans sa main se trouvait le Rivet, l¡¯ossature de la Cit¨¦¡ Alors os contre os, cette arme d¨¦risoire ferait peut-¨ºtre l¡¯affaire. Elle jaillit de sa torpeur, brandissant le Rivet et la Chose ouvrit la bouche, stup¨¦faite et s¡¯affolant alors que son scanner recalculait les risques : 87% de risques de blessures, 12,37% s¡¯il se penchait vers l¡¯avant et 0,67% s¡¯il interposait un bras entre lui et la fille. Ces donn¨¦es chamboul¨¨rent sa perception de la situation et d¨¦ferl¨¨rent dans son crane, mais ses r¨¦flexes affut¨¦s le laiss¨¨rent tomber sous l¡¯effet de la surprise et de la drogue conjugu¨¦e. Tout au fond de sa bo?te cranienne continuaient de briller les 0,03% d¡¯action possible et il s¡¯y accrochait, le scanner ne pouvait pas avoir failli de la sorte¡ Surtout, le chiffre ne cessait d¡¯¨ºtre revu ¨¤ la baisse depuis le d¨¦but du combat et pour aucune foutue raison il pouvait se faire charger par un Saint Georges risible affrontant le dragon terrifiant qu¡¯il ¨¦tait. Merde, m¨ºme la princesse offerte ¨¤ sa merci ne correspondait pas ! Et pourtant¡ Suranis ¨¦tait l¨¤, lanc¨¦e dans une charge chevaleresque. Le Rivet projet¨¦ telle une lance p¨¦n¨¦tra sans mal l¡¯?il droit exorbit¨¦ et le lombric clignota, revint ¨¤ la surface un temps avant de s¡¯enfoncer d¨¦finitivement dans les abysses. Il ne restait plus que l¡¯homme qui retenait un ?il de toute ¨¦vidence bon ¨¤ jeter.
¡ª Esp¨¨ce de¡ Salope ! vocif¨¦ra-t-il et la salope, au travers du rideau de sang, prenait conscience de son geste.
La rage l¡¯envahissait. Sa premi¨¨re blessure s¨¦rieuse, de toute sa carri¨¨re¡ Par une femme fragile qui plus est. Elle n¡¯aurait m¨ºme pas pu lui griffer le visage pour la forme, mais voil¨¤ il allait y perdre un ?il ¨¤ cause d¡¯une garce et, cette garce, il allait l¡¯¨¦triper.
¡ª Connasse, infame pouffiasse ! Je vais te d¨¦couper les seins en fines tranches que je ferais r?tir au chalumeau pour te les faire bouffer. Jusqu¡¯¨¤ que tu en cr¨¨ves, tu m¡¯entends ?!
En disant cela, le visage rendu poisseux par le sang qui s¡¯¨¦coulait de sa plaie b¨¦ante comme une nymphe sorti d¡¯un marais bourbeux dont aucun charme ne s¡¯¨¦chapperait, il s¡¯avan?a vers elle.
¡ª Mais avant, je te violerais. Ouais. Puis je te briserais les doigts un par un¡ Je te cr¨¨verais un ?il.
Ses menaces ne sonn¨¨rent pas vaines aux oreilles de Suranis. L¡¯apparition s¡¯approchait d¡¯elle, pas apr¨¨s pas. Le rivet encore en place et l¡¯?il qui se creusait un passage vers l¡¯ext¨¦rieur. On s¡¯agita ¨¤ ses c?t¨¦s, mais elle n¡¯y pr¨ºta pas attention. Dans une heure ou deux, aussi horribles se r¨¦v¨¨lent-elles, elle serait morte et c¡¯¨¦tait tout ce qui importait.
Dans le m¨ºme temps, Zed parvint ¨¤ se relever avec difficult¨¦. Il se rua sur l¡¯assassin, un cable d¨¦nud¨¦ dans les mains qu¡¯il connecta au rivet et l¡¯orbite aveugle, inconsciente d¡¯¨ºtre branch¨¦e, ne comprit pas les signaux ¨¦lectriques qui lui parvinrent. L¡¯assassin ne vit qu¡¯un flash blanc suivi d¡¯une indicible douleur. Une fum¨¦e bleue s¡¯¨¦chappa de ses cheveux et ses chairs br?l¨¨rent jusqu¡¯¨¤ virer au charbon cr¨¦pitant. Il parvint ¨¤ faire deux pas suppl¨¦mentaires en direction de Suranis, tendant devant lui ses moignons calcin¨¦s puis s¡¯arr¨ºta, l¡¯air de finalement comprendre qu¡¯il arrivait en bout de course, et mourut. Les s¨¦curit¨¦s incendies de la Cit¨¦ se d¨¦clench¨¨rent et un d¨¦luge ¨¦teignit le d¨¦but d¡¯incendie.
Le corps cessa de gigoter en se refroidissant. La mort s¡¯¨¦tait-elle empar¨¦e de lui ? Il pourrait se relever et finir son travail. Non, il se disloquait d¨¦j¨¤ sous le torrent des buses et une mati¨¨re visqueuse, m¨¦lange d¡¯eau et de chairs br?l¨¦es, s¡¯¨¦pandait de lui. Suranis observa le fluide qui s¡¯¨¦chappait, la vie qui fuyait dans cette fum¨¦e bleue et une gifle fusa. C¡¯¨¦tait Zed qui lui hurlait dans l¡¯oreille plus fort encore que ne le faisait l¡¯alarme :
¡ª Merde ! Tu aurais pu te bouger avant ! C¡¯¨¦tait qui ce type ? siffla Zed entre ses incisives manquantes.
¡ª Je ne sais pas¡ Il¡
¡ª T¡¯occupe, il est mort, cram¨¦. On d¨¦gage d¡¯ici avant que la flicaille ne rapplique ! dit-il. Bouge-toi Suranis et emp¨ºche ce foutu papelard de prendre la flotte !
On hurla dans la grande rue. Le dossier ne prit pas l¡¯eau.
Chapitre 24
La procession fantomatique des diodes ¨¦lectriques cascadait le long de l¡¯escalier, mais ne le descendait jamais. Du blanc le plus pur, elles n¡¯¨¦taient que les t¨¦moins silencieuses d¡¯un esprit-frappeur en devenir qui peinait ¨¤ mettre un pied devant l¡¯autre. Zed se mourait, hanterait bient?t les nuits des ¨ºtres aim¨¦s et s¡¯il se d¨¦pla?ait encore c¡¯¨¦tait en abusant de l¡¯¨¦paule offerte par Suranis.
Tout avait commenc¨¦ apr¨¨s la premi¨¨re cage d¡¯escalier, celle qu¡¯ils prirent ¨¤ l¡¯¨¦tage D apr¨¨s qu¡¯un ascenseur se soit occup¨¦ de la liaison. Zed s¡¯¨¦tait mis ¨¤ vomir au d¨¦tour d¡¯une coursive de service, puis avec une fiert¨¦ exacerb¨¦e, pr¨¦tendu que tout allait bien. Mais rien n¡¯allait. Ils descendaient aussi vite qu¡¯ils le pouvaient pour oublier le gr¨¦sillement et l¡¯odeur des chairs calcin¨¦es de l¡¯homme-lombric. Le cadavre ¨¦tait rest¨¦ derri¨¨re, expos¨¦ ¨¤ la vue de tous. Combien de temps resterait-il ainsi avant qu¡¯un gamin ne le d¨¦couvre et que l¡¯image de l¡¯homme-ampoule lui reste grav¨¦e dans la t¨ºte par une d¨¦charge d¡¯un giga-volt ? Pas assez et le temps d¨¦filait, il d¨¦filait ¨¤ toute vitesse et encore plus vite que ne le faisaient les diodes qui ¨¦clairaient le chemin.
Il y a des lumi¨¨res qui ne s¡¯¨¦teignent jamais et ces diodes en sont un exemple ¨¦loquent. Lorsque la Cit¨¦ s¡¯¨¦teindra, elles survivraient sur batterie et resteront pr¨¦sentes grav¨¦es sur les pupilles, en images r¨¦manentes. Elles offraient une haie d¡¯honneur ¨¤ l¡¯homme qui se dirigeait vers sa fin, les tripes br?lantes. L¡¯encre pour Zed s¡¯¨¦puisait bien plus vite que les pages vierges de sa vie. Le cran d¡¯arr¨ºt de l¡¯homme-lombric avait ¨¦t¨¦ enduit d¡¯un poison qui lui d¨¦vorait le corps et sa plaie ne cessait de suinter, de le d¨¦manger. Maintenant, il sentait que son estomac commen?ait ¨¤ ¨ºtre attaqu¨¦ et, m¨ºme s¡¯il ne partagea pas sa douleur avec Suranis, comprenait mieux les samoura?s qui, dans leurs jours de gloire, voyaient leur seppuku abr¨¦g¨¦.
Comment je peux encore tenir debout ? Merde¡ Merde¡ Ness. Je ne veux pas mourir.
Suranis s¡¯arqua pour l¡¯emp¨ºcher de tomber vers l¡¯avant :
¡ª Attention ¨¤ ne pas te casser la tronche. Tu vas tenir le coup ? s¡¯enquit-elle alors que le mastodonte reprenait ses appuis.
¡ª La forme ! Aussi bien qu¡¯il y a dix minutes et que dans les dix prochaines, mentit-il alors que le poison s¡¯immis?ait plus profond¨¦ment en lui tel une anguille pi¨¦g¨¦e dans un puits. Tu veux bien me laisser une minute pour r¨¦cup¨¦rer ? Je crois que voir du sang, surtout le mien, ?a me sonne un peu.
Il s¡¯appuya ¨¤ la rampe de l¡¯escalier, teintant de son sang les diodes lumineuses. Suranis lui tapota doucement l¡¯¨¦paule, il fallait qu¡¯ils atteignent le Doc¡¯ tant qu¡¯ils le pouvaient encore :
¡ª Mon h¨¦ros est assez repos¨¦, alors repartons ! Ou alors dois-je t¡¯achever sur place ?
¡ª T¡¯es conne, ¨¦clata Zed en resserrant la machoire, tentant de rire mais une douleur lui barra les c?tes. Putain de merde¡ ?a fait mal ! Tu ne peux pas t¡¯imaginer¡ Mais je peux avancer, je ne suis pas si faible¡
¡ª Ouais, un vrai gaillard. Arr¨ºte donc de geindre et prouve-moi que tu es quelqu¡¯un de fort. Je veux retrouver les copains et je suis certaine que cette petite entaille ne va pas nous retenir ici.
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¡ª Surtout apr¨¨s¡ commen?a Zed.
Il cracha une gerbe de sang d¡¯un rouge honn¨ºte. Ses chances de survie diminuaient ¨¤ grand feu. Il palit ostensiblement :
¡ª Merde, merde¡ C¡¯est mauvais.
¡ª Non, du tout ! Tout va bien aller¡ Tout va presque bien pour toi. Il faut juste te soigner et me laisser c¨¦l¨¦brer notre victoire pendant ton coma.
¡ª Un coma, si ce n¡¯¨¦tait que ?a¡ murmura Zed en recommen?ant ¨¤ descendre les marches sur un rythme encore plus lent qu¡¯auparavant, une main sur la plaie qui l¡¯¨¦lan?ait.
Une quinte de toux l¡¯interrompit.
¡ª Au moins, je cr¨¨verais en combattant¡ Sans fuir. Pas comme nos foutus a?eux.
¡ª Ferme-l¨¤, vraiment. Ce n¡¯est pas le moment de parler de camps de d¨¦conversion. Toute notre lutte n¡¯a rien ¨¤ voir avec celle de fanatiques envoy¨¦s sur je ne sais quelle ?le pour perdre leurs sales habitudes. Ne me clampses pas entre les mains, c¡¯est tout ce que je te demande.
Le mourant ne dit rien de plus. Suranis se garda de lui faire remarquer que les fanatiques en question, ¨¦pris de mortalit¨¦, n¡¯avaient pas vraiment fuit. On les avait embarqu¨¦s de force dans l¡¯Olkers pour que les soci¨¦t¨¦s augmentatives puissent continuer de prolif¨¦rer. Finalement, sur le long terme, c¡¯¨¦taient bien leurs anc¨ºtres qui avaient remport¨¦ la bataille. Qui mourait dans la Cit¨¦ et quelle belle plan¨¨te avait ¨¦t¨¦ r¨¦duite en cendres ? Les remplacements organiques ne permirent pas de survivre ¨¤ l¡¯apocalypse.
Suranis continua de parler en aidant Zed ¨¤ effectuer les pas qui le rapprochait de sa fin. M¨ºme si elle ne le montrait pas, la plus grande des inqui¨¦tudes s¡¯¨¦tait empar¨¦e d¡¯elle :
¡ª Tu ne mourras pas tu sais ?
¡ª Peut-¨ºtre.
¡ª Et puis, tu sais que nous n¡¯avions rien ¨¤ voir avec nos a?eux. Nous, nous avons une bombe qu¡¯on encha?nera aux cous de tous ces Cravat¨¦s du Conseil avant de les balancer dans le Flux, pour la bonne conscience. Ils ne nous feront pas quitter ce monde pour un autre, nous leur reprendrons.
Zed reprit temporairement des couleurs. Suranis n¡¯¨¦tait pas aussi virulente qu¡¯il pouvait l¡¯¨ºtre ¨C ¨¤ vrai dire, elle s¡¯opposait ¨¤ toute d¨¦marche violente -, mais elle semblait d¨¦cid¨¦e ¨¤ l¡¯¨¦loigner autant que possible du moment pr¨¦sent. Il la remercia silencieusement pour ?a.
Ils continu¨¨rent de descendre les ¨¦tages. Suranis avait beau ¨ºtre celle qui hallucinait devant des bellatres arm¨¦s, elle n¡¯¨¦tait rien compar¨¦e ¨¤ Zed. Lui, voyait des spectres et suppliait pour qu¡¯ils s¡¯arr¨ºtent au moindre bruit suspect avant de tourner de l¡¯?il, affol¨¦. Il pr¨¦tendit ¨¤ chaque fois que les copains de Monsieur ?il-Rivet¨¦ les recherchaient pour le venger, m¨ºme si, de ce Monsieur, tout le monde s¡¯en foutait. La r¨¦alit¨¦ pour le mort devait se rapprocher d¡¯un sac en papier blanc dans lequel on l¡¯aurait gliss¨¦ avant de l¡¯entra?ner vers un centre de recyclage, histoire de r¨¦cup¨¦rer les pi¨¨ces ¨¦lectroniques qui n¡¯auraient pas cram¨¦ avec sa cervelle. Mais quelle autre r¨¦ponse pouvait-il apporter ¨¤ ses pauses toujours plus nombreuses ? Il refusait d¡¯admettre qu¡¯il mourait, refusait de se d¨¦faire de sa carapace de viriliste idiot qu¡¯il n¡¯¨¦tait jamais parvenu ¨¤ d¨¦construire.
La seule personne que tu prot¨¨ges c¡¯est toi-m¨ºme sale con. L¡¯image que tu donneras de toi dans ton bord¨¦lique de caveau¡ se dit-il en approchant de la derni¨¨re marche. La fin approchait, il ¨¦tait terrifi¨¦ et disparaissait.
Chapitre 25
Un cri d¨¦chirant r¨¦sonna dans le SAGI. Une nu¨¦e de brancardiers descendirent des cahutes pour se porter au secours de Zed, mais il ¨¦tait d¨¦j¨¤ trop tard. Nesta, incertaine, avait accompagn¨¦ le d¨¦fil¨¦ mortuaire en assommant Suranis de questions : ? Que lui est-il arriv¨¦ ? ?, ? Il est vivant ? ?. Cette derni¨¨re question revenait le plus souvent, sur un rythme de plus en plus soutenu et avec une tonalit¨¦ penchant toujours plus vers les aigus. Car non, vivant Zed ne l¡¯¨¦tait plus lorsque le Doc¡¯ et son cercueil d¡¯acier accueillirent sa d¨¦pouille pour tenter de le ressusciter, plus que de le ranimer.
Le chirurgien m¨¦canique d¨¦cida d¡¯incin¨¦rer le corps plut?t que de le restituer et Ertsy ne put se retenir davantage. Contenue dans un angle de la salle, les ongles arrach¨¦s ¨¤ force d¡¯¨ºtre rong¨¦s pour ne plus r¨¦v¨¦ler qu¡¯une pellicule de peau irrit¨¦e, elle se pr¨¦cipita sur la machine alors que les premi¨¨res ¨¦manations d¡¯un aim¨¦ vaporis¨¦ s¡¯en ¨¦chappaient. Elle tabassa la carte-m¨¨re, arracha le cerveau ¨¦lectronique qui cracha, avant de p¨¦rir ¨¤ son tour, sa toute derni¨¨re analyse. Zed ¨¦tait mort depuis au moins dix minutes, peu de temps apr¨¨s qu¡¯il ne se soit ¨¦vanoui en bas des escaliers.
Le Doc¡¯, respectant ¨¤ la lettre le protocole, d¨¦cida que son patient n¡¯¨¦tait plus ¨¤ sauver, mais que ses propres composants pouvaient encore l¡¯¨ºtre et agit avant d¡¯¨ºtre attaqu¨¦ par le compos¨¦ acide. Mais ?a Nesta ne l¡¯entendit pas. Elle ne croyait pas dans l¡¯enc¨¦phalogramme plat qui s¡¯affichait depuis le d¨¦but de la prise en charge de Zed et s¡¯¨¦tait d¨¦cid¨¦e ¨¤ croire aux morts qui marchaient parmi les vivants. Si le Christ s¡¯¨¦tait relev¨¦ d¡¯entre les morts, son amant pouvait en faire autant. Ce devait ¨ºtre une erreur, comme la m¨¨re de famille enterr¨¦e vivante et r¨¦veill¨¦e par des pilleurs de tombes, comme les accident¨¦s se r¨¦veillant sous le scalpel du l¨¦giste¡ Pourtant, lorsque le sarcophage de Zed s¡¯ouvrit, il s¡¯obstina ¨¤ refroidir en-de?¨¤ des temp¨¦ratures habituelles pour un corps humain, passant d¡¯un 224¡ãC en surface ¨¤ l¡¯inertie thermique.
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L¡¯horrible certitude s¡¯abattit sur Nesta. Zed ne se rel¨¨verait jamais. Son c?ur r¨¦duit en cendres ne battrait plus et ne plaisanterait plus avec lui en palpitant ¨¤ la folie. Il ne marcherait pas dans l¡¯avenir radieux que lui, et tous les autres, se promettaient d¡¯acqu¨¦rir. Il ¨¦tait mort pour un maigre rapport sangl¨¦ de vinyle noir et on l¡¯avait fauch¨¦ en pleine course vers l¡¯irr¨¦alisable. Ils avaient foi en un nouveau monde, ignorant que l¡¯ancien, instaur¨¦ depuis la nuit des temps, ne c¨¦derait pas si facilement. Des salauds vivaient et des h¨¦ros mouraient dans l¡¯indiff¨¦rence.
Le fardeau d¡¯os s¡¯alourdissait et la blague ¨¦tait finie pour le SAGI. Suranis rencontra sa premi¨¨re mort, meurtri¨¨re malgr¨¦ elle.
Chapitre 26
¡ª Au moins, ?a nous ¨¦pargne la question des fun¨¦railles, dit avec l¨¦g¨¨ret¨¦ Nate Killian en avalant une gorg¨¦e de ? tisane ? aux forts relents ¨¦thyliques.
¡ª Ton humour est pitoyable aujourd¡¯hui, le reprit Suranis.
Il posa sa tasse sur l¡¯accoudoir et croisa les jambes. Un large rictus envahit son visage :
¡ª Pitoyable ? Tu veux dire pyrolis¨¦, envol¨¦, encha?na-t-il sans se d¨¦partir de son mauvais go?t.
¡ª Il est mort Nate, par piti¨¦ ! Dans un putain de sarcophage de plomb scell¨¦ ¨¤ l¡¯arrache pendant qu¡¯on retenait Nesta !
¡ª Je le sais ! Je le sais !
Cela tenait plus du cri que de la parole pos¨¦e. Il le savait. Deux semaines s¡¯¨¦taient ¨¦coul¨¦es depuis la mort de Zed et il commen?ait ¨¤ perdre pied. L¡¯humour naze et l¡¯alcool ¨¦taient ses deux soupapes, sans elles il exploserait. Zerak ? Zed ? Dan appartenait au mouvement depuis presque dix ans lorsqu¡¯il mourut et Killian ne pouvait s¡¯emp¨ºcher de remarquer, avec amertume, qu¡¯il s¡¯agissait de la premi¨¨re mort non naturelle du SAGI qui ne soit pas imputable ¨¤ un suicide en l¡¯espace de quinze ans. Quinze ans, un suicide par an surtout chez les nouveaux-venus r?d¨¦s ¨¤ la vie citadine, mais il y avait eu Pam, la jeune fille viol¨¦e. Killian avait couvert le connard et lui avait demand¨¦ de faire ses valises sans jamais admettre que pareille horreur puisse exister dans un entre soi utopiste. C¡¯¨¦tait de sa faute. Il ne se le pardonnerait jamais et d¡¯une certaine fa?on cela rendait la mort de Zed plus tol¨¦rable. Lui ¨¦tait mort au combat, dans un monde parfait tous devraient tomber ainsi, et ce n¡¯¨¦tait pas de son ressort¡ Ouais, il n¡¯¨¦tait en rien coupable cette fois-ci et grace ¨¤ lui, ils avan?aient vers un monde meilleur. Mais en ¨¦taient-ils seulement capables ? Les paroles ne se lib¨¨rent pas toujours l¨¤ o¨´ on les attend, l¡¯Ennemi est parfois trop proche de la maison, plus encore de l¡¯os. L¡¯Ennemi c¡¯est parfois Nate Killian qui couvre un violeur.
Il se gratta machinalement la joue, une barbe l¨¦g¨¨re y ¨¦tait apparue :
¡ª Je sais tout ?a Suranis ! C¡¯est vrai tout ce que tu dis, mais c¡¯est grace ¨¤ lui que nous avan?ons dans la bonne direction ! Ne te laisse pas abattre, il n¡¯est pas mort pour toi !
La banquette sous Suranis grin?a alors qu¡¯elle se remettait d¡¯aplomb. Nate Killian ¨¦tait un connard patent¨¦. Pas un seul jour ne passait sans que la r¨¦alit¨¦ ne s¡¯impose ¨¤ elle : elle respirait grace ¨¤ Zed et ne trouvait plus le sommeil. Ses cernes marqu¨¦s inqui¨¦taient, mais la mort de Zed n¡¯¨¦tait pas la seule fautive de son ¨¦tat. Si ?a n¡¯avait ¨¦t¨¦ que ?a, elle ne r¨ºverait pas si souvent de l¡¯?il au rivet. Le cadavre du mercenaire demeurait toujours pr¨¦sent, en sourdine dans un recoin obscur de sa t¨ºte, et il revenait p¨¦riodiquement la narguer. Surtout, il revenait avec tout ce qu¡¯il incarnait : on n¡¯est jamais tr¨¨s loin du pr¨¦cipice.
Elle aurait bien r¨¦torqu¨¦ tout cela et admis, dans la foul¨¦e, son ¨¦go?sme. C¡¯¨¦tait de sa vie qu¡¯elle se souciait, terrifi¨¦e ¨¤ l¡¯id¨¦e que tout puisse se finir avec une telle facilit¨¦ et peut-¨ºtre attir¨¦e par celle-ci. Mais ¨¤ quoi bon tout expliquer ¨¤ Nate Killian ? Avec ses id¨¦es arr¨ºt¨¦es, il aurait dit qu¡¯elle prenait la fuite de l¡¯affreuse culpabilit¨¦ qu¡¯elle ¨¦prouvait et encha?n¨¦ sur des platitudes de pseudo-psychologue. M¨ºme si elle n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ convi¨¦e officiellement dans le salon priv¨¦ de Killian pour commencer une th¨¦rapie, l¡¯impression tenace d¡¯¨ºtre allong¨¦e sur le divan du psy commen?ait ¨¤ la faire vriller :
¡ª Cessons de parler de ceux qui ne sont plus l¨¤, veux-tu ? Donne-moi plut?t des nouvelles de Nesta, je ne l¡¯ai pas vu ces derniers temps, demanda-t-elle, bien consciente que sa sociabilit¨¦ se limitait ¨¤ une poign¨¦e de Sagistes dont Nesta ¨¦tait exclue.
¡ª Nesta ? Figure-toi qu¡¯elle est sortie de son mutisme. Elle est d¨¦cid¨¦e ¨¤ tout chambouler pour venger Zed des Cravat¨¦s. Ne t¡¯inqui¨¨te¡
¡ª Tr¨¨s bonne nouvelle, le coupa aussit?t Suranis.
¡ª Elle ne t¡¯en veut pas. Personne ne t¡¯en veut.
Elle ne put s¡¯emp¨ºcher de soupirer. Nate Killian l¡¯emmerdait cordialement. Le vieux avait beau avoir atteint le premier niveau de l¡¯empathie, il n¡¯avait jamais pass¨¦ la seconde. Merde, cette discussion n¡¯¨¦tait pas utile et tournait en rond. Ce n¡¯¨¦tait pas Zed son probl¨¨me, mais d¡¯avoir risqu¨¦ de finir comme lui. Non, pire¡ Bien pire.
Elle se sentait ¨¤ la d¨¦rive, tout aurait ¨¦t¨¦ plus simple si elle s¡¯¨¦tait laiss¨¦e aller. Le vide en elle n¡¯existerait pas et elle ne serait pas embarqu¨¦e sur ce zeppelin en direction de ces terres inconnues avec ces ¨¦trangers. Elle voguait avec eux parce qu¡¯elle avait loup¨¦ le d¨¦barquement, a¨¦rodrome du Rivet, et si ses co-voyageurs paraissaient avoir une vague id¨¦e de la destination ce sentiment n¡¯¨¦tait pas partag¨¦. Oui, il n¡¯y avait pas que la mort qui la troublait¡ L¡¯appel du vide ¨¦tait bien trop pr¨¦sent pour qu¡¯elle l¡¯ignore.
Les l¨¨vres de Nate s¡¯agit¨¨rent pour lui parler, mais Suranis ¨¦tait d¨¦j¨¤ loin, tr¨¨s loin sur son zeppelin.
Terre en vue ! Elle ne ressemble en rien ¨¤ ce que nous connaissons, sautons ! Le veux-tu Suranis ? Peut-¨ºtre, peut-¨ºtre pas, qu¡¯avons-nous ¨¤ perdre ? Tu penses vraiment qu¡¯il existe quelque chose en bout de piste ? Apr¨¨s tout, tu ne voulais pas grand-chose d¡¯autre que d¨¦couvrir le vaste univers qui prolonge la vie m¨ºme s¡¯il s¡¯apparente ¨¤ un mur¡ Une muraille. ¨¤ quoi bon l¡¯¨¦viter plus longtemps ? Au moins, est-elle honn¨ºte dans sa toute puissante fatalit¨¦ et ses promesses sont moins insipides que celles de ton ancien monde, celui qui empeste la charogne et la corruption. Pourtant, tu en as envie de cette merde¡ Les id¨¦aux Sagistes sont beaux, mais guident vers le cimeti¨¨re alors qu¡¯en haut, aussi pourrie que soit la vie, elle est si simple. Le d¨¦sir te d¨¦vore de la rejoindre cette fange vivante, ces moutons men¨¦s dans le bus de l¡¯existence, eux qui sont plus proches du Ciel, mais le Ciel c¡¯est l¡¯Enfer des Cha?nes balay¨¦es par la lumi¨¨re d¡¯une ¨¦toile qui s¡¯¨¦loigne un peu plus tous les jours. Il n¡¯y a plus d¡¯espoir et les monstres dard¨¦s par les rayons lumineux ne sont plus que d¡¯inoffensives ombres ¨¦tir¨¦es jusqu¡¯¨¤ se rompre. Ils ne font plus peur ¨¤ personne et lessivent en toute impunit¨¦ les stupides heureux. Tu ne l¡¯as jamais ¨¦t¨¦, un bon point pour toi, alors arr¨ºte de douter et franchis le pas. Tout ce que tu fais ici ne sert ¨¤ rien, croire blesse. D¨¦gage d¡¯ici ou tu finiras comme Zed, carbonis¨¦e¡ Choisis au moins l¡¯¨¦tat de ton cadavre.
? Je ne veux pas mourir ? se persuada-t-elle, sans y croire.
¡ª Tu m¡¯¨¦coutes ? demanda Killian, vex¨¦ apr¨¨s avoir fini son monologue.
¡ª Pardon, je r¨ºvassais.
¡ª Soit. Je sais que c¡¯est dur pour toi en ce moment, mais il faut que nous pensons ¨¤ la suite. Il le faut pour nos morts, pour nous, pour Pavla.
¡ª Ouais, il le faut, r¨¦pondit-elle en secouant la t¨ºte pour sortir de sa r¨ºverie.
¡ª Absolument ! Il le faut ! On va crier ¨¤ la Cit¨¦ toute la v¨¦rit¨¦ qu¡¯on leur cache. L¡¯oppression du Conseil va s¡¯effondrer, elle ne peut exister que car les gens l¡¯ignorent. Si nous apportons des preuves en son encontre, la population sera oblig¨¦e de se rallier ¨¤ nous et alors une destin¨¦e insoup?onn¨¦e pour la Cit¨¦ pourra na?tre !
Tu m¡¯emmerdes Nate. ¨¤ quoi bon d¡¯un nouveau monde ? J¡¯ai failli y passer, je vais mourir¡ Je n¡¯ai plus de place dans cette course. Merde ! J¡¯aurai d? abandonner depuis longtemps¡ Plut?t que de poursuivre une chim¨¨re.
Elle se garda de lui dire. Les joues de Nate Killian s¡¯empourpr¨¨rent des teintes de la fougue, ?a le rajeunissait. Suranis pensait avoir cess¨¦ croire en ces foutaises. On pourrait apporter toutes les preuves de l¡¯univers et rien ne changerait. L¡¯arbre s¨¦culaire de l¡¯oppression continuerait ¨¤ exister et la coupure sur son flanc serait vite pans¨¦e par les foules lobotomis¨¦es.
¡ª Peut-¨ºtre, fit-elle pensivement. Peut-¨ºtre pas. Une fois qu¡¯une t¨ºte tombe, une autre repousse. Le Conseil et la soci¨¦t¨¦ qui le fait vivre, ce sont des putains d¡¯hydres.
¡ª Suranis¡
Il apparut bless¨¦ et sa voix trembla avant qu¡¯il ne se ressaisisse.
¡ª Je crois quand m¨ºme qu¡¯on peut essayer. Le choix d¡¯agir ou ne pas agir ne nous appartient pas. Le SAGI se meurt et l¡¯homo anarchi sera bient?t une esp¨¨ce disparue si nous ne tentons rien. Mais oui, on peut attendre ce moment¡ Attendre notre fin sociale.
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Suranis ne lui r¨¦pondit pas. Elle fixait le vide derri¨¨re lui, les pieds sur la banquette ¨¦lim¨¦e. Il marquait un point.
¡ª Ce que je veux dire Suranis, c¡¯est qu¡¯on a terriblement besoin de toi. Je sais que tu penses que nos chances de r¨¦ussites sont risibles, mais nous sommes tous lanc¨¦s l¨¤-dedans.
¡ª Si vous ¨ºtes d¨¦j¨¤ si bien lanc¨¦s, pourquoi ce besoin visc¨¦ral que je me rallie ¨¤ vous ? Vous voulez faire de moi une sorte de proph¨¦tesse new age de la sainte V¨¦rit¨¦ ? Lou¨¦e soit-elle, amen, mais je laisse la belle place au politicien qui rebondira mieux que moi.
¡ª Merde Suranis ! Tu es ex¨¦crable quand tu t¡¯y mets !
Il crispa ses mains sur les accoudoirs de son si¨¨ge. Son expression tira vers la col¨¨re et elle demeura ainsi assez longtemps pour que Suranis ravale sa salive, penaude :
¡ª Je suis d¨¦sol¨¦e. Je suis si fatigu¨¦e¡ Tu me parles de sauver le monde, de r¨¦volutionner la soci¨¦t¨¦, mais ce que je vois c¡¯est qu¡¯on n¡¯est m¨ºme pas foutu de sauver Zed ou Herth. Pavla est morte, d¡¯autres mourront comme elle. Moi peut-¨ºtre, toi¡ Nous sommes incapables d¡¯agir pour nous-m¨ºme, alors le monde ? C¡¯est une id¨¦e ¨¤ la con, voil¨¤ tout.
Elle s¡¯enfon?a davantage encore plus dans la mousse anthropophage de la banquette. Avec un peu de chance, elle allait se laisser aller et la mousse ne la recracherait pas. Elle se sentit fatigu¨¦e, ses yeux commenc¨¨rent ¨¤ fureter le salon priv¨¦ de Killian. Des affiches meublaient la pi¨¨ce, les murs recouverts d¡¯appr¨ºts n¡¯avaient jamais connu de peinture. C¡¯¨¦tait triste comme l¡¯¨¦tat g¨¦n¨¦ral du SAGI.
Son h?te se leva difficilement et commen?a ¨¤ faire les cent pas. Le plancher tint bon, un peu de poussi¨¨re tomba du plafond :
¡ª Tu marques un point, mais essayons¡ Qu¡¯avons-nous ¨¤ perdre ? C¡¯est l¡¯avis qu¡¯on partage tous, m¨ºme Jinn-to. Il est d¨¦j¨¤ lanc¨¦, on a des armes en notre possession qu¡¯ils ignorent. Maintenant, il ne reste plus que toi. Rejoins-nous pour porter le coup fatal si tu ne veux pas rester en cage, comme une lionne.
La menace subtile effleura Suranis. Elle n¡¯avait pas oubli¨¦ Myrthes, ¨¦limin¨¦e ¨C mais pas tu¨¦e ¨C plut?t que lib¨¦r¨¦e. La coop¨¦ration entre le SAGI et Suranis n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ voulue, mais quand le choix n¡¯appartenait ¨¤ aucun des deux partis o¨´ se trouvait le consentement ? Manipul¨¦e et enferm¨¦e, parce que c¡¯¨¦tait ainsi. Parce que le Conseil surtout.
¡ª Si j¡¯aide, vous me laisserez en paix ?
¡ª Tu rejoindras le vrai monde, la Surface si tout se d¨¦roule bien¡ Les castes ne seront qu¡¯un mauvais r¨ºve appartenant au pass¨¦.
¡ª Mon cul Nate, mais dis toujours. Mes oreilles sont grandes ouvertes, j¡¯en ai ma claque de voir les m¨ºmes fissures¡ Et puis, c¡¯est pas comme si j¡¯avais le choix.
¡ª Je sais, dit-il avec tristesse. Ta situation est compliqu¨¦e, refuser nos demandes serait¡ D¨¦licat. Fait chier, j¡¯ai l¡¯impression de te forcer la main.
¡ª Le monde m¡¯a d¨¦j¨¤ forc¨¦e ¨¤ faire bien des choses.
¡ª Ouais, c¡¯est un salopard. Il a aussi forc¨¦ le diable de Jinn-to ¨¤ se clo?trer dans la salle audio pour s¡¯enregistrer. Si tu veux mon avis, il ne cesse de s¡¯am¨¦liorer¡ Ses diatribes enflammeront la Cit¨¦ quand il aura d¨¦pass¨¦ ses pr¨¦jug¨¦s merdiques.
Les l¨¨vres de Suranis s¡¯ouvrirent. Elle ¨¦tait interloqu¨¦e et trouvait l¡¯id¨¦e d¡¯un Pertem pr¨¦parant de beaux discours sagistes grotesque. Un rire nerveux jaillit d¡¯elle :
¡ª Merde alors ! s¡¯exclama-t-elle les larmes aux yeux. Je ne m¡¯y attendais pas du tout ¨¤ celle-l¨¤. Jinn Pertem, d¨¦vou¨¦ ¨¤ la cause ? Il ne sauve pas plut?t son petit cul ?
¡ª D¨¦lit de faci¨¨s, r¨¦torqua Nate Killian. C¡¯est parce qu¡¯il est chauve et qu¡¯il a un horrible sourire de politicard ? Peut-¨ºtre s¡¯aide-t-il, mais il nous aide aussi.
¡ª Va te faire¡ commen?a Suranis, laissant en suspens sa r¨¦partie ¨¦cul¨¦e. Elle se sentait mieux.
¡ª Pas le temps. C¡¯est une lubie chez toi ? Bref, ses beaux textes ne pourront ¨ºtre diffus¨¦s si on ne dispose pas des moyens techniques pour. C¡¯est l¨¤ que tu interviens¡ Une Tache de la plus Haute Importance.
Les majuscules avaient ¨¦t¨¦ prononc¨¦es. Nate Killian ne versait pas facilement dans le pompeux, ce qui inqui¨¦ta Suranis.
¡ª La tache de la plus haute importance, se moqua-t-elle pour d¨¦tendre l¡¯atmosph¨¨re. J¡¯esp¨¨re qu¡¯elle n¡¯est pas trop ¨¦loign¨¦e de ces quatre murs qui scindent l¡¯univers entre civilis¨¦s et enrag¨¦s¡
Les quatre murs en question ¨¦taient d¨¦j¨¤ ¨¦loign¨¦s. L¡¯impression d¡¯ouverture dans le SAGI ¨¦tait colossale, toujours plus importante que n¡¯importe quel ¨¦tage avec ses couloirs imbriqu¨¦s et ses avenues ne d¨¦passant pas la dizaine de m¨¨tres de largeur. Mais l¨¤ s¡¯arr¨ºtait la libert¨¦ de se mouvoir dans l¡¯entrep?t anarchiste. Ailleurs n¡¯existait que le vide.
Nate Killian jeta un coup d¡¯?il vers l¡¯entrep?t ¨¤ travers la fen¨ºtre. Les ampoules des ¨¦tag¨¨res s¡¯¨¦teignaient l¡¯une apr¨¨s l¡¯autre. Il se fit une r¨¦flexion qu¡¯il partagea :
¡ª Ouais. Dis-moi, tu t¡¯es d¨¦j¨¤ demand¨¦e pourquoi nous nous couchons ¨¤ la m¨ºme heure ? Le soleil n¡¯est en rien responsable de nos rythmes circadiens.
¡ª Pardon ?
¡ª Les journ¨¦es et les nuits existent. Elles servent ¨¤ s¨¦parer les ouvri¨¨res en deux castes. Vois-tu Suranis, nous sommes dans une fourmili¨¨re et le SAGI est une colonie satellite. Mais rebelle vu que nous nous endormons ensemble parce qu¡¯on en a rien ¨¤ foutre de nourrir une Reine pourrie. Au fond, on n¡¯accorde pas vraiment d¡¯importance au collectif, plus ¨¤ l¡¯individuel¡
¡ª Les fourmis n¡¯existaient d¨¦j¨¤ plus sur la Terre quand nous l¡¯avons quitt¨¦, remarqua Suranis.
¡ª Ni sur la Cit¨¦ jusqu¡¯¨¤ que notre soci¨¦t¨¦ existe. Mais notre esp¨¨ce est d¨¦faillante. La Reine ponctionne la vitalit¨¦ de ses sujets et ne participe en rien ¨¤ leur renouvellement. L¡¯¨¦tat se pr¨¦tend n¨¦cessaire, organise nos vies avec une morbide r¨¦gularit¨¦ et pourtant, tu connais la v¨¦rit¨¦¡ Tu sais que des droits ¨¦l¨¦mentaires sont bafou¨¦s, que l¡¯esclavage est r¨¦el sous des formes pernicieuses, que des zones sont scell¨¦es ¨¤ raison¡ Tu sais que 4256 BZ489 existe. Tu sais bien des choses¡ On va d¨¦truire cette putain de fourmili¨¨re et arracher les ailes de notre Reine. La Reine est morte, vive la Reine ! Nous avons r¨¦uni des donn¨¦es sur ce qu¡¯elle est r¨¦ellement, elles sont explosives¡ T¨¦moignages, reportages, documents classifi¨¦s.
¡ª Tant de merdes¡
Suranis ferma les yeux et se rem¨¦mora une autre merde. Un certain agent immobilier et son associ¨¦, l¡¯assistant d¡¯un Pilote. Puis, avec une nettet¨¦ effrayante vint l¡¯image d¡¯un appartement br?l¨¦, deux corps dans la pi¨¨ce se tenant en boxeur. Un fr¨¨re et une s?ur, six ans qui ¨¦tait ¨¤ la maison au mauvais moment. Elle arracherait les ailes de la Reine par elle-m¨ºme si elle en avait le pouvoir pour que plus jamais des victimes du syst¨¨me, simples nombres pour les bureaucrates, s¡¯¨¦vanouissent sous le b¨¦ton de la ville.
¡ª Aussi nombreuses soient-elles ces preuves, tu crois qu¡¯elles suffiront ?
¡ª Il suffit qu¡¯un ou deux types croient et partagent¡ Tu sais combien les fake news peuvent facilement circuler, donnez de l¡¯eau au moulin d¡¯un complotiste et d¡¯un ruisseau, vous vous retrouvez avec un fleuve. Sauf que cette fois-ci, tout sera vrai. Il ne nous reste qu¡¯¨¤ trouver le m¨¦dia susceptible de tout retransmettre, mais il n¡¯en existe aucun alors on va le cr¨¦er. Nous en sommes arriv¨¦s ¨¤ la conclusion ¨C surtout Jinn-to ¨C que l¡¯Internet serait un outil formidable, bien que l¡¯on risque d¡¯¨ºtre censur¨¦... En v¨¦rit¨¦, nous serons censur¨¦s avant m¨ºme d¡¯¨ºtre diffus¨¦s sauf si on passe par des m¨¦thodes annexes.
¨C C¡¯est-¨¤-dire ? s¡¯enquit Suranis.
¡ª Le gouvernement se prot¨¨ge des individus connect¨¦s au r¨¦seau, pas du r¨¦seau lui-m¨ºme. Un de nos gars, un ancien tech, nous a dit qu¡¯on ne pouvait pas vraiment effacer les donn¨¦es physiquement raccord¨¦es. Du moins, elles ne risquent rien pour peu qu¡¯on ne se pr¨¦sente pas ¨¤ elles avec une hache pour cabosser les bo?tiers¡
¡ª Et s¡¯ils coupent l¡¯Internet ?
¡ª Ils ne le feront pas, ?a serait admettre que tout est vrai. Ce qu¡¯il nous faut faire maintenant c¡¯est placer ces fameux petits bo?tiers sur le r¨¦seau, assez pour ¨¦mettre tout ce qu¡¯on a ¨¤ dire. C¡¯est rudimentaire, mais de toute fa?on c¡¯est la seule m¨¦thode qui nous est accessible. Des petits malins ont r¨¦ussi ¨¤ ¨¦mettre la photographie de Pavla Karanth, mais ce n¡¯¨¦tait pas nous¡ Alors faisons avec les moyens du bord.
¡ª Tu ne vas pas me demander de placer ces bo?tiers ? C¡¯est ?a ma grande tache ?!
¡ª Justement.
Suranis se leva d¡¯un bond, les poils sur ses bras h¨¦riss¨¦s. La derni¨¨re fois qu¡¯elle avait quitt¨¦ le SAGI, la Suranis convaincue de son ¨¦ternit¨¦ s¡¯¨¦tait retrouver chang¨¦e. Elle ne louvoierait plus na?vement dans le monde des vivants, l¨¤ o¨´ les hommes gr¨¦sillent et br?lent.
¡ª Je ne veux pas¡ Je ne sortirais pas et ne toucherais pas ¨¤ ces putains de bo?tiers ! cria-t-elle en se rapprochant du rideau qui s¨¦parait le salon de Killian d¡¯un autre commun, plus vaste.
¡ª Du calme, par piti¨¦ ! Tu ne remonteras pas.
¡ª Alors quoi ? Tu veux que je fasse quoi ? Pourquoi moi ?
¡ª Pour le symbole ! Toi et Jinn vous irez installer le disque principal ¨¤ la base du r¨¦seau. ?a sera comme si, du jour au lendemain, la programmation de l¡¯Internet se retrouvait politis¨¦ et, crois-le ou pas, c¡¯est ¨¤ c?t¨¦ de la maison. Tu ne croiseras pas un seul agent du gouvernement l¨¤-bas. C¡¯est sans risque !
? Sans risque ? si on ignorait les rats mutants, les grilles tranchantes et l¡¯obscurit¨¦ omnipr¨¦sence. Cependant, elle se sentit rassur¨¦e. Sa ? tache de la plus haute importance ? n¡¯impliquait pas qu¡¯elle rencontre la civilisation. Il lui suffirait de crapahuter dans les labyrinthes souterrains, connecter un appareil ¨¤ un autre et revenir f¨ºter ?a. Son rythme cardiaque revint peu ¨¤ peu ¨¤ la normale, le martellement sourd dans sa t¨ºte disparut et elle se sentit immens¨¦ment conne, ainsi lev¨¦e.
Elle s¡¯¨¦loigna du rideau, revint s¡¯asseoir sur la banquette et se massa le poignet. Nate Killian la d¨¦visagea avec bienveillance, ignorant de toute la signification que prenait sa demande. C¡¯¨¦tait plus qu¡¯un symbole, mais un exutoire ¨¤ ses ¨¦tats d¡¯ames. Elle ne pourrait pas cesser de songer ¨¤ sa fragilit¨¦, mais au moins pourrait-elle remercier Zed et, d¡¯une certaine fa?on, se faire pardonner. ? Personne ne t¡¯en veut ? dirait Killian ce qui serait faux. Beaucoup de personnes lui en voulait, surtout elle-m¨ºme.
Il lui tendit une main louable :
¡ª Alors, tu es de la partie ? Bien.
Ils discut¨¨rent jusqu¡¯¨¤ que les derni¨¨res lumi¨¨res s¡¯¨¦teignent dans l¡¯entrep?t.
Chapitre 27
Jinn Pertem d¨¦ambulait dans un pass¨¦ trop proche. Il avait rev¨ºtu sa combinaison de tolard qu¡¯il avait rectifi¨¦e ¨¤ sa fa?on en la renfor?ant aux articulations de patchs noirs. Peut-¨ºtre qu¡¯en baissant les yeux sur le vinyle ainsi dispos¨¦, il reviendrait ¨¤ la r¨¦alit¨¦ et ne resterait pas enferm¨¦ dans sa prison mentale ? Il n¡¯emp¨ºche que l¡¯id¨¦e de se carapater ¨¤ toute jambe le titillait, comme si les couloirs ¨¦troits et sans ¨¦clairage ¨¦taient pav¨¦s du blanc immacul¨¦ du complexe Norddle. Pourtant, les probabilit¨¦s qu¡¯un gyrophare rouge ne s¡¯allume et qu¡¯une alarme stridente lui ruine les oreilles ¨¦taient inexistantes. Surtout si, pour confirmer qu¡¯il ¨¦tait libre, il tournait sa t¨ºte vers la droite et que son regard happait la silhouette de Suranis Rh¨¦on envelopp¨¦e dans sa tenue ordinaire, renforc¨¦e au cas o¨´ elle ait ¨¤ ramper.
¡ª Un probl¨¨me Perty ? le questionna Suranis en braquant sa lampe-torche sur son ventre.
¡ª Aucun, ?a me rappelle des souvenirs¡ dit-il, pensif alors que son ombre s¡¯¨¦tirait grotesquement sous le rayon tremblant. Norddle, du moins dans un ¨¦tat particuli¨¨rement d¨¦labr¨¦¡ Je ne serais que moyennement surpris si un maton poussant un chariot de barquettes r¨¦chauff¨¦es se pointait ¨¤ l¡¯angle du couloir.
¡ª Des sottises, commenta-t-elle avec indulgence.
Elle avait raison. La derni¨¨re fois que des bip¨¨des ¨¦taient entr¨¦s dans le couloir remontait ¨¤ l¡¯¨¦poque o¨´ le r¨¦seau global avait ¨¦t¨¦ mis en place par une arm¨¦e de techniciens lors de la Grande Transformation. Le Flux ne faisait pas encore parti du quotidien, on pensait encore qu¡¯il finirait par retomber et on commen?ait ¨¤ transformer le vaisseau-arche en Cit¨¦ autonome. Depuis ce jour perdu dans les nimbes de la m¨¦moire humaine, seule une famille de rats consanguins hantait les lieux. Comme les humains, ils avaient embarqu¨¦ sur Terre, gliss¨¦ dans une caisse trop pr¨¦cipitamment rentr¨¦e. Pendant des g¨¦n¨¦rations, ils avaient grignot¨¦ les r¨¦serves dans l¡¯indiff¨¦rence des ¨¦veill¨¦s qui vaquaient avec lassitude ¨¤ leurs taches en trouvant leur d¨¦cennie de retour ¨¤ la vie particuli¨¨rement longue. Les rats, eux, s¡¯amusaient. La g¨¦n¨¦ration actuelle se faufilait entre les feuilles galvanis¨¦es, en tapant parfois de leurs longues queues la t?le qui r¨¦sonnait. Parfois m¨ºme on pouvait les apercevoir s¡¯enfuyant avec maladresse lorsqu¡¯ils ¨¦taient d¨¦rang¨¦s dans quelques activit¨¦s de rongeurs. Ils avaient bien chang¨¦ depuis le temps o¨´ leurs illustres anc¨ºtres arpentaient les ruelles ¨¦troites et sombres du Moyen-age. Ce n¡¯¨¦taient plus des porteurs de mort, accus¨¦s ¨¤ tort, et dont l¡¯affection menait irr¨¦m¨¦diablement au linceul. Ils ¨¦taient pass¨¦s dans la cat¨¦gorie du mythe, on les savait pr¨¦sents ¨C comment expliquer autrement les containeurs de barres alimentaires saccag¨¦s sinon ? - et parfois on les entendait, mais on ne les voyait que rarement et la plupart des humains n¡¯¨¦taient en mesure d¡¯affronter leurs hideuses bouilles. L¡¯impesanteur du voyage, avant le retour ¨¤ une forme tr¨¨s l¨¦g¨¨re de gravit¨¦ (mais suffisante pour que l¡¯on ne vole pas d¡¯un bout ¨¤ l¡¯autre de la Cit¨¦) avait ¨¦tir¨¦ leurs squelettes, moins tass¨¦s, plus libres et ces rats-l¨¤ avaient finis par prendre l¡¯apparence de corgis de l¡¯espace. ¨¤ l¡¯exception pr¨¨s que les corgis n¡¯ont pas de si longues queues et des incisives capables de percer les fines couches d¡¯aluminium, une ¨¦volution notable qui survint lorsque la cent-douzi¨¨me g¨¦n¨¦ration des rats ¨¦puisa les rations souples et d? se ruer sur les conserves m¨¦talliques. S¡¯ils avaient alors d¨¦couvert que dans l¡¯entrep?t voisin existaient des pur¨¦es lyophilis¨¦es dans des emballages noirs et non marronnasses, ils n¡¯auraient jamais d¨¦velopp¨¦ des attributs si terrifiants.
Une de ces cr¨¦atures spatialis¨¦es se profila ¨¤ l¡¯angle du couloir. Elle tourna sa t¨ºte d¡¯ouvre-bo?te, les observa de ses yeux brillants et se figea. Le duo d¡¯explorateurs des couloirs techniques ne remarqua pas tout de suite le rat et continu¨¨rent vers sa direction, jusqu¡¯¨¤ que la lumi¨¨re s¡¯accroche aux poils entrem¨ºl¨¦s et sales. La b¨ºte se redressa, pencha ses oreilles en arri¨¨re et tenta un demi-tour qui se conclut par un d¨¦rapage incontr?l¨¦ qui la fit rencontrer le mur dans un bruit sourd. Elle se releva, sonn¨¦e, fixa avec un rictus ind¨¦chiffrable les deux rats g¨¦ants bip¨¨des et s¡¯enfuit par une br¨¨che. Dans les ¨¦troits conduits, elle courut ¨¤ tout-va, ses petits pas r¨¦sonnant tout autour de Suranis et Jinn. Le rat apeur¨¦, terrifi¨¦, glac¨¦ jusqu¡¯au sang fuyait aussi loin que possible ce danger pour rejoindre les siens qui crapahutaient plus loin et tenir conciliabule sur la d¨¦marche ¨¤ adopter : fuir loin ou fuir moins loin. Leur domaine ¨¦tait attaqu¨¦, eux qui n¡¯¨¦taient plus ¨¤ la Terre mais ¨¤ la Cit¨¦. Cette Cit¨¦ que la plupart ignorait partager avec ces dr?les de bestioles ¨¤ deux pattes nomm¨¦es ? Humains ?.
Cependant, les humains n¡¯¨¦taient gu¨¨re diff¨¦rents des rats, ils poss¨¦daient bien plus en commun qu¡¯ils ne pouvaient l¡¯imaginer. Gr¨¦gaires, tout comme eux, les rats mutants ¨¦taient ce qui se rapprochait le plus du devenir de l¡¯homo civis. Dans cet univers clos de 6.447.548 ames, les humains se transformaient irr¨¦m¨¦diablement. Les premiers signes se faisait d¨¦j¨¤ ressentir : leurs corps avaient ¨¦volu¨¦ ; leurs nez ¨¦taient plus ¨¦pat¨¦s que celui des pionniers, leurs jambes plus longues, leurs cranes plus chauves et la scoliose une quasi-norme. ¨¤ terme, cela les tuerait, ou bien les m¨¨nerait sur le chemin sp¨¦cifique de tous ceux qui tendaient vers la puret¨¦ g¨¦n¨¦tique, homog¨¦n¨¦it¨¦ impos¨¦e. Ils ¨¦taient d¨¦vor¨¦s par le brassage d¡¯une m¨ºme cuve, si semblables et toujours davantage grace ¨¤ l¡¯uniformisation du Conseil. Pouvaient-ils seulement encore se consid¨¦rer comme des ¨ºtres humains entiers ? Proches des terriens et aux horizons vari¨¦s ? ¨¦tait-ce cela le destin basique de l¡¯humanit¨¦, vivre ou crever dans ce monde massifi¨¦ ? Ou ¨¦taient-ils d¨¦j¨¤ si diff¨¦rents de leurs anc¨ºtres, eux qui devaient se d¨¦placer dans des couloirs ¨¦triqu¨¦s pens¨¦s pour des individus de dix centim¨¨tres de moins que la norme actuelle. Nul ne sait mais les rats ont d¨¦j¨¤ une petite id¨¦e ¨¤ ce sujet.
Jinn frissonna dans la fra?cheur de l¡¯obscurit¨¦ :
If you stumble upon this narrative on Amazon, be aware that it has been stolen from Royal Road. Please report it.
¡ª Sales bestioles. Elles me foutent le bourdon.
¡ª Elles doivent ¨ºtre plus effray¨¦es par nous que l¡¯inverse, r¨¦pondit Suranis en sortant sa carte num¨¦rique. Bien, nous en sommes-nous ? Bient?t arriv¨¦s ¨¤ destination ?
¡ª Voil¨¤ une grande question ! Arriv¨¦s ¨¤ quoi au juste ? Notre point d¡¯arriv¨¦e physique ou id¨¦el ? Les deux sont diff¨¦rents. Allons-nous bient?t arriver ¨¤ ce moment o¨´ nous ferons ¨¦voluer une humanit¨¦ unique et standardis¨¦e vers la pluralit¨¦ et des sous-esp¨¨ces individuelles ? Je n¡¯en sais rien et je ne suis pas certain d¡¯avoir tout saisi ¨¤ ce que m¡¯a racont¨¦ le couillon verdatre. Au final, nous finirons comme ces choses de l¡¯obscurit¨¦, renouvelant sans cesse notre patrimoine g¨¦n¨¦tique pourri et nous livrant ¨¤ l¡¯anthropophagie sociale, dit Jinn ¨¤ toute vitesse, la voix encore tressaillante de sa rencontre avec le rat.
¡ª Tu sais bien que je ne parle pas de ?a, soupira sa compagne de crapahutage.
¡ª Ah, oui. ¨¦videmment, mais tu dois avoir eu comme moi la r¨¦ponse sur ta carte. La prochaine ¨¤ droite ! Je crois. Ou peut-¨ºtre plus loin, je ne comprends pas vraiment¡ Pas s?r de pouvoir la lire.
La carte montrait un entrelacs de tunnels superpos¨¦s. Des traits rouges, vert, bleus, et de toute la palette de couleurs imaginables, donnaient l¡¯impression d¡¯un gribouillage d¡¯enfant. Ils correspondaient chacun ¨¤ des sous-niveaux auxquels on acc¨¦dait via des ¨¦chelles. Alors, peut-¨ºtre que comme le disait Jinn, ¨¤ droite se trouvait l¡¯ordinateur central du r¨¦seau, mais peut-¨ºtre aussi faudrait-il descendre ou monter. Pour l¡¯instant, la seule certitude qu¡¯ils avaient c¡¯est qu¡¯ils pataugeaient dans la merde des rats. Dans cette mare naus¨¦abonde, quelque part, ronronnait le c?ur r¨¦el de la Cit¨¦ comme si toute soci¨¦t¨¦ respectable reposait sur une coul¨¦e de chiasse constamment en mouvement.
Suranis se sentit glisser, men¨¦e dans les bas caniveaux de l¡¯humanit¨¦ et d¨¦cid¨¦e ¨¤ enflammer le m¨¦thane qui s¡¯en ¨¦chappait :
¡ª J¡¯esp¨¨re que tu as raison Jinn, r¨¦pondit-elle d¨¦termin¨¦e. Je commence ¨¤ avoir les jambes en compote.
¡ª Moi de m¨ºme ! plaisanta-t-il. Je suis un abonn¨¦ aux facilit¨¦s de transport comme disent les autres.
Ils rican¨¨rent tous les deux en avan?ant, comme deux gamins lors de leur dernier jour d¡¯¨¦cole. L¡¯¨¦t¨¦ qui se profilait ¨¦tait celui des surprises. Si quelques mois auparavant, on leur avait dit qu¡¯ils se baladeraient l¨¤ o¨´ aucun pod ne vient, ils se seraient esclaff¨¦ de rire ¨¤ tel point qu¡¯on les aurait enferm¨¦s dans un asile.
Aujourd¡¯hui cependant, ils marchaient vers le c?ur n¨¦vralgique de la Cit¨¦. Un c?ur sans protection qui se r¨¦v¨¦la ¨¤ eux lorsqu¡¯ils tourn¨¨rent ¨¤ droite et tomb¨¨rent sur une porte scell¨¦e par un cadenas qui ne r¨¦sista pas un seul instant ¨¤ la pince-monseigneur. Il s¡¯envola et atterrit sur le sol en faisant vibrer la vieille carcasse qui les accueillait. La porte s¡¯ouvrit sur un menhir noir, plant¨¦ ici depuis la nuit des temps et dont le visage s¡¯illuminait des yeux-diodes verts qui clignotaient d¡¯une r¨¦gularit¨¦ ancestrale. Le v¨¦n¨¦rable ordinateur central voyait converger vers lui tout ce que la Cit¨¦ avait ¨¤ offrir, des actes du Conseil aux d¨¦clarations d¡¯imp?ts. Sans lui, la majorit¨¦ des Citoyens deviendraient des anonymes d¨¦pourvus de num¨¦ro et du dr?le de journal intime que tenait le cerveau informatique. Ce n¡¯¨¦tait pas un simple ordinateur tout compte fait, mais une d¨¦it¨¦ citoyenne accueillant le plus saint des OS et elle n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ visit¨¦e depuis cent-vingt-sept ans comme l¡¯indiquait le cordon bleu appos¨¦ par un technicien venu rebranch¨¦ un cable arrach¨¦ par un rat gymnaste.
Jinn tomba ¨¤ genoux devant l¡¯ordinateur, les yeux troubles. Suranis resta stup¨¦faite, troubl¨¦e :
¡ª Nous, lacha Jinn en rejoignant ses mains pour une pri¨¨re muette au m¨¦galithe.¡
Il ¨¦tait devenu comme Mo?se en haut du mont Sina?, s¡¯appr¨ºtant ¨¤ recevoir les commandements ¨¤ la diff¨¦rence notable que les r?les ¨¦taient invers¨¦s. Ils ¨¦taient Dieu face ¨¤ l¡¯id¨¦e de Dieu.
¡ª Oui. Nous. Ce que nous ¨¦tions transite dans ses circuits¡ C¡¯est¡
? Merveilleux ? ¨¦tait le mot qui avait travers¨¦ l¡¯esprit de Suranis, mais elle le retint. Rien n¡¯¨¦tait merveilleux dans l¡¯artificialit¨¦ des chiffres, rien ne l¡¯¨¦tait dans la vie r¨¦duite ¨¤ un flux num¨¦rique. Tout se passait dans les entrailles de la machine. Certes, des hommes plus puissants que d¡¯autre dirigeaient le monde mais c¡¯¨¦tait toujours en adoration face au R¨¦seau. Le R¨¦seau crachait ses donn¨¦es, crachait le devenir des Citoyens car tel ¨¦tait sa raison d¡¯¨ºtre. Il n¡¯y avait rien de magique l¨¤-dedans, aucunes runes ¨¦sot¨¦riques grav¨¦es dans la mati¨¨re ne venait corroborer cette hypoth¨¨se, mais les instructions techniques qui l¡¯accompagnaient avaient le m¨ºme effet.
Ils trouv¨¨rent sur la machine un port ? IN DATA ?, plus gros que tous les autres et qui n¡¯avait ¨¦t¨¦ utilis¨¦ qu¡¯une seule fois depuis la cr¨¦ation du vaisseau-arche. Les donn¨¦es ¨¦taient transf¨¦r¨¦es de bien plus haut depuis que la Cit¨¦ existait et jamais quiconque n¡¯aurait d? soulever la lame de plastique qui prot¨¦geait le port USB-C, ¨¤ l¡¯ancienne. Penser que l¡¯art¨¦fact citoyen par excellence existait l¨¤, d¨¦muni de d¨¦fenses, donnait le tournis. Si Suranis l¡¯avait voulu, elle aurait m¨ºme pu ¨¦teindre l¡¯appareil qui aurait ¨¦mis quelques g¨¦missements plaintifs avant de se taire, et serait devenue responsable des massacres qui s¡¯en suivraient, mais ce n¡¯¨¦tait pas son objectif et aussi se contenta-t-elle de brancher le lecteur de disque sur le port. La machine l¡¯accepta sans broncher, absorba le contenu d¨¦l¨¦t¨¨re et demanda des instructions. Elles ¨¦taient simples : diffuser ¨¤ tout va car parfois ce qui s¨¦parait l¡¯ordre ¨¦tabli du chaos ¨¦mancipateur r¨¦sidait dans quelque chose d¡¯aussi fin et fragile qu¡¯un mis¨¦rable disque. Toute une soci¨¦t¨¦ pouvait s¡¯effondrer pour une poign¨¦e de donn¨¦es. Le mal ¨¦tait lanc¨¦, circulant dans les gaines et arrivant au compte-goutte dans les foyers. Suranis Rh¨¦on et Jinn Pertem, les h¨¦rauts de l¡¯apocalypse se sourirent et pris par l¡¯adr¨¦naline s¡¯enlac¨¨rent dans la lueur orang¨¦e du chargement. Un jour nouveau se levait.
Chapitre 28
Une notion archa?que voulait qu¡¯une information globalis¨¦e le soit sur toutes les ondes. Avec du recul, la chose s¡¯av¨¦rait fausse dans la plupart des cas. L¡¯humanit¨¦ avait bien am¨¦lior¨¦ sa capacit¨¦ ¨¤ communiquer ¨¤ grande distance, bien assez pour garder le lien avec sa flotte perdue dans l¡¯immensit¨¦ de l¡¯espace mais il subsistait les 0,00013% d¡¯erreurs sur les donn¨¦es transmises. Rien de bien m¨¦chant : sur une image un pixel serait du mauvais rose, mais ¨¤ l¡¯¨¦chelle d¡¯un vaisseau la catastrophe arrivait vite. L¡¯erreur ¨¦tait plus que suffisante pour que l¡¯impulsion demand¨¦e au moteur de 2 minutes 37 soit r¨¦duite de dix secondes et qu¡¯au lieu de fr?ler l¡¯¨¦toile, le vaisseau et ses passagers embrassent ses flammes. Mauvais delta-v.
De fait, la question de la communication par le m¨¦dium d¡¯ondes ¨C parfois de lasers ¨C pour diriger un vaisseau avait rapidement ¨¦t¨¦ ¨¦lud¨¦e. Elles n¡¯¨¦taient pas assez pr¨¦cises et quand on ajoutait, en plus des erreurs, le d¨¦lai souvent sup¨¦rieur ¨¤ plusieurs ann¨¦es pour envoyer des informations ¨¤ des distances interstellaires, elle ne se posait m¨ºme plus. La m¨¦thode alors retenue par les ing¨¦nieurs terrestres avait ¨¦t¨¦ celle d¡¯¨¦quipages autonomes, soutenus par la fibre optique dont les risques de d¨¦faillances demeuraient bien plus que tol¨¦rables. Le sans-fil dans l¡¯espace ¨¦tait mort apr¨¨s une poign¨¦e de d¨¦cennies.
Le vaisseau-arche Olkers avait ¨¦t¨¦ ¨¦labor¨¦ six g¨¦n¨¦rations apr¨¨s cette ¨¦vidence. Il se retrouvait donc enti¨¨rement d¨¦muni d¡¯¨¦metteurs ¨¤ longue port¨¦e sinon d¡¯une parabole ch¨¦tive pour les communications locales. Les entrailles de l¡¯appareil ¨¦taient occup¨¦es par un entrelacs de gaines plastifi¨¦es. Originellement, ces cables servaient ¨¤ ordonner les man?uvres du vaisseau et les donn¨¦es qui circuleraient sous peu ne furent en aucun cas pr¨¦vues par les concepteurs. Elles mettraient en p¨¦ril l¡¯int¨¦grit¨¦ humaine par la force de la connaissance brute.
Le premier m¨¦dia ind¨¦pendant de la Cit¨¦ na?trait ainsi, sortant sa t¨ºte glabre de la fange pour donner un bon coup de pied dans la fourmili¨¨re. Le r¨¦seau ne protesta pas en l¡¯accueillant, il n¡¯avait ¨¦t¨¦ con?u que pour v¨¦hiculer ce qu¡¯on lui demander de v¨¦hiculer. Et puis, personne ne pourrait protester ¨¤ sa place. Il commen?a ¨¤ ¨¦mettre sa premi¨¨re temp¨ºte jusqu¡¯au terminal sagiste, de quoi chambouler le meilleur des mondes imagin¨¦ par peu. Les donn¨¦es, libres et accessibles, d¨¦ferleront dans la Cit¨¦ lorsque le bouton sera press¨¦ et on commencera ¨¤ se demander si on ne devrait pas r¨¦viser le calendrier. ¨¤ quoi bon s¡¯exprimer en ann¨¦es du Conseil quand on pouvait glisser vers l¡¯¨¦mancipation d¡¯un calendrier purement scientifique ? On ne se rappellerait plus de la tyrannie du Conseil et les esclaves d¡¯hier deviendraient ma?tres de leur ¨ºtre, mais ¨¤ quel point ? Libert¨¦ r¨ºv¨¦e, libert¨¦ r¨¦elle : la question resterait en suspens et ferait s¡¯agiter des millions de neurones dans le si¨¨ge de la conscience de milliers de philosophes novices. Mais tout ce qui adviendrait apr¨¨s la chute du Conseil, ses retomb¨¦es philosophiques et soci¨¦tales, n¡¯arriverait que plus tard car tout commen?ait ¨¤ peine.
Tout cela arrivait parce que deux anarchistes malgr¨¦ eux avaient ins¨¦r¨¦ le CD-2 de la Cit¨¦ et que le pragmatisme des Terriens avait rendu possible cet acte. Les deux revenaient des corridors techniques hant¨¦s par les rats, le visage encrass¨¦ et rayonnant. Sur leur passage, l¡¯all¨¦gresse envahissait l¡¯atmosph¨¨re et on se dodelinait doucement. Nate Killian les attendait sur sa chaise longue pr¨¦f¨¦r¨¦e et d¨¦glingu¨¦e. Il avait un regard vaseux, plus que ses compagnons de beuverie qui n¡¯avaient pas attendu le retour de Suranis et de Jinn pour commencer les hostilit¨¦s.
¨¤ la vue des installeurs dominicaux, ils se lev¨¨rent en ch?ur ¨¤ l¡¯exception de Killian. La d¨¦bauche de r¨¦v¨¦rences envin¨¦e les surprit. Killian ne quitta pas sa chaise, se contentant d¡¯observer la sc¨¨ne avec un sourire ¨¦panoui sur le visage. Pour une fois, il ressemblait ¨¤ ce qu¡¯il ¨¦tait vraiment : un dealer d¡¯amour-propre. C¡¯¨¦tait lui qui avait fait de cette mission facile, une qu¨ºte grandiose et la joie sur le visage des deux nouveaux ¨¦tait communicative. Killian avait visiblement loup¨¦ une carri¨¨re honn¨ºte dans la Cit¨¦. S¡¯il avait ¨¦t¨¦ vendeur, il aurait rafl¨¦ tous les prix de l¡¯employ¨¦ du mois en refourguant ses radio-¨¦metteurs foireux (histoire de se lancer dans sa propre radio-pirate que personne n¡¯¨¦couterait car personne ne poss¨¦dait de radio) pour le prix de six ; et le pire l¨¤-dedans c¡¯est qu¡¯il aurait ¨¦t¨¦ capable de vous persuader que vous faisiez l¡¯affaire du si¨¨cle. Il s¡¯av¨¦rait terriblement dou¨¦ en la mati¨¨re.
¡ª Ils sont de retour ! s¡¯¨¦cria-t-il sans quitter sa chaise, mais en balayant l¡¯air de ses bras et manquant de perdre l¡¯¨¦quilibre sous le regard amus¨¦ de ses compagnons de boisson.
Il ¨¦tait bien ¨¦m¨¦ch¨¦.
¡ª Il semblerait que nous le soyons Nate ! Tu as sorti les bi¨¨res du frigo pour vos h¨¦ros du jour aussi ? r¨¦pondit Jinn avec son plus grand sourire de politicien-t?lard.
¡ª Yep ! Venez donc posez votre cul ici et on en discute ! ¡®fin¡ Je veux dire, l¨¤ o¨´ il y a de la place.
On d¨¦gagea un banc du bordel qui l¡¯encombrait et ils s¡¯y assirent. Des bi¨¨res tir¨¦es depuis trop longtemps et ¨¦vent¨¦es atterrirent entre leurs mains. Jinn la reposa, Suranis l¡¯appr¨¦cia. Le houblon avait ¨¦t¨¦ remplac¨¦ par une sorte de pur¨¦e de fruits, bien difficile d¡¯appeler ce breuvage bi¨¨re, mais elle l¡¯aimait. Elle en avala une gorg¨¦e jusqu¡¯¨¤ qu¡¯elle remarque le regard amus¨¦ de Jinn. Killian levait son verre en attendant qu¡¯elle trinque et ses compagnons retenaient un fou rire. G¨ºn¨¦e, elle fracassa son gobelet contre celui de Killian, en renversant le quart ¨¤ c?t¨¦ :
¡ª Sant¨¦ ! dit-il. Nous avons franchi l¡¯¨¦tape la plus compliqu¨¦e et d¡¯ici une heure tout sera lanc¨¦. Mais en attendant ce moment historique, f¨ºtons ce que nous avons d¨¦j¨¤ accomplis !
¡ª Et trinquons aussi ¨¤ de meilleures bi¨¨res que les tiennes, rench¨¦rit Jinn. La Surface me manque parfois quand j¡¯y goute¡ Et trinquons surtout ¨¤ notre Rh¨¦on de lumi¨¨re.
¡ª Mais pas ¨¤ tes fichues blagues, lan?a un habitu¨¦ de ces ? soir¨¦es mondaines ? qui se d¨¦roulaient plut?t les apr¨¨s-midi et consistaient surtout ¨¤ se so?ler.
Le Rh¨¦on de lumi¨¨re rougit. Tous rirent. Il adorait ¨¦tendre ses mauvais jeux de mots o¨´ il le pouvait ce qui expliquait certainement sa relation singuli¨¨re avec son ¨¦quivalent local. Suranis s¡¯enfon?a sur son banc et s¡¯effor?a de sourire. Elle n¡¯aimait pas ¨ºtre mise ainsi en avant. Un des Sagistes, un jeune homme de la petite vingtaine, lan?a une petite phrase qui, si elle se voulait spirituelle, sonna creuse ? Bient?t nous appartiendront au monde et le monde nous appartiendra ?. S¡¯appartenir ¨¤ soi-m¨ºme, une dr?le d¡¯id¨¦e au sein d¡¯une soci¨¦t¨¦. Elle s¡¯effor?a de sourire, ne sachant que r¨¦pondre dans la conversation naissante.
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?a recommence, tu as l¡¯air conne, se dit-elle alors qu¡¯on commen?ait ¨¤ s¡¯¨¦merveiller sur le monde d¡¯apr¨¨s. Elle ne ma?trisait pas le sujet et ¨¦mettait ¨¤ son encontre, en elle-m¨ºme, de nombreuses r¨¦ticences. Pas d¡¯accord sur tout soit, mais c¡¯¨¦tait un manque de connaissance. Du moins, elle essayait de se le persuader et tachait dans le m¨ºme temps de le cacher, histoire de ne pas para?tre totalement ¨¤ c?t¨¦ de la plaque.
Ils parl¨¨rent¡ Ne semblant jamais vouloir cesser en s¡¯enfon?ant dans des points techniques qu¡¯elle manquait totalement.
¡ª Il faudra forcer sur la p¨¦dagogie, je veux dire. Si tout tient, les gens finiront par retomber dans leurs anciens travers¡ C¡¯est ainsi, c¡¯est dans la nature humaine. Tu connais d¡¯autres esp¨¨ces qui ont salop¨¦ des plan¨¨tes ? lan?a l¡¯un d¡¯entre eux.
¡ª Non, mais¡
L¡¯homme suspendit sa phrase. Suranis leva des yeux reconnaissants vers la figure qui s¡¯avan?aient vers eux. Elle d¨¦senchanta aussit?t en remarquant la figure de Nesta et sa d¨¦ambulation erratique. Son visage avait cess¨¦ de marquer sa douleur. Elle arborerait un masque ind¨¦chiffrable pour le restant de ses jours, son expression de repos. Elle m¡¯en veut, Nate ne sait pas de quoi il parle.
Killian se leva de sa chaise avec difficult¨¦ pour la saluer avec familiarit¨¦ :
¡ª Ness¡¯ te voil¨¤ ! On t¡¯attendait, mais on n¡¯a pas pu s¡¯emp¨ºcher de commencer sans toi¡ Tu prendrais bien une petite pour la route ?
Elle leva une main imp¨¦rieuse.
¡ª Non, merci. Ce n¡¯est pas encore le moment Nate, nous avons ¨¤ faire. Je suis juste venue vous pr¨¦venir que nous ¨¦tions pr¨ºts.
¡ª Ah, oui.
Killian parut d¨¦stabilis¨¦ par le ton monocorde de Nesta. Elle n¡¯allait pas bien et c¡¯¨¦tait tout juste si ses cordes vocales bougeaient. Il la sentit meurtrie alors qu¡¯elle s¡¯appr¨ºtait ¨¤ mettre un tir aux salauds qui lui avaient pris son gars. La balle s¡¯envolerait tr¨¨s haut et ils ne pourraient jamais la rattraper. Peut-¨ºtre devraient-ils m¨ºme ployer le genou. Au moins un, un peu apr¨¨s la sortie de terrain, mais pas trop.
¡ª Quoi qu¡¯il en soit Ness¡¯, nous avions d¨¦j¨¤ assez bu. Reposez ces verres compagnons et passons au plat de r¨¦sistance ! Tous ¨¤ l¡¯int¨¦rieur, voulez-vous ? L¡¯heure est d¨¦j¨¤ arriv¨¦e !
Faux, elle avait un temps de retard. M¨ºme une ¨¦ternit¨¦ de retard. L¡¯id¨¦e tra?nait dans les casiers du SAGI depuis qu¡¯il existait, mais ils avaient attendu que Pavla Karanth meurt pour qu¡¯ils se saisissent de l¡¯occasion. Oui, la graine qu¡¯ils s¡¯appr¨ºtaient ¨¤ planter pousserait sur un terrible terreau.
Les Sagistes r¨¦unis suivirent Nesta qui, apr¨¨s un haussement d¡¯¨¦paule calcul¨¦, s¡¯¨¦tait mis ¨¤ marcher vers le batiment communautaire. ¨¤ l¡¯int¨¦rieur, elle tira plusieurs rideaux taill¨¦s dans du Edgar Helens (le plus chic du recycl¡¯) d¨¦rob¨¦s dans un entrep?t mal gard¨¦, puis acc¨¦l¨¦ra le pas devant les fontaines n¨¦vralgiques de M¨¦dicis, l¡¯artiste qui donnait mal au crane. Comme d¡¯habitude, elles ¨¦taient allum¨¦es et consommaient leur contingent d¡¯¨¦lectricit¨¦. Ce n¡¯¨¦tait pas un probl¨¨me dans le SAGI qui pompait tout ¨¤ la source, sur l¡¯un des r¨¦acteurs ¨¤ fusion nucl¨¦aire de type Tokamak. Le m¨ºme genre sans danger qui existait sur Terre et qui avait fait ses preuves sur l¡¯Olkers : aucune avarie ¨¦lectrique n¡¯avait ¨¦t¨¦ ¨¤ d¨¦plorer depuis sa mise en service ni d¡¯accidents mortels. Du moins, jusqu¡¯¨¤ aujourd¡¯hui car, par le biais de l¡¯¨¦nergie gratuite du r¨¦acteur, le SAGI s¡¯appr¨ºtait ¨¤ balancer une mutation g¨¦n¨¦tique sur l¡¯ADN social.
Les rideaux s¡¯encha?n¨¨rent encore. ? Vlan ?, une porte claqua au bout du couloir et Nesta entra. Derri¨¨re elle, sa procession de Sagistes, dont les pas r¨¦sonnaient dans tout le Royaume presqu¡¯ac¨¦phale, suivait de pr¨¨s. ? Clang, clang ?. Ils martel¨¨rent la t?le servant de plancher en entrant ¨¤ la suite de Nesta. La pi¨¨ce qui les accueillit ¨¦tait plus grande que les autres et parsem¨¦e de banquettes toutes orient¨¦es vers l¡¯unique ¨¦cran g¨¦ant. Une image inconstante se tr¨¦moussait sur la toile, un pixel sur quatre en ¨¦tait erron¨¦ bien que l¡¯on distingua l¡¯essentiel de ce qui s¡¯y tramait : c¡¯est-¨¤-dire pas grand-chose.
Le projecteur, connect¨¦ ¨¤ un ordinateur, affichait Citasearch. Le moteur de recherche citadin s¡¯ornait du dr?le de logo du Conseil des Pilotes (imaginez un seul instant une pagode qu¡¯on enverrait dans l¡¯espace et qui menacerait de s¡¯embraser ¨¤ tout instant). La barre de recherche clignotait en attendant les instructions qui m¨¨neraient, une fois entr¨¦es, vers des travaux r¨¦put¨¦s (et approuv¨¦s) de sociologues, physiciens, biologistes et intellectuels divers. Si par m¨¦garde le choix de ses recherches se portait sur ? Pavla Karanth ? ou ? coquineries institutionnelles ?, le moteur tournait b¨ºtement en boucle avant de mener sur la page du grand nul part et un voyant rouge s¡¯allumait dans le batiment 54, Surface, Secteur d¡¯Ion. Le plus souvent, rien de m¨¦chant ne survenait, le plus souvent les fonctionnaires charg¨¦s de la ? surveillance morale du contenu ? commutait l¡¯alerte avant d¡¯oublier. Les risques n¡¯¨¦taient pris que lorsqu¡¯une page divergente ¨¦tait cr¨¦¨¦e et alors la FPCP rappliquait dans l¡¯heure tandis que leurs coll¨¨gues costum¨¦s s¡¯occupaient d¡¯effacer le contenu. L¡¯outrageant individu ¨¤ l¡¯origine de la page se retrouvait menott¨¦ et accus¨¦ d¡¯outrage ¨¤ agent, incitation ¨¤ l¡¯¨¦meute ou m¨ºme tentative de meurtre. Tout ¨¦tait bon pour emprisonner ceux dont les opinions divergeaient et s¡¯approchaient de trop la v¨¦rit¨¦ sans avoir d¡¯explications approfondies ¨¤ fournir.
Mais tout cela appartenait d¨¦j¨¤ au pass¨¦. Malgr¨¦ les pr¨¦cautions prisent le syst¨¨me faillirait lorsque Killian se fera prier de pousser le bouton infernal ? Entr¨¦e ?. Les locaux du batiment 54 deviendraient rouge sang lorsqu¡¯une banale recherche pour ? comptine enfantine ? renverrait syst¨¦matiquement sur ce site sign¨¦ par le SAGI et valant ¨¤ tous ses membres d¡¯¨ºtre lapid¨¦s sur place. Les dossiers de police bacl¨¦s, les articles engag¨¦s, les pots-de-vin ¨¦chang¨¦s, les rapts, les viols, l¡¯usure et l¡¯esclavage seraient expos¨¦ ¨¤ la vue de tous comme associ¨¦s ¨¤ des noms. Des noms connus qui feraient ¨¦chos dans la m¨¦moire de tous. Le Conseil chercherait ¨¤ faire taire l¡¯affaire et enverrait ses barbares d¨¦truire les ¨¦metteurs-relais ¨¤ la hache.
Pourtant, il serait bien trop tard lorsqu¡¯ils r¨¦agiraient. La panique sera d¨¦j¨¤ n¨¦e. Panique dans les rues du secteur D, zone 468-2ED autour du centre vid¨¦oludique o¨´ les cr¨¦dits citoyens permettaient de jouer ¨¤ des jeux, belle soupape avant l¡¯explosion. Panique dans la boutique Hedora, secteur B, zone 134-8A, o¨´ le corps de Pavla appara?trait en grand ¨¦cran en lieu et place de la derni¨¨re tenue imagin¨¦e par Ghriefield Klaus. Panique et sid¨¦ration partout. Une vaste plaisanterie ? Tout cela ne pouvait n¡¯¨ºtre que faux, mais tout ¨¦tait vrai.
Comment en douter ?
Chapitre 29
La bombe m¨¦diatique n¡¯eut pas l¡¯effet escompt¨¦. La d¨¦flagration se propagea sous l¡¯eau, ce qu¡¯aucun n¡¯aurait pu pr¨¦voir. C¡¯¨¦tait comme se r¨¦veiller avec une migraine carabin¨¦e sans trop savoir si elle ¨¦tait d? ¨¤ la f¨ºte de la veille ou au brusque retour ¨¤ la r¨¦alit¨¦¡ Ou bien, de ne pas se r¨¦veiller du tout et d¡¯h¨¦siter encore sur la v¨¦racit¨¦ des faits. Pourtant, ils ¨¦taient l¨¤. D¨¨s le lendemain de la diffusion massive, le Conseil des Pilotes ¨¤ la barre des accus¨¦s avait pris sa propre d¨¦fense devant ses propres juges. Le haut-commissaire de la FPCP se tenait sur la tribune, le front luisant sous les spots des journalistes et entour¨¦s de sept haut fonctionnaires fautifs. Il parlait avec une lenteur r¨¦solue, hachant ses mots et sa carri¨¨re. La version du Conseil sortait par sa bouche, sa honte immense s¡¯effa?ait peu ¨¤ peu, enivr¨¦e par la fougue, jusqu¡¯¨¤ qu¡¯il m¨¨ne ¨¤ bien son d¨¦veloppement et en arrive ¨¤ la sublime conclusion voulue par le Grand Pilote lui-m¨ºme.
Puis, il recommen?ait en boucle dans le salon de Gern Fulcr?ne, le Premier Pilote, sur le poste pos¨¦ devant la vitre sans teint qui donnait sur le lac. Pour une fois, il ne fixait pas avec contentement la propri¨¦t¨¦ qu¡¯il s¡¯¨¦tait offerte dix ann¨¦es auparavant ¨¤ quelques kilom¨¨tres de CP-1, le si¨¨ge du Conseil. Il en ¨¦tait d¡¯une fiert¨¦ excessive, avec sa structure de bois flamb¨¦ qui s¡¯incrustait dans la for¨ºt d¡¯¨¦pineux qui, pour un Citoyen lambda, pouvait laisser croire en un homme simple, studieux. C¡¯¨¦tait vrai, Gern Fulcr?ne travaillait d¡¯arrache-pied pour maintenir le niveau de vie qu¡¯il avait mis si longtemps ¨¤ acqu¨¦rir pour sa famille. Ce qui ¨¦tait faux, c¡¯¨¦tait que le luxe, absent ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur, se retrouvait d¨¨s que l¡¯on franchissait les portes. L¡¯int¨¦rieur de son domicile croulait sous une d¨¦bauche de mat¨¦riaux des Anciens. Du plastique ¨¤ perte de vue qui aurait fait hurl¨¦ d¡¯horreur un Terrien, mais qui rendait si prestigieuse cette maison aux yeux citoyens. Le mobilier empestait le luxe, des si¨¨ges capitonn¨¦s en vinyle sophistiqu¨¦s ¨¤ la table basse en fer forg¨¦ surcharg¨¦s de whiskys aux ¨¦clats dor¨¦s. L¡¯odeur ¨¦pic¨¦e qui s¡¯en ¨¦chappait n¡¯attirait pas le Premier Pilote, trop occup¨¦ ¨¤ machouiller son cigare avec une anxi¨¦t¨¦ croissante.
De tout ce qui l¡¯entourait et qui lui procurait un grand plaisir, il se fichait. Il en ¨¦tait ¨¤ sa sixi¨¨me rediffusion de l¡¯interview de son ancien haut-commissaire, toujours ¨¦poustoufl¨¦ par sa prestation : le gars ma?trisait son texte ! Mais merde¡ Pourquoi avaient-ils d? en arriver l¨¤ ? La FPCP reconnaissait que la junkie assassin¨¦e n¡¯¨¦tait qu¡¯un leurre pour cacher des d¨¦faillances polici¨¨res. La v¨¦ritable victime ¨¦tait une femme des profondeurs, un d¨¦fouloir pour un connard dont on ignorait la r¨¦elle identit¨¦ et on avait pr¨¦f¨¦r¨¦ monter une fausse affaire plut?t que reconna?tre que les barrages vers la Surface n¡¯¨¦taient pas aussi imperm¨¦ables qu¡¯on le pr¨¦tendait. Huit hauts fonctionnaires de la FPCP se tiraient une balle dans le pied pour sauver l¡¯institution et ?a c¡¯¨¦tait du g¨¦nie. Ils s¡¯en tiraient bien mieux que ce que l¡¯on pouvait attendre d¡¯eux, tout cela grace ¨¤ l¡¯immense intellect de Gern Fulcr?ne.
Il aurait d? en prendre satisfaction, mais cette r¨¦ponse ¨C qui n¡¯en ¨¦tait qu¡¯une ¨¤ d¡¯innombrables probl¨¨mes irr¨¦solus ¨C repr¨¦sentait pour lui une d¨¦faite. Le Grand Pilote avait perdu le contr?le face aux Sagistes. Il tr¨¦pignait sur son fauteuil, le cigare ¨¤ moiti¨¦ rong¨¦, d¨¦rang¨¦ et anxieux ¨¤ la fois. Tout allait si vite¡ Son plan s¡¯acc¨¦l¨¦rait au risque de d¨¦raper. Il devrait improviser avec et il ne le souhaitait pas. Des ¨¦tapes venaient d¡¯¨ºtre grill¨¦es. O¨´ en ¨¦tait-il d¨¦j¨¤ ? La liste d¨¦filait dans ses pens¨¦es : cr¨¦er un tissu de preuves inculpant le SAGI de la machination contre Pertem, fait ; le faire s¡¯¨¦vader, fait¡ L¡¯aveu de faiblesse de la FPCP ? Aussi, mais il se situait bien plus tard dans le plan originel. Le grand public ignorait encore tout du GH-Drain dont se serait servi les Sagistes pour droguer Jinn Pertem et le manipuler ¨¤ leur guise. Ils d¨¦voileraient bient?t que pareille horreur existat, l¡¯attribuerait ¨¤ une branche extr¨ºme du gouvernement d¨¦mantel¨¦e depuis longtemps¡ Puis viendrait le moment de refermer les machoires, dire qu¡¯on ne retrouvait des ¨¦chantillons que dans un laboratoire abandonn¨¦ de l¡¯¨¦tage X-BC-47, bien au-del¨¤ de tout pouvoir citoyen et ¨¤ proximit¨¦ du SAGI d¡¯apr¨¨s les dossiers d¨¦classifi¨¦s par Fulcr?ne lui-m¨ºme.
Oui, voil¨¤ tout le mensonge qu¡¯il s¡¯appr¨ºtait ¨¤ servir, mais un probl¨¨me qu¡¯il n¡¯avait pas envisag¨¦ se profilait. Ce brave Pertem, qu¡¯il comptait ¨¦riger en v¨¦ritable victime et r¨¦int¨¦grer dans les rangs, leur casus belli ¨¤ la cuisse truff¨¦e d¡¯¨¦metteur, crachait une diatribe terrible contre le Conseil. Pire, elle ¨¦tait convaincante et appuy¨¦e par cet horrible site. L¡¯attaque du SAGI les mettaient ¨¤ mal. Tout corroborait de leur c?t¨¦ de la barricade, la plupart des choses ¨¦taient vraies.
Comment Fulcr?ne parviendrait-il ¨¤ s¡¯extirper de ce guet-apens ? Cela lui donnait un mal de crane formidable. Quelques id¨¦es ¨¦taient n¨¦es en lui et elles ne plairaient pas ¨¤ tout le monde. Furieux, il cracha un geyser de fum¨¦e. L¡¯id¨¦e que ces na?fs anars puissent en tirer une victoire, aussi mineure soit-elle, le mettait hors de lui. Le Premier Pilote, envelopp¨¦ dans son nuage canc¨¦rig¨¨ne, songea avec amertume ¨¤ ceux qui se cachaient et dont le plus grand des souhaits ¨¦tait d¡¯allumer un incendie pour d¨¦truire un monde qui ne leur convenait pas ¨¤ eux, pour changer un monde qui ne convenait qu¡¯¨¤ peu. Mais ce foutu peu c¡¯¨¦tait mieux que personne. Le syst¨¨me fonctionnait comme il l¡¯avait toujours fait ! Qu¡¯ils crament avec leur taudis de t?le ondul¨¦e !
Il ¨¦crasa violemment son cigare sur la table basse. Une voix famili¨¨re vint ¨¤ lui, il l¡¯avait entendu tant de fois¡ L¡¯interview t¨¦l¨¦vis¨¦e de Pater Olstram, haut-commissaire ¨¤ la FPCP, touchait de nouveau ¨¤ sa fin. Il se levait, le front brillant et la voix tremblante, bien que contenue et ¨¤ la limite de la r¨¦solution :
¡ª Suite ¨¤ ces d¨¦clarations, je ne peux nier l¡¯implication de la FPCP dans l¡¯affaire Pertem. Cette unit¨¦ d¡¯¨¦lite dont je suis en charge s¡¯est rendue coupable d¡¯une impuissance navrante dans la gestion du barrage filtrant vers la Surface. C¡¯est avec la plus grande des hontes que j¡¯admets que certains ¨¦l¨¦ments de la FPCP ont foment¨¦ de toutes pi¨¨ces le dossier de Jinn Pertem, sur la base de ses simples aveux afin de satisfaire l¡¯opinion publique. Nous craignions que des d¨¦bordements ne surviennent si nous ¨¦talions le peu que nous avions sur l¡¯enqu¨ºte qui n¡¯incriminaient en rien l¡¯accus¨¦, si ce n¡¯est sa propre d¨¦claration. Par cons¨¦quence, moi, Pater Olstram, ne suis plus digne de la responsabilit¨¦ qui m¡¯a ¨¦t¨¦ donn¨¦e et soumets ma d¨¦mission, ¨¤ effet imm¨¦diat, ainsi que celle de Garth Falser, Hughes Manzer, dit l¡¯enregistrement de l¡¯ancien haut-commissaire avant qu¡¯un journaliste ¨C Jake Malthers ? ¨C ne l¡¯interrompe.
Gern Fulcr?ne coupa le son. ? Oui, on va pouvoir se sauver la cro?te ? commenta-t-il seul et sa voix r¨¦sonna ¨¦trangement dans ce salon trop grand pour lui. L¡¯¨¦cho disparut, renouvel¨¦ par le son agr¨¦able de la porte qu¡¯on frappait. Il avait entendu qu¡¯on fabriquait des instruments ¨¤ partir du m¨ºme bois, ¨¤ l¡¯¨¦poque o¨´ la Terre poss¨¦dait encore des for¨ºts. Il se tourna vers la porte et derri¨¨re le verre d¨¦poli vu se dessiner des silhouettes. Le serviteur qui frappa ¨¤ sa porte lui annon?a avec c¨¦r¨¦monie que les Conseillers ¨¦taient arriv¨¦s. Fulcr?ne marmonna qu¡¯on les fasse entrer et la porte s¡¯ouvrit.
Les conseillers n¡¯¨¦taient pas nombreux ce jour-ci ¨¤ avoir travers¨¦ la Surface pour s¡¯asseoir autour de Gern Fulcr?ne. Il les avait convi¨¦s ¨¤ l¡¯aube, ¨¤ six heures quarante, apr¨¨s avoir pass¨¦ la nuit ¨¤ taper du poing sur son bureau et gribouiller des notes sans sens. Huit heures ¨¦taient tout juste pass¨¦es.
¡ª Vous avez des gueules d¡¯enfarin¨¦s, commenta le Premier Pilote. Suis-je le seul ¨¤ me lever ¨¤ une heure acceptable ? Asseyez-vous qu¡¯on en finisse.
Ils s¡¯assirent o¨´ ils le pouvaient. ¨¤ la droite du Premier Pilote vint s¡¯asseoir Jarn Ellington, le Coordinateur des R¨¦seaux, ainsi qu¡¯Elys Protena, la Coordinatrice ¨¤ l¡¯¨¦galit¨¦ Citoyenne (comprendre par-l¨¤ de la propagande. Elle ¨¦tait la s?ur cadette de Fulcr?ne et le fait qu¡¯elle soit une femme avait ¨¦t¨¦ leur part ? progressive ?). ¨¤ sa gauche ce fut Finn J?turn qui prit place, Co-Pilote et cousin germain.
Aux proches du Premier Pilote vint s¡¯ajouter un personnage sans importance : Olaf Ethers, un petit syndiqu¨¦ qui bossait pour eux depuis une dizaine d¡¯ann¨¦es d¨¦j¨¤ et qui aurait ¨¦t¨¦ davantage ¨¤ sa place au bout d¡¯une corde plut?t que dans cette pi¨¨ce, avec son grand sourire satisfait. Pour cette raison, il ne prit pas place et se contenta de rester debout, appuy¨¦ contre le mur de lambris ¨¤ l¡¯oppos¨¦ du Premier Pilote.
¡ª Bien, Messieurs, savez-vous si un retardataire se pr¨¦sentera ¨¤ nous ou si nous pouvons commencer ? lan?a Gern Fulcr?ne en s¡¯enfon?ant dans son fauteuil.
Les galons sur ses ¨¦paules claqu¨¨rent se faisant. Il ne les portait que pour rappeler que l¡¯heure ¨¦tait grave et que, dans ces conditions, il n¡¯¨¦tait plus le chef de la famille Fulcr?ne ¨¦largie. Sa cadette n¡¯en tint pas compte :
¡ª Et Madame, lacha-t-elle. Tu m¡¯oublies. Pas ¨¤ ma connaissance, non.
Gern Fulcr?ne la foudroya du regard. Elle devint livide, puis Finn J?turn se pencha vers elle :
¡ª Ce n¡¯est vraiment pas le moment, lui murmura-t-il ¨¤ l¡¯oreille avant de retourner sa grosse t¨ºte, un peu patibulaire, vers Fulcr?ne. Est-ce vraiment n¨¦cessaire de r¨¦unir la famille ? Et¡ Eux ? Ils font quoi ici ?
Il d¨¦signa du doigt le Coordinateur des R¨¦seaux et le Syndiqu¨¦.
¡ª La famille n¡¯est pas compl¨¨te et je n¡¯ai m¨ºme pas les plus importants aupr¨¨s de moi, r¨¦pondit le Premier Pilote. Tant ¨¤ nos deux invit¨¦s, ils ont ¨¦t¨¦ plus efficaces que n¡¯importe lequel d¡¯entre vous alors ne me parle pas de famille¡ Elle passera aux oubliettes pour aujourd¡¯hui.
J?turn glapit. Le Co-pilotage ¨¦tant une charge plus honorifique qu¡¯utile, il n¡¯en demeurait pas moins le second du Conseil. Il se sentit ? inutile ?.
¡ª Excuse-moi Gern¡ Le r¨¦veil a ¨¦t¨¦ compliqu¨¦. La famille r¨¦sistera-t-elle ?
¡ª On fera tout pour, quitte ¨¤ ¨¦laguer l¡¯arbre. Elle tient depuis vingt-trois ans, une ann¨¦e de plus n¡¯est pas un probl¨¨me. Maintenant il faut penser sur le long terme.
Gern Fulcr?ne supportait la famille, avec son poste de Premier Pilote. Jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent, sa r¨¦¨¦lection n¡¯avait ¨¦t¨¦ qu¡¯une formalit¨¦ accomplie tous les quatre ans. Certains membres ¨¦loign¨¦s et m¨¦ritants des Fulcr?ne se retrouvaient ¨¦lus au pilotage des ¨¦tages sup¨¦rieurs, mais rarement deux tours d¡¯affil¨¦. Apr¨¨s six ans, ils sautaient irr¨¦m¨¦diablement. La plupart des membres de la famille poss¨¦daient leur place que parce que les Coordinateurs d¨¦pendaient d¡¯un suffrage indirect et que cette poign¨¦e d¡¯¨¦lecteurs ¨¦tait redevable ¨¤ Gern Fulcr?ne.
En un claquement de doigts, il pourrait faire dispara?tre tous ces assist¨¦s. Ils se d¨¦brouilleraient relativement bien en dirigeants d¡¯entreprises. Tant pis pour les privil¨¨ges oligarchiques. Il reprit la parole :
¡ª Je suppose que vous savez pourquoi je vous ai convoqu¨¦ ? demanda-t-il en prenant note de la r¨¦action de chacun.
¡ª J¡¯ai vu pass¨¦ le haut-commissaire, dit sa cadette.
¡ª C¡¯est tout ce que tu trouves ¨¤ me dire s?urette ?
Il se leva, une veine palpitante sur son front. Le dossier de son fauteuil soupira lorsqu¡¯il passa derri¨¨re et s¡¯appuya.
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¡ª Personne ne sait, hein ? Hormis Jarn ? Dans quel foutu monde vivez-vous ? s¡¯insurgea-t-il.
On toussa g¨ºn¨¦. La col¨¨re de Fulcr?ne redoubla, il ouvrit sa bo?te ¨¤ cigare et saisit le premier qui vint avant de l¡¯ouvrir d¡¯un coup de dents rageur. Personne ne dit mot. Elys Protena fixa ses chaussures ¨C ses belles godasses cir¨¦es et lustr¨¦es qu¡¯elle poss¨¦dait depuis un moment. Un peu comme elles, sa vie avait ¨¦t¨¦ lustr¨¦e par le temps. Rien n¡¯en ressortait, elle vivait d¨¦connect¨¦e des basses institutions et du peuple. Elle se douta que le probl¨¨me provenait des ¨¦tages, mais qu¡¯est-ce qu¡¯elle en savait ?
Olaf Ethers, dans son coin, hocha discr¨¨tement la t¨ºte en guise d¡¯approbation. Il ¨¦tait le cha?non manquant entre la pr¨¦carit¨¦ et la Surface. Il se servit discr¨¨tement un verre d¡¯eau et le porta ¨¤ ses l¨¨vres, attendant la suite des ¨¦v¨¦nements. Ce n¡¯¨¦tait pas la premi¨¨re fois qu¡¯il ¨¦tait invit¨¦ chez le Premier Pilote. Le Conseil pr¨¦tendait qu¡¯il s¡¯abstenait ainsi des fastes du palais, mais ce n¡¯¨¦taient que des foutues conneries pour cacher les d¨¦cisions officieuses et dictatoriales qui seraient d¨¦cid¨¦es ici : proc¨¦dure acc¨¦l¨¦r¨¦e et d¨¦l¨¦gu¨¦s citoyens tri¨¦s sur le volet s¡¯il le fallait. Alors, comme d¡¯habitude le syndiqu¨¦ pourri s¡¯attendait ¨¤ voir un autre spectacle d¨¦plorable de d¨¦mocratie et pensa aux cons¨¦quences si cela venait ¨¤ s¡¯¨¦bruiter. Ils se retrouveraient alors tous mis en orbite d¨¦cal¨¦e par rapport ¨¤ la Cit¨¦, fix¨¦s sur l¡¯une des grosses fus¨¦es que les gosses de riches s¡¯amusaient ¨¤ concevoir et ils battraient tous les records de vitesse enregistr¨¦s pour des humains. 37.489 km/h ! Quelques dizaines de plus que la vitesse de satellisation de la Cit¨¦¡ L¡¯id¨¦e ne le fit pas rire.
Gern Fulcr?ne remarqua le signe d¡¯Olaf Ethers et lui sourit, gla?ant. Il appr¨¦ciait ce connard, ¨¤ sa fa?on. Bien que pourri, il restait intelligent et cette qualit¨¦ ¨¦tait devenue rare. Olaf Ethers reposa son verre en tr¨¦moussant sa bouche. Le requin tramait quelque-chose, il le voyait bien, et c¡¯¨¦tait horrible.
¡ª J¡¯ai sous-estim¨¦ un de mes invit¨¦s¡ Olaf Ethers semble savoir de quoi il en retourne, je m¡¯abuse ?
¡ª Non, Premier Pilote Fulcr?ne, lui r¨¦pondit ce dernier.
¡ª Alors que vous deux¡ Incapables ! Les seuls Fulcr?ne ici et vous n¡¯¨ºtes au courant de rien ! Merde, je ne vous demande pas d¡¯¨ºtre au courant de toutes les actualit¨¦s, mais de tendre l¡¯oreille ! C¡¯est compliqu¨¦ ? Je vais ¨ºtre magnanime, comme d¡¯habitude avec des idiots comme vous, et faire comme si vous ¨¦tiez des Surfaciens ordinaires¡ Apr¨¨s tout, le r¨¦seau de la Cit¨¦ sert la basse-Cit¨¦, il ne communique pas avec le n?tre. Pourquoi s¡¯int¨¦resser aux petites affaires du petit peuple ? Je vais vous le dire : le chaos. Maintenant que les choses sont dites, je vais laisser Ellington faire le point¡ Il ma?trise encore mieux le sujet que moi.
Jarn Ellington, le Coordinateur des R¨¦seaux, se leva pour se diriger vers sa mallette. Il ne s¡¯¨¦tait jamais d¨¦volu ¨¤ la haute administration et encore moins ¨¤ devenir un actif dans la vaste plaisanterie d¨¦mocratique. Il avait fait un bout de chemin. ¨¦tudiant brillant ¨¤ l¡¯¨¦cole des tutoriels, il ¨¦tait parvenu ¨¤ apprendre le Code par le plus grand des myst¨¨res. Les lignes qu¡¯il composait n¡¯¨¦taient pas de simples copies et, plus important encore, elles fonctionnaient. Il parlait couramment le C++, le Java, toutes les antiquit¨¦s comme les petits nouveaux qui n¡¯avaient jamais perc¨¦.
Parfois, il se demandait ce qui serait advenu de lui s¡¯il avait pers¨¦v¨¦r¨¦ dans son d¨¦lire m¨¦galomane de r¨¦viser les OS de la Cit¨¦. Peut-¨ºtre qu¡¯¨¤ 26 ans il ne serait pas fait coinc¨¦ par la FPCP apr¨¨s avoir trafiqu¨¦ ses statistiques individuelles ? Il aurait alors ¨¦vit¨¦ cette proposition terrible : la taule ou rejoindre le Conseil. Le choix avait ¨¦t¨¦ fait et maintenant sa t¨ºte finirait sur une pique. Cela ne l¡¯enchantait pas et l¡¯enveloppe g¨¦n¨¦reuse de Fulcr?ne, qu¡¯il recevait tous les mois, ne l¡¯emp¨ºchait pas de regretter les ann¨¦es pass¨¦es ¨¤ d¨¦velopper¡ Oui, pour Jarn Ellington c¡¯¨¦tait mieux avant. Son employeur n¡¯¨¦tait pas le dernier des salopards, mais loin d¡¯¨ºtre un samaritain.
Il ouvrit sa mallette et en sortit des papiers remplis d¡¯hi¨¦roglyphes qu¡¯il feignit d¡¯examiner.
¡ª Dites, l¡¯incita Fulcr?ne.
¡ª Bien, si vous me le permettez, commen?a Ellington en cornant une des feuilles. Comme vous le savez, je suis ce que l¡¯on pourrait qualifier de technocrate. Mes connaissances me permettent de d¨¦chiffrer ce qui se d¨¦roule sur les r¨¦seaux et je codirige une ¨¦quipe de surveillance avec l¡¯officier Hall¨¹rt.
? Un foutu hacker, voil¨¤ ce que t¡¯es ? souffla J?turn ¨¤ mi-voix. Tout le monde l¡¯ignora.
¡ª C¡¯est dans le cadre de cette affectation que j¡¯ai d¨¦couvert, avec mon ¨¦quipe, un changement sur le R¨¦seau de la Cit¨¦. En particulier, un changement s¡¯attaquant ¨¤ Citasearch. Le code de l¡¯attaque est relativement bien r¨¦alis¨¦, mais impossible ¨¤ contrer. Il d¨¦tourne toutes les recherches effectu¨¦es par l¡¯utilisateur vers une page d¨¦tenue par les Sagistes.
¡ª Et que nous dit cette page ? l¡¯interrompit J?turn. Je pensais que le SAGI n¡¯¨¦tait qu¡¯une l¨¦gende. Ne me dites pas que le croquemitaine sort de son placard ?
¡ª C¡¯est le cas et ils nous servent des informations sensibles sur notre organisation. Nous sommes toujours en train d¡¯¨¦plucher les donn¨¦es qu¡¯ils diffusent et je crains que la plupart soient des dossiers nuisibles ¨¤ notre entreprise¡ Il y en a assez pour que nous nous effondrions.
¡ª Merde ! Je croyais qu¡¯ils se contentaient de colloques sauvages et de placardages¡ ¨¤ l¡¯¨¦poque.
¡ª Et de meurtres, n¡¯oubliez pas le palais sectoriel, intervint Olaf Ethers.
Ils se regard¨¨rent un instant, penauds. Fulcr?ne reprit la main.
¡ª Oui. Il va nous falloir nous occuper d¡¯eux avant qu¡¯ils n¡¯en disent trop, commen?a-t-il avant d¡¯¨ºtre coup¨¦ par sa cadette.
¡ª Et on n¡¯a pas essay¨¦ de faire sauter le site ? dit-elle alors que Fulcr?ne la flingua d¡¯yeux qui ne voyaient plus aussi bien qu¡¯auparavant.
¡ª Si je peux me permettre de r¨¦pondre ¨¤ cette question Premier Pilote, r¨¦pondit Ellington. Nous avons essay¨¦, mais leur site est prot¨¦g¨¦. Nous n¡¯y avons pas acc¨¨s, aussi incroyable que cela puisse para?tre. Je ne peux pas dire pourquoi avec une certitude absolue, mais je pencherais pour une intrusion physique¡ Leur mat¨¦riel serait pour ainsi dire directement reli¨¦ au R¨¦seau.
¡ª Alors il suffit juste de tout d¨¦brancher ! rench¨¦rit Elys Protena.
¡ª Impossible. Il existe 18.746 ports ¨¤ contr?ler r¨¦partis dans la Cit¨¦, certains dans des zones de non-droits. Il faudrait envoyer des ¨¦quipes arm¨¦es pour tout v¨¦rifier et, au bas mot, y passer la semaine.
Gern Fulcr?ne ¨¦couta l¡¯¨¦change, les yeux rougis par la fatigue. Elys l¡¯emmerdait, ignorante de ce qui arrivait sur eux. Bient?t les vagues de protestations d¨¦ferleraient et une bouteille de scotch n¡¯y changerait rien. Il fallait qu¡¯ils reprennent le plateau des mains insurg¨¦es, absolument et avant que tout ne s¡¯¨¦croule.
Il frappa sur le dossier de son fauteuil, ramenant le monde au silence :
¡ª Suffit ! s¡¯emporta-t-il. Ellington a tout dit. Il n¡¯existe qu¡¯une solution pour faire taire la source et elle prendrait bien trop de temps. De plus, nous signerons notre arr¨ºt de mort en supprimant leur site. Si on n¡¯est pas capables de nous d¨¦fendre avec des arguments valables, que va penser la population ? Que l¡¯aiguille que nous ont foutu les Sagistes dans le pied est ¨¤ sa place ? Merde, voil¨¤ ce que j¡¯en pense ! J¡¯ai d¡¯ores et d¨¦j¨¤ ordonn¨¦ une exp¨¦dition contre le SAGI. Les ¨¦metteurs de Pertem corrobor¨¦s aux dires du suspect captur¨¦ ne permettent pas l¡¯ombre d¡¯un doute sur la localisation de leurs locaux. J¡¯ai aussi pris les devants, vu que personne ne semble foutu de le faire, pour demander ¨¤ ce que l¡¯on pr¨¦pare une contre-attaque m¨¦diatique. Notre objectif est de laisser penser que le SAGI est ¨¤ l¡¯origine du complot perp¨¦tr¨¦ contre Pertem, qu¡¯ils l¡¯ont pi¨¦g¨¦ et que ce brave gars est manipul¨¦.
¡ª Et pour ce qui est des dossiers ? Si je suis bien tout ce qu¡¯on vient de nous expliquer, certaines choses sont sorties et nous ne pouvons pas lutter contre, remarqua J?turn en se grignotant la pulpe des doigts.
¡ª Des choses terribles, le gouvernement nous cache des choses ! dit le Premier Pilote en embrassant le monde de ses bras dans une attitude d¨¦mente. Bien, nous leur donnerons ce qu¡¯ils veulent. Pas tout, mais assez pour laisser croire que ce que l¡¯on contredit, pour prot¨¦ger les petits culs les plus pr¨¦cieux, l¡¯est ¨¤ raison. Il y a d¨¦j¨¤ le GH-Drain, mais que nous n¡¯avons officiellement jamais utilis¨¦ et pour lequel une version 2 n¡¯existe pas. Nous avons d¨¦j¨¤ commenc¨¦ ce petit jeu¡ Quand vous partirez, vous regarderez la d¨¦mission de Pater Olstram. Le chef de la s¨¦curit¨¦ devrait faire la m¨ºme chose dans la journ¨¦e, on lui a propos¨¦ de prendre de l¡¯avance sur sa retraite¡ Comment s¡¯appelle-t-il d¨¦j¨¤ ?
¡ª Alto Hunethes, r¨¦pondit aussit?t J?turn.
¡ª Hunethes va donc nous quitter pour faire bonne figure et d¡¯autres suivront. On veut laisser croire que nous sommes d¨¦pass¨¦s par la situation. Qu¡¯on a totalement merd¨¦ ¨¤ propos de Pertem, mais que malgr¨¦ nos d¨¦fauts nous nous effor?ons ¨¤ corriger les choses ¨¤ la moindre d¨¦viation. Pour le reste, j¡¯ordonnerais des enqu¨ºtes sur tous leurs foutus dossiers et en ressortira ce qu¡¯il en ressortira¡ Merde !
Les conseillers ¨¦chang¨¨rent entre eux des regards inquiets. Les yeux de Fulcr?ne fuirent la sc¨¨ne pour s¡¯attarder sur la poign¨¦e d¡¯une porte. Une grimace vint finalement parfaire la sc¨¨ne, telle qu¡¯on aurait pu croire qu¡¯une attaque terrassait le vieil homme. Il n¡¯en ¨¦tait rien. Une larme coula :
¡ª Je donnerais ma d¨¦mission. Le poste d¡¯Olstram est libre et a besoin d¡¯¨ºtre repris par une main de ma?tre¡ cracha-t-il.
¡ª C¡¯est totalement tordu ! s¡¯indigna Elys Protena. Qu¡¯allons-nous devenir ?
¡ª ?a l¡¯est, mais ma carri¨¨re de chasseur de sorci¨¨re ne fait que commencer. On va tout nettoyer pour qu¡¯un nouveau Conseil digne d¡¯exister naquisse.
Il fixa Olaf Ethers qui se d¨¦colla du mur pour se rapprocher de la porte. Il venait de perdre une teinte :
¡ª Chasseur de quoi ? osa-t-il dire. Vous n¡¯allez pas vous lancez dans une chasse ¨¦perdue ? Non, arr¨ºtez je vous en supplie ! C¡¯est insens¨¦.
¡ª On ne t¡¯a rien demand¨¦, dit J?turn.
¡ª Les sorci¨¨res n¡¯existent que par les ¨¦tiquettes qu¡¯on leur affuble Olaf Ethers¡ Je suis navr¨¦ car je ne suis pas cruel, soyez en certain. Il y a une diff¨¦rence t¨¦nue entre accepter les d¨¦bordements de ceux qui permettent de rester ¨¤ la barre du navire et y participer de bon c?ur.
Apr¨¨s avoir dit cela, Fulcr?ne ouvrit sa bouche pour d¨¦voiler ses dents parfaitement align¨¦es. ¨¤ 67 ans, il avait bien quelques couronnes argent¨¦es mais gardait une bonne partie de son authentique dentition et avec elle, il avalerait le monde m¨ºme si le monde devait lui d¨¦foncer le crane en retour. Un changement dans son attitude fit tomber un silence glacial dans le salon. La r¨¦solution prenait le pas sur l¡¯humiliation ressentie :
¡ª Il faut parfois couper de bonnes branches pour emp¨ºcher la pourriture de s¡¯¨¦tendre. J¡¯ai entendu des rumeurs Ethers¡
¡ª Lesquelles ?
¡ª J¡¯ai entendu dire que vous auriez aid¨¦ Pertem ¨¤ s¡¯¨¦vader en collaborant avec les anarchistes dans l¡¯espoir de tout faire s¡¯effondrer¡ Votre p¨¨re n¡¯est-il pas mort ¨¤ l¡¯usine ? Avouez-le, vous d¨¦testez le syst¨¨me.
¡ª- C¡¯est totalement faux ! hurla Olaf Ethers. Vous ne pouvez pas¡
¡ª Je le sais... C¡¯est faux, mais vous ¨ºtes le mouton noir de cette histoire.
Il glissa sa main entre l¡¯accoudoir et le coussin du fauteuil. Il en tira une enveloppe joufflue de laquelle il sortit un pistolet qui se retrouva aussit?t point¨¦ vers le Syndiqu¨¦.
¡ª Vous n¡¯allez pas ? glapit Ethers. Par piti¨¦ ! Elys, faites quelque chose, c¡¯est votre fr¨¨re bon sang !
Mais Elys Protena ¨¦tait impuissante. Elle aspirait sa main ¨¤ force de la plaquer contre sa bouche, les yeux r¨¦vuls¨¦s d¡¯horreur. ¨¤ ses c?t¨¦s, le Co-Pilote regardait ses pieds et Jarn Ellington s¡¯affairait sur sa mallette, refusant de participer ¨¤ la mise ¨¤ mort qui se d¨¦roulait sous ses yeux. Comprenant qu¡¯il n¡¯avait pas d¡¯alli¨¦s dans la pi¨¨ce, Olaf Ethers se lac¨¦ra le visage de ses ongles bien lim¨¦s. Tout cela n¡¯¨¦tait que pure folie, il ne pouvait pas lui faire ?a. Il ne pouvait pas sentir le sang poisseux qui d¨¦goulinait le long de son visage et venait saloper la moquette :
¡ª J¡¯ai toujours ¨¦t¨¦ loyal¡
¡ª Vous n¡¯¨ºtes qu¡¯un pourri, d¨¦clara Fulcr?ne. Mais, pas assez pour m¨¦riter une balle. Rappelez-vous que vous n¡¯¨ºtes qu¡¯un exemple Ethers. S¨¦curit¨¦ !
Le service de s¨¦curit¨¦ d¨¦barqua dans la pi¨¨ce, les bottes crott¨¦es. Ils saisirent Olaf Ethers par les bras et l¡¯emmen¨¨rent dehors, prendre son dernier bain de soleil avant qu¡¯il ne soit jug¨¦ sommairement. Au moins son ¨¦viction ne serait pas l¨¦tale, mais ¨ºtre enferm¨¦ entre quatre murs pouvait s¡¯av¨¦rer bien pire que la mort. Ses cris terroris¨¦s se r¨¦percut¨¨rent dans la grande maison, toujours plus faibles ¨¤ mesure qu¡¯on l¡¯¨¦loignait. On se tr¨¦moussa sur le similicuir. On se lamenta. ¨¦tait-ce vraiment n¨¦cessaire ? D¡¯autres apr¨¨s lui passeraient ¨¤ la trappe. La Cit¨¦ serait ¨¦pur¨¦e de ses coupables factices et de ses sympathisants r¨¦els.
Finn J?turn releva les yeux vers Gern Fulcr?ne dont le regard tournait au vague. Il avait l¡¯iris constell¨¦ de taches de sang et de larmes.
¡ª Sache que je te soutiendrais toujours Gern, et maintenant ? Qu¡¯allons-nous faire ?
Le Premier Pilote ne r¨¦pondit pas. Du moins ne le fit pas avec des mots car ses yeux s¡¯embrumaient et il n¡¯en ¨¦tait pas capable. C¡¯¨¦tait un connard, mais son ¨¦thique ¨C aussi restreinte qu¡¯elle soit ¨C ne tol¨¦rait pas qu¡¯il puisse se d¨¦barrasser d¡¯¨¦l¨¦ments fid¨¨les pour se sauver. Il attrapa le rail de son arme et le tira vers l¡¯arri¨¨re. Une balle se chambra, toute symbolique.
Il regarda l¡¯assembl¨¦e pour v¨¦rifier qu¡¯ils avaient compris. Ils avaient compris. La hache de guerre venait d¡¯¨ºtre d¨¦terr¨¦e et Norddle ne recevrait aucun contingent de main-d¡¯?uvre presque gratuite. Il n¡¯y aurait pas de lacrymog¨¨nes, ni de matraquages, ni aucune forme de r¨¦demption pour ceux qui ne seraient pas s¨¦lectionn¨¦s. Finalement, une phrase menue sortie de la bouche du Premier Pilote : ? J¡¯aurais d? faire ?a depuis longtemps, loin de ces connards de journalistes ?.
Chapitre 30
L¡¯armure anti-¨¦meute renfermait un homme. Adoss¨¦ ¨¤ une porte de service, la visi¨¨re abaiss¨¦e et illumin¨¦e de diagrammes verts, il n¡¯en avait pourtant pas l¡¯allure. Autour de lui s¡¯amassaient en formation approximative ses semblables, quasiment identiques dans la p¨¦nombre ¨¤ l¡¯exception de l¡¯absence de brassard pourpre chez eux. Tous ¨¦taient arm¨¦s de batons prolong¨¦s d¡¯une poign¨¦e et gachette en polym¨¨re. Quand ils presseraient la gachette, des ondes viendraient chambouler le transit des victimes et les plieraient en deux. S¡¯ils venaient ¨¤ la presser¡ Ces armes de maintien de la paix n¡¯¨¦taient l¨¤ que pour faire de la figuration et montrer sur grand-¨¦cran que les fulgurants si d¨¦cri¨¦s commen?aient ¨¤ ¨ºtre remplac¨¦s, mais leurs v¨¦ritables armes se trouvaient en bandouli¨¨re. Des carabines ¨¦quipaient chaque agent et les 36 munitions qu¡¯elles contenaient paralyseraient 36 victimes pour peu qu¡¯elles se fichent dans des corps diff¨¦rents. En th¨¦orie, ces carabines ne pouvaient tirer plus d¡¯une cartouche ¨¦lectrique par individu, en pratique, elles se trouvaient affubl¨¦es d¡¯un boiter sur leur crosse qui indiquait qu¡¯elles avaient ¨¦t¨¦ modifi¨¦e en mode automatique. Ce n¡¯¨¦tait pas l¨¦gal, mais les cam¨¦ras seraient ¨¦teintes et aujourd¡¯hui, elles r¨¦sonneraient comme des sulfateuses dans le hangar, fauchant ¨¤ tout va.
L¡¯agent au brassard d¨¦plia les antennes de son talkie-walkie et regarda la montre ¨¤ son poignet. T-02s. La mise en place ¨¦tait finie, bient?t ils recevraient le signal. Rien n¡¯avait ¨¦t¨¦ ¨¤ signaler du c?t¨¦ de l¡¯Unit¨¦ 547 ni de toutes celles de pacification active. Le chronom¨¨tre atteignit l¡¯heure fatidique et bipa une seule fois. L¡¯homme v¨¦rifia que son syst¨¨me de communication interne ¨¦tait ¨¦teint avant de porter le talkie-walkie ¨¤ l¡¯amplificateur de son casque. Sa voix sortit, ¨¤ peine audible, pour traverser les kilom¨¨tres le s¨¦parant du Q.G. :
¡ª Q.G. Pacificateur, ici A428 de l¡¯Unit¨¦ 547, ¨¤ vous.
¡ª Q.G. Pacificateur, je vous re?ois 5/5. A428, lui r¨¦pondit le Q.G. apr¨¨s que son message ait transit¨¦ par tous les relais jusqu¡¯¨¤ l¡¯appartement v¨¦tuste servant de base d¡¯op¨¦ration en J-42.
¡ª Nous sommes en position ¨¤ l¡¯entr¨¦e 24. Les Pacificateurs occupent les conduits au plafond. Les autres unit¨¦s sont en position et en attente d¡¯instructions.
¡ª Heureux d¡¯entendre cela Unit¨¦ 547. Attendez le signal, les instructions restent les m¨ºmes que celles annonc¨¦es pendant le briefing. Patientez le temps que le n¨¦gociateur tente l¡¯¨¦vacuation pacifique et s¡¯il ¨¦choue attaquez. Nous vous enverrons deux clics lorsqu¡¯il sera temps pour lui de passer ¨¤ l¡¯action. Deux nouveaux s¡¯il faut lancer l¡¯assaut. Fin de transmission Unit¨¦ 547.
Les gr¨¦sillements cess¨¨rent et A428 raccrocha son talkie-walkie ¨¤ sa poitrine. On commen?ait ¨¤ s¡¯agiter derri¨¨re lui. Les chuchotements redoublaient, empreints d¡¯anxi¨¦t¨¦ mais surtout de surprise. Les Pacificateurs avaient ¨¦t¨¦ d¨¦ploy¨¦s avec une ¨¦quipe de journaleux s¨¦lectionn¨¦s sur liste. Il avait ¨¦t¨¦ compliqu¨¦ de garder la nouvelle de l¡¯¨¦vacuation du SAGI secr¨¨te, mais ¨¤ entendre les conversations derri¨¨res les portes ferm¨¦es, l¡¯op¨¦ration semblait avoir ¨¦t¨¦ un franc succ¨¨s.
Ils connaissaient la localisation de l¡¯entrep?t depuis une vingtaine de jours grace aux ¨¦metteurs plac¨¦s en Jinn Pertem ¨C que le d¨¦funt Doc¡¯ n¡¯avait pas rep¨¦r¨¦. Les ¨¦metteurs indiquaient une zone restreinte, bien qu¡¯immense, qui ne r¨¦sista pas ¨¤ la concordance avec les informations obtenues aupr¨¨s de Herth Phue. Les meilleurs tortionnaires de la Cit¨¦ n¡¯eurent qu¡¯¨¤ s¡¯accroupir ¨¤ ses c?t¨¦s, lui arracher quelques dents et lui susurrer des promesses bien plac¨¦es pour obtenir ce qu¡¯ils d¨¦siraient. Une petite phrase pour le salut de ses vieux avait sign¨¦ la fin du SAGI. Sur son tr?ne de douleur, Herth avait cri¨¦ : ? Laissez-les, je vous en supplie ! Je crois qu¡¯ils sont planqu¨¦s dans un hangar. C¡¯est ce qu¡¯on m¡¯a dit, je ne sais rien de plus¡ Arr¨ºtez ! ? et ils avaient arr¨ºt¨¦ leur jeu sadique pour agir avec une humanit¨¦ d¨¦gueulasse en le pla?ant dans le coma le temps que les termites viennent confirmer ce fait (maintenant qu¡¯ils savaient quelles questions exactes poser au moniteur central de l¡¯anarchiste). Puis, vint pour lui l¡¯injection l¨¦tale. La seule touche d¡¯humanit¨¦ qu¡¯ils eurent pour lui.
Personne ne lui en voulut apr¨¨s coup pour son cafardage. Quand le sang et la bave auraient fini de s¨¦cher sur le b¨¦ton, lorsque l¡¯affaire appartiendrait au pass¨¦, les survivants reconna?traient qu¡¯¨¤ la place du prisonnier ils auraient fait la m¨ºme chose. C¡¯est du moins ce que pr¨¦tendrait Dhat N?rhlen, dix-neuf ans et paum¨¦. Il avait tout vu, tout v¨¦cu et dirait que quand les flics d¨¦barqu¨¨rent dans le hangar, il n¡¯existait plus d¡¯¨¦chappatoire. Ils lachaient sur vous leurs clebs m¨¦caniques aux yeux luminescents. Malgr¨¦ ?a, Dhat serait quand m¨ºme parvenu ¨¤ s¡¯¨¦chapper par la seule faille existante dans la nasse. Il raconterait ?a de long en large ¨¤ une amie sympathisante pour laquelle il entretiendrait des ambitions plus que sympathiques. Il ajouterait m¨ºme que ? Oui, c¡¯est bien triste ce qui est arriv¨¦ au SAGI, mais ?a devait arriver. Si je n¡¯avais pas assomm¨¦ ce flic je ne serais pas l¨¤ aujourd¡¯hui ? et elle se moquerait de lui en lui disant qu¡¯elle n¡¯¨¦tait pas venue l¡¯entendre narrer ses exploits pass¨¦s. Oh, bien entendu Dhat avec son bagout parviendrait ¨¤ ses fins, mais ?a serait seulement car il n¡¯aurait pas d¨¦clam¨¦ en retour un ? Moi j¡¯¨¦tais dans le SAGI lorsque les poulets ont d¨¦barqu¨¦. Moi, moi. Moi j¡¯ai surv¨¦cu parce que j¡¯ai fuis, j¡¯ai eu la frousse. J¡¯ai presque tu¨¦ mais je ne l¡¯ai pas fait expr¨¨s. J¡¯¨¦tais terrifi¨¦ et la terreur m¡¯a donn¨¦ des ailes. Je ne suis qu¡¯un lache, mais vois-tu¡ Plus je le raconte, plus les choses peuvent changer, plus je peux me dire que je n¡¯avais pas le choix. Que ce n¡¯est pas de la lachet¨¦ mais de l¡¯intelligence. Que j¡¯ai toutes mes raisons d¡¯¨ºtre ici ?.
Tout cela, il le penserait vraiment comme le feraient les six autres rescap¨¦s qui connurent cette journ¨¦e de guerre¡ Ou plut?t ce massacre car ce qui se d¨¦roula lorsque les cam¨¦ras s¡¯¨¦teignirent dans le SAGI se rapprocha davantage d¡¯une invasion ¨¤ la H.G. Wells qu¡¯un conflit ¨¦quilibr¨¦ tant ceux qui se terraient derri¨¨re les portes, dans les a¨¦rations et dans les murs, diff¨¦raient des Sagistes. Il s¡¯agissait du m¨ºme exemplaire de guerriers reproduits cent fois accompagn¨¦ par leur meute unie des canid¨¦s m¨¦caniques aux engrenages grin?ant. Le pire l¨¤-dedans c¡¯¨¦tait de se dire que les hommes galvanis¨¦s par la fureur du Conseil ne valaient gu¨¨re mieux que les automates qui les accompagnaient. En rev¨ºtant l¡¯armure, ils devenaient une carcasse m¨¦tallique qui dans le chaos avait remis¨¦ son occupant humain dans les nimbes de l¡¯existence. C¡¯¨¦tait ainsi et ?a l¡¯avait toujours ¨¦t¨¦ et, pour ne pas changer, l¡¯individu cach¨¦ sous le titane ne ressortirait pas lorsqu¡¯ils entreraient en action. Ils deviendraient tels des lions affam¨¦s se jetant sur un morceau de viande.
? Pas de piti¨¦ ? avait sugg¨¦r¨¦ le commandement lors du briefing et il n¡¯y en aurait aucune. Les hommes en noir portaient l¡¯uniforme depuis trop longtemps : vingt ans, parfois trente ans, avec des carri¨¨res commen?ant ¨¤ l¡¯or¨¦e de l¡¯adolescence. On enseignait ¨¤ ces adolescents perdus que la Cit¨¦ s¡¯effondrerait sans eux et, en retour, ils cravachaient le r¨¦calcitrant et matraquaient ¨¤ mort celui qui ne r¨¦agissait pas ¨¤ la premi¨¨re s¨¦rie de coups. Aimaient-ils cela ? La question ne se posait pas, ils ne faisaient qu¡¯accomplir les ordres sans rechigner. La seule certitude ¨¦tait que jamais ces adolescents devenus hommes n¡¯auraient pu voir dans les Sagistes autre chose que des mauvaises herbes ¨¤ arracher. Jardiniers aussi t¨ºtus qu¡¯ils ¨¦taient, ils ne le montreraient cependant pas sous l¡¯?il froid des cam¨¦ras ¨¦lues. Ils attendraient que la situation s¡¯envenime pour r¨¦pliquer car tels ¨¦taient les ordres et les ordres ne pouvaient ¨ºtre remis en cause. Restait ¨¤ voir si la situation allait s¡¯envenimer¡ et ¨¤ quel point.
Deux clics rompirent le silence. Le n¨¦gociateur passa entre les rangs et se brancha sur les haut-parleurs du SAGI. Les portes du hangar s¡¯ouvrirent, aliment¨¦es par un g¨¦n¨¦rateur portable, et la nu¨¦e noire d¨¦ferla. Toutes sorties furent bloqu¨¦es ¨¤ l¡¯exception d¡¯un passage s¡¯apparentant davantage ¨¤ une fissure dans le mur qui menait ¨C pour ceux qui la connaissaient et pouvaient y passer - vers les catacombes et la libert¨¦. H¨¦las, ce passage empestant l¡¯acide et la mort, aux racines rouill¨¦es et t¨¦taniques serait dans la panique g¨¦n¨¦rale presque totalement oubli¨¦. Les Sagistes plong¨¦s dans la torpeur ¨¦taient loin de concevoir leur salut dans la fissure et se tr¨¦moussaient d¡¯un pied sur l¡¯autre en ¨¦changeant des mots inquiets et guettant les ouvertures dans le dispositif de s¨¦curit¨¦. Il n¡¯en existait pas.
Ils ¨¦taient partout. Dans le plafond des araign¨¦es rampaient, par¨¦es ¨¤ sauter ¨¤ la gorge de ceux qui fuyaient par la mauvaise direction. Ces arachnides r¨¦pondaient ¨¤ des noms comme Jaal Brethan, matricule 3215-56 A, sangl¨¦ et pr¨ºt ¨¤ d¨¦bouler dans la cohue si l¡¯ordre ¨¦tait donn¨¦. De sa grille en hauteur, tout ce qu¡¯il pouvait voir se limitait ¨¤ un ensemble de points bigarr¨¦s qui s¡¯agitaient, se rassemblaient et se d¨¦sassemblaient comme une cellule qui h¨¦siterait ¨¤ faire sa mitose. Il en ¨¦tait heureux, lui qui r¨¦duisait le SAGI ¨C et ses membres ¨C ¨¤ l¡¯¨¦tat de supra-organisme. Mieux fallait voir une cr¨¦ature ¨¦trange que des ¨ºtres qui partageaient avec lui une existence alors qu¡¯il s¡¯appr¨ºtait ¨¤ balancer une grenade de d¨¦sencerclement ? sp¨¦ciale ? (bien qu¡¯il l¡¯ignora). C¡¯¨¦tait ainsi qu¡¯il proc¨¦dait. Il avait cess¨¦ de percevoir l¡¯individu dans les foules qu¡¯il rabotait depuis longtemps. On avait fait de lui un guerrier, un robot-esclave, qui retrouvait une vie familiale ¨¦panouie et buvait un coup avec son voisin, professeur ¨¦m¨¦rite comme ¨¦picier, si l¡¯occasion se pr¨¦sentait. Jaal Brethan, l¡¯homme qui pouvait aimer, l¡¯homme qui pouvait donner, cessait de r¨¦fl¨¦chir lorsqu¡¯il enfilait son casque pour massacrer plut?t que corriger. Jaal Brethan, l¡¯homme qui comme les autres n¡¯avaient pas encore perdu l¡¯int¨¦gralit¨¦ de son ¨¦thique mais ne remettait plus en question la l¨¦gitimit¨¦ de son employeur sacr¨¦. Comment aurait-il pu faire autrement avec son monde voulu binaire : le juste et le mauvais ? Tout n¡¯¨¦tait qu¡¯une question de justice et s¡¯il venait en ¨¤ douter ¨C ce que sa formation proscrivait - il en viendrait ¨¤ croquer son badge pour se rendre compte qu¡¯il n¡¯¨¦tait pas en chocolat et le rendrait illico presto. Mais Jaal Brethan ne le ferait pas. Jaal Brethan n¡¯¨¦tait plus Jaal depuis longtemps. Il ¨¦tait le matricule 3215-56 A, son camarade le 3219-54 A. Deux fleurons de l¡¯Ordre, endoctrin¨¦s jusqu¡¯¨¤ la moelle.
¡ª Tu penses qu¡¯on va devoir y aller ? demanda-t-il ¨¤ 3219-54 A.
¡ª S¡¯il le faut. Je n¡¯ai pas ¨¦t¨¦ r¨¦veill¨¦ ¨¤ cinq heures du mat¡¯ juste pour qu¡¯ils soient gentiment escort¨¦s jusqu¡¯¨¤ la sortie¡ Regarde-les comme ils sont tendus. ?a va exploser, c¡¯est moi qui te le dit !
¡ª J¡¯esp¨¨re que non.
Mais au fond, il esp¨¦rait que oui. Une trentaine de m¨¨tres sous eux, l¡¯¨¦lastique se fraya un chemin jusqu¡¯¨¤ l¡¯estrade qu¡¯on peinait ¨¤ assembler. Ils ne pouvaient pas le manquer avec sa veste d¡¯un jaune fluo et ses cheveux gomin¨¦s vers l¡¯arri¨¨re d¡¯une couleur tout aussi ¨¦trange. Ce surnom, le n¨¦gociateur de la FPCP l¡¯avait acquis au cours de ses douze ann¨¦es de service. Il ¨¦tait ¨¦lanc¨¦, grand ¨C voire tr¨¨s grand ¨C et plus habitu¨¦ aux prises d¡¯otages qu¡¯aux ¨¦vacuations. Avec lui la tension se dilatait, jusqu¡¯¨¤ son paroxysme, avant de s¡¯effondrer subitement. L¡¯¨¦lastique ne rompait jamais, 3215-56 A souffla. Les ¨¦v¨¦nements ne pouvaient pas d¨¦raper avec un type comme lui.
Il se saisit d¡¯un microphone, grimpa sur l¡¯estrade et d¨¦passa de deux t¨ºtes les autres flics.
¡ª Bonjour. Je m¡¯appelle Klans Hectal. Je repr¨¦sente le Conseil des Pilotes, commen?a-il avec une l¨¦g¨¨re inflexion montante sur ? Pilotes ? qui ne parvenait ¨¤ masquer le tremblement dans sa voix.
Dans la masse sagiste on cria, ¨¦tonn¨¦ : ? Qu¡¯est-ce que c¡¯est que cette histoire ? ?. L¡¯¨¦lastique avait d¨¦j¨¤ pr¨¦vu la r¨¦ponse ¨¤ cette question. Il passa sa main libre dans sa chevelure impeccable qui subit d¨¨s lors sa premi¨¨re torture. Ses mains moites d¨¦firent une m¨¨che qui vint se balancer librement devant ses yeux. Il l¡¯¨¦loigna machinalement, se sentant d¨¦j¨¤ devenir poisseux. Il faisait si chaud¡ Non, il manquait de caf¨¦, voil¨¤ tout. Il n¡¯avait que peu dormi la nuit pr¨¦c¨¦dente, pr¨¦venu avec ¨¤ peine plus d¡¯avance que les Pacificateurs.
¡ª J¡¯entends votre surprise. Jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent, le SAGI avait ¨¦t¨¦ un havre inconnu des forces du Conseil, mais maintenant nous savons o¨´ vous vous terrez. Nous ne sommes pas ici pour vous violenter, nous voulons juste que vous quittiez l¡¯entrep?t, propri¨¦t¨¦ de la Cit¨¦.
¡ª Vous foutez tout en l¡¯air ! s¡¯¨¦gosilla un homme que l¡¯¨¦lastique ignora avec flegme.
¡ª Nous vous inculpons de trois chefs d¡¯accusation qui seront r¨¦solus en temps voulu. En premier lieu, et le plus ¨¦vident, vous occupez ill¨¦galement ces locaux ce qui, dans l¡¯esprit de l¡¯article D-439 de la Constitution Citoyenne nous contraint ¨¤ l¡¯expulsion. Deuxi¨¨mement, vous vous ¨ºtes rendus coupables du piratage du R¨¦seau, propri¨¦t¨¦ exclusive de la soci¨¦t¨¦ N¨¦vratone qui a d¨¦cid¨¦ de vous poursuivre¡
¡ª De Fulcon, pas N¨¦vratone ! remarqua justement un des Sagistes, ce qui n¡¯interrompit pas l¡¯¨¦lastique qui haussa le ton.
¡ª Pour conclure, votre groupe a ¨¦t¨¦ d¨¦clar¨¦ coupable d¡¯incitation ¨¤ l¡¯¨¦meute qui pourrait d¨¦boucher sur des homicides involontaires. Les charges contre vous sont s¨¦rieuses, nous allons devoir vous demander de sortir calmement.
? Sortir calmement ?, une expulsion en soit. Le mot ¨¦tait fort et lanc¨¦. Lors du briefing, l¡¯¨¦lastique avait lev¨¦ le doigt pour ¨¦mettre des objections ¨¤ ficeler un discours si exp¨¦ditif, on lui avait refus¨¦ ses arrangements. Si ?a sautait, ?a ne serait pas de sa faute¡ Oui, mais voil¨¤. Alors qu¡¯il descendait le micro vers sa ceinture, il lui glissa des mains. Il le rattrapa in extremis, glapit un bon coup et pensa ¨¤ la diff¨¦rence notable qui pouvait exister entre se retrouver seul face ¨¤ un forcen¨¦ mena?ant de flinguer femme et enfants avec une arbal¨¨te maison (bien qu¡¯en g¨¦n¨¦ral l¡¯arbal¨¨te soit point¨¦e vers le c?ur de l¡¯¨¦lastique prot¨¦g¨¦ par un gilet pare-balle) et celui de donner des consignes ¨¤ une foule menac¨¦e. Il savait sa pr¨¦sence juste et vertueuse face ¨¤ un tar¨¦ pr¨ºt ¨¤ se d¨¦goupiller la cervelle plut?t que d¡¯¨ºtre captur¨¦, mais face ¨¤ des anarchistes qui pr¨¦tendaient apporter une r¨¦sistance ¨¤ la dictature du Conseil¡ L¡¯¨¦lastique doutait s¨¦rieusement. Il avait cru ¨¤ certains articles qu¡¯il avait lus sur le R¨¦seau comme les 87% de Citoyens reli¨¦s d¡¯apr¨¨s un sondage balanc¨¦ par un petit malin et le caoutchouc de son ame s¡¯¨¦tait ¨¦tir¨¦ au maximum de sa capacit¨¦. L¡¯empressement du Conseil ¨¤ faire ¨¦vacuer le SAGI ne faisait qu¡¯accro?tre la honte qui l¡¯empoignait ¨¤ faire partie de cette institution.
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Les cam¨¦ras se fig¨¨rent sur lui, le voyant rouge le d¨¦vorant comme des millions de concitoyens. On ne lui demandait pas son avis et il serait ¨¤ tout jamais l¡¯image de la r¨¦pression. Lui et ses cheveux gomin¨¦s qui se d¨¦faisaient en lui donnant une allure d¨¦mente. Lui malmenant un micro et gouttant. Jamais plus il ne pourrait affronter son reflet si la journ¨¦e d¨¦rapait. Un soupir de soulagement le parcourut lorsque les cam¨¦ras se d¨¦tourn¨¨rent enfin de lui pour balayer les Sagistes. Ils attendaient que la foule r¨¦agisse et elle le fit par l¡¯interm¨¦diaire d¡¯une adolescente qui ¨¦mergea d¡¯un cercle de discussion. Par conscience collective, le groupe en avait fait sa porte-parole. Elle posa la question qui ¨¦tait sur toutes les l¨¨vres :
¡ª Et si nous vous ob¨¦issions et que nous sortions pacifiquement, qu¡¯allez-vous faire de nous ? O¨´ est la nasse ?! Nous savons que nous ne nous en tirerons pas aussi facilement. Vous ¨ºtes venus nous faire taire car vous savez au fond que ce que nous montrons n¡¯est que la v¨¦rit¨¦ que vous cachez derri¨¨re des apparences. Le pouvoir est corrompu, il n¡¯y a pas de place pour nous dans cette Cit¨¦ et vous le savez ! Vous voulez nous museler ! vocif¨¦ra-t-elle en levant son poing potel¨¦ vers les cam¨¦ras.
Une t¨ºte se baissa parmi les forces de l¡¯ordre, une personne chuchota ¨¤ une autre. La honte que ressentait l¡¯¨¦lastique se transmit par capillarit¨¦ aux hommes en arme qui se rass¨¦r¨¦n¨¨rent en repensant ¨¤ leurs ordres de mission¡ ainsi qu¡¯aux quatre chiffres de la prime exceptionnelle qui leur serait vers¨¦e une fois l¡¯op¨¦ration accomplie, mais ¨¦galement au fait que les Sagistes n¡¯¨¦taient gu¨¨re diff¨¦rent des autres manifestants qu¡¯ils avaient d? ? canaliser ? par le pass¨¦.
L¡¯¨¦lastique tressaillit imperceptiblement. Sous la chaleur des halog¨¨nes, sa sueur brillait ¨¦trangement comme des milliers de diamants. Il r¨¦pondit ¨¤ celle qui parlait pour le groupe avec un calme forc¨¦, mais que l¡¯on sentait d¨¦faillant :
¡ª Je ne sers que d¡¯interm¨¦diaire entre vous et le Conseil selon les directives qui m¡¯ont ¨¦t¨¦ donn¨¦es. Je ne suis pas ici pour prendre part ¨¤ un d¨¦bat d¡¯ordre politique. Bien qu¡¯inf¨¦od¨¦s au Conseil, les Pacificateurs et les Unit¨¦s mobiles sont apolitiques par nature et nous le resterons.
L¡¯indignation traversa l¡¯organisme sagiste et des rictus s¡¯affich¨¨rent derri¨¨re les masques des forces de l¡¯ordre. Aussi apolitiques qu¡¯ils pouvaient l¡¯¨ºtre au-del¨¤ de leurs soldes et endoctrinements respectifs : la paie provenait toujours du m¨ºme endroit. L¡¯¨¦lastique ignora les protestations et continua sa r¨¦ponse :
¡ª Quant ¨¤ savoir ce qui adviendra de vous, j¡¯ai re?u l¡¯information selon laquelle il ne se passerait absolument rien si vous ¨¦vacuiez pacifiquement le hangar. Un programme gouvernemental de r¨¦insertion sociale sera mis en place pour ceux qui le d¨¦sirent, les autres pourront vaquer ¨¤ leurs occupations¡ ¨¤ deux conditions, dit-il d¡¯une traite en se caressant de nouveau les cheveux, une m¨¨che vint carr¨¦ment lui entrer dans l¡¯?il et il la retira. Tout d¡¯abord que vous nous remettiez le criminel Nate Killian, commanditaire de l¡¯assaut sur¡
? Le palais sectoriel ? allait-il continuer, mais un vent de protestation se leva. Une t¨ºte verte dans la foule blanchit. Les postures se firent plus dures. Les mains s¡¯approch¨¨rent des armes de service et l¡¯¨¦lastique leva les deux mains en signe d¡¯apaisement.
¡ª Nous savons qu¡¯il se cache ici et il doit payer pour ses crimes. Un seul homme pour la peine de tous ceux qui ont particip¨¦ ¨¤ l¡¯attaque sur le palais. C¡¯est une mani¨¨re ¨¦l¨¦gante de r¨¦soudre ce conflit que le Conseil vous propose. Mais il n¡¯y a pas que ?a¡ Nous voulons ¨¦galement que vous nous remettiez Jinn Pertem, l¡¯homme que vous retenez en otage.
La protestation timide se transforma en franche col¨¨re. Derri¨¨re leurs ¨¦crans, les Citoyens rejoignirent les Sagistes pour se lancer des ? c¡¯est quoi ces conneries ? ?. Parmi les plus au fait, ceux qui avaient entendu la rumeur d¨¦form¨¦e par le Conseil, on se glissa que Pertem avait ¨¦t¨¦ pi¨¦g¨¦ par les Sagistes pour qu¡¯il intervienne en leur faveur.
Le brouhaha s¡¯amplifia, avec l¨¦g¨¨rement au-dessus des autres la voix de Jinn Pertem lui-m¨ºme qui s¡¯indignait. Qui pouvait croire ¨¤ des aneries pareilles ? ¨¤ force de consommer de la merde, on ne parvenait plus la diff¨¦rencier de ce qui ne l¡¯est pas. La Cit¨¦ continuait de tourner grace ¨¤ de joyeux idiots vampiris¨¦s et les arguments lanc¨¦s par ce fil d¨¦coiff¨¦ a l¡¯air d¨¦ment convaincraient bien quelques madame-monsieur tout-le-monde.
La jeune femme qui avait pris la parole plus t?t s¡¯appr¨ºta ¨¤ la reprendre mais apercevant Jinn Pertem du coin de l¡¯?il elle se tut. L¡¯homme avait du venin ¨¤ cracher et le cracherait. Nate Killian de son c?t¨¦ se terrait en cherchant du regard un coin o¨´ s¡¯enfuir. Il avait d¨¦j¨¤ v¨¦cu une situation analogue et savait comment elles se terminaient en g¨¦n¨¦ral. Toutes les sorties ¨¦taient bloqu¨¦es. Il ¨¦tait foutu sauf s¡¯il atteignait le toit du batiment communautaire. Il se planquerait alors dans le faux plafond en attendant la fin. Mourir en h¨¦ros, ?a n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ pour lui¡ Ses yeux s¡¯hasard¨¨rent sur le batiment ¨¦tag¨¦, derri¨¨re le potager, et une main se referma sur son ¨¦paule : implacable. Le Sagiste, derri¨¨re lui, bl¨ºme comme la mort, avait entendu la proposition du Conseil et il n¡¯¨¦tait pas le seul qui ne le laisserait pas partir.
¡ª Je suis d¨¦sol¨¦ Nate, balbutia-t-il.
¡ª Je comprends.
Six rangs devant eux, le crane luisant de Jinn Pertem s¡¯agita et une main se leva. On forma autour de lui un cercle et il prit la parole :
¡ª Je suis ici. Je suis Jinn Pertem, cria-t-il en portant ses mains en porte-voix. Il n¡¯existe qu¡¯un monstre et il est devant vous, en plein milieu du couloir et vous refusez de le voir : le Conseil. Le SAGI ne me manipule pas. On m¡¯a ¨¦vinc¨¦ et ce n¡¯est pas moi aujourd¡¯hui qui pointe ces fusils vers mes adversaires politiques.
Les cam¨¦ras avaient balay¨¦ le SAGI jusqu¡¯¨¤ Pertem. Gern Fulcr?ne qui observait la sc¨¨ne derri¨¨re son ¨¦cran se rongea les ongles. C¡¯¨¦tait mauvais. Il fallait que sa taupe intervienne avant que la situation ne tourne d¨¦finitivement en la faveur des Sagistes. L¡¯opinion publique risquait d¡¯¨ºtre convaincue si l¡¯affreux djinn se lan?ait dans sa diatribe.
Le Premier Pilote d¨¦crocha le t¨¦l¨¦phone au moment o¨´ un tonnerre d¡¯applaudissements retentissait dans le SAGI, ¨¦branlant sa structure d¡¯acier. Les Unit¨¦s mobiles et de pacification resserr¨¨rent les rangs, la tension grandissante comme si c¡¯¨¦taient eux qui allaient se faire charger et non l¡¯inverse. Cependant, la seule id¨¦e d¡¯une charge h¨¦ro?que n¡¯effleura pas un esprit sur dix dans le hangar. Ils perdraient ¨¤ coup s?r.
Alors que les applaudissements faiblissaient, un homme grima?a, descendit sa main de l¡¯oreille ¨¤ sa besace et lan?a d¡¯une voix rauque ¨C faible et incertaine ¨C qui parvint toutefois ¨¤ se faire entendre ¨¤ travers le bruit des derni¨¨res mains qui claquaient :
¡ª Vous n¡¯aurez pas Killian, allez-vous faire foutre !
Sa main alla de sa besace ¨¤ un cocktail explosif. Le cocktail s¡¯envola en cloche vers les cam¨¦ras de t¨¦l¨¦vision. La derni¨¨re image per?ue par les ¨¦crans de la Cit¨¦, une bouteille en verre avec son chiffon reconnaissable parmi milles, se fragmenta en pixels violent¨¦s. On se jeta sur l¡¯auteur du jet, criant qu¡¯il ne faisait pas partie du SAGI, hurlant au loup immisc¨¦ dans le troupeau mais les cam¨¦ras ¨¦taient d¨¦j¨¤ ¨¦teintes. Le cam¨¦raman touch¨¦ se tenait la main, hurlant de douleur. Sa main gravement br?l¨¦e ne servirait plus.
Le coupable de l¡¯assaut, plaqu¨¦ au sol, ne se d¨¦fendit pas. Personne dans le SAGI ne pouvait ignorer qu¡¯il n¡¯¨¦tait des leurs. On appelait Nate Killian de bien des noms : ? Le Vieux ?, ? Le Couillon Vert ?, ? La Larve ?, mais jamais ? Killian ?. ¨¤ quoi bon tenter de le prouver maintenant que les m¨¦dias s¡¯enfuyaient par le m¨ºme monte-charge qui permettrait d¡¯¨¦vacuer tous les cadavres une fois le massacre termin¨¦ ? L¡¯histoire pour les Citoyens s¡¯arr¨ºtait-l¨¤, la suite ne serait que du texte froid pondu par le service-presse de la FPCP.
? Il n¡¯y a rien ¨¤ voir, tirez-vous ? cria-t-on ¨¤ l¡¯attention des journalistes qui se carapataient. Une lourde erreur, il y aurait beaucoup ¨¤ voir mais peu de gens pour s¡¯en souvenir. Le n¨¦gociateur devant la sc¨¨ne avait port¨¦ sa main ¨¤ son oreillette, tir¨¦ une grimace perplexe et descendu de l¡¯estrade. Deux clics se firent sur tous les talkies et les chefs d¡¯¨¦quipe lev¨¨rent une main funeste. Les rangs se raffermirent et c¡¯est la derni¨¨re sc¨¨ne que vit l¡¯¨¦lastique alors que le monte-charge l¡¯¨¦vacuait. Il resserra sa cravate, mimant un geste qu¡¯il n¡¯oserait jamais r¨¦aliser apr¨¨s avoir donn¨¦ sa d¨¦mission, mais qu¡¯il fantasmerait bien souvent. Les portes claqu¨¨rent devant lui. Il entendit plus qu¡¯il ne vit les a¨¦rations au plafond qui tombaient sur les assi¨¦g¨¦s dans un fracas m¨¦tallique. Une plaque tomba sur une t¨ºte, envoyant le Sagiste de l¡¯autre c?t¨¦. Devant la sc¨¨ne, certains tent¨¨rent de fuirent, mais furent stopp¨¦s par les lacrymog¨¨nes qui fus¨¨rent par-dessus eux. Les corps se pli¨¨rent en deux sous l¡¯effet des gaz et la bile se r¨¦pandit en une libation profane. Les yeux rougirent et les agents demeuraient impassibles face ¨¤ ce sordide spectacle. Bient?t, on ne discernait plus les ampoules g¨¦antes suspendues sur les ¨¦tag¨¨res. L¡¯univers ¨¦tait envahi par la brume.
Suranis se trouvait vers le batiment communautaire lorsque tout commen?a. Un palet tomba ¨¤ moins de deux m¨¨tres d¡¯elle et explosa dans l¡¯air. Il ne s¡¯agissait pas de lacrymog¨¨ne. Elle ouvrit la bouche, choqu¨¦e, mais ne parvint ¨¤ pr¨¦venir les autres. Des billes d¡¯acier ¨¦taient sorties du projectile et ¨¦taient all¨¦es se ficher dans le crane de trois malheureux dont un adolescent, d¡¯une t¨ºte trop grand pour ¨¦viter la mort. Il ne s¡¯agissait pas d¡¯une grenade de d¨¦sencerclement conventionnelle et personne ne s¡¯en rendit compte ¨¤ l¡¯exception de Suranis qui se jeta au sol. ¨¤ ce niveau elle ne pouvait manquer la flaque d¡¯un rouge sanguin qui s¡¯¨¦largissait, s¡¯¨¦paississait et rejoignait les bas caniveaux. Ses amis mouraient devant ses yeux impuissants et personne n¡¯y pr¨ºtait attention, trop occup¨¦s qu¡¯ils ¨¦taient ¨¤ se soucier de leurs propres survies.
Elle tenta de se relever, de crier et dans le tumulte elle se perdit. Les forces regroup¨¦es de l¡¯autre c?t¨¦ du no man¡¯s land d¨¦cid¨¨rent de charger. Suranis, bien que sonn¨¦e par les explosions, entendit l¡¯¨¦cho des pas qui r¨¦sonnaient sur les plaques d¡¯acier. Elle les entendit aussi bien qu¡¯une charge de cavalerie et de sa gorge enflamm¨¦e ne parvint qu¡¯¨¤ ¨¦mettre un faible gazouillis. On l¡¯agrippa par l¡¯¨¦paule, elle leva les yeux vers la figure massive ¨¤ la parka noire et l¡¯espace d¡¯un instant, elle se cramponna ¨¤ cette vision irr¨¦elle.
¡ª ?a va ?
La figure famili¨¨re fut souffl¨¦e par les tirs. Zed mourut une seconde fois. Non, pas Zed¡ Un type en noir. Zed est noir comme le charbon d¨¦sormais¡ Mais ce type qui n¡¯¨¦tait pas Zed finit sa course avec trois aiguilles argent¨¦es dans le cou. Les aiguilles brill¨¨rent intens¨¦ment et d¨¦livr¨¨rent une d¨¦charge mortelle qui le cloua au sol. L¡¯univers s¡¯¨¦lectrifia autour d¡¯elle. Les corps chutaient les uns apr¨¨s les autres avec des bruits sourds. Elle tourna sa t¨ºte vers la gauche, un crane se fracassa ¨¤ ses c?t¨¦s. Plus loin, vers la ligne de front, elle remarqua que la foule bougeait. Les armures noires attaquaient sans faiblir, les visi¨¨res rabaiss¨¦es s¡¯illuminaient des points color¨¦s de vies ¨¤ faire taire. Des points rouges pour ceux ¨¤ ¨¦liminer, verts pour ceux ¨¤ pr¨¦server, bleus pour ceux ¨¤ soumettre. Peu ¨¤ peu, les points changeaient de couleur et diminueraient encore au cours des trente-sept minutes qui devaient suivre. Bient?t, Suranis passerait elle-m¨ºme du point rouge au blanc, inconsciente ou morte. Plut?t morte. Je ne veux plus mourir. Une bien belle id¨¦e, mais quelle autre alternative s¡¯offrait ¨¤ elle ? Les Sagistes ne r¨¦sisteraient pas, m¨ºme arm¨¦s ils auraient ¨¦t¨¦ foutus. Elle d¨¦cida malgr¨¦ tout de r¨¦sister. Un palet atterrit ¨¤ un m¨¨tre d¡¯elle et elle s¡¯en saisit avant qu¡¯il n¡¯explosat. Elle le balan?a en cloche, de l¡¯autre c?t¨¦, et il ¨¦clata en pulv¨¦risant les genoux d¡¯un flic qui hurla de douleur. Le cri lui parvint malgr¨¦ la distance et elle sentit la r¨¦plique. Une vol¨¦e de fl¨¦chettes jaillit des canons surchauff¨¦s pour la manquer de peu.
Touch¨¦, pensa-t-elle avec amertume. En ¨¦cho ¨¤ sa pens¨¦e, elle entendit plus qu¡¯elle ne vit : ? On l¡¯¨¦vacue ! ?. Un de moins qui ne ferait pas pencher le cours de la bataille en leur faveur. Elle allait y passer, comme les autres. C¡¯est alors qu¡¯elle attendait que tour vienne qu¡¯elle croisa plusieurs Sagistes, rampant comme elle. Ils erraient dans la zone oubli¨¦e par les balles et o¨´ le seul danger provenait des gaz qui br?laient gorges et poumons. Ils se dirigeaient quelque part, mais vers o¨´ ? Il n¡¯y avait nulle part o¨´ aller. Leurs mouvements hach¨¦s, rendis si risiblement puissants par l¡¯adr¨¦naline, les faisaient avancer par petits bonds d¡¯une dizaine de centim¨¨tres, mais ne les sauveraient pas. Ils lui donn¨¨rent l¡¯impression d¡¯¨ºtre des escargots en qu¨ºte de verdure¡ et la verdure¡ La verdure existait ! Elle la vit dans un mur. Une grille venait de sauter et un tunnel noir s¡¯offrait ¨¤ eux. Soudain, elle eut l¡¯exquise conscience de la r¨¦alit¨¦ de son ¨ºtre. Suranis, la femme-limace ne pouvait pas mourir ainsi. Elle ne le pouvait pas car pareille cr¨¦ature n¡¯existait pas et ce qui n¡¯existe pas ¨¤ la facheuse tendance ¨¤ survivre. Sans mat¨¦rialit¨¦, comment mourir ?
Un homme s¡¯engouffra par la grille et ce fut le seul. Suranis parviendrait-elle ¨¤ se tra?ner jusqu¡¯¨¤ l¨¤-bas prendre sa suite ou finirait-elle ¨¦cras¨¦e par une botte blind¨¦e ? Fait chier ! Le g¨¦nome citoyen aurait d? ¨ºtre alt¨¦r¨¦ sous la diffusion massive des donn¨¦es, mais voil¨¤ que les m¨ºmes tronches se pointaient pour frapper dans l¡¯ing¨¦nieuse fourmili¨¨re et remettre les choses en place. Quand la foutue fourmili¨¨re aura ¨¦t¨¦ d¨¦mantel¨¦e et qu¡¯on exhiberait les mandibules de la reine, tout serait fini. Le Sagiste serait devenu l¡¯¨¦quivalent local du Diable et les r¨¦int¨¦gr¨¦s, apr¨¨s avoir pris leur dose de GH-Drain 2, diraient que ? Oui, c¡¯est vrai. Nous avons ¨¦t¨¦ affreux ? et la Cit¨¦, mis¨¦r¨¦cordieuse, les accueillerait sans arri¨¨re-pens¨¦e. Pour les autres, petits sympathisants sans int¨¦r¨ºt, ils se retrouveraient ¨¤ jamais tass¨¦s derri¨¨re les portes ¨¤ double-battant de la Compagnie Norddle. Personne ne saurait qu¡¯ils y seraient sagement rang¨¦s dans des barils. ? Je suis navr¨¦, vous ne pouvez pas voir votre fils. Il est plac¨¦ ¨¤ l¡¯isolement d¨¦finitif ?. D¨¦finitif.
Suranis Rh¨¦on quant ¨¤ elle ne se retrouverait pas ¨¤ l¡¯isolement d¨¦finitif. Sa vie cependant se retrouva d¨¦finitivement foutue. Alors que les meurtriers du Conseil la tassaient vers ce conduit froid dont ¨¦manait ce fol et illusoire espoir, elle repensa au caract¨¨re d¨¦finitif de ses rencontres pass¨¦es et de leur influence d¨¦finitive sur sa vie. Pavla surtout. Voir et se taire, puis ignorer¡ Tout aurait ¨¦t¨¦ si simple, si seulement elle avait fait ce choix.
Chapitre 31
Les lumi¨¨res s¡¯¨¦teignirent. L¡¯obscurit¨¦ s¡¯engouffra jusqu¡¯aux tr¨¦fonds de son ame, en inondant la moindre parcelle et annihilant toute vell¨¦it¨¦ de r¨¦sistance. Elle n¡¯avait jamais connu la v¨¦ritable peur, toujours prot¨¦g¨¦e par la veilleuse de la rationalit¨¦ qui lui susurrait que rien de bien grave ne pouvait lui arriver dans cette soci¨¦t¨¦ polic¨¦e. Mais voil¨¤, on venait de la d¨¦brancher. Chaque goul¨¦e d¡¯air ¨¦quivalait ¨¤ une embrassade passionn¨¦e de poussi¨¨res et d¡¯araign¨¦es. Le conduit ne semblait ne jamais vouloir cesser et elle y avan?ait, tatant le passage qui ne cessait de se r¨¦duire devant elle.
Une araign¨¦e passa sur son bras. Elle n¡¯en avait habituellement pas peur, mais sursauta, terrifi¨¦e par l¡¯id¨¦e qu¡¯elle puisse se retrouver coinc¨¦e ici pour toujours, ses orbites envahis par les toiles des locataires arachnides.
¡ª Va-t¡¯en, murmura-t-elle.
L¡¯araign¨¦e disparut. Elle regretta sa disparition et se retrouva de nouveau seule dans le noir. La peur devenait panique et elle se rappela de terreurs analogues lorsque sa chambre d¡¯enfant devenait rouge la nuit tomb¨¦e. Les pi¨¨ces m¨¦talliques refl¨¦taient l¡¯¨¦trange lueur et terrifi¨¦e elle se levait pour s¡¯endormir dans les bras aimants de ses parents. Ainsi envelopp¨¦e dans le voile de l¡¯inconscience, prot¨¦g¨¦e par papa et maman ¨C jusqu¡¯¨¤ que l¡¯un d¡¯eux casse sa pipe -, le monstre sous sa couchette devenait incapable du moindre mal.
Les temps avaient bien chang¨¦. Elle ne redoutait plus les monstres cach¨¦s et en ¨¦tait presque venue ¨¤ oublier leur existence. Pourtant, tout revenait. Adulte, elle avait compris que les monstres ne pouvaient agir en dehors des r¨ºves hant¨¦s par leurs avatars. Enfant, elle s¡¯¨¦tait laiss¨¦e aller ¨¤ ces croyances, mais voil¨¤ - alors qu¡¯elle ne s¡¯¨¦tait plus r¨¦veill¨¦e grelottante malgr¨¦ la sueur et la pisse chaude sous ses fesses depuis des ann¨¦es - elle voyait revenir ¨¤ elle cette vieille rengaine : que les monstres existent.
Elle imagina dans ce labyrinthe de t?les un poursuivant ¨¤ ses trousses, pour l¡¯instant invisible, qui se formerait miette par miette. Lorsqu¡¯elle se retournerait, elle le verrait et en retour il l¡¯observerait dans toute son horreur. Ses yeux seraient deux ¨¦crous, son corps un amas de poussi¨¨res et de crasse. Elle contribuerait ¨¤ sa splendeur en repoussant ses compagnons-moutons isol¨¦s et l¡¯engraissant. Lorsque viendrait le moment o¨´ il serait assez puissant, il ne se contenterait plus de l¡¯effrayer, mais l¡¯agripperait par la cheville pour l¡¯extirper de son royaume de t¨¦n¨¨bres. Suranis Rh¨¦on, l¡¯adulte rationnelle, s¡¯envolerait alors hors du conduit et atterrirait sur une masse de chairs et d¡¯os et, de celle-ci, sortirait le canon d¡¯un fusil. La suite de l¡¯histoire lui d¨¦plaisait : la cr¨¦ature humerait son odeur et au lieu de japper, elle presserait la d¨¦tente. Elle ¨¦changerait un regard d¨¦ment avec l¡¯amas de poussi¨¨res, puis ricaneraient alors que les cheveux d¨¦coll¨¦s par la d¨¦flagration, sanguins ou juste roux, viendraient les nourrir tous deux.
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Cette ¨¦ventualit¨¦, fantasm¨¦e et irr¨¦aliste, se confronta au dernier rempart de Suranis. Elle craqua, ¨¦clata de rire et toussa. L¡¯¨¦cho se r¨¦percuta jusqu¡¯au hangar, mais on ne l¡¯entendit pas au milieu du chaos. Personne ne le consid¨¦ra m¨ºme. Un petit son sans importance d¡¯une personne de peu d¡¯importance. L¨¤-bas, Suranis n¡¯importait pas plus que la mouche curieuse qui d¨¦crivait des arcs de ciel alors qu¡¯elle descendait vers le sang encore chaud du cadavre d¡¯un adolescent. ¨¦videmment, cette mouche importune on finirait par l¡¯¨¦craser, mais pour l¡¯instant on l¡¯ignorait. Peut-¨ºtre m¨ºme ne s¡¯en d¨¦barrasserait-on jamais ?
¡ª Je ne suis qu¡¯une mis¨¦rable personne sans importance¡ Une petite mouche, hier je n¡¯¨¦tais qu¡¯un asticot, par piti¨¦, dit-elle entre deux ¨¦clats.
Je le sais, il le sait, nous le savons. Je gambade dans les entrailles de la Cit¨¦, le go?t de mes amis dans la bouche. Poussi¨¨res et sang, j¡¯y ajoute ma bile et le sel de mes larmes. ?, Cr¨¦a-tueur, viens ¨¤ moi¡ J¡¯en ai ma claque. L¡¯asticot n¡¯a pas choisi de se transformer.
Elle pleura, redoutant de ne jamais sortir de ces conduits. Combien de temps lui restait-il avant que le Duc des Poussi¨¨res ne l¡¯atteigne ? Existait-il seulement une lumi¨¨re au bout du tunnel ? Tout cela, elle l¡¯ignorait, l¡¯ignore encore aujourd¡¯hui, m¨ºme morte et atomis¨¦e, r¨¦duite en cendres. Avant de p¨¦rir, elle en ¨¦tait venue ¨¤ la conclusion qu¡¯il n¡¯existait pas de dieux, que la vie ne pouvait ¨ºtre v¨¦cue apr¨¨s la mort et que, pour Suranis Rh¨¦on, elle n¡¯interviendrait pas dans un monde de tranquillit¨¦. Jamais elle ne serait apais¨¦e. La Mort ne gu¨¦rit rien, ce n¡¯est rien de plus que l¡¯obscurit¨¦ qui nous envahit comme un cauchemar sans fin. Elle se demandera si le moment pr¨¦c¨¦dent la fin est si diff¨¦rent de la fin elle-m¨ºme ? Elle se r¨¦pondra que non, c¡¯¨¦tait comme ¨ºtre pi¨¦g¨¦ dans ce foutu conduit et qu¡¯¨¤ la sortie le climat ne serait ni agr¨¦ablement temp¨¦r¨¦ ni une r?tissoire. Ni Enfer, ni Paradis. Ce qu¡¯elle savait cependant c¡¯est qu¡¯elle ¨¦tait condamn¨¦e ¨¤ mourir et que cette lumi¨¨re qu¡¯elle pensait percevoir au bout du conduit ne la sauverait pas.
Cependant, cela ne serait ni la derni¨¨re lumi¨¨re ni la plus vive qu¡¯elle verrait. Loin de l¨¤. Mais la derni¨¨re avant qu¡¯un coup de crosse ne d¨¦truise sa vie.
Chapitre 31.1
En 4953 apr¨¨s la colonisation, Suranis Rh¨¦on sorti sa frimousse rousse au sein de la Cit¨¦ comme tous les humains en orbite autour d¡¯une plan¨¨te inhospitali¨¨re le font. Elle aurait tout aussi pu na?tre sur M¨¦ga?a, au milieu des embryons cryog¨¦nis¨¦s fra?chement men¨¦s ¨¤ la vie. Le Flux aurait alors ¨¦t¨¦ son ciel et les girafes ses rats fuyant les terres glac¨¦es du Sud. Sa vie, plus simple, aurait ¨¦t¨¦ guid¨¦e par la seule force de sa volont¨¦ dans un monde bati par des soci¨¦t¨¦s neuves, mais le hasard voulut que ?a ne soit pas le cas.
Suranis n¡¯avait jamais mis les pieds sur M¨¦ga?a. Pour elle, l¡¯univers se cantonnait ¨¤ un caillou volant s¨¦par¨¦ d¡¯une terre inconnue que l¡¯on pensait non pas pos¨¦e sous le Flux, mais dans le Flux. Le monde libre en dehors du Conseil ne pouvait ¨ºtre compos¨¦ que de ruines corrod¨¦es, de squelettes et d¡¯un espoir na?f r¨¦duit ¨¤ n¨¦ant. La seule vie imaginable ne pouvait s¡¯¨¦tendre ailleurs que dans la Cit¨¦ des alchimistes, recombinant atomes comme mol¨¦cules pour que la vie s¡¯accroche au roc solitaire.
Les Citoyens en ¨¦taient si intimement persuad¨¦s, qu¡¯ils seraient rest¨¦s pantois en apprenant qu¡¯en bas les anciens colons se demandaient ¨¦galement pourquoi le ciel s¡¯¨¦tait transform¨¦ en une chape de malachite qu¡¯ils ne parvenaient ¨¤ atteindre. Il y avait bien longtemps que les rares navettes en leur possession ne fonctionnaient plus, refusant de d¨¦passer les dix-milles pieds d¡¯attitude et tout juste un peu moins depuis que les m¨ºmes engins tomb¨¨rent en panne d¨¦finitive, parsemant les anciennes bases coloniales d¡¯¨¦tranges art¨¦facts.
Presque cinq mill¨¦naires s¡¯¨¦taient ¨¦coul¨¦s depuis ce temps et l¡¯apparition du Flux. Peut-¨ºtre davantage pour les Terrestres qui, observant les huit points bleus qui apparaissaient et disparaissaient, s¡¯imaginaient que la Cit¨¦ ¨C arachnide spatial - tissait sa toile autour d¡¯eux. Elle ne faisait que se resserrer, le Flux s¡¯approchait et ils finiraient par tomber dedans. La nasse de l¡¯Araign¨¦e c¨¦leste se refermerait sur eux et, pour les descendants des colons, il n¡¯existait pas plus grand danger que celui-ci : tr¨¨s lointain, mais tr¨¨s pr¨¦sent. Du moins, dans leur fertile imagination.
Bienheureux ¨¦taient-ils de ne pas concevoir menace plus grande que celle-ci. Ils ne vivaient pas sous le joug du Conseil et se contentaient de vivre assujettis au gibier et aux saisons - et depuis peu aux cit¨¦s-¨¦tats, aux royaumes et bient?t aux empires, aux perles noires qui ¨¦clairaient leur quotidien et combattaient la p¨¦nombre. Ils finiraient bien comme leurs cousins des ¨¦toiles ¨C domin¨¦s par une force aussi intouchable que le Conseil - mais resteraient encore longtemps libres de vagabonder, d¡¯exister et d¡¯exp¨¦rimenter sous la menace sourde d¡¯un ¨ºtre sup¨¦rieur qui n¡¯avait pas plus de pouvoir que celui qu¡¯on daignait lui conc¨¦der. Les Royaumes n¡¯¨¦taient encore qu¡¯une vague id¨¦e pour ceux qui ¨¦taient ¨¦loign¨¦s des capitales historiques.
¨¤ contrario, le Citoyen vivait sous les imp¨¦ratifs de diablotins en pourpre. Il les voyait t¨¦l¨¦vis¨¦s, il ne les affrontait jamais et se contentait de passer inaper?u, restant clo?tr¨¦ dans sa journ¨¦e-type. Depuis peu, l¡¯une d¡¯entre eux pourtant originellement si diff¨¦rente ¨C ¨¤ savoir Suranis Rh¨¦on ¨C connaissait un quotidien analogue.
Oh, jamais ne s¡¯¨¦tait-elle imagin¨¦e portant avec r¨¦signation un dossier rempli ¨¤ craquer de documents et formulaires auxquels elle ne pigeait rien. Pourtant, c¡¯¨¦tait ce qu¡¯elle faisait depuis que le SAGI avait ¨¦t¨¦ pris, six ans auparavant, et qu¡¯on se d¨¦cida ¨¤ la ? revaloriser ?. Ainsi se retrouvait-t-elle ¨¤ travailler pour une soci¨¦t¨¦ de gestion des eaux de la Cit¨¦, secteur H, zone 478-D. G¨¦n¨¦ralement, ses journ¨¦es se d¨¦roulaient aupr¨¨s de la photocopieuse ¨C o¨´ elle confectionnait ses tendres dossiers - tant ses sup¨¦rieurs ¨¦taient friands du bon vieux papier parce qu¡¯il y avait un c?t¨¦ luxueux et tapageur ¨¤ inscrire sur la feuille blanche et inutile en cette ¨¨re informatis¨¦e que cinquante-sept (57) vannes de rechange avaient ¨¦t¨¦s command¨¦es ¨¤ la soci¨¦t¨¦ Aqueduc enregistr¨¦e au num¨¦ro 5478-9A. Une soci¨¦t¨¦ qui appartenait ¨¤ l¡¯empire marchand de Gern Fulcr?ne, tout comme celle de l¡¯employeur de Suranis qui, se pavanant le plus souvent dans une ind¨¦pendance forcen¨¦e, pliait l¡¯¨¦chine quand se pr¨¦sentaient ¨¤ lui les repr¨¦sentants du Vieux.
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Une fois, le Vieux ¨¦tait m¨ºme pass¨¦ en personne. Suranis l¡¯avait rencontr¨¦. Un homme affable qui l¡¯avait gratifi¨¦ d¡¯un ¨¦trange sourire avant de s¡¯entretenir avec son sup¨¦rieur. Elle en avait ressenti un frisson, ne pouvant s¡¯emp¨ºcher de ramener le personnage au supplice de l¡¯anar Nate Killian. Le souvenir net de cette vision d¡¯horreur l¡¯habitait encore. Ce corps d¨¦charn¨¦ suspendu au-dessus de l¡¯art¨¨re principale de l¡¯¨¦tage F, Suranis ne l¡¯avait jamais vu mais elle ne manqua pas de tomber sur une des affiches le repr¨¦sentant comme un abruti enrag¨¦ se tortillant de douleur dans sa cage et d¨¦f¨¦quant sur les pi¨¦tons avant de crever. Tout cela car Gern Fulcr?ne en avait d¨¦cid¨¦ ainsi, pour clore ce chapitre de la sombre histoire citadine avant de tendre son tablier ¨¤ un certain J?turn qui, dans la foul¨¦e, lui proposa de prendre la place de l¡¯ancien haut-commissaire de la FPCP. Il ¨¦tait bien retomb¨¦ et s¡¯entretenait souvent avec J?turn, le nouveau Premier Pilote.
Voil¨¤ un bien dr?le de jeu qu¡¯ils entretenaient ensemble et il ¨¦tait impossible de dire qui des deux contr?lait l¡¯autre. Cela restait au demeurant un sujet hasardeux, politiquement incorrect, mais Suranis ne pouvait s¡¯emp¨ºcher de remarquer que les patrouilles de police s¡¯¨¦taient faites plus nombreuses ces derni¨¨res ann¨¦es ¨C et le budget allou¨¦ ne cessant d¡¯¨ºtre augment¨¦. Car Gern Fulcr?ne, le politicien reconverti en magnat et garant de la paix, se formait une arm¨¦e personnelle ¨¤ laquelle Suranis aurait pu faire partie si elle avait fait d¡¯autres choix de vie. Apr¨¨s tout, n¡¯avait-elle pas ¨¦t¨¦ inspectrice ¨C talentueuse de surcro?t ¨C dans un pass¨¦ si lointain ? Si elle n¡¯avait jamais accus¨¦ ce pauvre promoteur d¡¯assassinat, elle ne serait pas l¨¤. Lui qui ¨¦tait dans son bon droit et n¡¯avait jamais, ? grand jamais, cram¨¦ la moiti¨¦ d¡¯un secteur pour s¡¯en emparer. Quelle trag¨¦die que celle-ci qui ruina sa vie et aiguilla Suranis sur les voies d¡¯une mis¨¦rable agence de d¨¦tective qui coula bien vite pour la mener finalement ici¡ Dans ces bureaux, sauv¨¦e par la mis¨¦ricordieuse Cit¨¦ qui avait accept¨¦ ses erreurs et accept¨¦ le fait qu¡¯elle puisse se repentir.
Elle pourrait crier et pleurer sur sa d¨¦ch¨¦ance, mais pourtant elle acceptait cette existence nouvelle et paisible, sans pour autant ¨ºtre ¨¦panouissante. M¨ºme si cela se limitait ¨¤ contenter de gras et fourbus fonctionnaires qui se curent le nez avant de projeter la crotte jusqu¡¯au tableau de li¨¨ge en attendant leur rasade de th¨¦¡ Et bien, Suranis ¨¦tait redevable ¨¤ la Cit¨¦ et cela ne faisait qu¡¯accentuer son malaise.
Elle se savait malade. Tr¨¨s malade. D¨¦mente. Elle ne connaissait que trop bien la destin¨¦e des personnes affaiblies depuis le vote ¨C ¨¤ la quasi-unanimit¨¦ - des derniers projets de lois. Elle serait remis¨¦e dans un hospice ¨¤ d¨¦faut d¡¯¨ºtre assassin¨¦e (mais n¡¯¨¦tait-ce pas la man?uvre suivante ? Une Cit¨¦ pure qui combattrait les retomb¨¦es n¨¦fastes de la consanguinit¨¦ et des radiations spatiales par la ? mort mis¨¦ricordieuse ?). Elle s¡¯imaginait d¨¦j¨¤ marchant entre les barbel¨¦s, montr¨¦e du doigt alors qu¡¯elle se pr¨¦sentait devant le gentil m¨¦decin ¨¤ l¡¯aiguille remplie ¨¤ ras-bord de tranquillisant ¨C ou pire. Cela finirait par arriver si on d¨¦couvrait que depuis exactement six ans, elle dormait bien mal et que son ¨¦tat empirait d¡¯ann¨¦e en ann¨¦e.
C¡¯en ¨¦tait arriv¨¦ au point o¨´ le trouble s¡¯¨¦tendait si profond¨¦ment au c?ur des vall¨¦es c¨¦r¨¦brales, ondulant sur le fleuve Maboul, qu¡¯il transformait ses moindres rencontres en cauchemars ambulants. Les personnes d¨¦form¨¦es par son esprit voyaient leurs visages de cire fondre avec une lenteur inou?e et sa caboche malheureuse lui susurrait qu¡¯elle ne sombrait pas vers la d¨¦mence. Mais c¡¯¨¦tait faux n¡¯est-ce pas ? S¡¯il y avait un message ¨¤ comprendre de cette foire aux monstres, elle ne le comprenait pas. Tout ce qu¡¯elle comprenait c¡¯est qu¡¯elle d¨¦rapait et qu¡¯elle comptait parmi les ¨¦l¨¦ments d¨¦ficients d¡¯une soci¨¦t¨¦ ¨¤ laquelle elle ¨¦tait fonci¨¨rement redevable. Si elle ne parvenait plus ¨¤ cacher ces distorsions du r¨¦el, elle finirait par se pendre plut?t que de trahir la main qu¡¯on lui avait tendu.
Elle ne pouvait pas se permettre de fl¨¦chir. Elle ne pouvait se permettre d¡¯exister.
Chapitre 32
¡ª Rh¨¦on ! Bouge ton cul, on a de la visite !
Helm¨¹t Ellian ¨¦tait une enflure. Un Sectoriste de premi¨¨re, cette caste m¨¦connue de la Cit¨¦ qui avait fait le choix de ne pas progresser dans les niveaux mais au travers du m¨ºme secteur. Sup¨¦rieur de Suranis, il avait atteint le plus haut niveau de vie qu¡¯il ¨¦tait possible d¡¯avoir dans son secteur et, m¨ºme s¡¯il devait se contenter des barres prot¨¦in¨¦es Baker (le Repas, d¨¦sormais saveur banane), avait en contrepartie un excellent appartement sur la grande rue ¨¤ proximit¨¦ imm¨¦diate de la Maison des Eaux, une entreprise appartenant ¨¤ un haut-fonctionnaire (et quel haut !) comme toutes si on exceptait les rares ind¨¦pendantes.
Le quartier, d¨¨s que l¡¯on d¨¦passait les environs imm¨¦diats de l¡¯entreprise, ¨¦tait tout ce qu¡¯il y avait de plus pourri. On avait tent¨¦ de camoufler les trous dans les murs avec des baches en plastique peintes par des artistes locaux. Le r¨¦sultat ¨¦tait ce qu¡¯il ¨¦tait et gardait habituellement les citoyens les plus honorables loin de ce quartier. Habituellement ¨¦tait bien le mot juste car aujourd¡¯hui, devant le bureau en bois massif qu¡¯Ellian cirait avec une ostentation manifeste (de l¡¯acajou Suranis. A-C-A-J-O-U. C¡¯est rare. Fais gaffe avec ce caf¨¦ quand tu le verses) se tenait un filament bris¨¦. Suranis l¡¯avait d¨¦j¨¤ vu, ¨¤ la t¨¦l¨¦vision. Tout le monde l¡¯avait d¨¦j¨¤ vu. Il boitait un peu depuis qu¡¯il s¡¯¨¦tait fait bris¨¦ une jambe lors de la Crise Sagiste, mais son profil demeurait inchang¨¦. Le c?t¨¦ hautain en moins. Depuis qu¡¯il avait retrouv¨¦ les rangs, Jinn Pertem ¨¦tait devenu un homme du Peuple. Presque un vrai, authentique, bien qu¡¯il prenne d¨¦sormais position pour le Conseil malgr¨¦ son mois d¡¯emprisonnement injustifi¨¦. Il semblait las, ¨¤ la fois conscient de la place qu¡¯il occupait et des laiss¨¦s-pour-compte qu¡¯il semait derri¨¨re lui apr¨¨s avoir pris la d¨¦cision difficile d¡¯arr¨ºter de les prot¨¦ger dans leur ensemble pour s¡¯atteler aux individus singuliers. De petites victoires qui jamais ne m¨¨nerait ¨¤ la grande ¨¤ laquelle il r¨ºvait il y tout juste six ans, mais c¡¯¨¦tait ?a ou rien.
Le politicien d¨¦crocha un sourire, pas automatique mais bien r¨¦el, ¨¤ Suranis sans vraiment la voir. Elle leur apporta le caf¨¦. Ellian se tenait debout, derri¨¨re son bureau et avait toujours cette m¨ºme affreuse d¨¦gaine de l¨¦zard atteint d¡¯ob¨¦sit¨¦ morbide, mais Pertem lui avait un aspect ordinaire. Pas de difformit¨¦ ¨¤ premi¨¨re vue. Une raret¨¦ dans le monde de la femme-¨¤-tout-faire.
¡ª Merci Rh¨¦on, lan?a avec le plus grand respect Ellian. Ce foutu connard hypocrite songea Suranis en quittant le bureau.
Pertem s¡¯empara d¡¯une tasse de caf¨¦ et y trempa les l¨¨vres. Il eut du mal ¨¤ r¨¦primer un vague d¨¦go?t. Le caf¨¦ ¨¦tait une denr¨¦e accessible, le moins cher des luxes, mais le sucre non. Il avait l¡¯habitude de boire son caf¨¦ sucr¨¦, tr¨¨s sucr¨¦, et cette amertume fit un ¨¦cho direct ¨¤ celle qu¡¯il ressentait, sans trop en conna?tre la raison. Depuis des ann¨¦es ?a n¡¯allait pas. Depuis qu¡¯il ¨¦tait revenu du SAGI avec sa jambe bris¨¦e par l¡¯explosion d¡¯un palet. L¡¯odeur de l¡¯air ¨¦lectrifi¨¦ lui revenait parfois la nuit alors qu¡¯il peinait ¨¤ s¡¯endormir et l¡¯image des flaques de sang qui s¡¯¨¦largissaient comme des fleurs rouges pointait aussit?t le bout de son nez. Des roses tomb¨¦es au sol. Des fleurs. Des apparences. C¡¯¨¦tait ce qu¡¯il se disait d¨¨s que tout lui revenait ¨¤ l¡¯esprit. Il avait ¨¦t¨¦ tromp¨¦ par ces gens¡ Mais le pensait-il vraiment avant qu¡¯on ne l¡¯emporte, hurlant, dans cette chambre aseptis¨¦e pour que se jambe soit¡ R¨¦par¨¦e ? Remplac¨¦e plut?t. Il avait une belle proth¨¨se intelligente connect¨¦e via une micro-puce directement implant¨¦e dans son cerveau. Elle n¡¯¨¦tait pourtant pas en si mauvais ¨¦tat, sa bonne vieille jambe, lorsqu¡¯on se d¨¦cida ¨¤ l¡¯amputer mais la nouvelle se montrait particuli¨¨rement efficace. Elle ne grin?ait pas, supportait facilement plus de dix fois son poids et ¨¦tait infatigable tant que la pile qui l¡¯alimentait demeurait charg¨¦e (autonomie estim¨¦e ¨¤ 120 ans, il avait la marge).
D¨¨s qu¡¯il prenait un peu de recul sur cette histoire il se disait que ses sympathies n¡¯allaient vraiment pas vers le Conseil des Pilotes lorsqu¡¯il ¨¦tait arriv¨¦ dans cette salle d¡¯op¨¦ration et qu¡¯elles s¡¯¨¦taient d¨¦velopp¨¦es progressivement quand il en ¨¦tait sorti. Avec lenteur. Comme quoi m¨ºme l¡¯Homme le plus obtus peut ¨ºtre convaincu. Convaincu, et non persuad¨¦, par cette id¨¦e commune qui s¡¯¨¦tait immisc¨¦e et la certitude, presque totale, que le monde tournait comme il le faisait car il ne pouvait en ¨ºtre autrement. Comment avait-il pu imaginer autre chose ? Tout cela ¨¤ cause des mensonges des Sagistes, ¨¤ lui et ¨¤ eux-m¨ºmes, qui faisaient plus de mal que de bien. Mais tout cela ¨¦tait du pass¨¦ car Nate Killian ¨¦tait mort et Jinn Pertem avait r¨¦int¨¦gr¨¦ la Cit¨¦. Il veillait d¨¦sormais ¨¤ faire preuve de p¨¦dagogie et am¨¦liorer, comme il le pouvait, les conditions de vie des travailleurs¡ Et de cela, il en retirait une grande fiert¨¦.
¡ª Monsieur Ellian, je suis ravi que vous ayez pu m¡¯accueillir si vite, dit-il en tendant sa main que le directeur s¡¯empressa de serrer.
¡ª Et le plaisir est mien. Je suis heureux de vous rencontrer.
¡ª Dites-moi tout d¡¯abord, qui ¨¦tait cette femme ? Je jurerais l¡¯avoir d¨¦j¨¤ rencontr¨¦.
¡ª Vous¡ commen?a Ellian, il allait dire ? Vous n¡¯¨ºtes pas ici pour des gueuses dans son genre, n¡¯est-ce pas ? C¡¯est du s¨¦rieux vous¡ Je connais une adresse o¨´¡ ? mais ¨¤ la place de cela il dit : Rh¨¦on, Suranis je crois pour le pr¨¦nom. Une petite main.
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¡ª Je vois, ?a ne me dit rien et je ne vois pas comment j¡¯aurais pu rencontrer quelqu¡¯un de son rang. C¡¯est sans importance¡ Passons, je ne suis pas ici pour cela, comme vous le savez.
Ellian le L¨¦zard le savait. On lui avait demand¨¦ de faire des ¨¦conomies, du moins on lui avait fortement sugg¨¦r¨¦ de le faire et ces satan¨¦s glandeurs d¡¯employ¨¦s avaient relay¨¦ l¡¯information au plus haut niveau. Merde, faire quelques heures suppl¨¦mentaires pour la soci¨¦t¨¦, qu¡¯¨¦tait-ce ? Ces cons devraient ¨ºtre reconnaissant que lui, le bon vieux seigneur Helmut, leur trouve une utilit¨¦ concr¨¨te. Mais voil¨¤, depuis les ¨¦v¨¦nements dans le SAGI et le retour de Pertem ils avaient instaur¨¦ une police ouvri¨¨re. Une fa?ade pour faire taire d¨¦finitivement les ambitions rebelles de certains et cela fonctionnait. Il fallait simplement donner quelques exemples de temps ¨¤ autre et forcer certains ¨¤ d¨¦missionner de leur poste pour ¨ºtre replac¨¦s ailleurs. Souvent cet ailleurs ¨¦tait meilleur en guise de r¨¦tribution pour leur bon et loyal service, mais Ellian lui n¡¯avait aucune foutue envie d¡¯¨ºtre d¨¦plac¨¦. Il ¨¦tait bien ici. Pourtant, il lui sembla que c¡¯est ce qui l¡¯attendait.
Jinn Pertem se dandinait face ¨¤ lui. Ce gars qui avait ¨¦t¨¦ le coup de com¡¯ ultime du Conseil des Pilotes, lui qui faisait r¨¦gner la loi des prolos. Parfois. Il devait ¨ºtre l¨¤ ¨¤ cause de ce petit con de Felthan. Vingt ann¨¦es sans jamais escalader le moindre ¨¦chelon. Un rat¨¦ parmi les rat¨¦s, mais il faisait bien son travail en r¨¨gle g¨¦n¨¦rale et ce jusqu¡¯¨¤ l¡¯accident. Jamais on n¡¯avait song¨¦ ¨¤ le faire progresser d¡¯un ¨¦tage. Il faut dire que si l¡¯ascension ¨¦tait assez rapide dans les niveaux sup¨¦rieurs, elle s¡¯av¨¦rait tr¨¨s contr?l¨¦e dans les castes du bas. Monter d¡¯un ¨¦tage, c¡¯¨¦tait potentiellement devenir l¡¯¨¦lite de demain et les ¨¦lites de demain, les vraies, n¡¯appr¨¦ciaient pas ce m¨¦tissage. De fait, les ascensions sociales demeuraient extr¨ºmement rares et le besoin de se d¨¦barrasser de quelqu¡¯un, pour un plus m¨¦ritant, faible. Mais voil¨¤. Parfois il fallait savoir se d¨¦barrasser des meilleurs ¨¦l¨¦ments, sans tenir compte du fait qu¡¯ils stagnaient ici depuis une ¨¦ternit¨¦ et ¨¦taient devenus des mascottes au sein de l¡¯entreprise¡
Comme Felthan avec son ?il hagard. Si Ellian avait pu ¨¦viter de le virer, il l¡¯aurait fait. L¡¯histoire restait triste. Une vanne avait saut¨¦ alors qu¡¯il inspectait les conduites apr¨¨s le signalement d¡¯une baisse de pression dans un secteur adjacent. ¨¦tait-ce la faute de l¡¯employ¨¦ ? M¨ºme si c¡¯¨¦tait par malchance qu¡¯il avait fini avec une commotion c¨¦r¨¦brale et la machoire d¨¦fonc¨¦e, c¡¯¨¦tait bien par sa faute qu¡¯il se retrouvat ici au mauvais moment. Les barom¨¨tres indiquaient bien trois bars de trop dans les conduites et, au lieu d¡¯abaisser la pression en divers points, le technicien se rendit directement ¨¤ la vanne qui, plut?t que souffler son soulagement, s¡¯¨¦tait d¨¦goupill¨¦e et envol¨¦e. Felthan avait ¨¦t¨¦ gravement bless¨¦ et passa deux semaines dans l¡¯infirmerie de son secteur. Si ?a n¡¯avait ¨¦t¨¦ qu¡¯une blessure tout cela se serait bien pass¨¦, mais Ellian de son c?t¨¦ en ¨¦tait arriv¨¦ ¨¤ la conclusion que Felthan restait l¡¯unique responsable des d¨¦gats ¨¤ la tuyauterie et l¡¯avait fait condamn¨¦ ¨¤ trois mois de travail en solde r¨¦duite. Et ?a, les syndiqu¨¦s n¡¯avaient pas aim¨¦¡ Pas du tout m¨ºme et voil¨¤ donc sa punition pour avoir song¨¦ avant tout ¨¤ la Cit¨¦. C¡¯est comme ?a qu¡¯on le remerciait ! On lui avait demand¨¦ de faire des ¨¦conomies ! Il n¡¯allait pas faire payer la Cit¨¦ pour la faute professionnelle d¡¯un imb¨¦cile !
Il joua franc-jeu :
¡ª Je suppose que c¡¯est pour Nax Felthan ? Comme je l¡¯ai signal¨¦ dans mon rapport il n¡¯a pas respect¨¦ les proc¨¦dures habituelles et ses heures de travail en solde r¨¦duite sont amplement m¨¦rit¨¦es. Je sais cependant que les syndicats sont sur l¡¯affaire¡
Pertem ricana avec m¨¦pris. Bon sang, qu¡¯est-ce qu¡¯il pouvait appr¨¦cier ce nouveau boulot ! Les d¨¦ceptions ¨¦taient finies. Il faisait peu, mais il le faisait. Pendant des ann¨¦es il avait tent¨¦ de cr¨¦¨¦ un monde meilleur pour tous sans comprendre qu¡¯il fallait d¡¯abord commencer par peu. Le ? peu ? qu¡¯il avait choisi ¨¦taient ceux d¡¯en bas, pas de tout en bas (apr¨¨s tout, les mouvements contestataires avaient presque enti¨¨rement disparu), mais ceux qui se levaient pour trimer pour un salaire de mis¨¨re. Des heures et des heures pour quelques cr¨¦dits, aucune reconnaissance et quelques bons de ? ravitaillement ?. ? Bons de ravitaillement ?, c¡¯est-¨¤-dire que leur salaire partait dans leur logement et le reste¡ Ils mangeaient grace au bon d¨¦sir du gouvernement, ils le savaient et continuaient ¨¤ le suivre aveugl¨¦ment. Bien entendu, avec un peu de recul ils se seraient rendus compte que c¡¯¨¦tait ce m¨ºme gouvernement qui leur donnait un salaire insuffisant mais encore une fois : cette lutte serait pour plus tard. Jinn Pertem y croyait dur comme fer bien qu¡¯il ignorait alors que ce ? plus tard ? n¡¯arriverait jamais. Sa reprogrammation id¨¦alisait ce moment mais ne le rendait jamais assez attractif pour franchir le pas. Juste ce qu¡¯il fallait pour avoir sous la patte un chevalier-servant pour les causes perdues et tout le monde ¨¦tait heureux. Personne ne savait, qu¡¯au final, tout cela restait du pipeau.
Jinn Pertem reprit possession de ses moyens et de son m¨¦pris galopant pour s¡¯exprimer :
¡ª Exact. Je viens pour Nax Felthan. Mais je veux savoir si votre d¨¦cision n¡¯¨¦tait pas motiv¨¦e par¡ Disons d¡¯autres raisons.
¡ª Mais tout ceci s¡¯inscrit dans le droit du travail ! s¡¯indigna Ellian.
¡ª De quel droit du travail parlons-nous ? Bien de celui que vous avez bafou¨¦ ?
Ellian avait pourtant partiellement raison. Il l¡¯aurait eu totalement six ans auparavant, avant que tout ne change. Le droit du travail avait ¨¦t¨¦ bafou¨¦ au profit des travailleurs. Une petite victoire pour le SAGI contre une centaine de morts qui ne pourraient jamais en profiter. Ce n¡¯¨¦tait pas le monde tant esp¨¦r¨¦ par Nate Killian et ses amis mais juste une accalmie qui ne durerait pas. Le Conseil des Pilotes ¨¦tait pass¨¦ en mode social, mais pour combien de temps encore ? Pertem finirait par mourir, on finirait par restreindre certains droits fra?chement acquis comme ¨C disons - les indemnisations apr¨¨s valorisation de son poste. Cinq cent cr¨¦dits offerts ¨¤ tout citoyen qui progresserait dans les honorables rangs, cinq cent qui lui permettaient de survivre au choc financier que repr¨¦sentait le passage d¡¯un ¨¦tage ¨¤ l¡¯autre. Et bien, on finirait par passer ¨¤ du quatre cent cr¨¦dits, puis trois cent¡ Puis viendrait le moment o¨´ on recommencerait ¨¤ refuser les promotions sous pr¨¦texte qu¡¯on ne pouvait pas vivre dans un taudis en attendant sa premi¨¨re paie. Ainsi en irait-il de toutes les nouvelles aides qui n¡¯¨¦taient que des pansements pour stopper l¡¯effusion de col¨¨re et qu¡¯on retirerait d¨¨s que la masse sociale aura coagul¨¦e avant que ne viennent les points de suture d¨¦finitifs.
Tout cela, le Pertem d¡¯il y a six ans l¡¯aurait saisi mais le nouveau, transform¨¦ et abruti, non. Pour celui-ci, exiger le transfert d¡¯un chef d¡¯entreprise pourri ¨¦tait la plus grande des victoires. Jamais il n¡¯aurait pens¨¦ pouvoir avoir plus.
Chapitre 33
Suranis rentra particuli¨¨rement t?t du travail, troubl¨¦e par une raison qu¡¯elle ignorait. La visite impromptue de Jinn Pertem, le regard qu¡¯ils s¡¯¨¦taient ¨¦chang¨¦s, avait malmen¨¦ davantage une vie qui n¡¯aurait pu l¡¯¨ºtre davantage. Il y avait eu dans ces yeux une expression presque fraternelle qui lui donna envie de s¡¯enfuir avec lui. Elle se sentit plus en paix avec elle-m¨ºme pendant la nanoseconde que dura l¡¯¨¦change qu¡¯au cours des deux derni¨¨res ann¨¦es o¨´ les choses avaient vraiment commenc¨¦ ¨¤ d¨¦raper.
Pourtant, elle ne l¡¯avait pas fait et continuait de slalomer entre ses tracas quotidiens. Parmi eux, le plus grand de tous - qui n¡¯en ¨¦tait cependant pas un au d¨¦part ou alors ne le remarqua-t-elle pas ¨C ¨¦tait son petit-ami. Elle n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ tr¨¨s ¨¤ l¡¯aise avec lui, l¡¯aimait assur¨¦ment, et la r¨¦ciproque s¡¯av¨¦rait certainement fausse. Ils partageaient ensemble un appartement minuscule donnant sur une ruelle commer?ante bruyante et envahie par les boutiques de pr¨ºt-¨¤-porter de mauvaise facture et les grands, sublimes, restaurants aux ¨¦pices. De l¡¯illusion ¨¤ perte de vue, celle du go?t et de la vue mais finalement n¡¯¨¦tait-ce pas ¨¤ cela que la vie pouvait se r¨¦sumer lorsqu¡¯elle ¨¦tait moche ?
Celle de Suranis l¡¯¨¦tait parfois, acceptable le reste du temps. Elle d¨¦viait vers des tr¨¦fonds de tourments quand elle passait du temps aux c?t¨¦s de Perth. Elle ¨¦vitait de trop penser aux sentiments qu¡¯elle ¨¦prouvait pour lui. Ils ¨¦taient si peu naturels qu¡¯elle tentait de les saisir depuis le d¨¦part et elle n¡¯y parvenait pas. Quand tout commen?a, la flamme naissante lui avait fait croire bien des choses, mais d¨¦sormais elle doutait que cette relation soit saine. Malgr¨¦ cela sa conscience obtuse lui susurrait que la seule id¨¦e de le voir dispara?tre serait insupportable et elle ne parvenait pas ¨¤ le fuir malgr¨¦ les conclusions rationnelles auxquelles elle ¨¦tait arriv¨¦e.
Premi¨¨rement, elle savait ¨C et comprenait le raisonnement ¨C que quiconque voyait Perth Bickhorn pour la premi¨¨re fois voyait en lui une enflure. En second lieu, il d¨¦veloppait invariablement un tel d¨¦go?t pour la personne qu¡¯il en venait ¨¤ l¡¯imaginer pendant au bout d¡¯une corde dans l¡¯heure suivante. Pour finir, l¡¯impression g¨¦n¨¦rale laiss¨¦e par le bonhomme rendait incompr¨¦hensible qu¡¯une fille ¨¤ la finesse d¡¯esprit remarquable - telle que Suranis - se soit ¨¦prise de lui et que, par extension, elle devait ¨ºtre masochiste.
Pour ce dernier point, qui questionnait ¨¦galement Suranis, ils faisaient tous erreur. Il n¡¯y avait pas une once de masochisme en elle, mais simplement une relation impos¨¦e par le service de r¨¦insertion sociale qui avait besogn¨¦ des semaines durant sur son sujet, int¨¦grant de faux affects et souvenirs avec l¡¯insatiable mantra : ? Perth Bickhorn est l¡¯homme de ma vie, je lui dois enti¨¨re ob¨¦issance ?. Finalement, son r?le se cantonnait ¨¤ celui de cobaye et Perth ¨¤ celui d¡¯analyste malsain qui jouait le r?le qu¡¯on lui avait attribu¨¦. Cette mascarade durait depuis trop longtemps.
L¡¯amour terrifi¨¦ qu¡¯elle ¨¦prouvait pour lui fut renvoy¨¦ aux oubliettes lorsqu¡¯elle franchit les portes de leur appartement en d¨¦posant sa veste sur la pat¨¨re de porte. Perth ¨¦tait avachi sur le canap¨¦ et lui lan?a un regard noir :
¡ª Bordel, tu rentres t?t aujourd¡¯hui. J¡¯esp¨¨re que tu ne t¡¯es pas faite vir¨¦e, s¡¯amusa-t-il devant son air de souris affol¨¦e.
¡ª Ne t¡¯inqui¨¨tes pas Perth, tout va bien, lui r¨¦pondit-elle avant de l¡¯embrasser et, comme d¡¯habitude, il ¨¦courta autant que possible le baiser ¨¤ son grand soulagement.
¡ª Parfait dans ce cas. Je suis content pour toi¡ mais rends-toi utile et vas me chercher une bi¨¨re au frigo si tu le veux bien.
Suranis hocha la t¨ºte, un sourire poli aux l¨¨vres. Une ? tache-de-la-plus-haute-importance ? qui l¡¯¨¦loignait de lui. Pour autant, elle serait bien rest¨¦e aux c?t¨¦s de cet homme qui, aujourd¡¯hui, poss¨¦dait une apparence normale c¡¯est-¨¤-dire celle d¡¯un homme ordinaire pourvu d¡¯une belle verrue sur la joue. Il n¡¯affichait pas l¡¯apparence d¡¯une cr¨¦ature immonde et une joie sourde vint mordre ses tripes. Elle avait remarqu¨¦ que les jours comme celui-ci il ¨¦tait tr¨¨s rare qu¡¯il s¡¯en prenne ¨¤ elle. Disons qu¡¯elle avait d¨¦velopp¨¦ une sorte de second sens tout aussi d¨¦rangeant que l¡¯amour irrationnel qu¡¯elle lui vouait et que celui-ci se manifestait via des m¨¦tamorphoses approuv¨¦es par son esprit d¨¦glingu¨¦.
Elle s¡¯accroupit devant le frigo, l¡¯explorant ¨¤ la recherche de la derni¨¨re canette de bi¨¨re. Il ¨¦tait hors de question de qu¨¦mander une lichette, bien qu¡¯il s¡¯agisse de sa marque pr¨¦f¨¦r¨¦e. Elle la saisit et l¡¯ouvrit avant de la tendre ¨¤ Perth qui se l¡¯enquilla en matant les informations. Au moins, quand il ¨¦tait occup¨¦ ¨¤ boire affal¨¦ devant le poste, il n¡¯avait pas envie d¡¯elle et tant mieux car elle non plus n¡¯en avait pas envie. Elle n¡¯avait jamais envie de lui, ce n¡¯¨¦tait pas ce genre d¡¯amour qu¡¯elle ressentait pour Perth qui initiait toujours l¡¯acte, peut-¨ºtre une fois par semaine lorsqu¡¯il s¡¯emmerdait.
¡ª Grmpf, grommela-t-il, sa fa?on de remercier.
¡ª Je vais me reposer dans la chambre, la journ¨¦e a ¨¦t¨¦ longue.
¡ª Pas si longue, remarqua Perth sans quitter le speaker des yeux.
Elle s¡¯¨¦clipsa sans prononcer un mot de plus et rejoint leur chambre. Une belle et triste chambre aux draps propres, chang¨¦s du matin ¨C comme trois fois par semaine, elle d¨¦testait/adorait avoir son odeur la nuit. ?a lui permettait de retrouver un lit neutre le soir, mais elle n¡¯avait jamais os¨¦ expliquer sa lubie ¨¤ Perth, de peur qu¡¯il la frappe. Quoi qu¡¯il en soit, il appr¨¦ciait dormir dans un lit propre et ne la questionnait jamais ¨¤ ce sujet.
Face au lit, un autre poste de t¨¦l¨¦vision tr?nait. L¡¯appartement en ¨¦tait parsem¨¦ comme d¡¯autres objets de confort. Le couple croulait sous les cr¨¦dits grace ¨¤ une myst¨¦rieuse enveloppe que recevait Perth tous les mois soit disant pour ? blessures au cours d¡¯un service citoyen ?. Elle saisit la t¨¦l¨¦commande et alluma le poste qui, comme ¨¤ son habitude, parla plus fort que ne parlait d¨¦j¨¤ son esprit. De tous les moments de la journ¨¦e, ?a devait ¨ºtre celui qu¡¯elle appr¨¦ciait le plus surtout apr¨¨s s¡¯¨ºtre coltin¨¦e un Helmut angoiss¨¦ par la visite de Pertem. L¡¯¨¦cran gr¨¦silla, mena?ant de s¡¯¨¦teindre ¨C ils ¨¦taient pourtant cabl¨¦s ! ¨C avant de se stabiliser sur le front large et rubicond de H?llman. Toujours les m¨ºmes blagues douteuses et le sourire en facettes. Il en ¨¦tait ¨¤ l¡¯instant promotion pour un nouveau groupe de rock. Cela fit sourire Suranis qui, dans sa jeunesse, aimait ¨¦couter les ? classiques terrestres ? avec un penchant prononc¨¦ pour le XX¨¨me si¨¨cle. Elle se souvenait avoir entendu un cow-boy hurlant, convaincu par tous les dieux, que le rock¡¯n roll ne mourait jamais. Si le m¨ºme type - d¨¦c¨¦d¨¦ bien avant que l¡¯Homme ne foute les pieds hors du syst¨¨me solaire ¨C avait appris que des mill¨¦naires plus tard, des rockers en longues robes noires continueraient ¨¤ swinguer sur sc¨¨ne, il aurait fix¨¦ les Appalaches ¨¤ l¡¯horizon et le soleil d¨¦clinant avec dans l¡¯id¨¦e qu¡¯il restait encore des temporalit¨¦s appr¨¦ciables ¨¤ son ¨¦chelle.
Le groupe dont il ¨¦tait question versait davantage dans le punk que le rock, bien que les influences soient notables. Suranis n¡¯avait pas saisi le nom, arriv¨¦e trop tard, mais voyait aussi bien le logo (une tomate souriante) qu¡¯elle entendait les extraits. Des sons saccad¨¦s, scarifi¨¦s, une violence pure et un dernier cri de contestation mollassonne, plus pour la forme qu¡¯autre chose. Bient?t, de tels groupes n¡¯existeraient plus songea-t-elle, non pas ¨¤ cause de la r¨¦pression que de l¡¯affect unissant le Citoyen ¨¤ la Cit¨¦ et au Conseil. Peut-¨ºtre ¨¦tait-elle en train d¡¯assister ¨¤ la derni¨¨re repr¨¦sentation polic¨¦e de la col¨¨re populaire dont s¡¯¨¦tait empar¨¦e des privil¨¦gi¨¦s en qu¨ºte de reconnaissance. C¡¯est du moins l¡¯impression qu¡¯elle eut lorsque le leader du groupe, un pseudo-punk ¨¤ l¡¯iroquoise orang¨¦e, pris la parole pour parler du visuel du groupe en r¨¦ponse ¨¤ H?llman :
¡ª Une putain de bonne question Yuri ! fit le leader ce qui provoqua un ricanement de son bassiste.
¡ª C¡¯est la question que nous nous posons tous. Votre musique pulv¨¦ris¨¦e donne l¡¯impression d¡¯un ketchup et je ne vois pas d¡¯autre point en commun entre des tomates heureuses et vous, r¨¦pondit le pr¨¦sentateur avec deux dagues enfonc¨¦s dans les orbites.
Visiblement, il n¡¯appr¨¦ciait gu¨¨re le groupe et s¡¯en foutait royalement. Suranis cracha entre ses dents et le leader, soit ignorant l¡¯insulte soit refusant de donner ¨¤ H?llman ce qu¡¯il attendait, reprit avec calme :
¡ª Pas si loin de la r¨¦alit¨¦ ! Avec Jon, le cofondateur du groupe, nous ¨¦tions en train de zoner lorsque le SAGI a ¨¦t¨¦ envahi, alors nous n¡¯avons pas vu la diffusion. Mais les photos prises apr¨¨s, ouais. Elles ¨¦taient partout sur le r¨¦seau. On est tomb¨¦ sur celle d¡¯un potager ravag¨¦ pendant l¡¯¨¦vacuation et ?a nous a un peu foutu la gerbe¡ Si vous me permettez l¡¯expression ? Ces plants ¨¦cras¨¦s c¡¯¨¦tait bien plus qu¡¯un simple moyen de subsistance. C¡¯¨¦tait un condens¨¦ d¡¯utopie dans une Cit¨¦ qui ne nous permet pas une telle diversit¨¦ quand il s¡¯agit de bouffer, mais c¡¯¨¦tait une utopie na?ve et ¨¦go?ste. Ne pensait pas que nous d¨¦sapprouvons ces r¨¦alisations, les utopies sont des moteurs d¡¯¨¦volution qui guident souvent bien loin de leur esp¨¦rance. Le SAGI aurait pu mieux faire s¡¯il avait ¨¦t¨¦ plus inclusif, moins centr¨¦ sur la lutte des classes. Des Marxistes, voil¨¤ ce que c¡¯¨¦tait ! Mais tout un chacun appartient ¨¤ notre soci¨¦t¨¦, y compris les bourges. Bref, les tomates souriantes c¡¯est¡ dit-il, mais il ne put finir sa phrase car Suranis venait de couper le son.
Une utopie na?ve et ¨¦go?ste, int¨¦grons la bourgeoise au passage. Pas si contestataire finalement. Ils avaient r¨¦cup¨¦r¨¦ l¡¯¨¦vacuation pour s¡¯en servir comme exemple dans leur ersatz de philosophie artistique. Suranis avait aussi vu les photographies et elle ne jugeait pas qu¡¯il s¡¯agisse-l¨¤ des restes d¡¯une utopie na?ve et ¨¦go?ste. Elle revoyait la sc¨¨ne, ce liquide rouge et poisseux r¨¦pandu par les plants de tomates malmen¨¦es (du sang). ¨¤ l¡¯¨¦poque, elle aussi n¡¯avait pas regard¨¦ la diffusion de l¡¯¨¦vacuation en direct, mais elle avait lu le r¨¦sum¨¦ journalistique et appris que ?a avait vir¨¦ ¨¤ l¡¯affrontement (au massacre, l¡¯¨¦lastique a c¨¦d¨¦. Le monde corrod¨¦ nettoy¨¦ et la salet¨¦ ¨¦limin¨¦e).
Et voil¨¤ que ce groupe, ces bobos qui auraient fait mieux que les Sagistes ¨C avec intelligence selon leur dire ¨C remettaient face ¨¤ elle les ¨¦v¨¦nements du pass¨¦. Ils agitaient des fant?mes sans proposer d¡¯alternatives, seulement une consid¨¦ration pragmatique : les utopies sont faites pour mourir et exploser (comme Nesta s¡¯¨¦coulant dans la rigole). Au fond, Suranis ¨¦tait persuad¨¦e que non, ce n¡¯¨¦taient que des conneries. Ils avaient manqu¨¦¡
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Manqu¨¦ quoi au juste ? Une violente migraine s¡¯empara d¡¯elle, comme toutes les fois o¨´ le SAGI apparaissait. Toutes les fois ¨¦galement o¨´ ces m¨ºmes images lui revenaient ¨¤ l¡¯esprit : Nesta pulv¨¦ris¨¦e, Nate blanc comme la mort, djinn n¨¦ dans les flammes et mort dans les gaz. Elle ignorait d¡¯o¨´ pouvaient provenir ces noms et ces visages inconnus. Elle les connaissait, voil¨¤ tout. Ils renvoyaient ¨¤ une p¨¦riode charni¨¨re de sa vie ¨¤ partir de laquelle tout avait chang¨¦. Peu de temps apr¨¨s l¡¯invasion polici¨¨re du SAGI, elle devait rencontrer Perth. Elle aimait boire et ce bar qui s¡¯apparentait ¨¤ une guinguette lui revint. Avec une amie, elles y entr¨¨rent. Avec le recul, elle devait se souvenir qu¡¯elle d¨¦testait ce genre d¡¯¨¦tablissements, trop chers, trop m¡¯as-tu-vu et si elle s¡¯¨¦tait tenue ¨¤ sa mauvaise impression premi¨¨re elle n¡¯aurait jamais fait la connaissance de son doux tortionnaire.
Oui, mais voil¨¤. La bi¨¨re locale t¡¯a fait de l¡¯?il. Tu y as laiss¨¦ un rein, c¡¯¨¦tait d¨¦gueulasse et les conversations autour de toi empestaient de complaisance.
Mais les gens n¡¯y venaient pas pour la bi¨¨re. Les enchignonn¨¦s aux chinos d¨¦lav¨¦s encha?naient les spritz ¨¤ la table d¡¯¨¤ c?t¨¦. Seul un type sortait du lot, un grand aux cheveux d¡¯un noir si profond que la lumi¨¨re semblait l¡¯¨¦viter par sa seule volont¨¦. Ses yeux ¨¦taient d¡¯un bleu intense, sa voix grave, sa verrue encore jeune comme son alcoolisme. Pour ce dernier point, elle y avait contribu¨¦ en ricanant ¨¤ ses c?t¨¦s, pression apr¨¨s pression. Puis la suite¡ Ils s¡¯¨¦taient aim¨¦s avant que tout ne d¨¦g¨¦n¨¨re vers la violence ordinaire. Suranis se persuadait que c¡¯¨¦tait de sa faute, Perth, d¡¯une certaine fa?on, pensait que c¡¯¨¦tait la sienne. La petite-amie qu¡¯on lui avait impos¨¦ l¡¯¨¦c?urait ce qui ne l¡¯emp¨ºchait pas d¡¯accomplir son devoir conjugal ¨¤ l¡¯occasion. Apr¨¨s sa blessure, on lui avait propos¨¦ de tenir deux ans en compagnie d¡¯une Sagiste avant qu¡¯une retraite plus que g¨¦n¨¦reuse et que le ? divorce ? n¡¯arrivent (il refusait de creuser davantage ce que cela sous-entendait). Histoire de v¨¦rifier que le conditionnement restait entier, m¨ºme sous les effets d¡¯un stress intense et le brave Bickhorn avec ses ant¨¦c¨¦dents de violence ¨¦tait le candidat id¨¦al, surtout depuis qu¡¯il ¨¦tait revenu du SAGI avec une jambe explos¨¦e.
¨¦videmment, Suranis ne savait rien de cela. Le programme de r¨¦insertion du Conseil demeurait le plus grand des secrets et jamais n¡¯aurait-elle pu penser qu¡¯elle ¨¦tait le cobaye d¡¯une cruelle exp¨¦rience. Elle voyait simplement que leur relation battait de l¡¯aile. Oh, elle avait bien tent¨¦ de reconqu¨¦rir un amour qu¡¯on ne pouvait d¨¦cemment briser ¨C mais pourquoi ? Qui sait. Elle s¡¯¨¦tait dit qu¡¯un rencard ¨¤ l¡¯ancienne, dans le bar de leur rencontre, serait le meilleur moyen de lui rappeler que fut un temps o¨´ ils avaient ¨¦t¨¦ heureux. H¨¦las, pareil bar n¡¯existait pas. Personne dans l¡¯unit¨¦ r¨¦sidentielle n¡¯en poss¨¦dait le moindre souvenir. Elle avait pourtant ¨¦cum¨¦ le quartier de fond en comble.
Sa recherche remontait ¨¤ tout juste deux ans, Perth lui avait demand¨¦ o¨´ elle ¨¦tait pass¨¦e et Suranis n¡¯osa pas lui avouer qu¡¯elle souhaitait lui proposer un rencard ¨C l¡¯id¨¦e folle ¨C dans un endroit important pour eux deux. Son petit-ami sous CDD, en r¨¦ponse, avait pris grand plaisir ¨¤ lui raconter l¡¯histoire d¡¯une femme adult¨¨re s¡¯¨¦tant faite coup¨¦e l¡¯entrecuisse par son mari pour ¨ºtre certain que, si elle recommence, elle puisse accueillir deux amants d¡¯un seul coup¡ ? Parce que, vois-tu Suranis, les femmes sont des salopes, mais pas toi, du moins je l¡¯esp¨¨re ? et il avait dit cela avec un rictus d¨¦ment, m¨¦chant. Elle ne s¡¯¨¦tait pas effondr¨¦e en larmes, terrifi¨¦e, mais comprit que Perth la poursuivrait si elle tentait de fuir¡ mais avait-elle une raison de fuir ? Oui et non.
Tu n¡¯en sais rien ma petite. Rien du tout. Ce n¡¯est pas un djinn. Lui pourrait te pister, te retrouver, boire un caf¨¦ avec ton employeur, te sourire, t¡¯oublier de nouveau¡ Tu ne peux pas le fuir ¨¤ lui.
Djinn. Cette cr¨¦ature lui parut alors bien plus r¨¦elle que toutes ces derni¨¨res ann¨¦es r¨¦unies. Plus r¨¦elle que Perth, Helmut et que toute la clique. Plus r¨¦elle que la guinguette et ses enchignonn¨¦s. Parce que lui, il appartenait au vrai monde, celui qui disparut six ann¨¦es auparavant et depuis lors tout ¨¦tait faux.
Non, tu deviens tar¨¦e. Totalement tar¨¦e¡ Tu ne le connais pas. Trop vu sur les ¨¦crans oui, certainement.
Elle se retourna sur le lit conjugal, ferma les yeux comme les poings. Un souvenir poignant revint ¨¤ la surface, lui qui ¨¦tait rest¨¦ pi¨¦g¨¦ entre les sillons trac¨¦s par les termites c¨¦r¨¦braux. Une rose se d¨¦pliait, ses p¨¦tales s¡¯ouvraient sur le b¨¦ton, si belle et triste ¨¤ la fois. Ses lignes s¡¯¨¦tendaient au-del¨¤ du parterre froid, enla?aient les arbres s¨¦culaires aux reflets ternes d¡¯h¨¦matite et au sommet de l¡¯un d¡¯eux br?lait la figure singuli¨¨re d¡¯une flamme qui montait plus haut, aux confins du visible. Elle disparaissait par le faux plafond, caressait le roc nu de l¡¯ast¨¦ro?de et s¡¯infiltrait dans les veines, remontant toujours plus haut¡ Bien plus haut qu¡¯elle ne pouvait le concevoir. La flamme ¨¦tait importante. La flamme ¨¦tait v¨¦rit¨¦. Elle rouvrit les yeux et des lettres papillonn¨¨rent devant elle comme si elles se trouvaient dans une all¨¦e illumin¨¦e plong¨¦e dans la brume. P¡ P¡ ?g¨¦. Malmen¨¦. Perth ? Non, ce P l¨¤ appartenait au vrai monde. ? Pertem ! ? souffla-t-elle en se relevant, la frange battant devant ses yeux. Ce djinn Pertem, le sentiment qu¡¯elle ressentit en le croisant s¡¯apparentait ¨¤ de l¡¯amiti¨¦ et elle ¨¦tait v¨¦ritable. D¡¯o¨´ le connaissait-elle ? Elle n¡¯en avait aucune id¨¦e, mais l¡¯homme lui paraissait plus r¨¦el que tout ce qu¡¯elle avait connu ces derni¨¨res ann¨¦es. Une id¨¦e folle ¨¦mergea en elle, mais folle ne l¡¯¨¦tait-elle pas d¨¦j¨¤ et ainsi lui parut-elle tout ¨¤ fait sens¨¦e. Et si tout avait vir¨¦ apr¨¨s le SAGI ? Si quelque chose s¡¯¨¦tait d¨¦roul¨¦ l¨¤-bas ? Apr¨¨s tout, Jinn Pertem avait ¨¦t¨¦ sur place, il pourrait l¡¯¨¦clairer et en retour elle pourrait lui rendre la pareil.
Elle ¨¦clata franchement de rire ¨¤ cette pens¨¦e. Elle devenait tar¨¦e. Pertem la rembarrerait puis appellerait les services de sant¨¦. Les h¨¦ros en blanc pourraient l¡¯aider ¨¤ fuir Perth Bickhorn, c¡¯¨¦tait d¨¦j¨¤ ?a. Elle se souvint que ce dernier ¨¦tait ¨¤ c?t¨¦, certainement alert¨¦ par les rires. Elle regarda la porte, s¡¯attendant ¨¤ le voir surgir, d¨¦rang¨¦, mais il n¡¯en fit rien et se contenta de jeter par-del¨¤ la mince cloison :
¡ª Qu¡¯est-ce qui se passe ?
¡ª Rien du tout, bafouilla-t-elle. Je me suis souvenu de quelque chose.
Elle allait le faire et sortit dans la pi¨¨ce ¨¤ vivre. Son presque mari n¡¯avait pas quitt¨¦ son poste, tass¨¦ au milieu des miettes de biscuits et des taches de bi¨¨re, le regard vaseux fix¨¦ sur la t¨¦l¨¦. L¡¯ivresse avait gagn¨¦ du terrain. Elle s¡¯approcha de la pat¨¨re, ¨¤ l¡¯entr¨¦e, pour saisir sa veste. Perth d¨¦tourna son attention de la t¨¦l¨¦ :
¡ª D¡¯abord on s¡¯¨¦clate seule dans la chambre et maintenant on se tire ? demanda-t-il avec suspicion.
¡ª Ce n¡¯est rien. Je me suis rendu compte que j¡¯avais oubli¨¦ quelque chose au boulot. Je crois que je suis un peu stress¨¦e en ce moment¡
Il reposa sa cannette avec froideur. Son humeur contenue dans la trace de sa poigne sur l¡¯aluminium. Il allait se lever et venir ¨¤ elle. Suranis le savait. Elle voulut reposer sa veste et se r¨¦pandre en excuse, mais son corps ne lui ob¨¦it pas. Elle l¡¯enfila ce qui fit virer Perth.
¡ª Mon cul ce n¡¯est rien ! hurla-t-il avec violence. Je trouve que tu passes beaucoup de temps au bureau en ce moment, qu¡¯est-ce que c¡¯est que ces conneries ? Bon, d¡¯accord, pas aujourd¡¯hui, mais d¡¯o¨´ te vient cette envie soudaine d¡¯y retourner ?! Tu as quelqu¡¯un ? C¡¯est ?a ?
Dans sa voix, il y avait une trace d¡¯espoir. Suranis ne pouvait voir personne, les g¨¦nies de la r¨¦insertion lui avaient assur¨¦, mais Perth lui¡ Perth n¡¯attendait que ce moment pour lui sauter ¨¤ la gorge, la battre, refouler sur elle la tache ignoble dont on l¡¯avait affubl¨¦ et ¨¤ cause de laquelle il partageait sa couche avec une connasse de gaucho reconvertie. Fin de l¡¯exp¨¦rimentation, voyez-bien que votre conditionnement n¡¯a servi ¨¤ rien.
Les yeux de Suranis se voil¨¨rent, mais elle tint bon :
¡ª Absolument pas ! s¡¯offensa-t-elle. Nous avons un probl¨¨me au bureau, on a pris du retard sur le traitement du dossier de ce type qui s¡¯est bless¨¦. Tu sais¡
¡ª Naxouille l¡¯Andouille ? dit-il en sifflant entre ses dents, l¡¯air l¨¦g¨¨rement apais¨¦ par cette explication.
¡ª Nax Felthan oui. Un grand ponte est sens¨¦ passer demain pour s¡¯occuper de tout ?a.
Au moins la partie sur le grand ponte sens¨¦ passer ¨¦tait-elle vraie. Sauf qu¡¯il ¨¦tait pass¨¦ aujourd¡¯hui et que c¡¯est lui que Suranis voulait voir.
¡ª Oh ! Tiens donc, je pensais que tu avais oubli¨¦ quelque chose¡ C¡¯est toi qui g¨¨re les dossiers d¨¦sormais ? Tu as pris du galon ?
¡ª Je¡ Non ! C¡¯est juste qu¡¯Ellian m¡¯a demand¨¦ de faire des photocopies avant de rentrer chez nous et¡
¡ª FERME-LA ! Tu vas me raconter quoi ensuite ? Qu¡¯il te faudra contresigner tous les exemplaires pour ce petit syndiqu¨¦ ¨¤ la con ?
Suranis ne lui raconta rien de plus. Elle se referma quand elle vit Perth se lever et s¡¯approcher d¡¯elle. Il avait les m¨ºmes yeux exorbit¨¦s que la fois o¨´ il lui avait tordu les doigts si fort qu¡¯elle avait d? porter une attelle et que son index n¡¯avait jamais vraiment repris son apparence normale. ¨¤ deux pas d¡¯elle, elle sentit son haleine puant la bi¨¨re. Son apparence commen?ait ¨¤ fluctuer et la terreur s¡¯instilla en Suranis, ce qui d? lui plaire car il ouvrit grande sa bouche de crapaud ¨¦dent¨¦ :
¡ª C¡¯est simple Suranis, tu vas rester ici¡ dit-il avec suavit¨¦. Le boulot peut attendre demain, n¡¯est-ce pas ? De toute fa?on, tu ne comptes pas me d¨¦sob¨¦ir ? On peut s¡¯amuser un peu¡ Hein ?
M¨ºme bourr¨¦ il arrivait ¨¤ bander et ce n¡¯¨¦tait pas par app¨¦tit sexuel. Oh, elle ne le connaissait que trop bien et ne d¨¦cocha pas un seul regard. Elle lui d¨¦crocherait bien son genou dans les couilles cependant s¡¯il venait ¨¤ s¡¯approcher¡
C¡¯est nouveau ?a¡ Crapouillaud peut aller se branler, se dit-elle en regrettant de ne pouvoir assumer ses volont¨¦s tr¨¨s momentan¨¦es.
¡ª Je suis d¨¦sol¨¦e, murmura-t-elle, ses yeux allant de la poign¨¦e ¨¤ la main de Perth qui gardait toujours la trace de sa cannette comme si elle avait ¨¦t¨¦ molle. Mais ?a ne peut pas attendre, je risque d¡¯¨ºtre mise ¨¤ pied¡ C¡¯est trop important.
¡ª Le boulot, ¨¦videmment ! r¨¦pondit Perth.
Son sourire carnassier s¡¯¨¦largissait ¨¤ vue de nez. Bient?t des crocs commenceraient ¨¤ perler d¡¯une bouche qui en ¨¦tait d¨¦munie. Perth ¨¦tait comme ?a, ¨¤ appr¨¦cier le plaisir violent avant m¨ºme que celui-ci ne d¨¦bute.
Aujourd¡¯hui cependant il semblait ¨ºtre d¡¯une humeur un peu meilleure que celle habituelle et, surtout, il demeurait un fonctionnaire soucieux du bon fonctionnement des institutions. Suranis sachant cela se permit d¡¯insister¡ mais elle lui avait mentit et pour la premi¨¨re fois de leur relation elle se sentait en position de force.
¡ª Je t¡¯assure, c¡¯est important¡ dit-elle en relevant les yeux.
¡ª OK alors, si c¡¯est vraiment pour le boulot¡ Va donc, mais si je sens l¡¯odeur d¡¯un autre ou que je d¨¦couvre que tu m¡¯as menti¡ la pr¨¦vint-il.
¡ª Oui. C¡¯est vraiment pour cela Perth.
Suranis avait une voix terne. R¨¦sign¨¦e et domin¨¦e en apparence. Et Perth adorait ?a. Son visage se d¨¦tendit, ses traits reprirent une vague apparence humaine ¨¤ peine plus plaisante que celle qu¡¯il venait d¡¯afficher et il s¡¯¨¦carta en lui ouvrant la porte.
¡ª Les ciseaux, coupe-coupe ma ch¨¦rie, lui rappela-t-il.
Un homme particuli¨¨rement galant.
Chapitre 34
Le travail n¡¯attendait pas et Jinn Pertem de m¨ºme. Il reposa consciencieusement sa tasse de caf¨¦ vide. Le directeur ¨¤ la sauvette le regarda avec une haine tout juste contenue :
¡ª Merci infiniment pour ce caf¨¦ mais je dois d¨¦sormais partir. Je demanderais ¨¤ mes ¨¦quipes d¡¯envoyer un r¨¦capitulatif de ce qui vous attend ¨¤ vous et ¨¤ Felthan, dit-il en d¨¦chirant son visage d¡¯un sourire crisp¨¦.
Une victoire. Jinn avait ador¨¦ voir l¡¯homme se d¨¦composer avec le reclassement qui se profilait devant lui. L¡¯horreur avait laiss¨¦ place ¨¤ la consternation face aux indemnit¨¦s qu¡¯il devrait verser ¨¤ l¡¯ouvrier bless¨¦.
Lorsqu¡¯il quitta le bureau il crut entendre des sanglots ¨¦touff¨¦s. Le directeur allait sans doute appeler son sup¨¦rieur qui l¡¯enverrait pa?tre. Gern Fulcr?ne n¡¯¨¦tait pas du genre ¨¤ tergiverser avec la justice, surtout depuis qu¡¯en plus d¡¯¨ºtre un entrepreneur talentueux il ¨¦tait aussi haut-commissaire ¨¤ la FPCP. Il lui confirmerait, qu¡¯en effet, il ne remettrait pas les pieds dans ses locaux et prendrait la direction d¡¯une nouvelle succursale le lendemain¡ En J. ? Je vous assure, c¡¯est un parachute dor¨¦ que je vous offre ! Un nouvel emploi et une petite enveloppe pour vous aider. Des questions ? ? demanderait Fulcr?ne et Helm¨¹t Ellian dirait que non, le remercierait et raccrocherait.
Jinn Pertem venait de ruiner la vie bien ¨¦tablie d¡¯un salaud pour prot¨¦ger celle d¡¯un ouvrier. Il ne regrettait rien. On lui avait laiss¨¦ les pleins pouvoirs ¨C ¨¤ lui et son minist¨¨re ¨C et il ne se d¨¦pla?ait jamais pour une autre raison que celle d¡¯annoncer au malheureux ¨¦lu qu¡¯il avait d¨¦pass¨¦ les bornes. Les litiges au sein des entreprises ¨¦taient mont¨¦s en fl¨¨che depuis son ascension ¨C on pouvait am¨¦liorer les choses ! ¨C avant de retomber. Un grand succ¨¨s qui, m¨ºme s¡¯il n¡¯am¨¦liorait pas concr¨¨tement les conditions de travail, permettait d¡¯¨¦viter les exc¨¨s : Jinn-to le Protecteur !
Ce fut donc la mine r¨¦jouie qu¡¯il sortit sur la grande avenue patin¨¦e ¨¤ force d¡¯¨ºtre arpent¨¦e par des semelles m¨¦talliques. Il leva les yeux au ciel, surpris de voir qu¡¯il y en avait un et non un faux plafond. Le secteur se trouvait dans une caverne naturelle qui avoisinait les deux-cent m¨¨tres de haut et donnant l¡¯impression d¡¯¨ºtre dans une v¨¦ritable ville pi¨¦g¨¦e sous un d?me de roche. Cela lui donnait la naus¨¦e, jamais n¡¯avait-il connu de sarcophage aussi grand.
Il retira sa veste et la porta sur l¡¯¨¦paule. Malgr¨¦ cela les aur¨¦oles de sueur qui s¡¯¨¦panchaient sous ses aisselles ne cess¨¨rent pas leur d¨¦veloppement. Il avait ¨¦t¨¦ surpris en d¨¦couvrant que personne ne semblait incommod¨¦ par la chaleur qui r¨¦gnait dans le batiment des eaux, mais en avait vite compris la raison : l¡¯habitude. Tout le secteur autour de la soci¨¦t¨¦ ¨¦tait occup¨¦ par de monstrueux refroidisseurs captant une partie des liquides surchauff¨¦s des moteurs pour transf¨¦rer la chaleur r¨¦siduelle vers le r¨¦seau de distribution. Jinn n¡¯osait m¨ºme pas imaginer quelles diff¨¦rences pouvaient exister entre prendre une douche ici et dans un volcan.
Accabl¨¦ par la chaleur, il ne vit pas arriver sur lui la canette alors qu¡¯il acc¨¦l¨¦rait le pas pour se rendre ¨¤ la station des pods. Elle le frappa au flanc. Un jeune homme perdu picolait dans un coin et lui lan?a le sourire le plus d¨¦daigneux qui soit.
¡ª Attention ! s¡¯¨¦cria Jinn.
¡ª Pardon, elle m¡¯a ¨¦chapp¨¦ des mains monsieur, r¨¦pondit sarcastiquement l¡¯ivrogne.
Jinn h¨¦sita ¨¤ lui faire bouffer sa cannette, puis se souvenant du grotesque de la situation (lui un haut-fonctionnaire emmerd¨¦ par un petit con) d¨¦cida de continuer sa marche. Une nouvelle tache se trouvait sur sa chemise, elle puait la bi¨¨re ¨¤ d¨¦faut de sueur.
Lui aussi a besoin d¡¯aide. Une bonne cure et un emploi, voil¨¤ tout ce qu¡¯il lui faut.
Perdu dans ses pens¨¦es ¨C la valeur travail, voil¨¤ qui aurait fait ricaner de m¨¦pris Nate Killian -, il ne remarqua pas la femme qui d¨¦barqua, deux rues plus haut. Suranis venait d¡¯arriver par le tapis le plus proche, propuls¨¦e ¨¤ une quinzaine de kilom¨¨tres par heure. Elle s¡¯ins¨¦ra sur les tapis ¨¤ vitesse d¨¦gressive ¨¤ la station qui l¡¯int¨¦ressait et chancela dans sa pr¨¦cipitation. Sans doute avait-elle un air un peu d¨¦ment avec son chignon formel ¨¤ moiti¨¦ d¨¦fait et son tailleur mal ajust¨¦ et mal port¨¦. ? Clac ? entendit-elle, une cannette venait d¡¯atterrir sur un homme chauve. ¨¤ une dizaine de m¨¨tres en contrebas, elle vit Jinn Pertem qui s¡¯enfuyait ¨¤ toute vitesse apr¨¨s une tr¨¨s br¨¨ve altercation. Elle tenta de l¡¯interpeller, il leva la t¨ºte, fron?a les sourcils et d¨¦cida de continuer son chemin : impassible.
¡ª Oh putain, tu vas m¡¯attendre, cracha-t-elle ¨¤ bout de souffle en se jetant sur les escaliers.
Dans sa course ¨¤ Pertem, elle bouscula un couple qui remontait vers la station. Elle ne les remarqua pas, m¨ºme apr¨¨s ¨ºtre entr¨¦e en collision avec eux. Eux non plus, ils flanaient en s¡¯¨¦changeant des mots tendres et des rires niais. Ils la r¨¦primand¨¨rent, absolument, parce que Monsieur venait de laisser tomber le sac en carton contenant sa nouvelle chemise, mais Suranis n¡¯avait ni le temps de se confondre en excuses ni l¡¯envie. La femme lan?a un ? salope ? qu¡¯elle saisit ¨¤ la vol¨¦e, s¡¯en moquant tout autant que Perth et le reste de l¡¯univers ¨¤ ce moment pr¨¦cis. La seule chose qui l¡¯obnubilait, c¡¯¨¦tait ce Jinn Pertem qui se pressait pour retrouver le confort douillet de son appartement surfacien.
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Les marches s¡¯encha?n¨¨rent pour elle, sans jamais r¨¦duire le rythme. Le souffle court, son chignon ayant d¨¦finitivement pass¨¦ l¡¯arme ¨¤ gauche, elle encha?nait les coups d¡¯?il inquiets vers l¡¯homme chauve qui s¡¯approchait dangereusement de la station des pods. Elle descendit encore un ¨¦tage pour la voir retroussant sa manche, par¨¦ ¨¤ pr¨¦senter sa puce de paiement ¨¤ la borne ¨¦carlate.
¡ª Attendez ! hurla-t-elle.
Jinn la regarda, d¨¦cida qu¡¯elle ne s¡¯adressait pas ¨¤ lui et continua sa commande. Elle d¨¦ferla sur lui, sautant les derni¨¨res marches, et le rejoignit peu avant que le pod ne s¡¯arr¨ºte ¨¤ sa station dans un grincement imperceptible. La porte s¡¯ouvrit, Jinn se pr¨¦para ¨¤ monter dedans mais elle l¡¯agrippa par l¡¯¨¦paule. Il se crispa, un rictus pinc¨¦ sur les l¨¨vres et le poing qui le d¨¦mangeait. On l¡¯emmerdait un peu trop souvent dans ce secteur ¨¤ son go?t :
¡ª Bordel de merde jeune fille ! Lachez-moi !
Une folle, fut sa premi¨¨re pens¨¦e, elle va me poignarder. Puis il la vit telle qu¡¯elle ¨¦tait. C¡¯¨¦tait la m¨ºme folle qu¡¯il avait vu ¨¤ peu pr¨¨s deux heures auparavant avec son gros thermos de caf¨¦. Elle l¡¯avait intrigu¨¦ sans qu¡¯il mette le doigt sur la raison de ce fait. Il ouvrit la bouche, interloqu¨¦ :
¡ª Vous ¨¦tiez dans le bureau d¡¯Ellian ! s¡¯exclama-t-il avec perplexit¨¦. Suranis Rh¨¦on ?
Il connaissait son pr¨¦nom. Suranis Rh¨¦on n¡¯¨¦tait peut-¨ºtre pas si d¨¦rang¨¦e tout compte fait. Elle ne se r¨¦p¨¦tait pas inlassablement les m¨ºmes noms sans raison¡ Vu que cette boule de billard, aux deux billes brillantes, s¡¯¨¦tait renseign¨¦ ¨¤ son propos ou bien¡ Qu¡¯il la connaissait vraiment, voil¨¤ tout.
¡ª Vous me connaissez ? demanda-t-elle, pleine d¡¯espoir alors que les passants s¡¯arr¨ºtaient pour regarder ce duo improbable, restant trop loin pour les entendre et ¨¦changeant des commentaires d¨¦plac¨¦s. C¡¯est ?a ?
¡ª J¡¯ai demand¨¦ ¨¤ Ellian votre pr¨¦nom par pure curiosit¨¦. Que me voulez-vous ?
? Le d¨¦part est imminent, veuillez monter ¨¤ bord. Toute absence de passager dans la nacelle impliquera le paiement du prix d¡¯un trajet intersectoriel ? dit la nacelle qui attendait. Elle poss¨¦dait une voix nasillarde, personne ne s¡¯¨¦tait donn¨¦ la peine d¡¯enregistrer autre chose qu¡¯une synth¨¨se vocale et personne ne s¡¯en pr¨¦occupa alors qu¡¯elle r¨¦p¨¦tait sa demande.
¡ª Je vais ¨ºtre en retard, dit Jinn.
¡ª Je paierais le trajet s¡¯il le faut. Juste, dites-moi, pourquoi avez-vous demander mon nom ? encha?na Suranis en tachant d¡¯oublier la voix informatique, trop forte. Je suis une femme sans importance.
C¡¯est certainement le cas, mais vous m¡¯¨ºtes famili¨¨re, allait dire Jinn mais il se retint tant l¡¯id¨¦e ¨¦tait improbable. Il n¡¯avait jamais vu cette fille et n¡¯aurait jamais pu la voir. Ils appartenaient ¨¤ deux castes diff¨¦rentes et pourtant la question l¡¯avait tracass¨¦ comme si un personnage r¨¦current de ses r¨ºves s¡¯¨¦tait pr¨¦sent¨¦ ¨¤ lui, en chair et en os.
¡ª Je n¡¯en sais fichtrement rien ! La curiosit¨¦ certainement, se d¨¦fendit-il en se d¨¦gageant de la main qui lui tenait l¡¯¨¦paule. Maintenant, si vous le permettez, j¡¯ai une nacelle ¨¤ prendre et je tacherais de tout oublier en rentrant au Minist¨¨re. Estimez-vous chanceuse que je ne vous intente pas un proc¨¨s pour assaut sur repr¨¦sentant du Conseil.
Il fit un mouvement dangereux en posant ses mains sur les barres d¡¯aide de la nacelle. Elle tenta le tout pour le coup, peu importe ¨¤ ce qu¡¯elle ait l¡¯air folle en public. L¡¯asile serait peut-¨ºtre un meilleur endroit que l¡¯appartement qu¡¯elle partageait avec Perth.
¡ª Vous ne partirez pas ! s¡¯¨¦cria-t-elle. Six ans ! C¡¯est depuis six ans que j¡¯ai l¡¯impression d¡¯¨¦voluer dans un d¨¦cor peint par un gamin d¡¯¨¤ peine trois. Rien ne fait sens depuis le SAGI, vous y ¨¦tiez et puis, merde, je crois que je vous connais !
Elle s¡¯¨¦tait jet¨¦e ¨¤ genoux, suppliante sinon mis¨¦rable. Jinn ¨¦carquilla ses yeux au point o¨´ on eut l¡¯impression qu¡¯ils allaient se faire la malle. Toute la moiti¨¦ inf¨¦rieure de son visage trembla compulsivement. Il se souvint des nuits fi¨¦vreuses suivant sa r¨¦mission. Jamais n¡¯avait-il pens¨¦ qu¡¯il pouvait virer, avec tout le soutien psychologique qu¡¯il avait re?u apr¨¨s le SAGI cela lui paraissait m¨ºme impossible. Jinn se persuadait que toute pens¨¦e ? peu r¨¦aliste ? qu¡¯il pouvait ressentir autour de ce qui s¡¯¨¦tait pass¨¦ n¡¯¨¦taient que la r¨¦sultante d¡¯un choc ¨¦motionnel. Mais voil¨¤¡ Une pens¨¦e le frappa, celle qu¡¯il parla d¡¯une certaine Suranis ¨¤ l¡¯¨¦quipe m¨¦dicale. Oui, il en ¨¦tait presque certain, son nom avait ¨¦merg¨¦ dans la lumi¨¨re pure des scialytiques. ?a n¡¯avait aucun sens.
¡ª Vous ¨ºtes folle, lui dit-il calmement avant de l¡¯aider ¨¤ se remettre debout. Mais peut-¨ºtre que je le suis moi-m¨ºme. Si ?a vous tient tant, on peut en discuter autour d¡¯un caf¨¦. Maintenant, mais pas ici.
¡ª Merci, murmura Suranis.
¡ª Excuse-moi Suranis, je ne m¡¯attendais vraiment pas ¨¤ te croiser ici, s¡¯exclama Jinn assez fort pour qu¡¯on l¡¯entende. C¡¯est toujours un plaisir de te revoir.
Les badauds qui s¡¯¨¦taient attroup¨¦s s¡¯¨¦cart¨¨rent soudainement d¨¦sint¨¦ress¨¦s. Personne ne sembla avoir reconnu Jinn Pertem, certainement sauv¨¦ par sa veste retourn¨¦e qui n¡¯arborait pas, sur cette face, le logo du Conseil. Aux yeux de tous, ils n¡¯¨¦taient que deux vieilles connaissances. Peut-¨ºtre pour eux aussi, cela leur donna le tournis.
Chapitre 35
La salle de garde n¡¯avait plus d¡¯usage concret depuis que la Cit¨¦ existait. Autrefois, elle permettait aux ¨¦veill¨¦s ¨C solitaires et d¨¦vou¨¦s au secteur - d¡¯¨ºtre disponibles imm¨¦diatement pour toute intervention sur l¡¯une des composantes sensibles du vaisseau-arche. La salle avait ¨¦t¨¦ transform¨¦e en point r¨¦seau par le gouvernement mais personne ne la fr¨¦quentait. Les caf¨¦s politiques clandestins qui s¡¯y ¨¦taient tenus et avaient men¨¦s ¨¤ la cr¨¦ation de tant de courants de pens¨¦es n¡¯existaient plus ailleurs que dans les distributeurs bancals surcharg¨¦s par les stickers narrant ces derniers.
Fait ¨¦trange, la pi¨¨ce avait r¨¦cemment ¨¦t¨¦ nettoy¨¦e et, fait qui l¡¯¨¦tait encore plus, les machines regorgeaient de victuailles : p¨¦rim¨¦es pour certaines, d¡¯imp¨¦rissables sodas pour d¡¯autres. Jinn s¡¯approcha d¡¯une des carcasses et commanda un soda. La machine le vomit. Suranis se contenta d¡¯une bouteille d¡¯eau aux frais du Conseil. De l¡¯eau c¡¯¨¦tait d¨¦j¨¤ du luxe lorsqu¡¯on consid¨¦rait les vingt cr¨¦dits de consigne, l¡¯¨¦quivalent de cinquante fois le contenu de la bouteille. Elle d¨¦vissa le bouchon, per?a l¡¯opercule et bu une gorg¨¦e. Jinn de son c?t¨¦ se contenta de jongler machinalement, d¡¯une main ¨¤ l¡¯autre, en d¨¦taillant Suranis de pied en cap. Il attendit qu¡¯elle avale sa petite gorg¨¦e, par pure politesse pour cette boisson offerte bien qu¡¯elle se rendit compte que sa course l¡¯avait assoiff¨¦ :
¡ª Bien. Nous voil¨¤ d¨¦sormais ¨¤ l¡¯abri des regards¡ Vous serez donc¡ Suranis Rh¨¦on, c¡¯est ?a ?
¡ª C¡¯est bien ?a.
¡ª Et vous vous ¨ºtes jet¨¦e sur moi sur le pr¨¦texte que vous pensiez me conna?tre. J¡¯ai bien failli vous rembarrer si la r¨¦ciproque n¡¯¨¦tait pas vraie¡ J¡¯ignore cependant comment je pourrais vous conna?tre et cela me tracasse ¨¤ un point que vous ne pouvez pas imaginer.
¡ª Nous sommes donc deux fous, r¨¦pondit Suranis ce qui fit rire Jinn.
Il hocha la t¨ºte en guise d¡¯approbation, les yeux p¨¦tillants. Il se marrait, soit, mais pas pour la blague, davantage de soulagement. La folie partag¨¦e restait moins probable que la folie isol¨¦e. Il la questionna sur les diff¨¦rents lieux communs qui pouvaient les unir :
¡ª Mais je n¡¯ai pas la moindre foutue id¨¦e d¡¯o¨´ nous pouvons nous conna?tre, fit-il avec un pincement des l¨¨vres. J¡¯ai l¡¯impression d¡¯avoir fait bien plus que simplement vous croiser au d¨¦tour d¡¯une rue et, diantre, je suis bien incapable de voir comment j¡¯ai pu le faire. Je ne d¨¦mords pas que si je vous avais crois¨¦ dans la rue, je l¡¯aurai not¨¦.
La remarque n¡¯avait pas besoin d¡¯explication compl¨¦mentaire. Suranis avec ses cheveux d¨¦tonnait dans la Cit¨¦. On ne la manquait pas comme on n¡¯oubliait jamais le marchand Noir de lointaine contr¨¦e crois¨¦ dans les ruelles de l¡¯Occident m¨¦di¨¦val.
¡ª Je m¡¯en doute et me pose la m¨ºme question que vous, avoua Suranis. J¡¯ai quelques moments de trouble¡ De¡ Brouillard. J¡¯ai pens¨¦ que cette brume n¡¯¨¦tait due qu¡¯¨¤ l¡¯alcool ¨C ¨¤ l¡¯¨¦poque j¡¯¨¦tais tr¨¨s pench¨¦e sur le sujet voyez ? - mais parfois, au travers de tout ?a, j¡¯ai des¡ Flashs ? Comment dire¡ De tr¨¨s vagues souvenirs du¡
¡ª SAGI, la coupa-t-il avec un air de compr¨¦hension soudaine. J¡¯ai aussi ce foutu moment vague et il correspond ¨¤ cette p¨¦riode.
¡ª Oui, s¡¯exclama Suranis. Le SAGI¡
¡ª Par tous les diables, qu¡¯est-ce vous auriez fait l¨¤-bas ?
Il se leva d¡¯un bond, ou plut?t d¡¯une fesse. Ses mains pos¨¦es sur la table tremblaient d¡¯excitation et une expression presque juv¨¦nile le traversa. Globalement, Jinn poss¨¦dait une excellente m¨¦moire pour tout sauf ce qui concernait, de pr¨¨s ou de loin, les ¨¦v¨¦nements du SAGI. Depuis qu¡¯il en avait ¨¦t¨¦ extirp¨¦ tout n¡¯¨¦tait qu¡¯un immense fouillis et si le terreau plus meuble de sa m¨¦moire ne lui laissait pas entendre que des souvenirs ¨¦taient enterr¨¦s, il n¡¯en aurait jamais suspect¨¦ la simple existence.
Le terme ? louche ? d¨¦crirait excellemment cette p¨¦riode. Ce qui suivait avait une senteur d¡¯artificialit¨¦ qui le rendait perplexe, surtout lorsqu¡¯il l¡¯observait au prisme de la myriade de pseudo-souvenirs qui valdinguaient autour de lui.
¡ª Mais j¡¯y ¨¦tais ! s¡¯¨¦cria Suranis en d¨¦couvrant que ?a, elle le croyait vraiment un peu comme on peut croire en Dieu, mais son cart¨¦sianisme latent r¨¦clamait des preuves. J¡¯ai beaucoup du mal ¨¤ me souvenir de ce qui s¡¯est pass¨¦ ¨¤ cette p¨¦riode. J¡¯ai des images qui me reviennent d¡¯un lieu o¨´ je ne devais pas ¨ºtre. Vous y ¨¦tiez¡ Alors, par piti¨¦, confirmez-le-moi¡ J¡¯¨¦tais l¨¤-bas, avec vous ?
¡ª Comme si je le savais, lui r¨¦pondit pieusement Jinn (et il le pensait). C¡¯est une possibilit¨¦¡ Sous le choc, j¡¯ai oubli¨¦ presque l¡¯int¨¦gralit¨¦ de cette p¨¦riode.
¡ª Vous ne pensez vraiment pas que¡ J¡¯aurais pu y ¨ºtre et que pour je ne sais quelle raison, je ne m¡¯en souvienne plus ?
Jinn se rassit, zieutant par habitude la porte de la salle : rigoureusement close. Une parano?a tranquille s¡¯¨¦tait install¨¦e chez lui depuis quelques temps.
¡ª Disons que... Vous faites chier, vous le savez Suranis ?
¡ª D¨¦sol¨¦e.
¡ª Passons, mais ce que je dirais doit rester confidentiel. C¡¯est bien compris ?
¡ª Tout ¨¤ fait.
En un sourire, il tata le dessous de la table. Aucun micro.
¡ª Les ¨¦v¨¦nements du SAGI sont tr¨¨s myst¨¦rieux pour moi. Je n¡¯ai pas la moindre id¨¦e de ce qui s¡¯est pass¨¦ dans cet entrep?t. On m¡¯a racont¨¦ des choses, mais dois-je les croire pour autant ? La seule ¨¤ laquelle je porte une foi in¨¦branlable c¡¯est qu¡¯une ¨¦quipe h¨¦ro?que s¡¯est port¨¦e ¨¤ mon secours.
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¡ª H¨¦ro?que, lacha une Suranis sarcastique.
¡ª Une blague. Tout le reste je l¡¯ai appris par eux. Alors depuis lors j¡¯essaye de rassembler les souvenirs en ma possession et figurez-vous qu¡¯il n¡¯en existe que tr¨¨s peu. Je ne dirais m¨ºme pas qu¡¯il y en a assez pour remplir une journ¨¦e dans la semaine. Le probl¨¨me c¡¯est que ma m¨¦moire n¡¯est pas si mal foutue le reste du temps¡ Oh que non, elle est bien trop vivide pour que mes souvenirs se limitent ¨¤ des repas, des rires et des bi¨¨res ¨¦chang¨¦es¡ Alors, j¡¯ai un peu creus¨¦ dans les rapports, ceux auxquels je pouvais avoir acc¨¨s, et ¨¦trangement ce qui m¡¯entoure a ¨¦t¨¦ soigneusement effac¨¦ except¨¦ deux trois ¨¦l¨¦ments sans importance. Qu¡¯est-ce je dois faire de ?a ? Garder mes doutes pour moi ? Je ne pensais pas ¨ºtre complotiste avant d¡¯avoir les documents devant mes yeux¡ Vraiment !
¡ª Pourtant¡ commen?a Suranis, fascin¨¦e.
¡ª Vous tenez ¨¤ savoir ce qui m¡¯arrive depuis ? le coupa Jinn. Des r¨ºves. Une pellet¨¦e de r¨ºves. Un des r¨¦currents est l¡¯un des plus dr?les. J¡¯y vois un rougegorge bless¨¦ que je sauverais d¡¯une mort certaine.
¡ª Les animaux volants de l¡¯ancienne Terre ?
¡ª Oui, les m¨ºmes que dans les livres pour enfants entrepos¨¦s dans les bases de donn¨¦es litt¨¦raires. Ce rougegorge, j¡¯associe son nom ¨¤ Sura¡ Plut?t Suraya que Suranis, mais maintenant que je vous vois, je ne peux pas m¡¯emp¨ºcher de faire le rapprochement. Donc non, je ne peux pas affirmer que vous ¨¦tiez au SAGI ¡ Mais jamais je ne pourrais nier la possibilit¨¦ que vous pourriez vous situez dans une zone blanche.
Aussi blanche soit-elle, Suranis d¨¦cida de se mettre au diapason. Elle palit ostensiblement.
¡ª Oui, je sais ce que vous pensez¡ Je pr¨¦f¨¦rerais vous raconter des cracks plut?t que la v¨¦rit¨¦.
¡ª Je ne suis donc pas folle¡
¡ª Ce n¡¯est pas ce que j¡¯ai dit, mais oui, c¡¯est une possibilit¨¦.
¡ª Pourquoi aurions-nous oublier ?
Jinn entrouvrit la bouche pour parler et pr¨¦f¨¦ra se taire. Il tacha de se souvenir de quelque chose de la plus cruciale importance sans parvenir ¨¤ mettre le doigt dessus.
¡ª C¡¯est ce que j¡¯aimerais savoir Suranis¡ Ce que nous pourrions d¨¦couvrir. Enfin, je peux toujours rechercher si vous ¨¦tiez vraiment l¨¤-bas ¨C je devrais avoir acc¨¨s ¨¤ ces donn¨¦es ¨C et vous les faire parvenir, si vous le souhaitez ?
¡ª Nous aviserons ensuite ?
¡ª C¡¯est l¡¯id¨¦e Suranis.
Elle se redressa, retrouvant quelque couleur. Une plus visible que les autres, une couleur s¡¯¨¦largissait autour de son cou, comme deux mains l¡¯enserrant. Jinn la remarqua.
¡ª Qu¡¯est-ce que c¡¯est ? demanda-t-il en pointant la tache. Tout se passe bien pour vous Suranis ? Je suis toujours ¨¤ la recherche d¡¯employ¨¦e si vous avez quelqu¡¯un ¨¤ fuir, vous pourriez¡
¡ª Ne vous en pr¨¦occupez pas !
Elle l¡¯avait hurl¨¦. La marque sur son cou n¡¯incriminait pas Perth. Elle ¨¦tait la simple cons¨¦quence d¡¯un haut ayant la facheuse tendance ¨¤ se d¨¦colorer, mais il n¡¯en demeura pas moins que Suranis entendit la question comme : ? Je sais ce que vous ¨ºtes : une femme terrifi¨¦e ?.
¡ª Tout se passe tr¨¨s bien ! Tr¨¨s bien ! Quelle id¨¦e vous faites-vous ?! s¡¯indigna-t-elle redoutant que son petit-ami passe la t¨ºte par le chambranle et la fusille sur place.
¨¤ quoi bon tenter de justifier la trace ? M¨ºme si elle avait ¨¦t¨¦ v¨¦ritable, Jinn ne comprendrait pas ce qu¡¯elle ressentait pour son amant-bourreau. Il n¡¯avait pas ¨¤ le savoir et Suranis ressentit une grande honte ¨¤ l¡¯aimer ainsi.
Jinn haussa les ¨¦paules, l¡¯air de s¡¯excuser :
¡ª Pardon, je me suis fait des id¨¦es. Cette trace m¡¯a tout l¡¯air d¡¯un pigment maintenant que j¡¯y regarde de plus pr¨¨s, mentit-il bien conscient de ce qu¡¯il avait vu dans la r¨¦action de Suranis et la stupide bague qui s¡¯agitait ¨¤ son annulaire. Vous avez une bague, vous avez une trace¡ Que voulez-vous que je pense ¨¤ ce propos ?
¡ª Ah, ?a¡ dit-elle en tournant l¡¯anneau autour du doigt. Perth me l¡¯a offerte pour nos deux ans. Il ne repr¨¦sente pas des fian?ailles, simplement une relation.
Elle ignorait alors que Perth ne lui avait offerte que parce qu¡¯on lui avait demand¨¦ de le faire. ? On ne peut pas tout faire. Un petit con nous a pas laiss¨¦ d¡¯autre choix que de l¡¯inclure dans le projet et aussi bon que soit notre programme, il faut veiller ¨¤ y rajouter une part de r¨¦el. Alors sois galant pour une fois Perth et plut?t que lui donner un coup de bite, fais-lui un cadeau ? avait-dit le sous-directeur sectoriel du projet de r¨¦habilitation citoyenne et Perth accepta car ¨¤ l¡¯¨¦poque aux c?t¨¦s du d¨¦go?t se tenait la piti¨¦. Quelques ann¨¦es ¨¤ tenir pour la science, quelques ann¨¦es de plus avant de rejoindre la femme qu¡¯il aimait vraiment. Il se plia m¨ºme volontiers ¨¤ la demande, ignorant qu¡¯on repousserait encore et encore l¡¯¨¦ch¨¦ance. Son aim¨¦e v¨¦ritable le quitta dans la foul¨¦e.
Voyant la g¨ºne qui envahissait le visage de Suranis, Jinn d¨¦cida de faire marche arri¨¨re.
¡ª Oh, je vois. Un beau pr¨¦sent¡ Je suis heureux de ne m¡¯¨ºtre fait qu¡¯une id¨¦e. Mais dites-moi avant que nous nous quittions, comment cela se passe pour vous au travail ? Rien ¨¤ voir ¨¦videmment avec notre discussion, mais je vous dois de vous avertir que vous allez changer de sup¨¦rieur. L¡¯ancien passe ¨¤ la trappe et j¡¯en suis tr¨¨s fier.
¡ª Cela se passera mieux alors, dit Suranis sur un ton de voix qui interdisait que cette conversation se poursuive.
¡ª Parfait dans ce cas. Si cela ne se passe pas bien avec le nouveau, je peux vous proposer de monter ¨¤ la Surface. R¨¦fl¨¦chissez-y, en ¨¦tant sous mon aile vous aurez acc¨¨s ¨¤ des donn¨¦es qui nous permettront d¡¯¨¦claircir tout de notre pass¨¦. Deux t¨ºtes valent mieux qu¡¯une¡
¡ª J¡¯ai ¨¦t¨¦ inspectrice fut un temps.
¡ª Ah ! s¡¯illumina Jinn. Raison de plus alors, vous savez comment cela fonctionne. Dites-moi si ?a vous int¨¦resse, nous ne sommes peut-¨ºtre pas deux parano?aques.
Il lui tendit sa carte de visite avec son adresse et son num¨¦ro personnel. Elle la passa d¡¯une main ¨¤ l¡¯autre, sans trop savoir quoi en faire :
¡ª C¡¯est une offre admirable, mais je ne peux pas l¡¯accepter. Je ne suis pas certaine de pouvoir abandonner ce que j¡¯ai acquis ici pour d¨¦couvrir mon pass¨¦, si j¡¯en ai un.
¡ª C¡¯est le loyer qui vous d¨¦range ? Je peux vous fournir un logement si ce n¡¯est que ?a et vous pourriez venir vous installer avec votre petit-ami.
¡ª Vous ne comprendriez pas¡ Merci en tout cas de m¡¯avoir accord¨¦ de votre temps. ?a signifie beaucoup pour moi, je vous contacterais si¡ Si jamais je suis vraiment int¨¦ress¨¦e pour tout entendre, je ne sais plus vraiment. La vie que j¡¯ai me convient totalement, j¡¯aurais peur de la chambouler selon vos r¨¦v¨¦lations.
Menteuse, je vois bien que tu br?les d¡¯envie de tout savoir¡ Tout. Il se leva, ¨¦branla la table et lui tendit sa grosse main pour le saluer. Il ne savait que trop ce que c¡¯¨¦tait que de vivre dans un quotidien irr¨¦aliste et ce besoin insatiable de red¨¦couvrir le vrai monde. Mais Suranis ¨¦tait pi¨¦g¨¦e dans la toile domestique.
¡ª R¨¦fl¨¦chissez-y davantage, lan?a-t-il sans y penser. S¡¯il vous pla?t.
Et elle lui promit que oui. Peut-¨ºtre.
Chapitre 36
¨¤ son arriv¨¦e, les fen¨ºtres de son immeuble n¡¯¨¦taient plus illumin¨¦es. Les r¨¦sidents s¡¯¨¦taient r¨¦fugi¨¦s dans leurs chambres, d¨¦sertant les salons pour le confort douillet d¡¯une soir¨¦e pass¨¦e ¨¤ bouquiner et regarder des rediffusions. D¡¯une fen¨ºtre cependant, une lumi¨¨re jaillissait. Elle ¨¦tait d¡¯un bleu triste et Suranis crut y discerner l¡¯ombre de Perth, bien que cette derni¨¨re s¡¯¨¦clipsa bien vite.
Il m¡¯attend, craignit-elle. Son absence n¡¯avait pourtant pas ¨¦t¨¦ longue. Tout au plus une heure, en plus du trajet, qu¡¯il lui faudrait justifier aupr¨¨s de Perth s¡¯il n¡¯¨¦tait pas encore ab¨ºtit par l¡¯alcool. Mais il ne l¡¯est pas, tu le sais. Il tra?ne dans le vestibule, la ceinture ¨¤ la main¡ Suranis.
En entrant dans le hall d¨¦sert, elle se rendit compte qu¡¯au moins aucun cheveu retrouv¨¦ sur sa veste ne viendrait l¡¯incriminait. Tant mieux, l¡¯odeur des restes de repas ¨¤ emporter qui jonchaient le hall suffisaient ¨¤ son mal-¨ºtre. La rampe aux n¨¦ons, au-dessus d¡¯elle, vacilla d¨¨s qu¡¯elle la franchit puis s¡¯¨¦teignit. Un sombre pr¨¦sage. Elle appela l¡¯ascenseur, mais comme ¨¤ son habitude il ¨¦tait en panne et elle s¡¯attaqua donc aux marches qui s¡¯encha?naient sans r¨¦pit jusqu¡¯au sixi¨¨me ¨¦tage. Deux ¨¦tages plus haut et elle atteindrait le plafond de la magnifique caverne naturelle qui accueillait le secteur. Elle s¡¯arr¨ºterait avant, bien s?r, mais ne put s¡¯emp¨ºcher de songer avec amertume que ?a devait ¨ºtre dans un tel lieu que son cauchemar ¨¦veill¨¦ ¨C si plaisant ¨C devait se d¨¦rouler. La grotte aux horreurs. Elle continua de monter, oubliant la caverne et le monde qui l¡¯entourait. Les cris d¡¯enfants et les disputes futiles, les ¨¦ternuements agressifs de ses voisins ¨¤ chaque palier ne l¡¯extirp¨¨rent pas de sa marche forc¨¦e. Sans faiblir, elle avalait les marches avec une certitude nouvelle : elle partageait avec Jinn Pertem des souvenirs du r¨¦el. La ceinture aussi serait r¨¦elle.
Et si¡ Elle s¡¯arr¨ºta. Tout pouvait aussi ¨ºtre faux. Ses d¨¦lires auraient invoqu¨¦ le grand chauve et conjointement auraient cr¨¦¨¦ ce complot invraisemblable. Peut-¨ºtre ¨¦tait-elle d¨¦j¨¤ dans une chambre blanche, dans un asile respectable, ou alors ¨¦tait-elle vraiment all¨¦e au SAGI et on conserverait son cerveau dans une bo?te. Si tout n¡¯¨¦tait qu¡¯illusion ? Il lui suffirait de plonger dans les escaliers, la t¨ºte en premi¨¨re, et esp¨¦rer qu¡¯elle frappe assez fort le sol pour mourir sur le coup¡ Ou recommencer dans un monde meilleur.
Elle consid¨¦ra l¡¯hypoth¨¨se. Non, Perth Bickhorn existait vraiment. Le plat de r¨¦sistance du cauchemar ne pouvait ¨ºtre une invention de son esprit maladif et m¨ºme si c¡¯¨¦tait le cas, elle l¡¯aimait visc¨¦ralement. Elle ne voulait pas qu¡¯il disparaisse de sa vie juste pour un moment de doute.
Tu le d¨¦testes, tu le sais¡ Mais elle se dit qu¡¯elle se mentait, m¨ºme si finalement la v¨¦rit¨¦ ¨¦tait plus complexe et que ses vaines tentatives de remettre ¨¤ flot une relation en pleine naufrage se solderaient sur la mort de l¡¯un ou de l¡¯autre.
Pour cette raison, elle continua sa mont¨¦e et atteignit finalement sa porte. Elle s¡¯attendait confus¨¦ment ¨¤ voir son petit-ami endormi ¨C la poisse avait ses limites -, mais ce dernier lui ouvrit la porte alors qu¡¯elle glissait la clef dans la serrure. Son visage patibulaire s¡¯incrusta dans l¡¯entrebaillement.
¡ª Ah ! La princesse est de retour ! dit-il en la pressant de rentrer. Je commen?ais ¨¤ me demander qui t¡¯avait vol¨¦. Je ne suis pas un chevalier blanc.
M¨ºme pas un chevalier noir. Un milicien sans vergogne tout au plus, mais c¡¯¨¦tait fini.
¡ª Pardon, j¡¯ai eu un mal fou ¨¤ retrouver le dossier¡ Tu sais qu¡¯Ellian est bord¨¦lique quand il s¡¯y met.
¡ª Je n¡¯en doute pas. Tu ne voudrais pas une petite bi¨¨re ? proposa-t-il ce qui ¨¦tonna Suranis.
¡ª Euh, oui.
¡ª Tu vas la chercher.
Il ¨¦tait d¡¯une humeur ¨¤ la fois radieuse et nocive. Elle s¡¯¨¦tait attendue ¨¤ le voir jouer de la ceinture, avec une col¨¨re aussi noire que son caf¨¦, et ¨¤ se faire battre jusqu¡¯¨¤ que la FPC ne rapplique ¨C une nouvelle fois alert¨¦e par un voisin ¨C pour qu¡¯elle s¡¯entretienne avec eux, entende leur condescendance abjecte et leur chaude recommandation de ne plus ¨¦nerver monsieur.
Mais pas cette fois-ci. Suranis lui sourit niaisement et passa la main dans ses cheveux. Elle rougit ostensiblement en les sentant d¨¦sorganis¨¦s.
¡ª Je t¡¯ai donn¨¦ la derni¨¨re bi¨¨re.
¡ª Oh, je le sais. Je suis sorti acheter un pack pendant ton absence¡ r¨¦pondit-il lascivement en s¡¯asseyant sur le canap¨¦.
¡ª Tu as d¨¦cuv¨¦, remarqua-t-elle en attrapant une cannette plus ti¨¨de que fra?che et en la d¨¦gazant. Que me vaut cet accueil ?
Perth se mordit l¡¯int¨¦rieur des joues comme s¡¯il se retenait pour faire la meilleure blague du monde. Il haussa les ¨¦paules, penaud.
¡ª Oh, rien de particulier. Disons que je suis d¡¯humeur festive !
¡ª Tu reprends du service ? demanda Suranis sans se rendre compte de l¡¯empressement avec lequel elle l¡¯avait fait.
Perth la regarda avec une amabilit¨¦ qui n¡¯avait rien de forc¨¦e. Cela aurait ¨¦t¨¦ plaisant, mais ce n¡¯¨¦tait pas ?a et visiblement elle aurait aim¨¦. Mais ce qui ressortit par-dessus tout ¨¦tait sa terreur grandissante. Il comprit pourquoi. Perth le Chien n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ aussi bon depuis leur rencontre. M¨ºme dans les moments brumeux des d¨¦buts, il n¡¯existait rien de tel.
¡ª Reprendre du service ? r¨¦pondit Perth. Oh, c¡¯est plut?t l¡¯inverse¡
Elle tressaillit ostensiblement et il s¡¯en d¨¦lecta. L¡¯id¨¦e qu¡¯il puisse ¨ºtre sanctionn¨¦ pour cette soir¨¦e ne l¡¯effleura m¨ºme pas. Au pire, il y aurait toujours le caisson pour tout oublier.
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¡ª Comment ?a ?
¡ª Tu verras bien ma Susu ! Mais dis-moi, tu ne vas pas boire ¨¤ m¨ºme la canette ? Va donc te chercher un verre. C¡¯est la f¨ºte te dis-je !
¡ª Je me fiche d¡¯avoir un verre, ?a m¡¯¨¦vitera la vaisselle.
¡ª Tututu¡ J¡¯insiste, je ferais la vaisselle pour toi s¡¯il le faut et apporte-moi aussi une bi¨¨re tiens. Tu as ¨¦t¨¦ tr¨¨s ¨¦go?ste. Vilaine va !
Suranis douta. Les efforts prodigues qu¡¯elle avait d¨¦ploy¨¦s avaient-ils port¨¦s leurs fruits ? Perth serait-il redevenu ¨C ou devenu ¨C l¡¯homme qu¡¯elle esp¨¦rait qu¡¯il soit ? Elle n¡¯oubliait pas qu¡¯avant sa rencontre avec Pertem, il s¡¯¨¦tait montr¨¦ mena?ant. Elle se releva, ¨¦vitant d¡¯y penser pour profiter du moment pr¨¦sent et alla chercher les verres et la canette. Avec une discr¨¦tion absolue il profita de son absence pour se pencher par-dessus la boisson de Suranis. Elle se troubla, redevint normale. Un peu de poudre de r¨ºve pour lui faciliter la tache.
¡ª Tu en prends du temps, s¡¯¨¦cria-t-il.
Alors qu¡¯elle fouillait toujours le placard, il s¡¯approcha d¡¯elle et lui posa les mains sur les hanches. Elle ferma les yeux, sentant les pr¨¦mices d¡¯une ¨¦rection furieuse. Contre toute attente, il s¡¯empara du verre et de sa bi¨¨re avant de se d¨¦tourner d¡¯elle, se rendant devant la baie vitr¨¦e donnant sur l¡¯ext¨¦rieur. Un sourire niais s¡¯¨¦talait sur son visage et se refl¨¦tait contre le verre. ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur, la caverne semblait vouloir les d¨¦vorer. L¡¯horizon s¡¯heurtait ¨¤ une muraille de roches aux inclusions ferreuses et, d¨¨s qu¡¯on descendait le regard, tout n¡¯¨¦tait plus que constructions aux toits plats, de trois ¨¦tages pour la plupart. L¡¯ensemble du paysage donnait l¡¯impression de strates g¨¦ologiques teint¨¦es par le rouge sanglant de la nuit, ¨¦clair¨¦es ci et l¨¤ par les projecteurs qui balayaient les zones et les petites lampes frontales des agents de nuit. Les d¨¦tritus seraient vite ¨¦vacu¨¦s et il ne resterait alors que l¡¯¨¦clairage timide des enseignes lumineuses qui ne s¡¯¨¦teignaient jamais.
Perth Bickhorn, le Merveilleux conscrit, embrassait du regard ce paysage brut et Suranis le rejoignit. Elle tacha de voir ce qu¡¯il voyait et cru na?vement qu¡¯il se focalisait sur l¡¯une des rares installations du plafond : une esp¨¨ce de nacelle suspendue ¨¦quip¨¦e d¡¯un ventilateur g¨¦ant. En r¨¦alit¨¦, le point de focalisation de Perth n¡¯¨¦tait pas si loin. Il se trouvait derri¨¨re ses globes oculaires, c?t¨¦ crane, c?t¨¦ pens¨¦es houleuses.
¡ª Ce n¡¯est pas si mal comme coin, remarqua-t-il. Ailleurs, on projetterait certainement un faux ciel, des arbres gigantesques¡ Des s¨¦quoias ou que sais-je ? Cela ne tromperait personne, mais c¡¯est toujours plus beau que la roche nue.
¡ª J¡¯aime bien, avoua Suranis. C¡¯est r¨¦el.
¡ª Oui, ?a l¡¯est. Rien de faux ici, que du vrai ma petite ch¨¦rie ! Nous nous mentons si souvent que cette vue¡ Elle m¡¯apaisera toujours. Nous sommes ¨¤ l¡¯int¨¦rieur de la Cit¨¦, sans elle nous ne serions rien¡ M¨ºme pas atomis¨¦s. Gloire au Conseil, ceux qui pensaient l¡¯inverse sont morts de toute fa?on.
¡ª Je ne sais pas, fit Suranis, ce qui entra?na un brusque sursaut moqueur de Perth.
¡ª Si je ne te connaissais pas si bien, je penserais que tu me mens. Tu n¡¯es pas stupide Susu, tu as des qualit¨¦s¡ Une chose que tu sais c¡¯est comment marche ce salaud de monde, sa direction g¨¦n¨¦rale. Oh oui, ma putain est loin d¡¯¨ºtre conne¡ (juste une fieff¨¦e connasse rajouta-t-il entre ses dents, r¨¦cup¨¦r¨¦e parmi les ordures)
¡ª Que se passe-t-il Perth ? s¡¯inqui¨¦ta-t-elle. Je te trouve ¨¦trange.
¡ª Je le suis toujours ! s¡¯exclama-t-il. Sant¨¦ ma belle ! Putain parmi les putains, plus beau cul de tout le secteur. ?a change du SAGI, de s¡¯amuser plut?t que d¡¯¨ºtre massacr¨¦¡
Il se pressa contre elle. La teinte rougeatre g¨¦n¨¦ralis¨¦e de l¡¯environnement lui rappela l¡¯¨¦vacuation du SAGI et se refl¨¦ta avec assez de force dans l¡¯appartement pour masquer les rougeurs brusques de Suranis. Toute sa vie actuelle tournait autour de cet hangar occup¨¦ puis d¨¦blay¨¦ par les bulldozers. D¨¦blay¨¦ de ses d¨¦chets, n¡¯est-ce pas ? Aucun Citoyen n¡¯avait ¨¦t¨¦ pellet¨¦ lors de cette trag¨¦die qu¡¯on ne cessait de r¨¦p¨¦ter ¨¤ Suranis, bien qu¡¯elle pourrait bient?t l¡¯¨ºtre de son c?t¨¦ : pellet¨¦e. Elle allait compl¨¨tement d¨¦railler si on continuait ¨¤ lui rappeler ce moment auquel elle n¡¯appartenait pas. Bient?t serait-elle convoy¨¦e d¡¯un service psychiatrique ¨¤ l¡¯autre, humili¨¦e par les m¨¦decins blancs.
Le SAGI. Toujours lui¡ Cette blague ne m¡¯amuse plus.
Un drone passa devant la baie vitr¨¦e, d¨¦tournant son attention. Il virevoltait sans ¨¦l¨¦gance, tenant entre ses serres un paquet gris et observant le couple de sa myriade d¡¯yeux digitaux. Perth le remarqua aussi, grima?a et elle en profita pour faire d¨¦vier le sujet. Il s¡¯appr¨ºtait ¨¤ ¨¦voquer encore une fois son pass¨¦, sa guibole bris¨¦e, et elle finirait bien par craquer pour lui avouer toute la v¨¦rit¨¦. Et lui, que r¨¦pondrait-il ? ? Oui, je t¡¯ai crois¨¦ dans un hangar mal ventil¨¦, t¡¯¨¦tais si bonne que j¡¯ai envoy¨¦ ma liste de v?u au P¨¨re Citoyen. Et alors, on ne remercie pas papa ? ?. Elle le regarderait, tenterait de comprendre puis se jetterait par la fen¨ºtre. H¨¦las, elle tenait encore ¨¤ la vie.
Elle pointa les h¨¦lices du drone redoutable qui vrombissait ¨¤ leur fen¨ºtre ¨¤ la recherche d¡¯un client ¨¤ livrer :
¡ª Ils me foutent la trouille ¨¤ se d¨¦placer comme ?a et venir zieuter ce qui se passe chez nous. ?a n¡¯existait pas o¨´ je vivais. Ils n¡¯avaient pas assez de place pour leur permettre de voler et on ¨¦tait ¨¦quip¨¦ d¡¯un service de livraison par capsules pneumatiques quand ce n¡¯¨¦taient pas des chariots automatis¨¦s qui nous livraient les plus gros paquets. Je ne suis pas ¨¤ l¡¯aise face ¨¤ ces h¨¦lices qui d¨¦chirent l¡¯air devant mon visage, frissonna-t-elle non pas d¡¯effroi face ¨¤ l¡¯engin volant mais par peur de ce qu¡¯elle pourrait dire et de la r¨¦action de Perth.
Perth l¡¯ignora, consid¨¦rant l¡¯appareil avec curiosit¨¦ et passablement convaincu par le frisson de Suranis. Il avait cru y reconna?tre autre chose, une crainte subtile pour sa personne ? Elle le m¨¦ritait par son pass¨¦. Il avait perdu en mobilit¨¦ et se tra?nait d¨¦sormais ¨¤ cause d¡¯utopistes convaincus d¡¯agir pour le bien commun ; de plus il devait d¨¦sormais coucher avec l¡¯une de ces heureuses imb¨¦ciles pour s¡¯assurer que tout se d¨¦roulait comme pr¨¦vu. L¡¯ancien flic devenu chercheur n¡¯appr¨¦ciait pas le chaos, mais collaborer au maintien de l¡¯ordre l¡¯ennuyait parfois. Surtout quand cela devait ¨ºtre fait de la sorte et qu¡¯il ¨¦crivait r¨¦guli¨¨rement des rapports, cach¨¦s dans le tabac le plus proche entre deux parieurs inv¨¦t¨¦r¨¦s.
Il revint ¨¤ la charge, abandonnant l¡¯id¨¦e d¨¦licieuse du drone brisant la grande fen¨ºtre pour venir lac¨¦rer la tronche de sa malaim¨¦e :
¡ª C¡¯est bien utile pourtant. J¡¯aurai aim¨¦ que l¡¯on en poss¨¨de dans le SAGI, plut?t que de filmer ?a ¨¤ l¡¯ancienne avec une ¨¦quipe humaine. Ils auraient pu ¨ºtre partout, tout voir¡ J¡¯aimerais tout voir ma ch¨¦rie.
¡ª Tout voir ? demanda Suranis, pas certaine de comprendre malgr¨¦ la main d¡¯un Perth qui exer?a une pression au bas de ses reins.
T¨¦tanis¨¦e, elle regarda le reflet de son salopard pr¨¦f¨¦r¨¦ dans le verre. Elle n¡¯y vit que de la haine, assez habituelle bien qu¡¯aujourd¡¯hui elle se dit que la seule chose qui la s¨¦parait du linceul ¨¦tait une plaque de plexiglas. S¡¯il la poussait, elle se laisserait faire et elle sut qu¡¯il le ferait avec plaisir. Elle ferma les yeux, attendit le moment, mais il s¡¯¨¦loigna d¡¯elle pour rejoindre le canap¨¦ en se composant un visage neutre, saupoudr¨¦ d¡¯un soup?on de volupt¨¦.
¡ª Oui, tout... Une petite fois, allez, approche-toi¡ Je ne mords pas.
Elle vint ¨¤ lui, le gobelet de bi¨¨re ¨¤ la main apr¨¨s n¡¯y avoir tremp¨¦ les l¨¨vres qu¡¯une seule et longue fois. Une seule fois. Il l¡¯attendait, jambes crois¨¦es et son aspect plus que jamais refl¨¦tait le crapaud difforme qu¡¯il ¨¦tait au fond de lui. Ils ¨¦taient prisonniers l¡¯un de l¡¯autre par des forces qui les d¨¦passaient et la seule ¨¦chappatoire se trouvait peut-¨ºtre dans la table de nuit o¨´ sommeillait le .22 LR de Perth.
Cette nuit, alors qu¡¯atones ils firent l¡¯amour pour la derni¨¨re fois, Suranis se demanda si la solution ¨¤ tous ses probl¨¨mes n¡¯¨¦tait pas dans le canon d¡¯un pistolet. Une balle pour Perth, une pour elle. Le d¨¦go?t l¡¯envahit alors qu¡¯il l¡¯engloutissait, bient?t, elle ne ressentit plus rien. Lorsqu¡¯il s¡¯endormit ¨¤ ses c?t¨¦s, elle se sentit fatigu¨¦e elle aussi. Elle sombra.
Chapitre 37
Un flic dans le coma.
¨¤ 9h07, heure de la Surface, l¡¯unit¨¦ sp¨¦ciale 8 de la FPCP perdu son capitaine. Charg¨¦s de la capture des ¨¦l¨¦ments ¨¤ r¨¦int¨¦grer dans le cadre du nouveau programme du Conseil, ils ne virent qu¡¯au dernier moment arriver sur eux le palet lanc¨¦ en cloche qui atterrit avec fracas aux pieds de Perth Bickhorn. Il tenta de renvoyer le palet, se lan?ant dans la partie la plus extraordinaire de ping-pong qui n¡¯eut jamais ¨¦t¨¦ et alors que son pied s¡¯approchait de la promesse mortif¨¨re, les billes d¡¯acier lib¨¦r¨¦es de leur enveloppe fil¨¨rent ¨¤ toute vitesse vers lui. Les Sagistes en face se recroquevill¨¨rent par r¨¦flexe alors que le capitaine Bickhorn fut contraint de le faire car la douleur s¡¯av¨¦ra insupportable. Sa rotule gauche se brisa sous le choc, son mollet entam¨¦ par les billes c¨¦da et il tomba, les mains pos¨¦es sur ce qu¡¯il lui restait de jambe, la t¨ºte en premi¨¨re. Son crane percuta un tabouret v¨¦tuste, l¡¯aluminium qui le composait se d¨¦forma en imprimant deux factures nettes sur son frontal et ab?mant son orbite. Le visage ensanglant¨¦, l¡¯?il englu¨¦, il s¡¯¨¦vanouit au milieu du tumulte et ne vit pas le coll¨¨gue qui le saisit par les bras et l¡¯extirpa vers l¡¯arri¨¨re du champ de bataille. Loin au-del¨¤ du rideau des fumig¨¨nes.
¨¤ 9h27, apr¨¨s s¡¯¨ºtre assur¨¦ que le bless¨¦ n¡¯allait pas mourir dans l¡¯instant, on d¨¦gagea l¡¯acc¨¨s ¨¤ un des ascenseurs de service qui, m¨ºme s¡¯il n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ utilis¨¦ depuis plus d¡¯un si¨¨cle, fonctionnait ¨¤ peu pr¨¨s correctement apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ bidouill¨¦. Dix minutes plus tard d¨¦boula l¡¯¨¦quipe m¨¦dicale escort¨¦e par des balourds. Aucun de ceux qui vinrent au secours de Perth Bickhorn ni des autres bless¨¦s du SAGI ne revirent l¡¯infirmerie sectorielle qui les accueillirent imm¨¦diatement apr¨¨s les faits. D¨¦plac¨¦s fut le terme utilis¨¦ par le Conseil, mais d¨¦dommag¨¦s pour les horreurs auxquelles ils assist¨¨rent en tra?nant des cadavres serait un mot plus juste.
¨¤ 10h08, le capitaine ¨¦tait sur le billard pour les dix heures suivantes. L¡¯infirmerie, gu¨¨re ¨¦quip¨¦e, ne poss¨¦dait pas de capsules m¨¦dicales ou docs comme on se plaisait ¨¤ les appeler, mais elle avait la chance d¡¯avoir une ¨¦quipe m¨¦dicale exp¨¦riment¨¦e. Les m¨¦decins s¡¯attel¨¨rent ¨¤ rafistoler tant bien que mal le pantin d¨¦sarticul¨¦ qu¡¯on leur avait ramen¨¦ et apr¨¨s lui avoir ressoud¨¦ l¡¯int¨¦gralit¨¦ des morceaux branlants et ponctionn¨¦ les h¨¦matomes c¨¦r¨¦braux, on se risqua ¨¤ dire que l¡¯op¨¦ration avait ¨¦t¨¦ un succ¨¨s. Du moins, c¡¯est ce que pr¨¦tendirent les gros titres des journaux le lendemain lorsque Perth Bickhorn fut ¨¦lev¨¦ au rang de h¨¦ros national et qu¡¯il le resta pour les deux mois qui suivirent. Deux mois durant lesquels il resta dans le coma, auxquels s¡¯ajouta un autre mois d¡¯incapacit¨¦ totale pour la bonne forme et que pour jamais il ne puisse exp¨¦rimenter les hommages.
Le temps effa?a vite les consid¨¦rations publiques pour le policier bless¨¦ qui se r¨¦duisirent rapidement ¨¤ de grosses enveloppes. Lorsque le comateux s¡¯¨¦veilla, les yeux hagards et le monde trouble autour de lui, tout cela appartenait d¨¦j¨¤ au pass¨¦. Un ¨¦lancement s¡¯empara de sa t¨ºte en m¨ºme temps que la conscience lui revenait. Ce martellement sourd ne devait plus jamais le quitter et celui qui autrefois sans ¨ºtre aimable n¡¯¨¦tait pas d¨¦testable, devint un homme nouveau. Une carcasse occup¨¦e par une enflure tout juste consciente de l¡¯anormalit¨¦ des affects qui s¡¯empar¨¨rent de lui et de la haine f¨¦roce qu¡¯il ¨¦prouvait pour ceux qui avaient fait de lui ce qu¡¯il ¨¦tait aujourd¡¯hui. Du moins ceux ¨¤ qui il imputait l¡¯enti¨¨re responsabilit¨¦ de son supplice. S¡¯il n¡¯y avait eu que ?a, tout aurait ¨¦t¨¦ pas si mal¡ pas si mal si on exceptait la terreur qui l¡¯¨¦treignait devant ce qui se dessinait de son avenir. La vie ne serait pas un long fleuve tranquille.
Sa conscience revenant peu ¨¤ peu et ses membres s¡¯¨¦veillant ¨C aussi fortement qu¡¯ils pouvaient le faire - il fut saisi des derni¨¨res sensations qui l¡¯habit¨¨rent avant de s¡¯effacer. Il porta aussit?t sa main au visage s¡¯attendant ¨¤ sentir la mati¨¨re grise qui viendrait titiller le milieu ext¨¦rieur mais il n¡¯en ressentit aucune trace. Soulag¨¦ sans l¡¯¨ºtre, le relief infime sous ses doigts lui fit craindre le pire. Ses doigts s¡¯envol¨¨rent de son crane ¨C d¨¦j¨¤ gu¨¦ri ! - et plan¨¨rent jusqu¡¯¨¤ son genou. Ils h¨¦sit¨¨rent un temps avant de se refermer sur l¡¯articulation bless¨¦e. Rien. Il palpa encore et aucune douleur ne l¡¯¨¦prouva. Petit ¨¤ petit, il faisait la connaissance d¡¯une id¨¦e ¨¦pouvantable. L¡¯horloge avait continu¨¦ son tic-tac laborieux pendant qu¡¯il ¨¦tait hors-circuit. Combien de jours avait-il perdu dans le caniveau de l¡¯inconscience ? Pendant tout ce temps, Perth Bickhorn n¡¯avait ¨¦t¨¦ qu¡¯une coquille vide et il ne pouvait songer aux merveilles manqu¨¦es dans ces draps blancs.
Ses mains agripp¨¨rent le cadre de son lit, ses yeux s¡¯exorbit¨¨rent face au carrelage aussi pale qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait lui-m¨ºme et il ne put retenir un cri d¡¯horreur. Son cri d¨¦chira les couloirs de l¡¯infirmerie. Des pas pr¨¦cipit¨¦s, mais nullement inquiets, se firent entendre ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur de la chambre et le voyant vert s¡¯alluma au-dessus de la porte. On la poussa, sans m¨¦nagement, et la figure rondouillarde d¡¯une infirmi¨¨re joviale s¡¯incrusta en balayant l¡¯univers de sa bont¨¦. Perth Bickhorn n¡¯en avait cure, il se focalisa sur elle en n¡¯y voyant qu¡¯un oiseau de malheur qui viendrait lui annoncer que des ann¨¦es s¡¯¨¦taient ¨¦coul¨¦es, que le Conseil n¡¯existait plus et que le monde s¡¯¨¦tiolait. Bient?t la Cit¨¦ s¡¯effondrerait et il chuterait avec sans avoir pu vivre.
L¡¯infirmi¨¨re se pencha vers lui, un relent d¡¯eau de Cologne insupportable provenait de son cou alors qu¡¯elle le recalait fermement sur son oreiller :
¡ª Tout va bien Monsieur Bickhorn, vous ¨ºtes dans l¡¯infirmerie sectorielle de l¡¯¨¦tage B, dit-elle de sa voix fluette avant de se pencher sur les appareils de mesure qu¡¯elle ne lisait que sommairement mais qui lui apprirent que son patient n¡¯allait pas claquer dans la minute.
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Perth la repoussa et se malaxa le genou avec stup¨¦faction. Une lueur de compr¨¦hension traversa le visage de l¡¯infirmi¨¨re avant m¨ºme que l¡¯homme ne prenne la parole :
¡ª Mon putain de genou est entier, s¡¯exclama Perth. La douleur que j¡¯ai ressentie, il ne peut ¨ºtre qu¡¯en miettes¡ Je ne ressens rien.
¡ª C¡¯est normal, vous ¨¦tiez dans le coma et votre corps a pu gu¨¦rir sans encombre, tenta de le rassurer l¡¯infirmi¨¨re, ce qui n¡¯eut pour effet que d¡¯enrager Perth Bickhorn qui redoutait ce terrible mot : ? coma ?.
Incapable de dire mot, Perth fixa la paroi implacable qui le retenait emprisonn¨¦. La rivi¨¨re avait coul¨¦ et lui, sans ¨ºtre rest¨¦ ¨¤ quai, l¡¯avait emprunt¨¦. La fin du trajet approchait et il s¡¯¨¦chouerait dans l¡¯inconnu. Un frisson le parcouru, ses poings se crisp¨¨rent. Il d¨¦barquerait tout de suite. La respiration rauque, il tenta de se mettre debout pour d¨¦guerpir et reprendre le cours de sa vie l¨¤ o¨´ il l¡¯avait laiss¨¦. L¡¯infirmi¨¨re, avec une infinie tristesse, lui posa une main p¨¦remptoire sur le torse sans exercer de pression autre que celle de la duret¨¦ de son regard :
¡ª Je suis navr¨¦e, vous n¡¯allez pas pouvoir sortir tout de suite. Vous ¨ºtes rest¨¦ dans le coma plus de trois mois, vos membres sont atrophi¨¦s et vous ne parviendrez qu¡¯¨¤ vous blesser en tentant de marcher. Il va falloir proc¨¦der ¨¤ une r¨¦¨¦ducation mais cela devrait ¨ºtre rapide¡ s¡¯excusa-t-elle sans le penser, le travail serait important.
¡ª Combien de temps ? demanda Perth, le corps tremblant comme pour annoncer des larmes.
¡ª Je ne sais pas. Habituellement, les patients qui se d¨¦brouillent le mieux sortent apr¨¨s un ou deux mois maximum¡
Perth ne l¡¯¨¦coutait pas, accapar¨¦ par le vide qui s¡¯¨¦tendait devant lui et derri¨¨re lui. Presque une demi-ann¨¦e gach¨¦e. Son p¨¨re avait baiss¨¦ le pavillon ¨¤ l¡¯age de 41 ans. Une maladie foudroyante coupl¨¦e ¨¤ une malformation cardiaque pass¨¦e inaper?ue le terrassa et Perth suivrait son chemin¡ Peut-¨ºtre. Il le revoyait sur son lit de mort, le teint si pale que les draps paraissaient chaleureux en comparaison.
¡ª Un mois, r¨¦p¨¦ta-t-il. Il me reste un seul mois avant de recommencer ¨¤ vivre¡ Un mois¡
¡ª Peut-¨ºtre moins ? tenta l¡¯infirmi¨¨re. Il y aura des b¨¦quilles au d¨¦part mais si vous vous d¨¦brouillez bien ?a ne sera l¡¯affaire que de quelques semaines¡ Ce n¡¯est pas grand-chose, vous savez. Vous ¨ºtes encore en vie.
¡ª Un putain de mois bloqu¨¦ dans cette foutue chambre ! hurla-t-il en frappant le lit.
¡ª N¡¯aggravez-pas votre ¨¦tat !
¡ª AU MOINS UN MOIS !
Il souleva son poing belliqueux vers l¡¯infirmi¨¨re. Il fallait un responsable, peu importe lequel, quelqu¡¯un qui puisse souffrir des trois premiers mois perdus auxquels s¡¯ajoutaient le ? petit ? mois qui suivrait. Quatre mois a minima ce n¡¯¨¦tait rien ¨¤ l¡¯¨¦chelle d¡¯une vie, mais ?a pouvait repr¨¦senter ¨¦norm¨¦ment et Perth savait ¨¤ quel point la vie pouvait ¨ºtre fragile. Il connaissait les faiblesses de sa lign¨¦e et le cable tendu sur lequel il marchait.
Ses l¨¨vres s¡¯¨¦cart¨¨rent, la terreur laissant place ¨¤ un sentiment de haine visc¨¦rale qui reviendra souvent :
¡ª Vous ne savez rien de ce qu¡¯est un mois dans une vie, pauvre conne ! Vous ne savez rien de ce que c¡¯est que d¡¯¨ºtre enferm¨¦ entre quatre murs puants sous le regard de vampires en blouse blanche ! Vous n¡¯en savez rien !
Lui non plus n¡¯en savait rien mais il en avait une id¨¦e. On lui avait propos¨¦ ¨C ou ordonn¨¦ ? - de visiter les laboratoires et de voir ces rang¨¦es de cobayes align¨¦s dans des boxes. De voir leurs traits de toxicos r¨¦cup¨¦r¨¦s dans la rue se d¨¦former sous la douleur suppos¨¦e par le GH-Drain 2. Il avait vu se d¨¦lecter les scientifiques devant les promesses de cette nouvelle drogue coercitive, avait vu un enfant se prendre pour le pr¨¦sident d¡¯un pays oubli¨¦ et tout ?a pi¨¦g¨¦ dans une bo?te¡ Il s¡¯¨¦tait dit qu¡¯il ne tomberait jamais de l¡¯autre c?t¨¦ du verre blind¨¦ mais il y ¨¦tait¡ Sans les injections, sans la malveillance, mais il ne pouvait s¡¯emp¨ºcher de revenir ¨¤ cette horrible visite qui, m¨ºme s¡¯il en avait ¨¦t¨¦ ¨¦branl¨¦, lui avait montr¨¦ la triste r¨¦alit¨¦ de son monde. On devait faire des choses affreuses pour que le train reste sur ses rails ; n¨¦cessit¨¦ absolue pour la Cit¨¦ et un message clair : tu as sign¨¦, voil¨¤ ce qui t¡¯attend si tu fais marche arri¨¨re.
La menace n¡¯avait pas besoin d¡¯¨ºtre plus claire. Pourvu qu¡¯il n¡¯arrive jamais l¨¤-bas et que la salle blanche soit bien une chambre et non une cellule dans un laboratoire.
¡ª Calmez-vous ! demanda la femme en ¨¦carquillant les yeux avant d¡¯attraper en vol le poing mena?ant de s¡¯¨¦craser sur l¡¯arr¨ºte de son nez. Vous ¨ºtes d¨¦boussol¨¦, ?a va s¡¯arranger ! Je¡
Perth d¨¦gagea son poing de l¡¯¨¦treinte trop molle de la femme. Elle ne pensait pas qu¡¯il lui resterait assez de force pour la mettre ¨¤ mal mais pourtant l¡¯homme alit¨¦, les iris bleues dilat¨¦es par l¡¯effort, parvint ¨¤ la culbuter. Il rala sous l¡¯effort et le monde se mit ¨¤ valser autour de lui alors qu¡¯il se mit sur son s¨¦ant. Le visage d¨¦form¨¦ de l¡¯infirmi¨¨re, choqu¨¦e, s¡¯estompait. Les rampes d¡¯¨¦clairages se fragment¨¨rent et les esquilles des carreaux d¨¦gringol¨¨rent par terre puis tout ne fut plus que bruits confus, pr¨¦cipitation et chaos.
Dans le voile de la crise, il crut discerner les masques bleus des m¨¦decins qui s¡¯affairaient autour de lui. Ils se d¨¦versaient en lui, l¡¯auscultaient sous tous les angles avant de d¨¦clarer : ? ¡ nous en avons encore pour un moment avec ce petit con ?. Ce fut le moment choisi par le petit con pour s¡¯¨¦vanouir de nouveau.
Chapitre 38
Les barres parall¨¨les devinrent le quotidien de Perth Bickhorn. Depuis combien de temps ? Perth n¡¯en savait rien. Il avait cess¨¦ de compter les nuits qui marquaient les jours et ent¨¦rinant les semaines, menant irr¨¦m¨¦diablement aux mois. Il commen?ait ¨¤ croire que cela faisait bien plus que le d¨¦lai promis : peut-¨ºtre six mois. Il avait retrouv¨¦ l¡¯usage de ses jambes bien qu¡¯il boitait encore et que cela ne le quitterait jamais. Ce n¡¯¨¦tait pas l¡¯avis de l¡¯homme qui se chargeait de son r¨¦tablissement, un petit rondouillet qui le levait aux aurores pour le mener ¨¤ la salle de torture. Il pr¨¦tendait que cela partirait avec la r¨¦¨¦ducation, m¨ºme si rien ne changeait malgr¨¦ ses dires et le temps qui s¡¯¨¦coulait avec une viscosit¨¦ navrante. Des mois ou des si¨¨cles : quelle diff¨¦rence ?
Perth traversa comme ¨¤ son habitude le couloir des barres sans s¡¯aider de ses bras, bravache mais gu¨¨re rassur¨¦ par les demies-lunes qui l¡¯observaient :
¡ª Je peux me d¨¦brouiller seul, dit-il en regardant de biais le sp¨¦cialiste.
¡ª J¡¯en doute. Vous boitez encore, r¨¦pondit en souriant l¡¯homme.
Il devait s¡¯agir du membre du personnel le plus admirable qui soit. Les autres l¡¯ostracisaient depuis le d¨¦but et il douta que cela ne soit seulement ¨¤ cause de son altercation du premier jour. Ils connaissaient des choses qu¡¯il ignorait encore. Le m¨¦decin en chef notamment, qui filait parfois de son bureau jusqu¡¯¨¤ la machine ¨¤ caf¨¦, tournait sur lui-m¨ºme avec un air satisfait et jetait souvent un ?il circonspect par le hublot d¡¯observation. Il refusait de lui signer le papier qui le remettrait en libert¨¦ et cela le rendait fou.
¡ª S¨¦rieusement ? siffla Perth. Je bo?te depuis trop de s¨¦ances pour qu¡¯un jour je me remette ¨¤ marcher dignement. Depuis combien de temps je suis ici au juste ? Il faut que je fasse quoi pour avoir ce papelard ? Je suis un patient, pas un prisonnier.
L¡¯homme d¨¦posa son bloc-notes et esquissa un ricanement. Il se contint avant de s¡¯asseoir sur le si¨¨ge de son estrade. Perth aurait pu lui sauter ¨¤ la gorge et le tuer, mais sous la graisse se cachait des muscles puissants et il passerait de l¡¯¨¦tape r¨¦tablissement ¨¤ prison. Cela ne l¡¯enchantait pas.
¡ª Deux mois, tout au plus, mentit-il. Allez, un peu d¡¯effort et vous sortirez. Vous n¡¯¨ºtes pas prisonnier. En marche, un tour de plus ! Et aidez-vous de vos bras, ne sollicitez pas trop votre nouveau genou.
Perth rumina avant de reprendre le chemin en sens inverse. Les m¨ºmes barres froides ¨¦pous¨¨rent la forme de ses mains et la m¨ºme prise de note enrag¨¦e de l¡¯autre c?t¨¦. Lui, le fant?me bleu continuait son invraisemblable progression et souffrait le m¨ºme quotidien dans l¡¯infirmerie sectorielle en attendant qu¡¯un pr¨ºtre vienne l¡¯exorciser. Il en ¨¦tait venu ¨¤ penser que la mort qui le terrifiait tant n¡¯¨¦tait pas grand-chose lorsqu¡¯on se retrouvait isol¨¦. Au moins, la mort ¨¦tait-elle une surprise plus grande que le planning inchang¨¦ depuis son arriv¨¦e.
Il avait presque atteint le bout du couloir lorsqu¡¯on frappa ¨¤ la porte et que par le petit hublot se dessina un carr¨¦ pourpre de satin. Pour la premi¨¨re fois, Perth vit un changement d¡¯attitude chez son r¨¦¨¦ducateur. Il n¡¯y avait plus cette lassitude un peu moqueuse, qu¡¯il imaginait teint¨¦e de bienveillance ¨¤ un niveau si infime qu¡¯on pouvait le prendre pour un sadique au grand c?ur. Non. L¡¯homme en r¨¦action au bruit s¡¯¨¦tait d¨¦compos¨¦. Il semblait abasourdi, redoutant ce moment plus qu¡¯il ne l¡¯attendait et se dirigea d¡¯un pas lourd vers la porte qu¡¯il ouvrit sur un g¨¦ant en costume trois-pi¨¨ce. Le visage dur, il devait s¡¯approcher de la quarantaine. Il leva un bras, impr¨¦gna un mouvement circulaire ¨¤ son poignet et le r¨¦¨¦ducateur sorti bienheureux d¡¯¨ºtre cong¨¦di¨¦ de la sorte.
Le patient se hissa jusqu¡¯¨¤ l¡¯estrade, prenant appui sur le bureau sans sourciller. Si le croquemitaine s¡¯¨¦tait d¨¦cid¨¦ de l¡¯emporter, il en serait ravi. Le nouveau venu s¡¯approcha de quelques pas et un relent de musc fouetta les narines de Perth au moment o¨´ il ¨¦carta sa veste pour en sortir un badge qu¡¯il ne connaissait que trop bien : le Conseil des Pilotes avait envoy¨¦ un homme aux allures de gorille.
¡ª Je ne savais pas ¨¤ qui m¡¯attendre, du moins l¡¯apparence du bonhomme, lan?a l¡¯homme myst¨¦rieux en rengainant son badge d¡¯un geste leste. Jalmer Huntis, je le dis car vous ne saviez pas que je viendrais aujourd¡¯hui.
¡ª Perth Bickhorn, commen?a son Perth avant qu¡¯on ne le coupe.
¡ª Je le sais d¨¦j¨¤. De l¡¯unit¨¦ 8 des FPCP ? J¡¯ai lu le dossier avant de venir. Il para?t que vous ¨ºtes ici depuis six mois et vingt-sept jours, mais que vous vous ¨ºtes remis depuis¡
Il posa sa main ¨¤ la tempe, consultant rapidement les informations qu¡¯il avait re?u ¨¤ son sujet avant que son visage ne s¡¯illumine :
¡ª Ah oui, ¨¦videmment. Trois mois, bient?t quatre. Mais je vois que vous ¨ºtes toujours ici, vous ne savez peut-¨ºtre pas pourquoi ?
¡ª Parce que je ne suis pas encore remis, tenta Perth en se reculant involontairement, frapp¨¦ de stupeur.
Tout s¡¯¨¦croulait autour de lui. Si on ne signait pas le papier de sortie, c¡¯est qu¡¯on ne le voulait pas et non car le patient n¡¯¨¦tait pas apte ¨¤ regagner la vie civile. On le gardait prisonnier et voil¨¤ qu¡¯un certain Jalmer apparaissait, le premier maton qu¡¯il rencontrait. Le premier qui ne cachait pas son jeu et qui aurait pu ¨ºtre, dans une autre vie, un coll¨¨gue. Mais le destin d¨¦cida qu¡¯ils ne l¡¯¨¦taient pas et que c¡¯¨¦tait ce gars qui ¨¦tait face ¨¤ lui, lui souriant avec une avidit¨¦ d¨¦bordante. Ce gars qui ¨¦tait libre et lui derri¨¨re les verri¨¨res.
¡ª Perdu. Votre unit¨¦ en sait trop et son capitaine davantage encore. On vous a s¨¦lectionn¨¦ pour votre loyaut¨¦, mais la s?ret¨¦ de la Cit¨¦ nous incombe de vous garder en observation un temps¡ Mais vous connaissiez les risques lorsque vous vous ¨ºtes engag¨¦s sur cette piste. Je me suis moi-m¨ºme engag¨¦ sur cette malheureuse voie, dit-il et l¡¯espace d¡¯une seconde il s¡¯humanisa, conscient de la pente glissante sur laquelle il s¡¯¨¦tait engag¨¦ mais ?a payait bien.
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¡ª Ce n¡¯est donc pas une infirmerie¡
¡ª Gagn¨¦. On vous fait un traitement de faveur en ¨¦dulcorant votre emprisonnement. On aurait pu vous glisser dans un caisson de r¨¦¨¦ducation mais on s¡¯est dit qu¡¯on pouvait vous traiter autrement, en tant que h¨¦ros de la nation.
Le caisson aurait ¨¦t¨¦ dans la continuit¨¦ de tout ce qu¡¯avait entrepris le Conseil. Le SAGI avait ¨¦t¨¦ une tumeur excis¨¦e avec succ¨¨s qui aurait fini par corrompre l¡¯enti¨¨ret¨¦ de la Cit¨¦. Ils en ¨¦taient d¨¦sormais ¨¤ l¡¯¨¦tape de la chimioth¨¦rapie : embrigadement. Quels autres choix s¡¯offraient ¨¤ eux ? L¡¯anarchie galopante, si elle avait ¨¦t¨¦ laiss¨¦e en vie, se serait heurt¨¦e ¨¤ la plus grande des forces du monde organis¨¦ : celle de pouvoir faire en sorte que tout un chacun soit ¨¤ sa place dans le microcosme en orbite qu¡¯ils habitaient. Et le monde organis¨¦ aurait c¨¦d¨¦. La Cit¨¦ aurait cess¨¦ d¡¯exister par manque de concorde et des millions d¡¯habitants seraient morts pour le r¨ºve de trois imb¨¦ciles.
C¡¯¨¦tait ainsi. Perth en avait l¡¯absolue conviction bien qu¡¯il soufra des choix terribles du Conseil. Ils impliquaient que les individus en premi¨¨re ligne en patissent. En tout ¨¦tat de cause, les ¨¦l¨¦ments de l¡¯Unit¨¦ 8 auraient d? passer au caisson comme tous ceux qui en savaient trop, au moins leur capitaine qui ¨¦tait au courant de la v¨¦ritable raison de leur mission. Pourtant, ce n¡¯¨¦tait pas ce qui avait ¨¦t¨¦ choisi pour lui et bien que Perth n¡¯avait pas song¨¦ un seul instant qu¡¯on puisse lui infliger une r¨¦¨¦ducation, par une foi aveugle envers son employeur, il y pensait souvent. Pire, ses r¨ºves ¨¦taient hant¨¦s par les caissons qui plongeaient dans une simulation de vie, s¡¯attardaient sur les moindres d¨¦tails jusqu¡¯¨¤ ¨¦crire des souvenirs poignants avant la remise en libert¨¦. Il se r¨¦veillait alors, luisant de sueur, apr¨¨s un dernier plan sur un homme au crane ras¨¦ recouvert d¡¯une toile d¡¯¨¦lectrodes : lui.
Il ne voulait pas ¨ºtre enterr¨¦ dans un caisson.
¡ª Qu¡¯est-ce qui me dit que je ne suis pas d¨¦j¨¤ dans un caisson ? demanda pensivement Perth en regardant les yeux de l¡¯homme en pourpre, son iris avait la m¨ºme couleur et ne d¨¦clama aucune r¨¦ponse.
¡ª Moi, je vous le dis et le fait que vous connaissiez toujours l¡¯existence du programme vous le dit aussi. ?¡¯aurait-¨¦t¨¦ la premi¨¨re chose qu¡¯on vous aurait fait oublier, vous ne pensez pas ? Vous ¨¦chappez encore au caisson, contrairement ¨¤ nombre de gars dans votre ¨¦quipe qui en sortent tout juste¡ avec une prime ¨¤ vie, si cela peut vous rassurez. Nous nous sommes bien gard¨¦s de pr¨¦venir les participants de notre rafle de ce qu¡¯il adviendrait d¡¯eux une fois l¡¯op¨¦ration termin¨¦e, mais nous tenions ¨¤ les r¨¦compenser pour l¡¯abn¨¦gation dont ils ont fait preuve. La Cit¨¦ est un monde de salauds, leur mission ¨¦tait d¨¦gueulasse mais n¨¦cessaire. On ne va pas les plomber plus que de raison. N¡¯est-ce pas ?
¡ª C¡¯est vrai... Si cela est n¨¦cessaire. Et oui, vous avez aussi raison. Si j¡¯¨¦tais dans un foutu caisson je ne me souviendrais pas de leur existence¡ Votre histoire est coh¨¦rente, rumina Perth. Pourquoi n¡¯ai-je pas eu le m¨ºme traitement que le reste de mon ¨¦quipe ?
¡ª Parce que nous avons d¡¯autres projets ¨¤ vous proposer avant de songer ¨¤ cette ¨¦tape. Voyez-vous, votre profil nous int¨¦resse. Nous voulons ¨¦prouver au maximum le conditionnement et on a besoin de¡ Collaborateurs dirons-nous. Les essais pr¨¦liminaires ne semblent montrer aucune faille, mais nous n¡¯avons pas exp¨¦riment¨¦s tous les¡
L¡¯homme s¡¯arr¨ºta pour s¡¯humecter les l¨¨vres avant de reprendre :
¡ª Al¨¦as de la vie. Nous avons eu vent de votre dossier, des retours infirmiers et on vous a extrait de l¡¯infirmerie. L¡¯actuelle n¡¯a rien ¨¤ voir avec celle qui vous a accueilli mais vous vous en rendiez peut-¨ºtre compte. Maintenant, vous en avez la certitude.
C¡¯¨¦tait vrai. Perth en y repensant n¡¯avait jamais revu l¡¯infirmi¨¨re qu¡¯il avait renvers¨¦ le premier jour. Ni le moindre m¨¦decin qui suivirent la semaine suivante. Bien que sa chambre n¡¯eut pas chang¨¦ et que les locaux soient les m¨ºmes, le personnel lui ¨¦tait diff¨¦rent. L¡¯¨¦tranget¨¦ de la chose l¡¯avait frapp¨¦ sans qu¡¯il ne la questionne plus en profondeur. Il se sentit accul¨¦, il ne le ressentait pas auparavant mais d¨¦sormais il ne pouvait l¡¯ignorer. On le gardait en cage et il n¡¯en sortirait pas de sit?t.
Il d¨¦glutit, d¨¦chir¨¦ entre l¡¯envie d¡¯¨¦gorger l¡¯homme en pourpre ¨C cet oiseau de malheur ¨C et de s¡¯¨¦clater le crane contre le bureau. Il choisit une troisi¨¨me voie :
¡ª Qu¡¯attendez-vous de moi dans ce cas ? glapit-il sans contr?ler la hauteur de sa voix.
L¡¯homme en pourpre ouvrit le dossier qu¡¯il transportait. Il en sortit la photographie d¡¯une jeune femme ¨¦puis¨¦e qui fixait l¡¯objectif de la cam¨¦ra comme le bout du tunnel d¡¯un abattoir. ? Suranis Rh¨¦on ? disait la pancarte entre ses mains. Jalmer Huntis tapota la photographie :
¡ª Suranis Rh¨¦on, nous supposons qu¡¯elle a jou¨¦ un r?le important dans le SAGI. Je dirais m¨ºme que nous savons qu¡¯elle a install¨¦, avec un autre, le disque principal contenant leur propagande, dit-il avant de s¡¯arr¨ºter devant l¡¯air ahuri de Perth Bickhorn. Ne prenez pas ce regard vache. Vous n¡¯avez pas tout le dossier et vous n¡¯en aurez pas besoin. Bref, le fait est que cet autre a assez de poids parmi les s¨¦lectionn¨¦s pour demander un service au Conseil. Service qui a ¨¦t¨¦ accept¨¦. Ce service, aussi ¨¦tonnant soit-il, fut que nous ¨¦pargnions cette femme qui n¡¯entrait pas dans nos crit¨¨res de r¨¦insertion. Suranis Rh¨¦on ¨¦tait port¨¦e disparue depuis assez longtemps pour qu¡¯une disparition plus d¨¦finitive ne vienne troubler l¡¯ordre public. Mais voil¨¤, la promesse ¨¦tant faite, m¨ºme si notre lascar l¡¯a oubli¨¦ depuis, nous l¡¯avons gard¨¦ sous la main.
¡ª En quoi cela me concerne ? murmura Perth.
¡ª Nous l¡¯avons ¨¤ disposition et nous devons exp¨¦rimenter certaines choses. D¡¯apr¨¨s le dossier qu¡¯on a sur vous, vous seriez un excellent observateur pour transmettre son ¨¦volution. Nous tenons absolument ¨¤ savoir si le GH-Drain 2 est aussi efficace que nos laborantins le pr¨¦tendent. Pour ce faire, vous serez amen¨¦ ¨¤ lier une relation avec le sujet sur quatre ann¨¦es apr¨¨s quoi vous serez lib¨¦r¨¦. D¨¦finitivement. Nous n¡¯attendons de vous qu¡¯un rapport hebdomadaire sur ses comportements, ses inqui¨¦tudes et ses fantaisies. Elle sera encline ¨¤ vous parler plus que de raison, cela fait partie int¨¦grante des souvenirs que nous lui avons implant¨¦.
¡ª Mais pourquoi moi ?
Le repr¨¦sentant du Conseil se contenta de ranger la photographie et de replacer son col. Int¨¦rieurement, il se d¨¦lectait de l¡¯observateur violent qui tordrait Suranis Rh¨¦on comme un chiffon mouill¨¦. Il s¡¯¨¦coula une longue minute avant qu¡¯il ne lui r¨¦ponde, le regard vague comme plong¨¦ vers des horizons incertains.
¡ª Pourquoi pas ? r¨¦pondit-il platement avant de se lever. Je vous laisse la semaine pour r¨¦fl¨¦chir, sinon nous devrons passer ¨¤ un autre candidat.
Et vous serez effac¨¦ de la circulation, mais vous le savez d¨¦j¨¤ Perth. Vous n¡¯¨ºtes pas si con, ajouta-t-il dans l¡¯imperceptible haussement de sourcil qui suivit. Par-l¨¤, il fallait entendre qu¡¯un cercueil l¡¯attendait, aspirant sa vie pass¨¦e pour la remplacer par une nouvelle toute artificielle. Perth avait une id¨¦e sur ce qui l¡¯attendait en cas de refus. Il finirait par sortir de cette prison m¨¦dicale, entier ou non, et l¡¯id¨¦e de devoir se coltiner une des connasses responsables de sa situation actuelle ne lui d¨¦plaisait pas totalement. Du moins, pr¨¦f¨¦rait-elle celle-ci ¨¤ l¡¯alternative m¨ºme si sans des personnes comme elle, il n¡¯aurait pas fini ici. Et m¨ºme s¡¯il ne s¡¯¨¦tait pas retrouv¨¦ bless¨¦, il aurait fini comme les membres de son ¨¦quipe. Il se demanda cependant comme ils avaient pu tous passer ¨¤ la moulinette laborantine et dispara?tre de la circulation quelques semaines sans inqui¨¦ter leurs familles. Peut-¨ºtre que l¡¯homme en pourpre lui avait menti ¨¤ ce propos, pour l¡¯affoler. Ses gars en savaient si peu qu¡¯il n¡¯y avait aucune raison de les passer au caisson, contrairement ¨¤ Perth Bickhorn qui s¡¯affala par terre. L¡¯idiot avait sign¨¦ un contrat avec le Diable et le Diable r¨¦clamait son d?.
Chapitre 39
Perth Bickhorn occupait une place particuli¨¨rement peu louable dans le maintien de l¡¯ordre. Il ?uvrait bien malgr¨¦ lui ¨¤ ce que le programme de r¨¦insertion ne souffre d¡¯aucun accroc parce que ces accrocs, c¡¯¨¦tait lui qui les subissait. Chaque matin, il se r¨¦veillait aux c?t¨¦s de Suranis, regardait sa rate de laboratoire se tr¨¦mousser, hant¨¦e par des r¨ºves dont elle ne parlait jamais et il esp¨¦rait qu¡¯elle ne se r¨¦veille pas afin de profiter d¡¯une retraite anticip¨¦e. Il fut un temps o¨´ il lui suffisait de bien peu pour retrouver d¨¦finitivement son amante, sa cadette qui l¡¯admirait avec une innocence na?ve et qui lui procurait, l¡¯espace d¡¯une ¨¦treinte, la sensation d¡¯¨ºtre un h¨¦ros adul¨¦ et non un gars enferm¨¦ dans le placard. Juste un spasme de plus, Suranis qui avalerait sa langue et mourait ¨¤ ses c?t¨¦s¡ Mais non, il fallait qu¡¯elle se r¨¦veille invariablement pour lui casser les couilles avec son amour terrifi¨¦ et inflig¨¦. La seule chose qu¡¯elle savait faire c¡¯¨¦tait de lui d¨¦clamer ¨¤ coup de Perth si, Perth ?a, Perth je t¡¯aime, mais ces mots avaient toujours l¡¯air de lui ¨ºtre arrach¨¦s ¨¤ la pince mentale. Apr¨¨s tout, elle ne l¡¯avait jamais vraiment aim¨¦, peut-¨ºtre m¨ºme qu¡¯elle le d¨¦testait autant qu¡¯il la recommandait chaudement ¨¤ l¡¯Enfer. Mais seul lui connaissait l¡¯int¨¦gralit¨¦ de l¡¯histoire et seul lui voyait le pi¨¨ge se refermer sur eux : pour la Cit¨¦.
¨¤ bien y repenser, il n¡¯aurait jamais d? s¡¯embarquer dans l¡¯assaut du SAGI. Son ambition carri¨¦riste l¡¯avait port¨¦ trop haut pour qu¡¯il puisse reculer et maintenant, dans ce salon faiblement ¨¦clair¨¦ par la caverne illumin¨¦e, il se retrouvait dos au mur. D¨¨s qu¡¯il avait l¡¯impression de l¡¯avoir d¨¦truit, on le rebatissait avec une plus grande vigueur. Oui, deux ans s¡¯¨¦taient ¨¦coul¨¦s depuis que sa surveillance devait ¨ºtre arriv¨¦e ¨¤ sa fin, mais voil¨¤ qu¡¯apr¨¨s l¡¯avoir ¨¦tendu une premi¨¨re fois, on lui demandait de rembarquer pour deux ann¨¦es suppl¨¦mentaires. L¡¯ami Huntis venait de lui envoyer un message rempli de l¡¯animosit¨¦ habituelle pour les r¨¦clamer : par pure s¨¦curit¨¦. Perth n¡¯avait d¡¯autre choix que de les accepter, il ¨¦tait trop impliqu¨¦ l¨¤-dedans pour tout suspendre et imaginait ces foutues blouses blanches qui se grignotaient la pulpe des doigts ¨¤ l¡¯id¨¦e que le projet du Conseil puisse souffrir d¡¯une faille et qu¡¯ils se retrouvent sur la s¨¦lecte. Un crime contre l¡¯humanit¨¦, ce n¡¯¨¦tait pas rien, et c¡¯est ¨¤ coup de mensonges qu¡¯ils l¡¯entretenaient pour que les cobayes du projet de r¨¦insertion le restent d¨¦finitivement. Ce n¡¯¨¦tait jamais dit clairement, toujours des extensions, mais Perth n¡¯¨¦tait pas assez stupide pour ne pas comprendre le sous-entendu dans le message de l¡¯homme en pourpre. Encore deux ans, puis quand elles seraient ¨¦coul¨¦es le t¨¦l¨¦phone sonnerait et la voix mielleuse s¡¯excuserait platement de reconduire l¡¯exp¨¦rience avant de lui raccrocher ¨¤ la gueule. Et cetera, et cetera¡
La pauvre Suranis, cette connasse parmi les connasses, n¡¯y ¨¦tait pour rien dans le sort de Perth et souffrait tout autant. Cette id¨¦e le r¨¦confortait face ¨¤ ce qu¡¯il s¡¯appr¨ºtait ¨¤ faire. Il la d¨¦testait, mais rien ne justifiait le meurtre alors il lui rendrait service de la plus sordide des fa?ons.
Mais apr¨¨s, tu seras lib¨¦r¨¦. Un tour par le caisson et paf, tout oubli¨¦. L¡¯est pas belle la vie ?
Il avait d¨¦pens¨¦ une fortune pour s¡¯aider ¨¤ passer ¨¤ l¡¯acte. Un mis¨¦rable rail blanc pour lui casser le crane et ¨¦viter qu¡¯il ne rebrousse chemin, et un petit cacheton pour que la Rh¨¦on se la ferme alors qu¡¯il proc¨¦dera ¨¤ la seule solution qui se pr¨¦sentait ¨¤ lui. ? La solution finale ? s¡¯amusa-t-il en s¡¯imaginant dans un uniforme Dior et pensant ¨¤ tous ces utopistes qui pens¨¨rent sottement que pareille horreur n¡¯existerait plus jamais.
Il sniffa le rail, ?a monta aussit?t. La sourde rumeur de sa r¨¦ticence s¡¯¨¦teignit, il pourrait porter Suranis sur son ¨¦paule et la balancer par la fen¨ºtre. ? Ce n¡¯est pas moi, elle s¡¯est suicid¨¦e ! ? dirait-il et on le croirait, ou peut-¨ºtre pas. Tout au plus, on le r¨¦primanderait puis on le passerait au caisson. Avec le recul, il se demandait souvent si une semaine pass¨¦e dans la cage m¨¦morielle n¡¯aurait pas mieux valu qu¡¯une vie emprisonn¨¦e dans une relation. Il en arrivait toujours ¨¤ la conclusion que son choix avait ¨¦t¨¦ fait par ¨¦lan patriotique, histoire de mettre sa pierre ¨¤ l¡¯¨¦difice m¨ºme si dans son for int¨¦rieur l¡¯image ind¨¦l¨¦bile des r¨¦ins¨¦r¨¦s emprisonn¨¦s dans des r¨ºves impos¨¦s revenait souvent¡ Et il les enviait.
¡ª Ils saignent du pif, grommela-t-il en se les rem¨¦morant et remarquant que lui aussi.
Il ¨¦tait compl¨¨tement d¨¦fonc¨¦. Le retour ¨¤ la conscience totale ne serait fait qu¡¯apr¨¨s qu¡¯il se soit retir¨¦ cette foutue ¨¦pine du pied avec une pr¨¦cision chirurgicale (et quelques ¨¦tages). L¡¯¨¦l¨¦gante simplicit¨¦ de son plan lui noua les visc¨¨res, mais cela ne l¡¯emp¨ºcha pas de se rendre dans la chambre. Face ¨¤ lui, dans le lit conjugal, Suranis feignit d¡¯¨¦merger tranquillement. Elle s¡¯¨¦tait r¨¦veill¨¦e une heure apr¨¨s avoir sombr¨¦, le c?ur battant la chamade et une terrible envie de vomir tiraillant son estomac. Quelque chose n¡¯allait pas.
Sa tignasse, plus rev¨ºche que jamais, apparut de sous la couette et elle se composa une voix empat¨¦e :
¡ª Perth ? C¡¯est toi ? dit-elle en remarquant les yeux inject¨¦s de sang qui la regardaient, loin l¨¤-bas.
¡ª J¡¯arrivais pas ¨¤ dormir, mentit-il en reniflant d¡¯un coup sec. Trop de clim.
Un mensonge pour justifier le remue-m¨¦nage dans le salon. Elle se sentit d¨¦faillir, l¡¯envie de vomir la reprit. La bi¨¨re de la veille avait un go?t particulier, puis ils avaient fait l¡¯amour comme si Perth avait un dard ¨¤ la place du p¨¦nis et du venin ¨¤ la place de sperme. S¡¯il l¡¯avait voulu, il aurait pu la tuer ici, sur son propre lit.
Perth s¡¯approcha d¡¯elle d¡¯un pas m¨¦canique, presque militaire. Elle remarqua que ses yeux si rouges luisaient ¨¦trangement. Une expression affreuse d¨¦chirait son visage. La pire qu¡¯elle n¡¯ait jamais connu. Il s¡¯¨¦tait tenu ces derniers temps et n¡¯avait pas foutu en l¡¯air la moiti¨¦ de l¡¯appartement avant de la gifler ni m¨ºme goulument insult¨¦. Mais cela datait. Aujourd¡¯hui il ne restait du Perth qu¡¯elle connaissait que des pupilles rougeoyantes et une verrue qui enflait grotesquement. Ses mains se palm¨¨rent et ce n¡¯¨¦tait pas juste une impression. La monstruosit¨¦ s¡¯assit au bord du lit et elle s¡¯entendit presque ¨¤ ce qu¡¯il croassa.
¡ª Mais je ferais tout pour toi, je sais que tu cr¨¨ves de chaud. C¡¯est quoi la temp¨¦rature normale d¡¯un corps humain ? 36 ou 37¡ãC ? Je peux arranger ?a¡
Suranis passa ses mains sous elle. Le pistolet de Perth gisait encore-l¨¤, froid et r¨¦confortant sous ses doigts. Il lui parut peser une tonne lorsqu¡¯elle tenta de le soulever. Elle ignorait quid de la drogue ¨C comment expliquer autrement son ¨¦tat ? ¨C ou de la peur la paralysait.
Elle lui lan?a un air plein de reproche ¨C tr¨¨s faible -, comme si elle ex¨¦crait ce r¨¦veil soudain qui ne l¡¯¨¦tait pas vraiment :
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¡ª Tu peux monter le chauffage, tu as bu¡ Voil¨¤ tout.
¡ª Non Susu, pas bu une goutte depuis ! Je ne boirais plus jamais¡ Je t¡¯en fais la promesse, murmura-t-il avant de ricaner tel un gamin, mais dans ce ricanement Suranis entendit des sanglots.
Il se pencha vers elle, tendit une main vers sa gorge et se ravisa. Instinctivement, sans conna?tre les intentions de son meurtrier, Suranis se recula et cogna le mur. Perth, qui s¡¯imaginait avoir plus de prise que ?a sur elle, s¡¯¨¦merveilla de son geste de futile r¨¦sistance.
¡ª N¡¯aies pas peur Susu, ?a ira vite.
¡ª Qu¡¯est-ce que tu m¡¯as fait ? demanda-t-elle.
Sa bouche s¡¯ouvrit d¨¦voilant une s¨¦rie de dents limit¨¦es ¨¤ des moignons cari¨¦s. Elles exultaient une rance certitude alors qu¡¯il crispait ses mains, par¨¦es ¨¤ accomplir leur sinistre ?uvre.
¡ª Rien de rien¡ Absolument rien ! s¡¯exclama-t-il. J¡¯ai envie de t¡¯apprendre ¨¤ voler.
Il l¡¯attrapa soudainement. L¡¯id¨¦e qu¡¯elle puisse s¡¯envoler par la baie vitr¨¦e l¡¯excita plus que de raison. Il l¡¯enverrait avec une telle ardeur qu¡¯on ne songerait m¨ºme pas ¨¤ contredire sa version des faits. Jamais n¡¯aurait-il pu la propulser si loin sur la grande avenue et m¨ºme si on venait ¨¤ l¡¯interroger, pour la bonne forme, il sortirait ¨¤ la fin de la journ¨¦e pour boire une bi¨¨re. Apr¨¨s tout, elle avait bien des raisons de se suicider : elle fr¨¦quentait Perth Bickhorn et ce dernier avait ¨¦crit, dans ses derniers rapports, qu¡¯elle d¨¦boulonnait d¡¯une mani¨¨re presque intangible mais bien r¨¦elle.
¡ª Non, balbutia-t-elle. Va-t¡¯en !
Perth ne partit pas. Suranis imagina son visage bl¨ºme et fracass¨¦ en bas de l¡¯immeuble. Elle referma sa prise sur le pistolet, h¨¦sitante ¨¤ l¡¯utiliser, mais le canon lui paraissait si lourd et les bras de Perth se resserr¨¨rent autour de sa taille. Elle ne pouvait se d¨¦fendre, aucune parcelle de son corps ne daignait r¨¦sister.
Tu m¡¯as drogu¨¦e¡ Salopard.
¡ª Nous nous sommes bien amus¨¦s n¡¯est-ce pas ? Nous avons v¨¦cu de bons moments dans cette pi¨¨ce¡ Mais ils sont finis !
¡ª Perth¡
¡ª Tu ne comprendrais pas, ils ne me laissent pas d¡¯autres choix. Ils m¡¯ont pouss¨¦ ¨¤ cette extr¨¦mit¨¦ et te pousser c¡¯est la seule solution.
La seule solution. Une solution finale. Le pistolet se trouvait toujours l¨¤, pris entre ses mains, le doigt pos¨¦ sur la d¨¦tente. Il s¡¯approcha encore et elle le vit sous l¡¯angle d¨¦testable des fois o¨´ il avait ¨¦t¨¦ sur elle. De sa bouche ¨¦trangement ¨¦tir¨¦e sortaient les moignons de dents qui ne se touchaient pas et entre elle, elle crut voir la m¨ºme lueur rouge que dans son regard. C¡¯¨¦tait son c?ur qui battait, plaqu¨¦ contre une glotte qui fondait et s¡¯¨¦coulait dans sa gorge. Elle d¨¦lirait, de nouveau, au pire des moments. Un sourd martellement commen?a ¨¤ s¡¯imposer ¨¤ elle. Le tic-tac d¡¯une horloge qui approchait de minuit.
Elle voulut savoir, si elle devait mourir :
¡ª Qui¡ ? demanda-t-elle d¡¯une voix suraig¨¹e. Qui ?a ?
¡ª Tes anciens copains, r¨¦pondit-il d¡¯une voix froide, reptilienne.
Il la souleva, la portant sur l¡¯¨¦paule. Avec les rares forces en sa possession, elle parvint ¨¤ infl¨¦chir son poignet vers le bas ventre de Perth, trop d¨¦fonc¨¦ pour sentir le contact du canon. Elle voulut hurler alors qu¡¯il l¡¯emmenait dans la pi¨¨ce ¨¤ vivre. La sombre r¨¦signation sur son visage ne cachait pas ses volont¨¦s. Aucun son ne parvint ¨¤ s¡¯extirper de l¡¯enveloppe compress¨¦e de Suranis. Elle suffoquait.
Tu vas mourir. Tu vas mourir. Tu vas¡
Dans son d¨¦sespoir elle pressa la d¨¦tente, mais rien ne sortit de l¡¯arme. La suret¨¦ demeurait rigoureusement en place et elle avait oubli¨¦ de l¡¯?ter. Elle la trouva, la malmena sans succ¨¨s. Elle ¨¦tait gripp¨¦e depuis le temps qu¡¯elle occupait ce tiroir et la derni¨¨re fois que Perth avait nettoy¨¦ son arme. Suranis allait vomir pour que la terreur s¡¯en aille. Le destin, s¡¯il existait, n¡¯¨¦tait qu¡¯une blague. Alors m¨ºme qu¡¯elle venait de s¡¯¨¦mettre la possibilit¨¦ tr¨¨s s¨¦rieuse de le quitter, il allait la tuer et elle ne pourrait pas se d¨¦fendre.
Ils se retrouv¨¨rent dans le salon, la baie vitr¨¦e ¨¦tait grande ouverte. Elle ¨¦carquilla ses yeux d¡¯horreur alors que le courant d¡¯air provenant de l¡¯ext¨¦rieur peinait ¨¤ s¡¯immiscer en elle. Il serrait si fort qu¡¯elle ne parvenait plus ¨¤ respirer et les t¨¦n¨¨bres l¡¯envahissaient, juste en p¨¦riph¨¦rie de son champ de vision.
¡ª Tu vas me tuer, g¨¦mit-elle.
Il s¡¯arr¨ºta, desserra l¨¦g¨¨rement son ¨¦treinte le temps de comprendre. Suranis y vit une opportunit¨¦, la seule qui s¡¯offrirait ¨¤ elle. Prenant une grande goul¨¦e d¡¯air, elle ouvrit la bouche ¨¤ s¡¯en disloquer la machoire et mordit o¨´ elle le pouvait. Ses dents se referm¨¨rent sur les l¨¨vres de Perth, elles heurt¨¨rent l¡¯os et arrach¨¨rent la moiti¨¦ inf¨¦rieure. Une demie-bouche pendait d¨¦sormais, les dents de Perth s¡¯alignaient comme des pierres tombales et un sang poisseux s¡¯¨¦coulait le long de son menton. Il la laissa tomber par terre puis se toucha la machoire, incr¨¦dule.
¡ª Que m¡¯as-tu fait salope ?!
¡ª Perth, je suis¡ dit-elle en se relevant.
¡ª SALOPE ! GARCE ! JE VAIS TE BUTER DE MES PROPRES MAINS ! hurla-t-il fou de rage en tachant de la rattraper alors qu¡¯elle se ruait sur la porte. TU NE PARTIRAS PAS D¡¯ICI ! JE TE BOUFFERAIS !
Comme elle l¡¯avait bouff¨¦. Une bave abondante d¨¦goulinait d¡¯elle et elle se dit qu¡¯il n¡¯y aurait jamais assez de salive pour enlever le go?t de Perth. Derri¨¨re elle, des dents et des gencives claquaient et s¡¯approchaient. Claquaient encore et encore, d¨¦vorant l¡¯espace entre les deux comme dans un cauchemar... Un qu¡¯elle avait d¨¦j¨¤ connu.
Elle posa la main sur la porte, Perth se trouvait ¨¤ un m¨¨tre d¡¯elle. Des sanglots terroris¨¦s mont¨¨rent de sa gorge alors qu¡¯elle se retournait brusquement, le mettant en joue. La carcasse qui avait abrit¨¦ Perth h¨¦sita :
¡ª O¨´¡ Je ne pensais pas ce que je viens de dire. Ne pars pas. On va arranger ?a, lan?a-t-il comme une pri¨¨re ¨¤ l¡¯union par la mort.
Suranis refusa de regarder son visage. Les dents branlantes, comme elles l¡¯avaient toujours ¨¦t¨¦, ressemblaient trop ¨¤ un cimeti¨¨re d¨¦vast¨¦. Elle tatonna la poign¨¦e de la porte qui s¡¯av¨¦ra verrouill¨¦e. Ses clefs se trouvaient dans la poche de sa veste accroch¨¦e au pat¨¨re. Une recherche affol¨¦e, d¡¯une main, lui permit de les retrouver et elle les enfon?a dans la serrure qui ne r¨¦sista pas.
¡ª N¡¯ouvre pas cette porte¡ Tu ne sais pas¡ Tu ne sais¡
La porte s¡¯ouvrit malgr¨¦ sa demande et elle en profita pour s¡¯engouffrer dans la cage d¡¯escalier. Elle ne se retourna pas pour voir une derni¨¨re fois la face d¨¦mente et d¨¦sordonn¨¦e digne de figurer dans un mus¨¦e. Heureusement car si elle l¡¯avait fait elle aurait vu par l¡¯entrebaillement un crapaud qui souriait ¨¤ pleines dents. L¡¯air con d¡¯un cl¨¦bard bien trop heureux pour ¨ºtre r¨¦el.
Chapitre 40
La police ne vint jamais frapper ¨¤ la porte, alert¨¦e par un voisin et les cris, et l¡¯apr¨¨s-midi retrouva un homme emmitoufl¨¦ dans sa couette aux l¨¨vres si enfl¨¦es qu¡¯elles semblaient sur le point d¡¯exploser. Bien que plaqu¨¦e et band¨¦e, sa bouche refusait de cicatriser et retrouver sa position d¡¯origine. Honteux et inquiet des cons¨¦quences de la fuite de Suranis, si elle venait ¨¤ s¡¯¨¦bruiter, il attendit que sa blessure virat au noir avant de se d¨¦cider ¨¤ se rendre ¨¤ l¡¯infirmerie la plus proche ¨C aupr¨¨s d¡¯un m¨¦decin peu soucieux de la paperasse administrative ¨C afin d¡¯¨ºtre soign¨¦. Il ne le fit que trop tard car on lui annon?a apr¨¨s une heure d¡¯attente que l¡¯infection s¡¯av¨¦rait ing¨¦rable et que l¡¯on devrait l¡¯amputer. Perth supplia pour que ?a ne soit pas le cas et qu¡¯on lui file des antibiotiques plus puissants, mais on passa outre ses pri¨¨res pour lui d¨¦crocher la machoire et lui casser sa belle gueule.
La semaine suivante il ¨¦tait d¨¦j¨¤ de retour chez lui, enrob¨¦ dans ses bandages qu¡¯il finira par remplacer par une proth¨¨se pour le restant des jours qu¡¯il passerait ¨¤ arpenter les couloirs de la Cit¨¦ en qu¨ºte de vengeance. Il ne d¨¦signa jamais formellement l¡¯autrice de la morsure insistant bien sur le fait qu¡¯il s¡¯agissait d¡¯une ? autrice ? car Perth Bickhorn et ses vieux d¨¦mons n¡¯¨¦taient ? pas un p¨¦d¨¦ ?. Plusieurs raisons l¡¯emp¨ºchaient de d¨¦noncer Suranis Rh¨¦on outre la honte qui le submergeait : premi¨¨rement il avait tent¨¦ de tuer la coupable de sa blessure, secondement si on venait ¨¤ d¨¦couvrir qu¡¯elle s¡¯¨¦tait enfui du domicile conjugal il en prendrait pour son grade et pour finir il avait en t¨ºte des id¨¦es bien pires qu¡¯un simple proc¨¨s pour son ex-compagne.
Par chance, personne n¡¯¨¦tait encore venu contr?ler la pr¨¦sence de Suranis chez lui ¨C mais personne ne l¡¯avait fait en six ans - et, pour ce qu¡¯il en savait, les R¨¦ins¨¦r¨¦s d¨¦j¨¤ gard¨¦s par un pion du Conseil ne faisaient pas l¡¯objet d¡¯une surveillance particuli¨¨re. Il y avait toujours le risque qu¡¯on daigne jeter un ?il sur sa puce d¡¯identification et qu¡¯on se rende compte qu¡¯elle n¡¯¨¦tait pas o¨´ elle ¨¦tait cens¨¦e ¨ºtre¡ Sauf, ¨¦videmment, si la puce tr?nait sur le bureau de Perth Bickhorn avec la t¨ºte de cette mis¨¦rable harpie. L¡¯id¨¦e lui plaisait ¨¦norm¨¦ment, la belle Suranis sans le flot incessant de ses paroles¡ Quand il s¡¯en lasserait, il ferait sauter la puce pour l¡¯enfermer dans le tiroir et br?lerait la t¨ºte.
Parfait. Perth Bickhorn vrillait. Suranis fuyait et le danger qui la filait pr¨¦valait aussi dans ses chances de succ¨¨s. Le projet morbide de son ancien amant voulut qu¡¯il envoya un courrier au bureau afin de le pr¨¦venir de l¡¯absence de son employ¨¦e. Une lettre de d¨¦mission, en bonne et due forme, sign¨¦e de la main de Perth lui-m¨ºme qui fit que le naus¨¦abond Ellian ne s¡¯inqui¨¦ta pas de ne pas revoir Suranis (bien qu¡¯il soit bien emb¨ºt¨¦ par son absence soudaine pour sa derni¨¨re journ¨¦e ¨¤ trimer). Un projet simple et efficace qui s¡¯heurtait cependant ¨¤ la question de l¡¯absent¨¦isme de Suranis au bureau, bien que ce probl¨¨me pressant fut rapidement ¨¦lud¨¦. Ce cher Ellian re?u pour son dernier jour une lettre de d¨¦mission d?ment sign¨¦e de la main de Perth et ne s¡¯inqui¨¦ta jamais de ne revoir sa secr¨¦taire (bien qu¡¯emb¨ºt¨¦ par son absence soudaine pour sa derni¨¨re journ¨¦e ¨¤ trimer).
Malgr¨¦ ses pr¨¦cautions, Perth aurait ¨¦t¨¦ bien en peine de retrouver Suranis. Celle-ci, persuad¨¦e que le monde entier lui donnait la course, s¡¯¨¦tait carapat¨¦ du secteur. Elle errait d¡¯un ¨¦tage ¨¤ l¡¯autre, mendiant de la nourriture par-ci, une couverture par-l¨¤. Elle n¡¯avait pas oubli¨¦ la proposition de Jinn Pertem, mais l¡¯¨¦p¨¦e de Damocl¨¨s au-dessus d¡¯elle ¨¦tait trop mena?ante pour qu¡¯elle ose s¡¯aventurer ¨¤ la Surface. Apr¨¨s tout, n¡¯avait-elle pas croqu¨¦ un homme ? L¡¯asile ouvrait ses portes ¨¤ double-battants, pr¨ºt ¨¤ l¡¯absorber pour n¡¯en recracher des fragments si ce n¡¯¨¦tait pas une balle dans le crane qui l¡¯attendait, tir¨¦e dans une ruelle sombre.
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Tu es finie, finie, finie, pensa-t-elle alors qu¡¯elle tournait au coin d¡¯une rue de l¡¯¨¦tage J. Elle avait une conscience exacerb¨¦e que des deux, seul lui portait la trace de leur confrontation, ind¨¦l¨¦bile. Maintenant, plus personne ne voudrait d¡¯elle, m¨ºme un politicien au grand c?ur. Le choix de la r¨¦signation ¨¤ une vie triste, mais une vie, n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ pos¨¦. Perth Bickhorn imposait ce qu¡¯il voulait, m¨ºme absent. Elle l¡¯imagina bienheureux, enfin d¨¦barrass¨¦ de sa salope et elle qui redoutait son ombre plus que celle des autres. Une semaine qu¡¯elle le fuyait, lui et la FCP ¨C l¡¯ironie voulut que cela ne soit pas sa premi¨¨re fois, mais que cette fois-ci les flics se fichaient bien d¡¯elle -, et elle commen?ait ¨¤ croire qu¡¯on ne la retrouverait jamais.
Elle d¨¦passa un vagabond, un vieillard ¨¤ la peau charbonneuse et ¨¤ la bedaine outrageante, qui s¡¯affairait sur une grille. Il empestait l¡¯alcool ¨C Finn Clark, un whisky qu¡¯elle ne connaissait que trop bien ¨C et l¡¯ignora avec un flegme rare. Si seulement la prochaine personne qu¡¯elle rencontra dans la rue d¨¦cida d¡¯en faire de m¨ºme, mais non, il fallut qu¡¯une main s¡¯abatte sur son ¨¦paule. Elle ferma les yeux, attendant le coup de couteau qui viendrait signer la fin de ses aventures, mais n¡¯eut droit qu¡¯¨¤ un souffle chaud et malveillant dans l¡¯oreille :
¡ª Alors petite, on se prom¨¨ne seule ?
Le costume ¨¦tait taill¨¦ par l¡¯homme plus qu¡¯il n¡¯¨¦tait taill¨¦ par lui. Les coutures tenaient courageusement, elle se retourna vivement et le repoussa. Rien ¨¤ faire, trop lourd. Le vieillard plus loin entendit le raffut et lui porta une main secourable. Il fracassa une de ses pr¨¦cieuses bouteilles ¨C encore du Finn, mais il n¡¯en restait qu¡¯une gorg¨¦e ¨C sur le crane de l¡¯agresseur. Il tomba, mort esp¨¦ra-t-elle.
¡ª C¡¯est bon pour toi ? demanda le vieillard.
¡ª Il est mort ? souffla Suranis.
Le vieillard donna un coup de pied dans les c?tes de l¡¯agresseur. L¡¯air s¡¯extirpa de ses poumons avant qu¡¯ils ne se remplissent de nouveau.
¡ª Non.
J¡¯aurais pr¨¦f¨¦r¨¦. Dans la rue, les r¨¨gles sont diff¨¦rentes.
¡ª Tant mieux, mentit-elle. Grand merci ¨¤ vous.
Elle ignorait alors qu¡¯elle se le coltinerait un temps.
Chapitre 41
Le vieillard r¨¦pondait au nom d¡¯HAL. Il lisait trop de vieux livres terrestres et lui proposa de visiter son refuge ¨C leur. Suranis qui n¡¯avait nulle part o¨´ aller ¨C et encore secou¨¦e par les r¨¦cents ¨¦v¨¦nements - accepta avec reconnaissance (et m¨¦fiance) son offre de jeter un coup d¡¯?il ¨¤ cet ? h?tel prestigieux avec vue imparable ?. La vue imparable pour l¡¯¨ºtre l¡¯¨¦tait, mais le prestige se trouva ¨ºtre au rabais. Dans d¡¯anciens bureaux glac¨¦s par les vents qui s¡¯engouffraient par une br¨¨che vers l¡¯ext¨¦rieur, un groupe avait trouv¨¦ un foyer autour d¡¯un radiateur portable qui tournait ¨¤ plein r¨¦gime. Parfois le soir, ¨¤ la lumi¨¨re rougeoyante de l¡¯appareil, la br¨¨che colmat¨¦e ¨¤ la va-vite ¨¦tait plus s¨¦duisante que d¡¯habitude. Un petit saut et ils d¨¦couvriraient les promesses du Flux. Malgr¨¦ des soir¨¦es difficiles, personne ne franchit le pas lors du s¨¦jour de Suranis dans ces lieux. Et ce s¨¦jour devait s¡¯¨¦terniser. Elle rencontra des compagnons d¡¯infortune qui devinrent des amis voire une nouvelle famille. Ils ¨¦taient au nombre de trois.
Le fondateur du groupe, HAL, en ¨¦tait aussi le doyen. Il mentait certainement sur son nom et approchait de la soixantaine, pr¨¦tendant avoir oubli¨¦ l¡¯age exact. Autrefois il exer?a la profession d¡¯enseignant avant de lacher toute l¡¯affaire lors de la derni¨¨re grande r¨¦forme scolaire. Il s¡¯opposait fermement aux nouveaux programmes faisant la part belle ¨¤ l¡¯ascension sociale qu¡¯il consid¨¦rait comme ? des foutaises cachant bien la r¨¦alit¨¦ de la reproduction sociale. Des conneries pures pour laisser miroiter au prolo qu¡¯il peut s¡¯en sortir ?. Une belle excuse pour ne pas avoir ¨¤ expliquer son envie d¡¯exp¨¦rimenter la vie de boh¨ºme et de la repousser jusqu¡¯¨¤ ses derniers retranchements depuis une d¨¦cennie. Il tenait d¨¦sormais plus de l¡¯artiste ¨¦chevel¨¦, ma?trisant mal son instrument ¨¤ une corde fabriqu¨¦ ¨¤ l¡¯aide d¡¯un pied de chaise, que du professeur et ne regrettait pas d¡¯¨ºtre devenu un ? fich¨¦ hors-syst¨¨me ?.
¨¤ ses c?t¨¦s se trouvait un petit blond du nom de Gerth, compliqu¨¦ d¡¯acc¨¨s et qui laissait entendre ¨¤ tout le monde qu¡¯il avait ¨¦t¨¦ mis au pas par le gouvernement parce qu¡¯il en savait trop. Au-del¨¤ de ses complots entendus dans de vieilles s¨¦ries auxquels personne ne pr¨ºtait attention, c¡¯¨¦tait un chic type qui ne bronchait jamais et apportait son quota de barres alimentaires. Et de crack qu¡¯il ne partageait que rarement.
Pour finir, le troisi¨¨me occupant ¨¦tait une occupante : Anya, une ancienne prostitu¨¦e. Elle avait ¨¦pous¨¦ un client, persuad¨¦e qu¡¯elle obtiendrait un meilleur avenir. Une grossi¨¨re erreur, il l¡¯avait battu et elle l¡¯avait quitt¨¦. Il lui avait dit qu¡¯elle ne serait rien sans lui et elle lui avait r¨¦pondu que c¡¯¨¦tait faux et elle se retrouvait l¨¤, dans ce squat, en ¨¦tant bien plus de choses qu¡¯elle n¡¯avait jamais r¨ºv¨¦ d¡¯¨ºtre. Tout d¡¯abord elle ¨¦tait libre, pour la premi¨¨re fois de sa vie. Elle ne mangeait pas toujours ¨¤ sa faim et avait perdu de la superbe qui avait fait succomb¨¦ son ancien mari, mais bordel¡ Cette libert¨¦ ¨¦tait grisante. Plus besoin d¡¯¨¦carter les cuisses pour rembourser la dette qu¡¯elle avait contract¨¦ aupr¨¨s de son mac et le seul ¨¦l¨¦ment de stress qu¡¯elle ressentait le matin en se levant ¨¦tait de savoir ce qu¡¯elle allait manger. Comme si avoir la dalle ne valait pas la peine d¡¯¨ºtre endurer si ?a lui permettait d¡¯¨¦chapper ¨¤ toute la merde qu¡¯elle avait v¨¦cue.
¨¤ eux trois se greffait la derni¨¨re arrivante. Ils l¡¯aimaient inconditionnellement, bien qu¡¯elle n¡¯ait jamais escompt¨¦ se retrouver ici. Parfois, elle repensait ¨¤ Jinn Pertem et ¨¤ sa proposition et, le reste du temps, ¨¤ son ex petit-ami qui viendrait l¡¯¨¦triper. La grisante libert¨¦ d¡¯Anya la faisait doucement rire, seule l¡¯anxi¨¦t¨¦ pr¨¦valait dans son univers personnel et cela surtout depuis qu¡¯elle avait entendu HAL lui raconter que son joli minois ¨¦tait placard¨¦ dans toute la Cit¨¦. C¡¯est du moins ce qu¡¯elle crut jusqu¡¯¨¤ qu¡¯elle arrive ¨¤ la conclusion qu¡¯il n¡¯en existait certainement aucune : son implant l¡¯aurait d¨¦nonc¨¦ depuis longtemps si tel avait ¨¦t¨¦ le cas.
On lui mentait, mais bien qu¡¯elle se terrait depuis deux mois, l¡¯id¨¦e de les quitter ne lui plaisait pas. Il ne lui restait rien d¡¯autre, m¨ºme pas un pass¨¦ et elle alla jusqu¡¯¨¤ se demander, un soir plus triste, si elle poss¨¦dat une identit¨¦. Elle vrillait, elle ne le commen?ait plus, et comprit pertinemment qu¡¯elle finirait par sauter du navire si rien n¡¯¨¦tait fait. Il fallait qu¡¯elle brise le cadenas ¨¦carlate de ce foutu classeur mental, mais elle ne trouvait ni pince-monseigneur ni clef. Un jour, elle en parla ¨¤ HAL qui, dans sa tr¨¨s grande ivresse et sagesse, lui avait r¨¦torqu¨¦ que ces vilains cadenas n¡¯¨¦taient que des manifestations des voies ferm¨¦es par la soci¨¦t¨¦ sauf que voil¨¤¡ Merde. Le cadenas n¡¯¨¦tait pas une m¨¦taphore, il n¡¯¨¦tait pas question de chemin de vie mais de m¨¦moire d¨¦rob¨¦e. Pas des pass¨¦s possibles, mais du pass¨¦ tout court, celui dont on l¡¯avait d¨¦poss¨¦d¨¦ et de ce dernier point, elle ¨¦tait absolument certaine.
L¡¯id¨¦e balbutiante qui avait ¨¦merg¨¦ lors de sa rencontre avec Jinn Pertem ne cessait de cro?tre. Un midi comme les autres, alors qu¡¯elle ruminait celle-ci en touillant la bouillie pr¨¦par¨¦e avec deux barres r¨¦hydrat¨¦es pour quatre, elle plissa le front. L¡¯absence totale d¡¯odeur de la mixture la d¨¦rangeait, mais ce n¡¯¨¦tait pas cela qui la troublait. Le vieux alcoolo le remarqua aussit?t :
¡ª Oh, Suranis ! Je vois bien que quelque chose te tracasse, tu veux en parler ? lui demanda HAL en s¡¯essuyant la barbe pleine des miettes r¨¦cup¨¦r¨¦es dans les paquets ouverts. Je le vois¡.
¡ª Tu sais ¨¤ quoi je pense et non, je ne veux pas en parler.
¡ª Le gros m¨¦chant cadenas, dit-il sans se d¨¦partir de sa volont¨¦ d¡¯aider. Oui, bien s?r mais je t¡¯ai d¨¦j¨¤ expliqu¨¦ que nous ¨¦tions tous bloqu¨¦s par ces conneries. Petit ¨¤ petit, on cadenasse nos voies de¡
Suranis le fusilla du regard.
¡ª Tais-toi, par piti¨¦, soupira-t-elle. Je disjoncte d¨¦j¨¤ assez sans que tu t¡¯y mettes, enfin¡ Ce n¡¯est pas le cas. Je le sais HAL. Il existe des pass¨¦s plus vrais que le mien, je viens de passer six ann¨¦es de ma vie dans un mensonge ¨¦veill¨¦. Je ne me suis pas retrouv¨¦e ¨¤ zoner avec vous parce que l¡¯on m¡¯a claqu¨¦ des portes au nez¡ Cette vie, de toute fa?on, je n¡¯en veux pas. On peut pr¨¦tendre aussi longtemps que l¡¯on le d¨¦sire que l¡¯on vit en dehors du syst¨¨me, mais au final ce sont toujours les m¨ºmes barres ¨¤ saveur de merde qu¡¯on bouffe. Gracieusement offertes par sa Majest¨¦.
¡ª Des barres ¨¤ saveur de merde ! lan?a derri¨¨re son ¨¦paule Gerth le junkie. Je n¡¯y avais pas pens¨¦ ¨¤ celle-l¨¤ !
HAL afficha un sourire triste mais ses yeux p¨¦till¨¨rent de ressentiment. ? Saveur de merde ? comme tout le reste finalement et ce ne serait pas sa bouteille de scotch frelat¨¦e qui lui ferait dire le contraire. Mais tout cela leur permettait de vivre. La merde ¨¦tait le carburant de la vie. Peu importe d¡¯o¨´ elle provenait.
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Et il restait persuad¨¦ que cette vie il l¡¯avait choisi, m¨ºme s¡¯il regrettait parfois le confort douillet d¡¯un vrai chez-soi.
¡ª De la merde ? Et alors Suranis, demanda-t-il avec une intonation vex¨¦e, c¡¯¨¦tait lui qui l¡¯avait r¨¦cup¨¦r¨¦ ? cette merde ?. C¡¯est notre carburant. Nous, vieilles machines organiques, nous avons besoin de cela.
¡ª Et tu en connais beaucoup de machines organiques qui consomment un autre carburant ? ajouta Gerth qui ne croyait pas encore aux robots dirigeants, mais ne tarderait pas ¨¤ le faire lors de sa derni¨¨re envol¨¦e.
¡ª J¡¯ai bien des noms en t¨ºte, mais l¨¤ n¡¯est pas la question. La Cit¨¦ tourne grace au bon vouloir du chimiste et de l¡¯ouvrier dont les mains sont enfouies dans le cambouis. C¡¯est grace ¨¤ eux que l¡¯on peut trimer, s¡¯¨¦chiner et crever lentement ¨¤ la tache tandis que d¡¯autres s¡¯empiffrent et se foutent de notre tronche. Quand un de nous tombons en panne ou ? sortons du syst¨¨me ? on nous remplace. C¡¯est comme ?a que ce putain de monde tourne et lorsqu¡¯ils nous tendent leur ¨¦tron, nous nourrissant des fruits de notre propre foutue r¨¦colte, nous les implorons ! Oh, oui ! Nous les implorons, nos bons ma?tres ! Merci pour cette mirifique substance !
¡ª Suranis je t¡¯en prie¡ supplia HAL.
Mais Suranis ne l¡¯entendit pas. Elle se leva, furieuse, joignant ses mains ¨¤ s¡¯en faire palir les doigts. Tout le monde se tut, mais observa. Ils ¨¦vitaient le sujet qu¡¯elle tenait tant ¨¤ aborder comme la peste. Il n¡¯y avait rien de bon en ¨¤ tirer sinon un s¨¦jour d¨¦finitif dans la pi¨¨ce blanche et ils l¡¯aimaient trop pour cela, malgr¨¦ le peu de temps qu¡¯ils la connaissaient.
Elle s¡¯appr¨ºta ¨¤ entrer dans le vif du sujet :
¡ª J¡¯ai perdu une dizaine de kilogrammes depuis que je suis ici, se lamenta-t-elle. J¡¯¨¦tais d¨¦j¨¤ d¡¯une constitution fragile, l¨¤ je ne suis plus qu¡¯un fil. Aller¡ Disons deux fils. Sans ta bouteille de gn?le pour te faire prendre cette admirable petite bedaine tu serais mort HAL. Pas de faim, je ne dis pas ?a, mais il te suffit d¡¯arracher la plaque qui nous s¨¦pare du vide et hop ! Plouf, plus de HAL ! Bon d¨¦barras, tu verras ce qu¡¯il y a derri¨¨re le Flux hein ? Finalement, ta bouteille n¡¯est-elle pas l¨¤ pour t¡¯emp¨ºcher de sauter ?
¡ª Pour notre bien commun ¨¤ tous Suranis, ta gueule ! intervint l¡¯ancienne prostitu¨¦e dans sa vieille robe en remarquant la mine d¨¦compos¨¦e d¡¯HAL.
Suranis se retourna vers elle, pas vraiment surprise. Il existait entre les deux femmes une animosit¨¦ sympathique ¨¤ coup de tire-moi-dans-les-pattes-mon-amour. Sans doute m¨ºme, de tous ceux r¨¦unis autour du r¨¦chaud, Hylra ¨¦tait-elle celle qui l¡¯aimait le plus. Elles avaient v¨¦cu des situations plus ou moins semblables : elles ¨¦taient toutes deux ici ¨¤ cause d¡¯un homme. L¡¯amour les avait essor¨¦es, surtout Suranis ¨¤ qui une gueule de crapaud r¨ºvait de tordre le cou.
Finalement, elle craignait plus de croiser Perth en chemin vers la sacro-sainte v¨¦rit¨¦ qu¡¯une patrouille d¡¯hommes en blanc et cela elle s¡¯en rendait compte depuis peu. Pourtant, dans une autre r¨¦alit¨¦ que celle qu¡¯elle fantasmait Perth Bickhorn ¨¦tait bien incapable de s¡¯en prendre ¨¤ elle. Il jaunissait ¨¤ vue d¡¯?il et ne quittait plus son lit. C¡¯¨¦tait tout juste s¡¯il avait la force d¡¯appeler l¡¯infirmier qui passait chez lui deux fois par semaine ¨C et qu¡¯il payait une fortune pour ne pas que sa situation s¡¯¨¦bruite ¨¤ ses sup¨¦rieurs.
¡ª Jinn, marmonna-t-elle entre ses dents. Tu fais chier, ajouta-t-elle plus haut.
Elle farfouilla dans sa poche et tata le morceau de papier corn¨¦ qu¡¯elle gardait comme un porte-bonheur. Le nom du politicien ¨¦tait d¨¦j¨¤ revenu ¨¤ plusieurs reprises lors de ses discussions avec ses compagnons de gal¨¨re, mais il revenait plus souvent encore sur le t¨¦l¨¦prompteur interne de Suranis. Ses amis tentaient de lui faire oublier, mais ce n¡¯¨¦tait pas par crainte qu¡¯elle se fasse assassiner dans la rue : plut?t pour ce qu¡¯elle risquait de d¨¦couvrir.
¡ª Je suis d¨¦sol¨¦e Suranis, je suis sur les nerfs. J¡¯ai la dalle, la bouffe est si rare ces derniers jours, s¡¯excusa Hylra.
¡ª Tu sais que ce n¡¯est pas pour ?a que je dise ?a. Je sais que vous me prenez pour une tar¨¦e et que vous me racontez des conneries pour me garder ¨¤ l¡¯abri. Pourtant, si j¡¯¨¦tais poursuivi comme vous le pr¨¦tendez, on m¡¯aurait d¨¦j¨¤ coffr¨¦. En r¨¦alit¨¦, rien ne m¡¯emp¨ºcher d¡¯aller creuser ce qui me tracasse sans avoir l¡¯air d¡¯une illumin¨¦e. J¡¯ai une possibilit¨¦, peut-¨ºtre, et j¡¯ai besoin de la creuser.
¨¤ l¡¯unisson ils se regard¨¨rent h¨¦b¨¦t¨¦s. Le mensonge commun qu¡¯ils avaient ¨¦labor¨¦ pour son bien s¡¯¨¦croulait face ¨¤ sa logique froide.
¡ª Je t¡¯assure Suranis, j¡¯ai vu ces affiches de mes propres yeux, mentit une nouvelle fois Hylra malgr¨¦ le hochement de t¨ºte r¨¦probateur de HAL.
¡ª Arr¨ºte Hylra, demanda HAL. Oui, il n¡¯y a jamais eu d¡¯affiches te recherchant morte ou vive. Nous t¡¯avons menti, pour ton bien.
Suranis lui sourit, reconnaissante. Elle lib¨¦ra ses doigts de leur ¨¦treinte. Ils ¨¦taient aussi blancs que ne l¡¯¨¦taient devenus ses compagnons. Le moment ¨¦tait venu pour elle de partir et reprendre une aventure tout juste entam¨¦e. Gerth semblait plong¨¦ dans les ¨¦toiles et Hylra ¨¦mue aux larmes. Seul HAL paraissait se contenir, bien que Suranis sentit en lui la bouilloire sur le point d¡¯imploser.
Pour la premi¨¨re fois depuis leur rencontre, elle leur mentit :
¡ª Je comprends pourquoi vous me racontiez cela. Je ne vous en veux pas. Oui, j¡¯ai l¡¯air folle et je le suis certainement¡ Nous savons tous ce qui arrivent aux personnes comme moi, du moins nous le soup?onnons¡ Les risques que je prendrais en fouillant davantage l¡¯id¨¦e qui est mienne ne valent peut-¨ºtre pas la peine d¡¯¨ºtre pris. Surtout lorsque cette id¨¦e est insens¨¦e et en cela vous avez raison. Il me faut juste le temps de revenir ¨¤ la r¨¦alit¨¦¡ Tout finira par s¡¯estomper. Je suis d¨¦sol¨¦e de vous avoir embarqu¨¦s l¨¤-dedans. Oublions¡
¡ª Je crois aussi que tout va s¡¯arranger pour toi, dit Gerth derri¨¨re eux, perdu quelque part entre la Terre et la Cit¨¦. Il suffit de retomber et c¡¯est plus facile ¨¤ dire qu¡¯¨¤ faire.
¡ª Je retomberais, lui promit fallacieusement Suranis. Bref¡ Je peux au moins sortir me d¨¦gourdir les pattes plus loin que dans les couloirs du coin. Je vais voir si je peux d¨¦goter autre chose que des barres ¨¤ saveur de merde pour changer. Il faut que je m¡¯a¨¨re l¡¯esprit avant de retomber dans ma lubbie¡
Un grand fracas retentit lorsqu¡¯un bol rempli de bouillie tomba par terre. HAL le ramassa en accordant une main lev¨¦e ¨¤ Suranis, en guise d¡¯approbation. Il savait qu¡¯elle ne reviendrait pas et cela depuis trop longtemps pour qu¡¯il se permette de tenter de la prot¨¦ger une derni¨¨re fois. Il avait eu son contingent de m¨¦lancoliques d¨¦rout¨¦s pr¨ºts ¨¤ se jeter par-dessus bord ¨¤ la moindre occasion pour savoir qu¡¯il n¡¯y avait rien ¨¤ faire et qu¡¯il ne ferait que la pousser vers le vide en tentant de lui faire oublier un pass¨¦ qu¡¯elle pensait sien, mais n¡¯¨¦tait s?rement qu¡¯un d¨¦lire complotiste qui d¡¯une certaine fa?on la rapprochait de Gerth. Ils se ressemblaient. Ou pas. Qui sait ? Il se mit ¨¤ croire qu¡¯elle reviendrait, une croyance pu¨¦rile. Son choix avait ¨¦t¨¦ pris, alea jacta est.
¡ª Si tu pouvais au moins faire l¡¯effort de d¨¦nicher des barres ¨¤ saveur de pisse pour changer, je t¡¯en serais gr¨¦. Fais gaffe ¨¤ toi, lui demanda HAL ce ¨¤ quoi Suranis fit la promesse avant de finir son repas.
Chapitre 42
Suranis Rh¨¦on, la peau sur les os et des cernes ressemblant plus ¨¤ des joues que ses v¨¦ritables, quitta le squat apr¨¨s avoir fini ce qui serait son dernier repas avec sa troisi¨¨me et derni¨¨re famille. La premi¨¨re ¨¦tant indiscutablement compos¨¦e par ses parents grincheux qui accomplissaient leur labeur avec la mauvaise grace qui semblait animer toute la Cit¨¦ et crachaient ¨¤ qui voulait l¡¯entendre que leur d¨¦plorable travail ¨¦tait aussi p¨¦nible que n¨¦cessaire. Quant ¨¤ la seconde¡ C¡¯¨¦tait plus compliqu¨¦. Vide, vide, vide. Mais elle les rejoignait, n¡¯est-ce pas ? Ils ¨¦taient l¨¤, sur ce petit morceau de papier sur lequel on lisait ¨¤ peine ? Jinn Pertem, Minist¨¨re du Travail, T. COM. 458-896 ?. Plus elle y pensait, plus elle avait la naus¨¦e. Quelque chose en elle r¨¦sistait contre le flux mn¨¦sique et elle sentait que ce barrage sommaire ne parviendrait pas ¨¤ contenir le raz-de-mar¨¦e qui s¡¯appr¨ºtait ¨¤ d¨¦ferler sur ses id¨¦es bien rang¨¦es comme si on avait pris la peine de soigneusement les ranger avant de fermer ¨¤ clef et de jeter cette derni¨¨re dans le caniveau.
D¨¦sol¨¦e HAL, Gerth, Hylra, mais j¡¯en ai ma claque de ces conneries. Je dois d¨¦couvrir ces choses qui me manquent. J¡¯ai ¨¦t¨¦ trifouill¨¦e, peut-¨ºtre, peut-¨ºtre pas ? Je deviens tar¨¦e et je cr¨¨ve de faim. Je vous sauverais si je le peux, je me sauverais avant tout car malgr¨¦ votre chaleur vous ne pouvez pas allumer un brasier dont je soup?onne l¡¯absence.
Elle ¨¦tait bien d¨¦cid¨¦e ¨¤ le d¨¦couvrir ce brasier disparu : celui de sa vie. Peut-¨ºtre m¨ºme avait-elle une piste prometteuse pour le faire. Jinn Pertem lui avait propos¨¦ un emploi et, comme elle, il semblait se poser des questions. Il avait laiss¨¦ croire en tout cas que tout cela ¨¦tait partag¨¦, peut-¨ºtre car la folle aux bleus crant¨¦s, plaques se recouvrant mutuellement et cr¨¦ant cet ¨¦trange d¨¦nivel¨¦, l¡¯avait ¨¦mu et qu¡¯il ne voulait pas lui avouer que non, ils ne se connaissaient pas ? Peut-¨ºtre aussi parce qu¡¯il l¡¯avait pris en piti¨¦ et que plut?t que d¡¯obtenir des victoires futiles sur des connards qui ne l¡¯¨¦taient que car on leur apprenait qu¡¯il fallait l¡¯¨ºtre, il aurait ¨¦t¨¦ utile. Vraiment utile. Il aurait sauv¨¦ Suranis Rh¨¦on et aurait pu glisser sur son CV : a emp¨ºch¨¦ un f¨¦minicide. Et Dieu, ou ce qui s¡¯y apparente, aurait regard¨¦ sa longue liste de conneries, aurait souri et lui aurait dit : ? C¡¯est bon mon vieux, tu peux passer. Les nuages orang¨¦s ont une saveur de da?quiri mais tu auras du mal ¨¤ croquer dedans. Il faut que tu inspires, inspires¡ Pas trop fort ou tu ne te r¨¦veilleras jamais ?. Pertem aurait aspir¨¦ tous les nuages du monde pour oublier que de son vivant il ne s¡¯¨¦tait amus¨¦ qu¡¯¨¤ appliquer de petits pansements sur des plaies b¨¦antes et qu¡¯il le savait tr¨¨s bien, mais sa situation ¨¦tait si confortable : pourquoi en aurait-il fait autrement ? Surtout qu¡¯il ¨¦tait utile ou croyait l¡¯¨ºtre lorsqu¡¯il ne se posait pas trop de questions ; ce qui avait ¨¦t¨¦ le cas la plupart du temps avant de rencontrer (revoir ?) Suranis.
Il l¡¯aiderait autant qu¡¯elle lui serait utile. S¡¯il s¡¯av¨¦rait sinc¨¨re et s¡¯il n¡¯avait pas oubli¨¦ sa promesse d¡¯embauche ? S¡¯il ne l¡¯avait pas lanc¨¦ en l¡¯air, sans y penser et en y rajoutant ce ? On d¨¦couvrira ce qui nous est arriv¨¦s ? comme un tout petit d¨¦tail ? Rien n¡¯avait ¨¦t¨¦ act¨¦, ce n¡¯¨¦tait qu¡¯une proposition lointaine¡ Il la renverrait quand il l¡¯aurait au bout du fil, ne se souvenant pas d¡¯elle, et elle retournerait la queue entre les jambes dans le squat. Ses compagnons la d¨¦visageraient d¡¯un air triste mais en r¨¦alit¨¦ ils seraient heureux. HAL lui tendrait sa bouteille et Gerth irait peut-¨ºtre racler le fond de ses r¨¦serves de ? carburant en poudre pour fus¨¦e qui fait s¡¯envoler tr¨¨s haut ?. Suranis s¡¯installerait alors avec Hylra, se d¨¦foncerait et ne penserait plus ¨¤ tout ce pass¨¦ oubli¨¦. Elles discuteraient un peu, de la vie, de ce qu¡¯elles pouvaient obtenir et main dans la main sauteraient dans le vide. Mieux valait une mort rapide et pleine de surprise (le Flux la tuera-t-il ou bien le sol rocailleux et invisible ?) ¨¤ une vie d¨¦cousue. Souviens-toi Suranis ! Bordel. Il te manque si peu.
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Un si peu qui n¡¯¨¦tait peut-¨ºtre pas si bien cach¨¦ et qui se trouvait potentiellement juste ¨¤ l¡¯autre bout de la ligne t¨¦l¨¦phonique d¡¯une cabine noire. Elles ¨¦taient toutes gratuites dans la Cit¨¦ et donc souvent mal entretenues. Avec un peu de chance elle ne fonctionnerait pas. Suranis avait envie d¡¯en apprendre davantage sur ces moments entourant le SAGI et en m¨ºme temps non. Il n¡¯y avait rien de beau ¨¤ voir, de cela elle ¨¦tait certaine. La ligne sonna une fois, deux fois, elle lacha un soupir de soulagement mais vint la troisi¨¨me puis quatri¨¨me sonnerie et on d¨¦crocha :
¡ª All? ? gr¨¦silla le t¨¦l¨¦phone.
¡ª All?, vous ¨ºtes bien Jinn Pertem ?
¡ª Vous avez mon num¨¦ro personnel¡ Comment diable l¡¯avez-vous obtenu, qui ¨ºtes-vous ? r¨¦primanda la voix.
¡ª Je suis Suranis Rh¨¦on, vous¡
Toute trace d¡¯agacement disparut imm¨¦diatement et la voix s¡¯adoucit. Elle ¨¦tait presque tendre. Du moins c¡¯est ce que laissait croire la ligne pleine ¨¤ craquer de parasites.
¡ª Je me souviens de vous ! Bon sang, oui. O¨´ ¨¦tiez-vous pass¨¦ ? Pourquoi avez-vous pris tout ce temps ?
¡ª J¡¯ai d? faire un tour vers¡ commen?a-t-elle avant de se raviser.
Jinn Pertem n¡¯avait pas besoin de savoir qu¡¯elle avait atteint le fond du gouffre, m¨ºme si ce gouffre ¨¦tait comparativement plus apaisant avec tout ce qu¡¯elle vivait depuis six ans.
¡ª Vers o¨´ ? demanda-t-il. Cela n¡¯a pas d¡¯importance si vous ne terminez pas vos phrases. Je me souviens de ce que je vous ai propos¨¦ et cela tient toujours. J¡¯ai toujours besoin d¡¯une assistante et vos ¨¦tats de service sont irr¨¦prochables en la mati¨¨re. Qu¡¯attendez-vous donc pour passer ? Je vous file mon adresse et je vous offre le transport.
¡ª Des ¨¦tats de service exemplaires ? Nous n¡¯¨¦tions pas cens¨¦s r¨¦fl¨¦chir ¨¤¡
¡ª Pardon ? Je ne vous entends pas tr¨¨s bien, menti Jinn qui craignait d¡¯¨ºtre ¨¦cout¨¦. ? D¨¦j¨¤, le fait qu¡¯elle ait prononc¨¦ son nom au t¨¦l¨¦phone l¡¯inqui¨¦tait. ? Dites-moi, vous avez de quoi noter ? Je me pr¨¦pare et je vous rejoins tout de suite ¨¤ la station. Je serais arriv¨¦ avant vous dans tous les cas.
Et Suranis nota. Ils ne parleraient pas plus au t¨¦l¨¦phone. La ligne ¨¦tait peut-¨ºtre ¨¦cout¨¦e et le premier d¨¦clic d¡¯une longue s¨¦rie se fit : Perth avait ¨¦t¨¦ flic. Le genre de personne susceptible de pouvoir espionner votre ligne, mais ce ne fut pas tant ?a qui la r¨¦veilla. Perth ¨¦tait une ordure, ¨¤ l¡¯¨¦gal de certains de ses coll¨¨gues lorsqu¡¯elle ¨¦tait encore inspectrice et cela comment avait-elle fait pour l¡¯oublier ? Perth ¨¦tait tout ce qu¡¯elle d¨¦testait et pourtant elle l¡¯avait aim¨¦. Des cracks. Que des cracks et Pertem P.E.R.T.E.M. connaissait toute la v¨¦rit¨¦. En tout cas il en savait beaucoup plus qu¡¯elle et ensemble ils aviseraient. Elle doutait que la parano?a de Pertem ne le soit pas ¨¤ raison.
Chapitre 43
L¡¯adresse fournie par Pertem suivie du num¨¦ro de commande pour un pod s¡¯av¨¦r¨¨rent bien r¨¦els. Elle commanda son carrosse dans la station voisine et aussit?t se pr¨¦senta-t-il en branlant doucement sur ses rails. Elle n¡¯avait pas eu droit au mod¨¨le pneumatique, rapide et spacieux, mais ¨¤ cette relique du pass¨¦ qui desservait les bas secteurs et la salle des moteurs. Une voix de synth¨¨se jaillit des haut-parleurs en s¡¯excusant avant de signaler qu¡¯aucun pod n¡¯¨¦tait disponible pour la mener directement ¨¤ l¡¯endroit souhait¨¦ et qu¡¯une correspondance serait n¨¦cessaire. Suranis ¨¦clata franchement de rire devant cette politesse robotique. Elle n¡¯avait pas de costume, seulement une veste crade et un pantalon qui commen?ait ¨¤ montrer de s¨¦rieuses traces d¡¯usures ¨¤ force de se glisser dans le petit conduit qui menait au paradis des d¨¦munis prot¨¦g¨¦ de la foule des mieux lotis. Pourtant, elle avait droit ¨¤ tous les usages en vigueur pour les bons citoyens. Les robots ¨¦taient les seuls ¨¤ ne pas faire de discrimination sauf s¡¯il fallait d¨¦cider si leur panne, un d¨¦raillement pour le mod¨¨le qu¡¯elle empruntait, devait plut?t se faire sur la cabine de droite (sur un ch?meur) ou de gauche (sur un m¨¦decin).
La voix l¡¯invita ¨¤ embarquer et la capsule blanche qui se trouvait face ¨¤ elle, plus grande que la moyenne et stri¨¦e de rouge, s¡¯ouvrit pour d¨¦voiler une demi-douzaine de places assises, toutes vides pour l¡¯instant. Il r¨¦gnait ¨¤ l¡¯int¨¦rieur une odeur douceatre de musc, de sueur et d¡¯acier. Un v¨¦hicule dessin¨¦ pour le plus riche des pauvres or elle n¡¯¨¦tait que la plus pauvre d¡¯entre eux. Elle se sentait d¨¦j¨¤ particuli¨¨rement d¨¦plac¨¦e dans cet environnement mais elle le serait davantage ¨¤ la Surface lorsqu¡¯elle d¨¦barquerait face ¨¤ l¡¯appartement somptueux de Jinn Pertem. Un appartement certainement si opulent qu¡¯elle en aurait la gerbe, mais la v¨¦rit¨¦ sur son pass¨¦ se trouvait l¨¤-bas car Monsieur Pertem, le Vendu, se trouvait aussi l¨¤-bas. Du moins une partie toute hypoth¨¦tique de la v¨¦rit¨¦ sur ce qu¡¯elle avait ¨¦t¨¦¡ Alors si elle devait, pour l¡¯obtenir, vomir toute sa bille sur les pav¨¦s nacr¨¦s de la Surface, elle le ferait avec grand plaisir. Elle n¡¯¨¦tait plus ¨¤ cela pr¨¨s et n¡¯¨¦tait mugie que par une seule obsession : d¨¦couvrir pourquoi tout lui paraissait aussi irr¨¦el, comme un r¨ºve qui ne serait pas le sien et dont elle ne parviendrait pas ¨¤ se r¨¦veiller.
Elle prit place dans la capsule qui se lan?a sans plus attendre sur les rails, grin?ant et vibrant avec la m¨ºme ¨¦nergie qu¡¯une fus¨¦e primitive. Ce n¡¯¨¦tait pas le moyen de transport r¨ºv¨¦, mais il ¨¦tait id¨¦al pour rejoindre le ciel et au-del¨¤. Si quelqu¡¯un montait ¨¤ bord lors du voyage, il la lorgnerait discr¨¨tement en se disant que la technicienne de base ¨¦tait une junkie, une moins-que-rien. L¡¯id¨¦e la fit sourire. Sans trop savoir pourquoi, elle ¨¦tait euphorique et la peine d¡¯avoir quitt¨¦ ceux qui ¨¦taient bien plus que ses amis, bien que tenace, ne la terrassait pas encore. La chose arriverait plus tard lorsqu¡¯elle d¨¦couvrirait que finalement elle ne voulait pas de tous ces souvenirs effac¨¦s et qu¡¯il y avait un certain confort ¨¤ mourir dans l¡¯ignorance.
Son voyage ne dura pas longtemps car d¨¦j¨¤ elle arrivait au niveau F o¨´ son cher Robot-Transporteur lui demanda de s¡¯identifier ¨¤ la borne A5 pour prendre une correspondance. Il ajouta qu¡¯il avait pris la peine d¡¯appeler un pod qui l¡¯attendait d¨¦j¨¤. ? Madame, j¡¯ai pris la peine de commander un pod pour vous. Veuillez, je vous prie, vous y rendre ?. La Cit¨¦ d¨¦bordait d¡¯humour aujourd¡¯hui car le ? Je ? en question ¨¦tait plut?t un ? Nous ?. Les transports de la Cit¨¦ ¨¦taient g¨¦r¨¦s par un ordinateur gliss¨¦ quelque part, sans doute une armoire oubli¨¦e et pleine de poussi¨¨res ¨¦tant donn¨¦es les pannes ¨¤ r¨¦p¨¦tition, et le fait que lui, petit robot de transport pour petits humains, se pr¨¦sente comme un ? Moi ? pouvait laisser imaginer que tout le syst¨¨me avait besoin d¡¯une bonne psychanalyse. Elle d¨¦cida que le Robot s¡¯appellerait Igor et qu¡¯Igor mourut en m¨ºme temps que la conversation se terminait pour rejoindre le grand tout. Il serait remis ¨¤ z¨¦ro, mod¨¨le sorti d¡¯usine, et ce traitement toute la Cit¨¦ pourrait en avoir besoin. Retour ¨¤ l¡¯¨¦tat premier, histoire de voir ¨¤ travers les portes cadenass¨¦es et de pouvoir s¡¯enfuir d¡¯un carcan parfois ¨¦touffant sans avoir besoin de se fracasser la t¨ºte contre un mur jusqu¡¯¨¤ la repeindre de tout ce que l¡¯on avait ¨¦t¨¦ et de tout ce qu¡¯on ne pourra jamais ¨ºtre.
Suranis laissa donc Igor sur le trottoir, qui referma ses portes derri¨¨re elle avant de dispara?tre, et rejoint l¡¯¨¦l¨¦gant Alfred. Alfred c¡¯¨¦tait une autre affaire. Il se pr¨¦sentait sous la forme d¡¯une capsule argent¨¦e et effil¨¦e comme un suppositoire. Il n¡¯existait pas moyen plus charmant et plein de m¨¦taphores pour rejoindre la Surface. Suranis en fut combl¨¦e et amus¨¦e. Si le premier moyen de transport avait ¨¦t¨¦ au-del¨¤ de ses attentes, le second ¨¦tait sorti d¡¯une sorte de r¨¦serve d¡¯arts pour nantis. Il n¡¯y avait qu¡¯une place en Alfred recouverte de velours et baign¨¦e par une musique d¡¯ambiance juste assez forte pour cacher le bruit de l¡¯inversion de polarit¨¦ des aimants qui lan?ait la petite impulsion n¨¦cessaire afin de quitter la station. Pour la suite du voyage, il ne s¡¯agissait que de pression¨Cd¨¦pression et elle se retrouva presque aussit?t ¨¤ la Surface sans que le trajet ne soit particuli¨¨rement palpitant.
Le quasi-silence laissa alors la place au vacarme d¡¯une ville irr¨¦elle. La capsule s¡¯ouvrit comme si le paysage qui l¡¯accueillait ¨¦tait la chose la plus normale qui soit. Apr¨¨s tout, la capsule se moquait de l¡¯environnement dans lequel elle ¨¦voluait tant qu¡¯elle avait sa ration d¡¯¨¦nergie, mais ce n¡¯¨¦tait pas le cas de Suranis. Imaginez, un seul instant, que vous embrassez une ¨¦toile et que sous la surface enflamm¨¦e se trouve un monde mirifique dans lequel des collines de plasma surexpos¨¦es par le c?ur d¡¯hydrog¨¨ne se font balayer par le raz-de-mar¨¦e bleu-blanc d¡¯un prestigieux pass¨¦ qui n¡¯aurait pas compl¨¨tement disparu. C¡¯est plus ou moins ce que ressenti Suranis lorsqu¡¯elle affronta la Surface. Cette Surface pouvait prendre un S majuscule.
¨¦videmment, Suranis savait d¨¦j¨¤ ¨¤ quoi ressemblait le ciel. La Cit¨¦ ¨¦tait perc¨¦e par d¡¯innombrables fen¨ºtres, une lubie des premiers arrivants qui s¡¯¨¦taient dit que ?a manquait d¡¯une belle vue - ou avait commenc¨¦ ¨¤ d¨¦janter et s¡¯entretuer ainsi priv¨¦s d¡¯une si vitale nature selon d¡¯autres versions. Leur exp¨¦rience tourna mal. Tr¨¨s mal. La d¨¦pressurisation soudaine issue des percements tua la premi¨¨re ¨¦quipe avant que le probl¨¨me ne soit r¨¦solu grace ¨¤ la cr¨¦ation de sas de d¨¦compression. Cette ¨¦quipe d¨¦cim¨¦e avait eu dans son malheur une chance immense, elle avait ¨¦t¨¦ la premi¨¨re ¨¤ voir la Cit¨¦ de l¡¯ext¨¦rieur et ¨¤ affronter les cieux sans ¨ºtre entour¨¦e des murailles de roche. Il avait fallu attendre bien des d¨¦cennies suppl¨¦mentaires pour que les rares ing¨¦nieurs de la Cit¨¦ bricolent ce qu¡¯ils appelaient entre eux la Bulle. La Bulle n¡¯¨¦tait ni plus ni moins qu¡¯un champ d¡¯¨¦nergie, t¨¦nu sur les parois et bien plus dense sur le chapeau de la Cit¨¦ qui permettait aux Citoyens de gambader presque ¨¤ l¡¯air libre. Le ciel, lorsqu¡¯il ¨¦tait per?u sans vitre mais au travers la Bulle prenait une apparence savonneuse et les ¨¦manations les plus hautes du Flux, qui se d¨¦tachaient en longs nuages, voyaient leur couleur chang¨¦e au gr¨¦ des humeurs de la Bulle. Il n¡¯¨¦tait pas difficile d¡¯imaginer un doigt g¨¦ant qui toucherait la Bulle, la Bulle qui se cr¨¨verait dans un ? ploc ? lamentable avant que l¡¯oxyg¨¨ne pi¨¦g¨¦ dans des milliers de poumons se mette en pleine expansion et fasse ressembler les Citoyens a des ballons de baudruche.
Parfois, la vie ne tenait pas ¨¤ grand-chose sinon un champ d¡¯¨¦nergie si fragile qu¡¯il fallait ¨ºtre inconscient pour vivre sous sa protection et les gens de la Surface l¡¯¨¦taient assur¨¦ment. Sous la chape de la Bulle, des hautes tours venaient chatouiller la fine protection qui les prot¨¦geaient tous d¡¯une mort certaine par asphyxie. Quelqu¡¯un ouvrirait une fen¨ºtre et sortirait une aiguille pour percer la Bulle et tout serait fini. Suranis se vit escaladant la plus haute des tours qui se dessinait face ¨¤ elle, s¡¯agrippant ¨¤ la moindre corniche comme un King Kong au rabais. Elle caresserait la Bulle et alors¡ Alors rien ne se passerait. L¡¯atmosph¨¨re oppose bien moins de r¨¦sistance qu¡¯un corps, sa main passerait au travers et de petits vaisseaux sanguins exploseraient. Elle se retrouverait avec une grosse verrue ass¨¦ch¨¦e au bout d¡¯un long baton de chairs ratatin¨¦es et ?a serait tout.
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Fin de l¡¯histoire et son id¨¦e folle s¡¯arr¨ºta ici, perch¨¦e sur sa tour en hurlant. Il aurait mieux valu qu¡¯elle se prolonge car il ne resta alors plus que le vide qui la submergea, prise au d¨¦pourvu dans cet univers qu¡¯elle ne comprenait pas et qui devait pourtant l¡¯aider ¨¤ se sentir ? mieux ?. La Surface lui donna le tournis une fois l¡¯¨¦merveillement d¨¦pass¨¦. Tout ¨¦tait trop grand, d¨¦mesur¨¦ et le vide autour d¡¯elle¡ Le vide entre les batiments, le vide au-dessus de sa t¨ºte, le vide qui mena?ait de la saisir, de l¡¯¨¦triper, de la tordre en tous sens et de la jeter avec les autres chiffons usag¨¦s. Elle sentit sur sa peau la caresse d¡¯une des deux ¨¦toiles du syst¨¨me et elle se craquela en r¨¦action (ou n¡¯¨¦tait-ce qu¡¯une nouvelle illusion ?). Pour les gens comme elle, l¡¯int¨¦rieur de la Cit¨¦ ¨¦tait ¨¤ la fois prison et n¨¦cessit¨¦ absolue ¨¤ la survie. Bient?t elle rougirait sur cette place publique entour¨¦e d¡¯hommes et de femmes en costumes et chapeaux qui passaient ¨¤ c?t¨¦ d¡¯elle en faisant mine de l¡¯ignorer. ¨¦tait-ce donc ¨¤ cause des ¨¦toiles que la mode ¨¤ la Surface ¨¦tait aux v¨ºtements couvrants et aux couvre-chefs bariol¨¦s ? Ou ¨¦tait-ce tout simplement une autre mani¨¨re de crier : ? Je suis l¨¤, je suis singulier. Regardez-moi au milieu de tous ces autres gens singuliers. ?. Mais malgr¨¦ cela, singuliers ils ne parvenaient pas ¨¤ l¡¯¨ºtre plus que ne l¡¯¨¦tait Suranis ce jour-l¨¤.
Aujourd¡¯hui, ce n¡¯¨¦tait pas la vieille femme au foulard rose p¨¦tard qui accapara toute l¡¯attention, mais bien elle, Suranis, avec ses v¨ºtements si distraits sous le sol pav¨¦ et peaufin¨¦. Un agent des FPCP en tenue de nazillon jusqu¡¯au brassard orange du Conseil des Pilotes, alert¨¦ par un passant de l¡¯¨¦tranget¨¦ de la nouvelle arrivante, s¡¯approcha d¡¯elle avec l¡¯air de vouloir lui dire ? D¨¦sol¨¦ Madame, vous n¡¯¨ºtes pas ¨¤ votre place ?. Que ce ? D¨¦sol¨¦ ? soit r¨¦el ou pas, il serait dit avec une bienveillance exacerb¨¦e. Il la conduirait aux niveaux auxquels elle appartenait, lui tendrait une barre prot¨¦in¨¦e et lui transf¨¦rerait quelques cr¨¦dits par piti¨¦ sans savoir un seul instant que dans la m¨ºme ann¨¦e elle avait croqu¨¦ un ancien coll¨¨gue.
Suranis vit arriver sur elle cet homme qui claquait des pieds sur le b¨¦ton comme s¡¯il paradait. Il avait la barbe courte, bien coup¨¦e et des petites ¨¦paulettes chevronn¨¦es. Un officier. Soit ils ¨¦taient pr¨¦dispos¨¦s ¨¤ la circulation ¨¤ la Surface, soit celui-ci avait ¨¦t¨¦ puni et quelle punition que celle de faire r¨¦gner l¡¯ordre parmi les bourgeois pr¨¦occup¨¦s par leurs prochains rendez-vous ! Qu¡¯est-ce que cet homme ¨¦tait las !
¡ª Bonjour Madame. Pardonnez-moi de vous d¨¦ranger, mais je vais devoir consulter votre identit¨¦¡ Veuillez, s¡¯il vous pla?t, me pr¨¦senter votre autorisation de s¨¦jour ¨¤ la Surface, dit-il avant d¡¯ajouter : Simple contr?le de routine, ne le prenez pas mal.
La demande avait ¨¦t¨¦ faite avec douceur. Elle n¡¯avait cependant rien de tel ¨¤ lui passer, m¨ºme si elle avait ¨¦t¨¦ invit¨¦e. Elle ¨¦tait plus qu¡¯une simple tache ici, errante et attendant que l¡¯agent de blanchissement arrive et l¡¯¨¦radique. Elle lui fit savoir que non, elle n¡¯avait pas d¡¯autorisation et qu¡¯elle avait ¨¦t¨¦ convi¨¦e. L¡¯agent la regarda, le semblant de sympathie qu¡¯il pouvait avoir avait disparu pour ¨ºtre remplac¨¦ par un certain d¨¦dain. Invit¨¦e ! Il contacta la base de donn¨¦es via une simple pens¨¦e et interrogea la puce d¡¯identification de Suranis.
¡ª Suranis Rh¨¦on, on ne nous a pas averti de votre pr¨¦sence¡ mais¡ Dites-moi¡ commen?a-il avant de s¡¯esclaffer. Vous avez six ans ? Vous semblez en avoir bien plus.
¡ª Six ans ?
¡ª Votre puce est dat¨¦e d¡¯il y a six ans. Je vais devoir vous demandez de partir. Je vais vous guider vers la sortie, mais pensez ¨¤ vous rendre dans une infirmerie afin de contr?ler vos identifiants. Il semblerait qu¡¯il y ait des rat¨¦s avec votre identification¡ N¡¯emp¨ºche, ?a ne serait pas la premi¨¨re fois que cela arrive¡ Me me demandez pas pourquoi, ces probl¨¨mes sont devenus plus banaux qu¡¯on ne le pense ces derniers temps.
La bizarrerie de ces derni¨¨res ann¨¦es d¨¦bordait en bien des domaines. Son identit¨¦ n¡¯¨¦chappait pas ¨¤ la r¨¨gle. Les puces ¨¦taient ins¨¦r¨¦es peu apr¨¨s la naissance et dat¨¦es de leur ann¨¦e de production. En r¨¨gle g¨¦n¨¦rale l¡¯ann¨¦e correspondait ¨¤ celle de naissance bien que, par le pass¨¦, des puces plus anciennes aient pu ¨ºtre utilis¨¦es. Quoi qu¡¯il en soit, il ¨¦tait rigoureusement impossible que Suranis se retrouve affubl¨¦e d¡¯une puce plus jeune qu¡¯elle ne l¡¯¨¦tait elle-m¨ºme. Totalement impossible. De nouvelles connexions se r¨¦alis¨¨rent. Elle fut prise de sueurs froides malgr¨¦ la chaleur presque ¨¦touffante qui r¨¦gnait ¨¤ la Surface.
¡ª Il n¡¯y a jamais eu d¡¯erreur ? Les puces peuvent-elles avoir une date post¨¦rieure ¨¤ celle de leur fabrication ?
¡ª Je n¡¯en sais rien Madame, mais ce que je sais c¡¯est que vous ne pouvez pas rester ici. C¡¯est mal vu.
¡ª Mal vu ? s¡¯insurgea Suranis. J¡¯ai ¨¦t¨¦ invit¨¦e !
¡ª Et vous ignorez qu¡¯il vous faut une autorisation ? Ne me la faites pas et cessez votre char. Maintenant, suivez-moi avant que je me d¨¦cide ¨¤ vous flanquez ¨¤ la porte ¨¤ coup de pied dans le cul ! Comprenez que je ne fais que mon travail.
¡ª Mais merde ! cria-t-elle. Je dois voir quelqu¡¯un, laissez-moi un peu de temps. Il ne devrait pas tarder.
Pour une raison qui ¨¦chappa ¨¤ Suranis, l¡¯agent de police n¡¯avait pas l¡¯air du type ? porc agressif ? d¡¯o¨´ la certaine violence de sa r¨¦action. Cela tenait sans doute au fait que son apparence ¨¦tait humaine, ce qui n¡¯¨¦tait pas commun dans le monde de Suranis o¨´ tous les salopards portaient le m¨ºme d¨¦guisement grotesque, ¨¤ la crois¨¦e des chemins entre le pire de l¡¯humanit¨¦ et de l¡¯animalit¨¦.
Malgr¨¦ tout le professionnalisme de l¡¯agent, il la foutrait quand m¨ºme dehors d¡¯une mani¨¨re ou d¡¯une autre. Pas violent, mais un bon flic (bien qu¡¯¨¤ la Surface les flics ne soient rien de plus que des agents d¡¯entretien ¨¤ destination de pseudo-humains).
Alert¨¦ par la dispute naissante, un grand homme chauve s¡¯avan?a vers eux. Il portait accroch¨¦e ¨¤ son col une ¨¦pingle du Conseil repr¨¦sentant le manche de pilotage d¡¯un vaisseau. Le policier claqua la paume de sa main contre sa cuisse et se mit au garde-¨¤-vous. Suranis eut l¡¯expression inverse, elle se d¨¦tendit : Jinn Pertem ¨¦tait arriv¨¦.
¡ª Que se passe-t-il par ici ? demanda-t-il d¡¯une voix ¨¤ la neutralit¨¦ terrifiante.
¡ª Cette femme pr¨¦tend avoir ¨¦t¨¦ convoqu¨¦e ici Honorable Coordinateur.
¡ª Parce que c¡¯est le cas, je lui ai demand¨¦ de venir. Elle est avec moi, vous pouvez donc mettre de c?t¨¦ les formalit¨¦s ?
¡ªOui Monsieur, excusez-moi. Je l¡¯ignorais. Passez une excellente journ¨¦e Honorable Coordinateur.
L¡¯agent salua Pertem et en fit de m¨ºme avec Suranis. ¨¤ vrai dire, elle eut m¨ºme droit ¨¤ une courbette en bonne et due forme : on ne menace pas l¡¯amie d¡¯un Coordinateur. Il s¡¯¨¦clipsa dans la foule qui s¡¯¨¦tait rassembl¨¦e, la t¨ºte baiss¨¦e et rouge de honte. Pertem le suivit du regard en souriant puis se retourna vers Suranis :
¡ª Vous vous ¨ºtes fait remarqu¨¦e et je suppose que moi aussi, mais cela m¡¯amuse follement ! Je vous propose n¨¦anmoins de ne pas rester ici. D¨¦guerpissons avant que l¡¯on commence ¨¤ penser que je me suis trouv¨¦ une jeune amante.
¡ª Plus si jeune fit remarquer Suranis. M¨ºme si visiblement j¡¯ai six ans.
¡ª C¡¯est dr?le, il semblerait que moi aussi, marmonna Jinn d¡¯un ton r¨ºveur.
Chapitre 44
Suranis et Jinn emprunt¨¨rent un taxi. Il fonctionnait ¨¤ peu pr¨¨s de la m¨ºme mani¨¨re que les taxis terrestres. On l¡¯appelait, il arrivait et le pilote (totalement absent) demandait sa destination avec une voix monotone et d¨¦shumanis¨¦e de robot, ce qui ¨¦tait en soi une diff¨¦rence non n¨¦gligeable avec les versions terriennes comme l¡¯autorit¨¦ lasse dans la voix du passager qui lui r¨¦pondit.
¡ª Jardins de Constantin, ordonna Jinn.
¡ª L¡¯adresse est enregistr¨¦e. Arriv¨¦e pr¨¦vue dans vingt-sept minutes Monsieur. Souhaitez-vous que je d¨¦sopacifie la cabine ?
Il s¡¯appr¨ºtait ¨¤ r¨¦pondre ? Non ?, mais juste avant Suranis demanda ? Oui ?. Il se retourna vers elle en haussant les ¨¦paules. Les vitres ¨¦tant, dans tous les cas, teint¨¦es il n¡¯appartenait qu¡¯¨¤ elle de voir ou de ne pas voir ce que la Surface avait de mieux ¨¤ offrir. De son c?t¨¦ Jinn en avait fait le tour mais il n¡¯avait pas oubli¨¦ l¡¯¨¦merveillement qui avait ¨¦t¨¦ sien lorsque pour la premi¨¨re fois de sa vie il s¡¯¨¦tait retrouv¨¦ dans la m¨ºme situation que Suranis Rh¨¦on. Il ¨¦tait n¨¦ dans les profondeurs lui aussi. Certes, bien plus proche des ¨¦toiles que ne l¡¯¨¦tait Suranis mais tout comme elle il n¡¯avait jamais pu voir ce ¨¤ quoi ¨¦tait cens¨¦e ressembler la chose merveilleuse qu¡¯on appelait nature. Ici elle ¨¦tait artificielle, mais la repr¨¦sentation parfaite de la nature n¡¯en devenait-elle pas la nature elle-m¨ºme ?
Ils travers¨¨rent la ville ¨¤ toute vitesse. La station des pods s¡¯¨¦loigna rapidement derri¨¨re eux, le policier retourn¨¦ ¨¤ l¡¯ombre des batiments disparut et rapidement l¡¯urbain laissa la place au p¨¦ri-urbain. Les banlieues avec ces maisons carr¨¦es dont les toits plats prot¨¦geaient davantage l¡¯intimit¨¦ que de la pluie quand le danger le plus grand ¨¦tait celui des regards lanc¨¦s des hautes tours de la ville. Ces maisons, loin d¡¯¨ºtre modestes, ne s¡¯¨¦tendaient pas beaucoup et constituaient tout juste une transition douce avant la campagne. La vraie campagne ¨¤ seulement dix minutes des tours. On s¡¯approchait plus de la campagne hollandaise qu¡¯autre chose, mais cela n¡¯en demeurait pas moins stup¨¦fiant pour qui n¡¯avait jamais rien vu de tel. L¨¤, o¨´ autrefois se trouvait simplement le crane chauve de celle qui n¡¯¨¦tait pas encore devenue la Cit¨¦, avait ¨¦t¨¦ jet¨¦ un bien ¨¦trange terreau. Le myc¨¦lium emprisonn¨¦ avait fait jaillir ces champignons vitrifi¨¦s qu¡¯on appelait les Tours et qui, de leurs ombres (gigantesques !) venait soumettre la bruy¨¨re et les arbres si ramifi¨¦s qu¡¯on aurait dit qu¡¯ils marchaient sur la t¨ºte. Des moulins futiles de papier s¡¯agitaient sous le vent timide qui ne d¨¦rangeait personne sinon les fourmis dans leur labyrinthe de terre. Une belle nature qu¡¯¨¦tait-ce, bien qu¡¯une nature cultiv¨¦e qui petit ¨¤ petit s¡¯¨¦mancipait, lib¨¦r¨¦e des forces de l¡¯Homme pour vivre tout ce qu¡¯elle avait de plus sauvage en d¨¦montrant une nouvelle fois sa capacit¨¦ ¨¤ reprendre les choses en main. Il ne manquait ¨¤ ce paysage qu¡¯un cours d¡¯eau puissant charriant la glaise sur des kilom¨¨tres pour que l¡¯on ait l¡¯impression de se retrouver sur la Terre premi¨¨re. ¨¦videmment, cela ne serait jamais le cas car des cours d¡¯eau il n¡¯en existait pas. On pouvait se permettre de vivre ¨¤ deux doigts de l¡¯espace et d¡¯entretenir une belle pelouse, m¨ºme quelques lapins qui jaillissaient d¡¯une souche pourrissante pour se jeter sous les roues du taxi, mais on ne gaspillerait jamais d¡¯eau dans la Cit¨¦. Surface ou pas.
Suranis regarda Pertem, un peu perdue :
¡ª Qu¡¯est-ce que c¡¯est¡ C¡¯est beau.
¡ª Ah ?a¡ Je dois r¨¦pondre que ce n¡¯est rien de plus que les parcs que l¡¯on retrouve plus bas ! railla Jinn. Je vous fais marcher, bien s?r. Moi aussi, lorsque je suis venu ici pour la premi¨¨re fois j¡¯ai ¨¦t¨¦ surpris. Voyez-vous, lorsque le Flux n¡¯existait pas encore on a ramen¨¦ quelques tonnes de terre de la plan¨¨te et recouvert tout le toit de la Cit¨¦. Il y a deux m¨¨tres de substrat en moyenne, parfois trois. Globalement, nous avons peu d¡¯¨¦rosion sinon la terre pi¨¦g¨¦e par les chaussures qui se retrouve ¨¤ se balader dans le restant de la Cit¨¦. Le niveau est rest¨¦ relativement inchang¨¦ depuis sa mise en place.
¡ª C¡¯est magnifique¡ Pourquoi avoir d¨¦ploy¨¦ tant d¡¯effort ?
¡ª C¡¯¨¦tait une autre ¨¦poque Suranis. On avait tout ce qu¡¯il fallait pour nous amuser aux parfaits chimistes bien qu¡¯on ma?trisait encore tr¨¨s mal le sujet. Je ne sais pas si vous avez parcouru la litt¨¦rature ¨¤ ce sujet, mais disons qu¡¯en deux ou trois ans on ne peut pas se former. Il nous fallait pourtant de la nourriture et vite. Alors on a ensemenc¨¦ la Surface. Avant les tours il n¡¯y avait que des champs. Ce n¡¯¨¦tait pas la panac¨¦e ¨¤ nos probl¨¨mes de nourriture mais c¡¯¨¦tait suffisant pour tenir vingt ou trente ans de plus en piochant dans les derni¨¨res rations en compl¨¦ment. Mais maintenant, c¡¯est du pass¨¦ et nous devons vivre avec tout cela¡ Toutes ces choses qui sont sans doute moins pr¨¦cieuses que la nourriture et qui occupent d¨¦sormais une part si importante dans notre existence surfacienne.
Il engloba d¡¯un geste le monde alentours, insinuant que ce qu¡¯il y avait en dessous importait tout autant. Presque autant. Il demeurait homme de Surface.
¡ª Mais je parle du pass¨¦. Le monde a chang¨¦. Nous sommes d¨¦sormais bloqu¨¦s et isol¨¦s de la plan¨¨te qu¡¯on ne voit m¨ºme pas ¨¤ travers le Flux. Les champs et l¡¯utopie sont finis, on doit tous jouer notre part pour que la Cit¨¦ continue ¨¤ vivre. D¨¦sormais Suranis, vous faites aussi partie des t¨ºtes pensantes. Pas les plus essentielles, mais elles font en sorte que tout ne s¡¯effondre pas. C¡¯est dr?le quand on y pense¡ Votre ascension fulgurante simplement parce que nous nous posons des questions¡ Nous deux.
¡ª Une t¨ºte pensante ? Mais certainement pas une active¡ Le seul point positif que je vois dans cette ascension fulgurante c¡¯est que je vais ¨¦chapper aux Bakers. Les barres Baker, l¡¯apport prot¨¦in¨¦ pour une journ¨¦e au service de la Cit¨¦, chantonna Suranis.
Jinn rigola ce qui le rajeunit d¡¯une dizaine d¡¯ann¨¦es. Il reprit rapidement une contenance acceptable :
¡ª Les barres¡ Je me tape des barres, plaisanta-il. Vous verrez ce qu¡¯on a comme barre par ici, on a une version plus luxueuse ici¡ Agr¨¦ment¨¦e de viande. Tr¨¨s peu ¨¦videmment, coup¨¦ avec des prot¨¦ines v¨¦g¨¦tales, on appelle ?a un pain de viande.
¡ª Je n¡¯ai ¨¦trangement pas si hate d¡¯y go?ter, r¨¦pondit pensivement Suranis et elle le pensait en regardant les cercles d¡¯un aigle pistant sa proie. Et je ne suis pas l¨¤ pour ?a¡ Je ne recherche que la v¨¦rit¨¦¡ Que gagnerais-je de plus lorsque je l¡¯aurais obtenu ?
¡ª Nous verrons, marmonna Jinn en actionnant un petit appareil qu¡¯il tenait ¨¤ la main. Un brouilleur, s¡¯excusa-t-il. Si nous sommes espionn¨¦s, tout cela appartient d¨¦sormais au pass¨¦. Mais je crois que la v¨¦rit¨¦ c¡¯est d¨¦j¨¤ beaucoup et j¡¯attends ¨¤ ce vous fourriez votre nez dans les sales affaires du Conseil ¨C s¡¯il est impliqu¨¦. Vous n¡¯¨ºtes pas vraiment l¨¤ pour ce qui sera ¨¦crit sur votre contrat d¡¯embauche.
¡ª Je suis bien consciente que ces affaires d¡¯assistante, ce n¡¯est que du pipeau, dit Suranis. La v¨¦rit¨¦. Je ne r¨¦clame que ?a¡ Et peut-¨ºtre une vengeance.
Jinn s¡¯esclaffa bruyamment. Suranis le rejoignit. Reprenant contr?le d¡¯elle-m¨ºme, elle se remit ¨¤ fixer ce qui se trouvait de l¡¯autre c?t¨¦ de la vitre. Le paysage d¨¦filait. Trop de mauve ¨¤ perte de vue, tant de place inusit¨¦e qui am¨¦liorerait la vie de tous. Tout ¨¦tait l¨¤, accessible, et il suffisait de si peu.
Son nouveau patron la contempla avec une esquisse de sourire malheureuse :
¡ª Je doute que nous pourrions obtenir vengeance si nous ne d¨¦lirons pas simplement et purement. Tout cela devra attendre pour que nous en discutions davantage¡ Je ne veux pas me d¨¦masquer en brouillant tous les micros de ce taxi pendant un laps de temps trop long. Vous comprenez ?
This book was originally published on Royal Road. Check it out there for the real experience.
¡ª Compris, dit sobrement Suranis.
La conversation s¡¯arr¨ºta ici pour le reste du voyage car Jinn interrompit son brouilleur. Ils ne pouvaient rester hors-ligne trop longtemps sous peine d¡¯¨ºtre soup?onn¨¦. Le taxi venait de p¨¦n¨¦trer dans un nouveau monde aux maisons isol¨¦es et aux potagers prodigieux dans lesquels trimaient d¡¯¨¦trange humains basan¨¦s par l¡¯¨¦toile. Pour eux le jardinage n¡¯¨¦tait qu¡¯un loisir, sans doute pensaient-ils ¨ºtre un peu comme ceux d¡¯en bas ¨¤ faire leur part du labeur en d¨¦vorant le soir les patates qui avaient pris tous ces mois ¨¤ pousser contre un peu d¡¯eau. L¡¯opulence des champs ¨¦tait de retour. Finalement, c¡¯¨¦tait ?a la richesse : la terre. Ils ¨¦taient retourn¨¦s ¨¤ un ¨¦tat m¨¦di¨¦val, des seigneurs-paysans ignorant tout de la souffrance des artisans qui ?uvraient dans les profondeurs.
Ce nouveau paysage disparut bien vite ¨¤ la vitesse folle du taxi car au loin une muraille de verre se dessinait d¨¦j¨¤. Une forteresse contemporaine qui ceignait cette infime parcelle de la Cit¨¦ comme une couronne trop petite que peu de gens se partageaient. Il s¡¯agissait sans conteste des Jardins de Constantin, l¡¯un des Joyaux de la Couronne. La paroi de verre grossissait. Ils s¡¯¨¦taient assez approch¨¦s pour voir qu¡¯elle n¡¯¨¦tait pas plane mais compos¨¦e de losanges imbriqu¨¦s et que ses bords fuyaient vers l¡¯horizon. Une lueur douce brisa l¡¯¨¦clat terne de plomb de la fa?ade alors que le soleil venait de commencer sa descente de l¡¯autre c?t¨¦ de la plan¨¨te. Le halo rouge d¡¯une des lunes lui r¨¦pondit en ¨¦cho. Lorsque le soleil passa finalement derri¨¨re les Jardins, ses rayons s¡¯¨¦tiraient en des ficelles presque noires comme un filet ¨¤ la d¨¦rive. Une chose ¨¦tonnante quand on savait qu¡¯aucun chalutier n¡¯avait jamais vogu¨¦ sur le Flux en p¨ºchant tous les poissons volants et toxiques qui en surgiraient.
La voiture acc¨¦l¨¦ra encore sa course vers le batiment. Elle ne devait pas d¨¦passer les cent-soixante km/h, mais c¡¯¨¦tait bien assez pour que les environs donnent l¡¯impression d¡¯¨ºtre l¡¯?uvre d¡¯un impressionniste.
Et maintenant, o¨´ allons-nous Pertem ? Le requin de plomb qui se dessine face ¨¤ moi va ouvrir sa gueule b¨¦ante et me d¨¦vorer. Ce serait mieux pour tout le monde. Que mon oubli soit ¨¦ternel, mes r¨ºveries ne manqueront ¨¤ personne et surtout pas ¨¤ moi. Pertem ne r¨¦pondit pas ¨¤ cette question muette, il ¨¦tait bien incapable de l¡¯entendre, mais la paroi de verre apporta la r¨¦ponse. Alors que la voiture ne se trouvait plus qu¡¯¨¤ un kilom¨¨tre elle s¡¯ouvrit sur quarante m¨¨tres de haut et sur une quinzaine de large. Elle avait ¨¦t¨¦ ouverte depuis le d¨¦but. Simplement les appareils fix¨¦s aux poutres d¡¯acier qui soutenaient ce point de passage proposaient de voir autre chose : un miroir renvoyant la Cit¨¦ et cachant ce qui se passait derri¨¨re les murs. Et ce qui se passait l¨¤ valait bien le nom des Jardins de Constantin.
Ce que Suranis avait pris pour un grand batiment n¡¯¨¦tait en r¨¦alit¨¦ qu¡¯une fa?ade, une carcasse d¡¯acier dont les chairs n¡¯existaient pas et ne l¡¯avaient jamais fait. Une cinquantaine de m¨¨tres les s¨¦parait du c?ur des Jardins apr¨¨s le tunnel. De l¡¯autre c?t¨¦, une grande route de b¨¦ton lisse et sans tache, bord¨¦e de n¨¦ons bleus, traversait une for¨ºt si dense que la lumi¨¨re naturelle ne parvenait qu¡¯¨¤ grande peine ¨¤ atteindre les parois blanches attenantes des batiments qui s¡¯illuminaient de l¡¯int¨¦rieur avec une douceur presque ¨¦th¨¦r¨¦e. Dans ce d¨¦cor de for¨ºt enchant¨¦e, ils descendirent du taxi qui reparti au d¨¦p?t et un vent frais balaya les cheveux roux de Suranis. La ligne de flamme dans le sous-bois alerta un moineau craintif qui s¡¯envola en piaillant. Un animal¡ Dans un monde d¡¯humains.
¡ª Il n¡¯y a personne, remarqua Suranis en jetant un coup d¡¯?il aux chemins d¨¦serts apr¨¨s ¨ºtre sortie du v¨¦hicule qui repartait.
¡ª Oh si, ils sont tous dans les bureaux ¨¤ cette heure. Ne me demandez pas ce qu¡¯ils y font, je n¡¯en sais rien¡ Mes ouailles sont des feignasses.
¡ª Nous n¡¯en avons pas discut¨¦, mais d¨¦sormais que le robot ¨¤ oreilles ¨¦lectroniques est parti, nous le pouvons j¡¯imagine¡ Vous allez m¡¯aider ? Je veux dire¡ Je peux enqu¨ºter, je peux vous aider, mais j¡¯ai aussi besoin d¡¯aide. Je sais que je vous en demande beaucoup mais regardez mon ¨¦tat.
Jinn la d¨¦tailla.
¡ª Oh oui, on va vous engraisser, vous loger et on ne vous aidera pas plus que cela. Cela me para?t ¨ºtre une bien maigre compensation pour ce que je vais faire de vous¡ Et il y a autre chose. Vous n¡¯allez pas faire qu¡¯enqu¨ºter.
¡ª Comment ?a ? l¡¯interrogea Suranis.
¡ª Voyez-vous, Suranis, nous sommes ici dans mon service. Service dont je suis plus ou moins le roi, c¡¯est grisant n¡¯est-ce pas ? La brise fra?che de la for¨ºt ! L¡¯ombre agr¨¦able lorsque l¡¯astre stellaire nous agresse et nous force ¨¤ fermer nos grands yeux h¨¦b¨¦t¨¦s¡ Un vrai coin de paradis¡ Parfois, lorsque je me r¨¦veille et que j¡¯ouvre ma fen¨ºtre sur ce monde, je me demande comment il m¡¯est possible d¡¯aider les autres de cette tour d¡¯ivoire qu¡¯est mienne. Et je le fais pourtant, autant que je le peux mais je manque de mains. Pour tout avouer, nous ne sommes pas le Minist¨¨re le mieux lotis¡ Nous faisons ce que l¡¯on peut. Vous me servirez officiellement sur ce point. Autant que possible et ¨¤ c?t¨¦ de votre officieuse enqu¨ºte. Cela couvrira les ? services ? que je vous rendrais.
¡ª Au moins, vous n¡¯essayez pas de me faire croire que vous auriez propos¨¦ ¨¤ une fille qui vous aurait accost¨¦ dans la rue un emploi et un logement pour fuir un petit-ami tortionnaire, par simple bont¨¦¡
¡ª Tortionnaire ? s¡¯illumina Pertem qui n¡¯avait pas la moindre id¨¦e du fait que le terme n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ choisi comme hyperbole. Non, voyons¡ ?a n¡¯a jamais ¨¦t¨¦ mon id¨¦e. Vous m¡¯aiderez ¨¤ accomplir certaines taches comme nombre de mes autres collaborateurs et ces taches vous permettront de fureter ¨¤ droite et ¨¤ gauche. Si je ne vous permettais que de chercher, je ne retirerais qu¡¯une maigre part de cet ¨¦change et vous la plus grosse. Cela me para?t n¡¯¨ºtre qu¡¯¨¦quitable, ne trouvez-vous pas ?
¡ª J¡¯imagine¡ J¡¯esp¨¨re¡
¡ª Vous aurez le temps de mener ¨¤ bien votre enqu¨ºte, je vous l¡¯assure. Les petits travaux d¡¯¨¤-c?t¨¦ ne feront que parfaire votre couverture et ce ne sera que l¡¯affaire de quelques mois avant que l¡¯excellente inspectrice qui sommeille en vous fasse des ¨¦clats.
Il ne s¡¯¨¦tait pas content¨¦ de ne pas l¡¯oublier apr¨¨s leur rencontre. Il s¡¯¨¦tait renseign¨¦. Lui avait-elle parler de sa carri¨¨re pass¨¦e ? Non. Mais elle ne le reprit pas ¨¤ ce sujet.
¡ª Je serais donc une sorte d¡¯assistante¡ C¡¯est une excellente couverture, mais je pense que j¡¯aurais pu aussi agir autrement, loin de la Surface. En toute franchise, Jinn ? hasarda-t-elle ce ¨¤ quoi il r¨¦pondit par un hochement de t¨ºte. Vous ne m¡¯avez pas propos¨¦ ce poste simplement pour que je puisse mener tranquillement notre enqu¨ºte et que je puisse emmerder des salauds pour vous. Je me trompe ?
¡ª Mmmpf, r¨¦pondit Pertem. Peut-¨ºtre pas que ?a en effet¡
Il prit une expression vex¨¦e et se mit la main sur le c?ur. Pas litt¨¦ralement, sinon il n¡¯aurait jamais eu la force de s¡¯asseoir sur le banc public si us¨¦ qu¡¯on voyait la trace fusionn¨¦e de toutes les fesses qui s¡¯y ¨¦taient assises. Suranis de son c?t¨¦ avait l¡¯air un peu b¨ºte. La chose lui ¨¦tait sortie seule, comme si Jinn eut ¨¦t¨¦ incapable de lui renvoyer la balle et de la renvoyer chez elle. D¡¯une certaine fa?on, elle n¡¯¨¦tait toujours pas contre l¡¯id¨¦e de faire marche arri¨¨re et de retourner dans le squat, mais d¡¯un autre c?t¨¦¡ D¡¯un autre c?t¨¦ elle savait que le P.E.R.T.E.M. brillant en rouge dans son esprit ¨¦tait incapable de faire cela.
¡ª Il y a peut-¨ºtre autre chose. Comme si je voulais sauver mon ame immortelle en vous aidant ¨¤ sortir de ce bas monde de merde ? Si vous n¡¯aviez pas eu l¡¯air aussi abattue, je me serais dit que vous ¨¦tiez simplement aussi folle que je le suis et j¡¯aurais continu¨¦ mon enqu¨ºte tout seul, sans vous. Mais voil¨¤, vous vous ¨ºtes pr¨¦sent¨¦e et je me suis dit que s¡¯il m¡¯¨¦tait possible de le faire j¡¯aimerais aider des gens en dehors de ce que me permet la l¨¦gislation. J¡¯ai conscience que ce que je fais est vou¨¦ ¨¤ dispara?tre, mais tant que ?a existe c¡¯est utile. Je ne peux plus me lancer dans de grandes aventures comme ¨¤ l¡¯¨¦poque car je suis las et je sens que mes id¨¦aux ne seront jamais atteints. Je ne suis m¨ºme pas certain qu¡¯ils existent encore. J¡¯ai peut-¨ºtre cess¨¦ de r¨ºver aux grands projets et j¡¯essaie de me rattraper avec des individus¡ Alors non, en effet Suranis. Je ne vous ai pas propos¨¦ ce beau monde simplement parce que deux cerveaux valent mieux qu¡¯un et ?a je ne peux pas le nier.
¡ª D¨¦sol¨¦e, s¡¯excusa Suranis. Je ne voulais pas¡
¡ª Je veux peut-¨ºtre vous sauver. Votre d¨¦tresse m¡¯a heurt¨¦¡ Et en toute franchise, je ne sais pas si vous m¨¨nerez ¨¤ bien votre mission, mais je sais que j¡¯aurai fait une bonne action¡ Au moins une dans ma vie.
¡ª Je¡
¡ª Laissons-tomber tout cela Suranis. Ce n¡¯est que moi et mes vieux d¨¦mons, mon c?t¨¦ chevaleresque au rabais j¡¯imagine ? Ou la mort qui s¡¯approche ¨¤ petits pas ? Qu¡¯est-ce que j¡¯en sais ? Contentons-nous plut?t du sujet qui nous accapare¡ Du moins, occupons-nous en d¨¨s demain.
Et ce sujet attendrait le lendemain car la lumi¨¨re d¨¦croissait dans les Jardins de Constantin. Les ¨¦clairages dans les rares bureaux encore ¨¦teints s¡¯allum¨¨rent et par transparence, ce qui avait sembl¨¦ n¡¯¨ºtre que des parois blanches s¡¯illumin¨¨rent franchement comme des lampions de papier.
Jinn posa sa main sur son ¨¦paule et ils march¨¨rent ensemble sur les chemins qui commen?aient ¨¤ ¨ºtre fr¨¦quent¨¦s par les ¨¦l¨¦ments les moins assidus des Jardins. Le Royaume qui s¡¯¨¦tendait face ¨¤ eux avait un go?t doux-amer.
Chapitre 45
Anis Ontho, d¨¦c¨¦d¨¦e quelques semaines avant l¡¯arriv¨¦e de Suranis ¨¤ la Surface, avait le m¨¦rite de toujours exist¨¦ dans le fichier central de la Cit¨¦. Elle s¡¯approchait des trente-sept ans lorsqu¡¯un taxi, occup¨¦ par un passager press¨¦, d¨¦boula au coin de la rue et d¨¦rapa sur le bitume mouill¨¦ avant de s¡¯emboutir contre un mur et de blesser gri¨¨vement son occupant. Il avait dans la foul¨¦e fauch¨¦ Anis Ontho qui sortait d¡¯une journ¨¦e de travail d¨¦j¨¤ bien compliqu¨¦e. Sa mort fut rapide, la partie inf¨¦rieure de son corps douloureusement meurtrie par le choc n¡¯eut pas ¨¤ souffrir longtemps de sa condition car sa t¨ºte rejoignit la valse en s¡¯¨¦clatant contre le pare-brise. Apr¨¨s qu¡¯une nu¨¦e d¡¯experts aient examin¨¦ le cadavre, d¡¯autres la carcasse du taxi et qu¡¯on ait donn¨¦ une amende rondelette ¨¤ l¡¯op¨¦rateur de la soci¨¦t¨¦ de transport pour mauvais entretien de sa flotte, on se d¨¦barrassa d¡¯Anis Ontho dans le Flux.
Depuis longtemps, Anis Ontho n¡¯avait plus d¡¯attaches ¨¤ la Surface. Elle avait ¨¦t¨¦ ostracis¨¦e par sa famille suite ¨¤ des choix malheureux et poss¨¦dait une poign¨¦e d¡¯amis se limitant ¨¤ des connaissances sur le R¨¦seau. Ainsi, seul un p¨¨re d¨¦rout¨¦ et ses deux s?urs se pr¨¦sent¨¨rent ¨¤ la c¨¦r¨¦monie au milieu d¡¯une foule de repr¨¦sentants des diff¨¦rents partis impliqu¨¦s dans l¡¯accident qui s¡¯observ¨¨rent suspicieusement alors que le cercueil roulait jusqu¡¯¨¤ sa destination finale. Quelques larmes furent vers¨¦es puis le quotidien reprit son cours. On oublia Anis Ontho bien plus vite qu¡¯elle ne l¡¯aurait elle-m¨ºme pens¨¦. M¨ºme son noyau familial proche la ramena dans les nimbes dans lesquelles elle se terrait pr¨¦c¨¦demment une fois pass¨¦e la premi¨¨re semaine de deuil. Ils n¡¯avaient v¨¦cu ensemble que jusqu¡¯¨¤ sa majorit¨¦ et la vision d¡¯une bo?te ferm¨¦e dans laquelle s¡¯entassait p¨ºle-m¨ºle la d¨¦pouille mortuaire d¡¯une fille jamais vraiment aim¨¦e s¡¯effa?a bien plus rapidement que toute cette vie commune.
Lorsque Suranis parvint ¨¤ la Surface, Anis n¡¯existait donc plus dans les m¨¦moires que sous forme de trace tenue. La majeure partie de sa vie ¨¦tait emprisonn¨¦e dans le cerveau de l¡¯unit¨¦ centrale de la Cit¨¦ et le demeurerait tant que les 8 p¨¦taoctets d¨¦di¨¦s aux citoyens ne seraient pas remplis. La marge avant que ce seuil critique ne soit atteint ¨¦tait assez importante pour que des personnes comme elle s¡¯emparent de cette aum?ne pour s¡¯approprier de nouvelles identit¨¦s. Personne ne viendrait questionner l¡¯existence d¡¯un individu dont seule une machine se souvenait.
Sur les conseils de Jinn, ayant vu passer la revue n¨¦crologique sommaire dans les rubriques jamais lues, elle changea de nom. Suranis Rh¨¦on s¡¯¨¦tait donc enregistr¨¦e sous ce nom d¡¯emprunt comme employ¨¦e du Minist¨¨re du Salariat. Plus pr¨¦cis¨¦ment : elle ¨¦tait attach¨¦e au Coordinateur Jinn Pertem. Tout cela ne voulait rien dire, simplement qu¡¯elle lui servait pour certaines choses et que ces certaines choses ne devaient jamais ¨ºtre remises en question ni sues. Tout aussi bien, son nom pouvait ¨ºtre effectivement d¡¯emprunt que cela ne questionnerait personne et ainsi pouvait-elle vivre une existence incompr¨¦hensible pour ceux qui la voyait hanter les bureaux d¨¦serts sans rencontrer d¡¯obstacle. Dans le pire des cas, on venait ¨¤ la craindre en pensant faussement qu¡¯elle venait fureter pour le compte de son employeur, mais la rumeur la plus persistante pr¨¦tendait plut?t qu¡¯elle permettait r¨¦guli¨¨rement au bon satyre Pertem de tirer son coup. Cela d¨¦plaisait autant ¨¤ Suranis que cela lui ¨¦tait utile. Le sujet d¡¯Anis Ontho n¡¯en devenait que plus tabou. On la remarquait souvent, l¡¯ignorait davantage encore.
Elle occupait l¡¯ancien appartement de Jinn Pertem ¨¤ une heure de route du Minist¨¨re. Il se situait dans une barre d¡¯immeuble qu¡¯elle partageait avec les petits cadres de la haute-fonction publique. Soixante-dix-sept m¨¨tres carr¨¦s ¨¦taient d¨¦di¨¦s ¨¤ son unique personne. Elle n¡¯entendait pas son voisin ronfler ou frapper contre les murs et elle avait cette chose extraordinaire qu¡¯on appelle une fen¨ºtre. Il lui fallut un temps d¡¯adaptation avant de pouvoir se doucher face ¨¤ cette grande baie vitr¨¦e et teint¨¦e sans se sentir ¨¦pi¨¦e, mais elle l¡¯avait fait.
Avec pessimisme, elle ne pouvait toutefois s¡¯emp¨ºcher de penser ¨¤ son propre ¨¦quivalent des profondeurs. Son emploi, bien que factice en bien des points, ne s¡¯av¨¦rait que mieux en tout ¨¤ celui qu¡¯elle occupait ¨C des si¨¨cles auparavant lui semblait-il ¨C lorsqu¡¯elle subissait les lubies de Perth. Son avenir n¡¯¨¦tait plus entour¨¦ d¡¯une flop¨¦e de marmots, de r¨¦criminations et de coups. Mais il demeurait incertain. Malgr¨¦ tous les moyens offerts par Jinn Pertem pour mener ¨¤ bien leur enqu¨ºte, elle ne parvenait ¨¤ rien et de mani¨¨re g¨¦n¨¦rale avait la vie ordinaire d¡¯une petite-main du Minist¨¨re. Sa journ¨¦e se d¨¦coupait entre la paperasse ¨C pour la forme disait Jinn, mais Suranis voyait bien qu¡¯il ¨¦tait d¨¦bord¨¦ ¨C et son enqu¨ºte. ¨¦videmment, elle participait aussi ¨¤ la vie sociale du Minist¨¨re, d¨¦couvrant bien vite que les discussions tournaient essentiellement autour des pronostics engag¨¦s sur les prochains pilotes ¨¦lus ainsi que de calculs obscurs sur ce qu¡¯ils appelaient entre eux ? l¡¯Impact maximal ?. Elle avait mis du temps pour saisir ce qu¡¯¨¦tait cet impact et d¨¦couvrir avec effroi qu¡¯il s¡¯agissait du point de rupture d¡¯une classe socio-professionnelle l¨¦s¨¦e par une r¨¦forme. Ils parlaient de cela comme des traders en bourse. Si pour entretenir l¡¯id¨¦e d¡¯une Anis Ontho, elle n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ contrainte de subir ces conversations, elle s¡¯en serait pass¨¦ volontiers tant celles-ci la d¨¦goutaient pour se concentrer sur le point pressant¡ Celui qui la pressait et qui arrivait. Du moins pour aujourd¡¯hui. Sa journ¨¦e officielle et productive touchait ¨¤ sa fin, r¨¦sum¨¦e ¨¤ trois heures effr¨¦n¨¦es en valant sept. Le cadran num¨¦rique sur son bureau affichait quinze heures quatorze avec ces dr?lesses de secondes d¨¦lib¨¦r¨¦ment allong¨¦es pour que vingt-quatre heures trente-sept en paraissent vingt-quatre tout rond. Elle se leva et craqua ses articulations comme une vieillarde avant d¡¯enfiler sa veste.
Avec Jinn, elle avait ¨¦labor¨¦ de nouveaux plans. Tout leur angle d¡¯attaque se concentrait auparavant sur les notions d¡¯alt¨¦ration m¨¦morielle et autres projets secrets. Jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent, rien n¡¯en ¨¦tait sorti et malgr¨¦ le fait que Suranis avait acc¨¨s ¨¤ bien des laboratoires et bureaux gouvernementaux et qu¡¯elle pouvait trifouiller ¨¤ sa guise nombre d¡¯ordinateurs, elle commen?ait ¨¤ douter qu¡¯une telle information soit si ais¨¦ment accessible. Si seulement elle existait¡ Elle en ¨¦tait venue ¨¤ commencer ¨¤ croire que non, mais Jinn s¡¯accrochait ¨¤ l¡¯id¨¦e qu¡¯ils ne pouvaient ¨ºtre tous deux victimes d¡¯un d¨¦lire collectif. Il avait raison car la probabilit¨¦ que le m¨ºme d¨¦lire frappe deux personnes totalement distinctes et a priori sans relations s¡¯approchait du z¨¦ro absolu. Finalement, peu importait qui avait raison ou qui se trompait, si aucunes pistes ne s¡¯ouvraient ¨¤ eux, elle continuerait jusqu¡¯¨¤ que ses doutes soient ¨¦puis¨¦s et commencerait alors ¨¤ envisager qu¡¯effectivement, elle ¨¦tait peut-¨ºtre plus d¨¦rang¨¦e qu¡¯elle ne pensait l¡¯¨ºtre.
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Le proc¨¦d¨¦ ¨¤ suivre pour accomplir son ?uvre n¡¯¨¦tait pas difficile. Il lui suffisait d¡¯incruster dans un ordinateur un petit programme malicieux qui voyagerait ¨¤ travers son disque-dur ¨¤ la recherche de mots-clefs soigneusement s¨¦lectionn¨¦s. Vu que rien ne sortait sur les variantes d¡¯alt¨¦ration m¨¦morielle, ils allaient s¡¯attaquer ¨¤ l¡¯autre point commun qui les unissaient ¨¤ savoir que tout bascula avec le SAGI. Suranis n¡¯avait que peu d¡¯espoir qu¡¯un ¨¦l¨¦ment de r¨¦ponse en d¨¦coula mais elle s¡¯¨¦tait promise de tenter l¡¯exp¨¦rience en d¨¦viant les donn¨¦es du poste central de la FPCP jusqu¡¯¨¤ un terminal public qu¡¯elle aimait bien, planqu¨¦ dans une rue peu fr¨¦quent¨¦e. Il lui suffirait pour cela de pr¨¦tendre vouloir s¡¯entretenir avec un officier en priv¨¦ et lui d¨¦voiler qu¡¯elle se renseignait sur les litiges entre¡ Disons J?rhn Klingan et Yuri Gazahn. Un employ¨¦ et son employeur pris au hasard dans la base de donn¨¦es du Minist¨¨re. Peu importe la nature du probl¨¨me sinon qu¡¯il pouvait para?tre cr¨¦dible aux yeux d¡¯un officier qui irait dans la pi¨¨ce voisine imprimer le dossier pendant que Suranis se glisserait derri¨¨re son bureau, jetant un ?il inquiet sur le couloir alors qu¡¯elle entrerait quelques lignes bienvenues dans l¡¯ordinateur.
Puis une semaine passerait. Une semaine o¨´ le virus trimerait. Elle avait foi au programme qui tournait pour elle et constituerait de gros dossiers qu¡¯elle ¨¦plucherait d¡¯A ¨¤ Z avant de l¡¯effacer comme tant d¡¯autres. Rien n¡¯en ressortirait, du moins le croyait-elle.
La semaine passa. Suranis se rendit jusqu¡¯¨¤ son terminal f¨¦tiche derri¨¨re le salon de th¨¦ qu¡¯elle fr¨¦quentait. Elle ins¨¦ra la carte SD et la chargea des donn¨¦es fra?chement r¨¦colt¨¦es pour lesquelles elle avait ¨¦t¨¦ presque prise sur le fait. Alors qu¡¯elle retirait tout juste la cl¨¦ USB de l¡¯ordinateur dont les ventilateurs tournaient ¨¤ plein r¨¦gime, l¡¯officier avait fait entendre ses pas. Elle avait saut¨¦ vers le mur, pr¨¦tendant une passion obscure et soudaine pour une affiche de la FPCP ce qui lui valut un commentaire ? Je sais, elle est horrible ?. Oui, da. Elle se d¨¦couvrit des talents de com¨¦dienne, improvisant sur une image qu¡¯elle ne regardait que depuis dix secondes et, apr¨¨s avoir r¨¦cup¨¦r¨¦ le dossier demand¨¦, salua poliment l¡¯officier avant de sortir, courant quelque peu dans le couloir de peur qu¡¯il ne s¡¯int¨¦resse ¨¤ l¡¯affolement de l¡¯ordinateur qui se calmait apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ sollicit¨¦.
¨¤ peu de temps pr¨¨s, elle ¨¦tait pass¨¦e ¨¤ c?t¨¦ de questions redoutables. Mais elle y avait ¨¦chapp¨¦ et grace ¨¤ cela elle pouvait s¡¯arr¨ºter dans son salon pour boire des litres d¡¯un tr¨¨s mauvais th¨¦ en faisant mine de s¡¯accorder des heures de travail suppl¨¦mentaires pour Jinn Pertem. Elle s¡¯installa ¨¤ une table, sortit sa tablette et commanda son classique Darjeeling (r¨¦colt¨¦ ¨¤ la ferme citadine). Le temps d¡¯allumer la tablette, la th¨¦i¨¨re arriva avec son serveur habituel auquel elle d¨¦cocha une ?illade :
¡ª Voil¨¤ pour vous, un Darjeeling de grande qualit¨¦, dit-il en marquant une pause, attendant la r¨¦plique.
¡ª Merci, lan?a Suranis. Il est meilleur que d¡¯habitude ?
¡ª Toujours aussi mauvais madame Ontho, confirma le serveur avec lequel cette plaisanterie ¨¦tait devenue rituelle.
Ils eurent un rire cocktail et il repartit dans son coin s¡¯occuper d¡¯autres tables avec un grand sourire aux l¨¨vres. ? Madame Ontho ? n¡¯avait m¨ºme pas eu de temps mort avant de r¨¦agir. Ce nom ¨¦tait devenu pour elle aussi naturel que l¡¯acte de respirer. Elle jeta un coup d¡¯?il ¨¤ sa tablette, toujours en train de booter avec cet OS trafiqu¨¦ qui lui laissait le temps de boire une tasse avant de s¡¯attaquer aux choses s¨¦rieuses. Le verre rempli, sucr¨¦ ¨¤ souhait et noy¨¦ sous le lait en poudre ¨C peu importe ce qu¡¯¨¦tait vraiment ce ? lait ? -, elle en avala une g¨¦n¨¦reuse goul¨¦e avant de revenir ¨¤ la tablette. Cette derni¨¨re tenta de se connecter au r¨¦seau et n¡¯y parvint pas, une pr¨¦caution qui paraissait essentielle ¨¤ Suranis. Elle ins¨¦ra la carte SD dans la fente et ouvrit le dossier qui se proposa ¨¤ elle. L¡¯un des trois pour lesquels elle avait bien failli y passer. ¨¤ son grand plaisir, le logiciel s¡¯av¨¦ra cette fois-ci particuli¨¨rement efficace et un premier coup d¡¯?il lui apprit que si redondances il y avait, elles n¡¯en demeuraient pas moins faibles ce qui acc¨¦l¨¦rerait grandement l¡¯analyse des donn¨¦es.
Elle esquissa ce qui s¡¯apparentait ¨¤ un sourire, mais rev¨ºtait davantage de la lassitude. Elle ne trouverait rien dans ce dossier¡ Rien du tout¡ Sauf si¡ Un nom l¡¯interpella :
¡ª Putain de merde, s¡¯exclama-t-elle lorsque le th¨¦ r¨¦calcitrant passa la barri¨¨re de sa gorge et le serveur lui fit un clin d¡¯?il, pensant qu¡¯elle parlait du go?t de l¡¯ersatz de Darjeeling qu¡¯il venait de lui servir.
Grossi¨¨re erreur.
Chapitre 46
Jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent ce travail d¡¯enqu¨ºte qui s¡¯apparentait plus ¨¤ de l¡¯espionnage qu¡¯autre chose n¡¯avait men¨¦ ¨¤ rien. Ils ne savaient pas o¨´ chercher, simplement qu¡¯il y avait quelque chose ¨¤ d¨¦couvrir et quelle d¨¦couverte fut celle de Suranis lorsqu¡¯elle tomba sur un simple nom ! Il ¨¦tait inconcevable que ses souvenirs aient pu ¨ºtre effac¨¦s et r¨¦¨¦crits d¡¯un coup de plume neuf, pourtant du vieux-neuf venait de se tr¨¦mousser devant elle. Quelques lettres qui formaient un nom qu¡¯elle avait eu sur le bout de la langue pendant tout ce temps.
Il fallait qu¡¯elle en fasse part ¨¤ Jinn, si cela ne tenait pas de la preuve irr¨¦futable elle en avait l¡¯allure ¨¤ ses yeux. Comme d¡¯habitude, ils se retrouv¨¨rent ¨¤ l¡¯h?tel. Du moins, si l¡¯on pouvait qualifier ce lieu comme tel. Il y avait des jeux qui n¡¯avaient rien ¨¤ faire dans un lieu de repos et la plupart des clients venaient accompagn¨¦s d¡¯une amante, d¡¯une prostitu¨¦e ou bien, m¨ºme si le cas ¨¦tait unique, d¡¯une associ¨¦e de crime. On ne posait jamais de question ¨¤ ceux qui entraient et sortaient. Ils avaient bien song¨¦ ¨¤ se retrouver dans un bar, mais les habitu¨¦s et barmans avaient la m¨¦moire tenace¡ Ici l¡¯absence de m¨¦moire ¨¦tait la condition sine qua non de l¡¯employabilit¨¦.
Main dans la main, apr¨¨s un rapide ¨¦change avec l¡¯employ¨¦ qui leur attribua une chambre sans m¨ºme les regarder, ils se rendirent au deuxi¨¨me ¨¦tage. La chambre 247 ¨¦tait ¨¤ l¡¯image des autres : elle puait le sexe. Le lit recouvert de satin rouge, les miroirs au plafond et les menottes st¨¦rilis¨¦es sous plastique d¨¦j¨¤ en place avec l¡¯assurance qu¡¯aucun microphones ne viendrait les espionner. Suranis et Pertem s¡¯assirent sur le lit, oubliant du mieux qu¡¯ils le pouvaient tout le sperme qui les entourait s?rement :
¡ª Vous ¨ºtes certain que nous ne risquons rien ¨¤ nous retrouver ici si souvent ? lui demanda Suranis.
¡ª Vous n¡¯avez pas id¨¦e du nombre de patrons et haut-fonctionnaires qui aiment conna?tre plus qu¡¯en profondeur leurs employ¨¦s. ¨¤ vrai dire, le fait que nous travaillons ensemble est un alibi parfait pour que nous nous retrouvions dans ce genre d¡¯endroit.
¡ª Parfait alors.
Elle noua ses doigts. Ses ongles rong¨¦s avaient subi un bon coup de vernis aussi p¨¦tant que la d¨¦coration g¨¦n¨¦rale de la chambre. Jinn l¡¯observait avec une envie qui n¡¯avait rien de charnelle, bien loin de l¨¤ cette id¨¦e :
¡ª Ne me laissez pas sur le bas-c?t¨¦ Suranis. On s¡¯¨¦tait mis d¡¯accord pour que nos rendez-vous ici soient le fruit de l¡¯al¨¦atoire et vous me proposez une rencontre¡ C¡¯est que vous devez avoir quelque chose sous la main.
¡ª Excusez-moi, c¡¯est juste que je ne me sentirais jamais ¨¤ l¡¯aise par ici.
¡ª ?a ira. Dites-moi tout, vous avez chopp¨¦ quelque chose ?
¡ª Non, r¨¦pondit-elle humblement ce qui provoqua une vague expression exasp¨¦r¨¦e chez Jinn. Je veux dire, rien sur nous et je ne trouverais jamais rien. Je doute qu¡¯il existe des donn¨¦es accessibles¡
¡ª Vous doutez ! s¡¯insurgea Jinn en s¡¯agitant. Vous avez acc¨¨s ¨¤ des zones de niveau 4 ! Cela doit exister, soyez comp¨¦tente ! Cherchez ailleurs ! Vous ne m¡¯avez pas demand¨¦ de venir pour ?a ? Je pensais que c¡¯¨¦tait urgent, pas juste un rappel du fait que nous stagnons.
¡ª Merde ! Non Pertem ! r¨¦pliqua Suranis visiblement ¨¦nerv¨¦e. Je suis comp¨¦tente. J¡¯ai acc¨¨s au niveau de s¨¦curit¨¦ maximal, je le sais, mais non les autorisations de niveau 4 ne suffisent pas. Ce qui nous est arriv¨¦s n¡¯est pas class¨¦ secret d¨¦fense, ce qui nous est arriv¨¦s n¡¯est pas class¨¦ du tout !
Jinn Pertem devint ostensiblement livide. Ses deux sourcils se lev¨¨rent et ses oreilles fr¨¦mirent. ? Ce qui nous est arriv¨¦s ? ?
¡ª Ce qui nous est arriv¨¦ ? souffla-t-il avec une agitation qui ne lui ressemblait pas. Vous dites ?a comme si cela d¨¦passait d¨¦sormais le simple doute¡
¡ª Parce que j¡¯en suis certaine. Depuis que j¡¯ai quitt¨¦ Perth mes id¨¦es sont beaucoup plus claires et certains souvenirs refont surface. Je suis persuad¨¦e d¡¯avoir rencontr¨¦ un certain Herth Phue et justement¡
Elle sortit de la poche int¨¦rieure de sa veste en tweed bleu sa tablette. L¡¯OS tourna un moment en tentant vainement de se connecter avant de se lancer en mode hors-ligne. L¡¯¨¦cran noir portait notice de dossiers tout ¨¤ fait ordinaires pour une assistante de son envergure et ces dossiers ¨¦taient remplis de documents tout autant conventionnels. Il fallait se rendre dans un dossier pr¨¦cis et effectuer une petite manipulation via le clavier virtuel pour afficher ce qu¡¯elle cherchait. Ce n¡¯¨¦tait pas une prouesse informatique, mais tout ce qui ¨¦tait compromettant pour elle, et par extension pour Jinn Pertem, ¨¦tait ainsi inaccessible sans que le petit ordinateur ne soit branch¨¦ sur un bien plus grand ¨¤ d¨¦faut de conna?tre la man?uvre ¨¤ effectuer. Autant dire que rien ne serait d¨¦couvert tant que des soup?ons tr¨¨s forts ne p¨¨seraient pas sur eux deux.
Il y avait dans l¡¯ordinateur un fichier r¨¦cemment ouvert et portant le nom de HPhue/SAGI-SR1. Suranis l¡¯ouvrit et le rapport d¡¯un interrogatoire apparut. Celui-l¨¤ m¨ºme qui avait conduit ¨¤ exposer le SAGI. Jinn se retourna vers Suranis et ouvrit si grand la bouche qu¡¯elle s¡¯inqui¨¦ta stupidement pour le vieux c?ur d¡¯un homme qui ne l¡¯¨¦tait pas tant :
The tale has been stolen; if detected on Amazon, report the violation.
¡ª Herth Phue¡ Herth¡ Phue¡ Putain de merde¡ Il existe ! chuchota-t-il tenaill¨¦ entre l¡¯excitation et la peur. Vous aviez le nom ! Et¡ Il ne m¡¯est pas inconnu¡ Pas totalement¡ Mais Suranis¡ Ils l¡¯ont chopp¨¦ chez vous !
¡ª C¡¯est ce qui est ¨¦crit et cela prouve que nous avions un lien. Lequel, je l¡¯ignore mais il a ¨¦t¨¦ attrap¨¦ et ?a les a conduits au SAGI. Je suis impliqu¨¦e d¡¯une mani¨¨re ou d¡¯une autre dans la m¨ºme affaire que vous¡ Est-ce que je suis all¨¦e dans le SAGI ? Je n¡¯en sais fichtrement rien. Mais cela r¨¦duit les doutes¡ Et si le nom vous parle, cela veut dire que quelqu¡¯un vous en a parl¨¦. Vous ¨¦tiez encore incarc¨¦r¨¦ le jour o¨´ ils l¡¯ont captur¨¦.
¡ª Non, la reprit Jinn. Je venais de m¡¯¨¦chapper. Olaf Ethers venait de me rendre visite¡ Il bossait pour le SAGI. J¡¯ai d? en entendre parler, vous avez raison. Mais je suis incapable de vous dire par qui¡ En tout cas, cela ne signifie qu¡¯une chose¡ Qu¡¯on a alt¨¦r¨¦ nos souvenirs d¡¯une mani¨¨re ou d¡¯une autre¡ Qui ? Comment ? Quand ? Et pourquoi ?
¡ª Nous verrons, il faut creuser davantage¡ Continuer ¨¤ remuer cette merde.
¡ª Soit, soit¡ dit-il en s¡¯¨¦cartant d¡¯elle. Nous avons enfin quelque chose, m¨ºme si ce n¡¯est pas ce que j¡¯escomptais. Maintenant Suranis, quelle est la prochaine ¨¦tape ? Allons-nous nous lancer ¨¤ la recherche d¡¯¨¦ventuelles personnes qui seraient comme nous ? Simple hypoth¨¨se, si nous avons la m¨¦moire en compote, peut-¨ºtre que nous ne sommes pas les seuls ¨¤ ¨ºtre pass¨¦s par le chaudron mn¨¦sique.
¡ª C¡¯est une id¨¦e, lui r¨¦pondit en souriant Suranis.
Une goutte de sueur perla sur le front de Jinn et il desserra sa cravate, ouvrit les premiers boutons de sa chemise. Sa peau br?l¨¦e par l¡¯¨¦toile r¨¦pondait au feu rouge de Suranis. N¨¦gligemment, il se gratta le haut du torse :
¡ª Une sacr¨¦ment mauvaise je le crains. C¡¯est dangereux, mais quelle autre solution ?
¡ª C¡¯est une solution. La solution ! Mais qu¡¯obtiendrons-nous quand nous aurons ces individus sous la main ? Des hurluberlus qui crient tous en ch?ur au complot et un Coordinateur ¨¤ remplacer avant que sa folie ne d¨¦teigne sur le Minist¨¨re ? Une autre question, comment je vais les trouver ces types ? En demandant ¨¤ qui le veut s¡¯il ne se sent pas bizarre ? Oh oui, ¨¤ terme on va r¨¦cup¨¦rer des noms, mais je finirais par ¨ºtre d¨¦nonc¨¦e et je cracherais votre nom d¨¨s qu¡¯ils commenceront ¨¤ m¡¯astiquer.
L¡¯ambiance devint lourde. Ils se d¨¦visag¨¨rent et l¡¯¨¦cho de leurs respirations respectives emplit la pi¨¨ce. Jinn avait repris son attitude pleine de reproches en mode ? qui ¨ºtes-vous pour me remettre en question ? ?, mais Suranis ne voulut arr¨ºter et continua sur sa lanc¨¦e :
¡ª Je ne ferais donc pas cela. J¡¯ai une autre solution ¨¤ proposer¡ Je connais quelqu¡¯un qui est intervenu au SAGI et qui en sait certainement plus long que ce qu¡¯il pr¨¦tend. Je peux creuser le personnage¡ Il ¨¦tait dans l¡¯opposition si vous voyez ce que je veux dire. Un flic.
¡ª Vous parlez d¡¯un flic ! s¡¯¨¦cria Pertem. Et pourquoi pas le Grand Pilote lui-m¨ºme ? C¡¯est beaucoup trop dangereux, nous ne pouvons pas allez aussi loin et vous comptez vous y prendre comment ? L¡¯attendre au coin de la rue, l¡¯assommer et le torturer dans une ruine ?
¡ª Le torturer¡ Oui. C¡¯est une bonne id¨¦e, admit Suranis. Celui que j¡¯ai en t¨ºte est le plus souvent trop ab¨ºti pour ¨ºtre vraiment dangereux¡ Et puis, je dois lui passer le bonjour.
Jinn se leva, laissant la trace de ses deux fesses sur un matelas trop souple. Sous la lumi¨¨re rouge, il avait l¡¯air d¡¯un oiseau de proie pr¨¨s ¨¤ fondre, non pas sur un li¨¨vre ¨¦gar¨¦, mais sur lui-m¨ºme. Il arpenta la pi¨¨ce en murmurant que ce n¡¯¨¦tait que folie, qu¡¯ils cr¨¨veraient tous les deux d¨¨s que le flic aurait parl¨¦. Sa place, si confortable, serait perdue¡ Il voulait savoir ce qu¡¯il lui ¨¦tait arriv¨¦, mais qui ¨¦tait-il pour se plaindre de sa situation lui qui vivait mieux que la plupart de ses concitoyens ? Lui le sinistre idiot ¨¤ qui il manquait quelques cases.
Suranis le regarda faire et dans la chambre derri¨¨re eux des ¨¦bats provinrent. Des ¨¦bats gla?ants. On pouvait clairement entendre un homme qui hurlait de plaisir. Est-ce que leur rendez-vous ¨¦taient si clandestins ?
¡ª Je ne veux pas ¨ºtre m¨ºl¨¦ ¨¤ cela Suranis. C¡¯est trop... Je ne vous couvrirais pas et ne faites pas ?a ! L¡¯id¨¦e de r¨¦fl¨¦chir ¨¤ ce qui nous est arriv¨¦ est conne. Totalement conne. Est-ce que savoir qu¡¯on nous a fait quelque chose nous sera ou non d¡¯une quelconque utilit¨¦ ? Rien ne changera. Les Sagistes n¡¯ont pas r¨¦ussi ¨¤ faire changer les mentalit¨¦s ¨¤ une ¨¦poque pas si lointaine et les petits secrets gouvernementaux ne relanceront jamais le moulin de la col¨¨re qui pour l¡¯instant n¡¯est aliment¨¦ que par nous deux. On en sait assez. Bien plus qu¡¯assez. Je veux que vous arr¨ºtiez !
¡ª Que j¡¯arr¨ºte ? Je prends note, ricana Suranis, sarcastique. J¡¯aimerais cependant avoir une semaine de cong¨¦s avant d¡¯arr¨ºter.
¡ª A partir de¡ ? demanda-t-il en soufflant entre ses dents.
En les c¨¦dant, il coop¨¦rait avec Suranis. Il le faisait depuis longtemps, apr¨¨s tout, il en savait d¨¦j¨¤ assez, mais Suranis, avide d¡¯en savoir toujours plus, lui d¨¦tailla le s¨¦jour qui allait ¨ºtre sien. Elle allait retrouver un petit-ami qu¡¯elle avait laiss¨¦ sur le carreau.
¡ª Ce sont juste des retrouvailles hein ? Mais Suranis, j¡¯ai cru comprendre que ces retrouvailles seraient avec une ordure alors prenez au moins ?a. Prenez et cachez-le. On ne va pas vous contr?ler grace ¨¤ votre tout petit et admirable badge, mais ne vous faites pas prendre avec ?a¡ ?a pourrait vous ¨ºtre utile.
Suranis ignorait que Pertem avait un pistolet tirant ¨¤ balles r¨¦elles. Elle ignorait aussi que l¡¯arme faisait partie de l¡¯attirail de d¨¦fense basique des Coordinateurs, fourni avec leur ¨¦pingle du Conseil. Les forces de l¡¯ordre elles-m¨ºmes n¡¯en poss¨¦daient pas, mais elles, elles ¨¦taient rempla?ables. Le H¨¦raut du peuple lui ne l¡¯¨¦tait pas et se d¨¦barrassa volontiers de son flingue sorti tout droit d¡¯un arsenal avec un sourire qui marquait toute sa gratitude. En r¨¦cup¨¦rant l¡¯arme, Suranis lui rendait service. Ce n¡¯¨¦tait qu¡¯un instrument de destruction qu¡¯il savait plus apte ¨¤ ¨ºtre utilis¨¦ contre lui que contre un agresseur potentiel. Suranis le prit et s¡¯en alla avec un sourire malicieux. Bien consciente que si elle devait interroger Perth, elle n¡¯aurait certainement pas recours ¨¤ cette chose pour le faire taire d¨¦finitivement, ¨¤ d¨¦faut de lui couper les cordes vocales. Elle se contentait d¡¯accepter le pr¨¦sent empoisonn¨¦ de Jinn et le planquerait dans son appartement. Elle poss¨¦dait toujours l¡¯arme de Perth qui serait bien plus charmante pour ?ter la vie de l¡¯enflure qui l¡¯avait si souvent meurtrie.
Si elle parvenait ¨¤ presser la d¨¦tente.
Chapitre 47
La sensation d¡¯irr¨¦alit¨¦, celle d¡¯avoir fait un bon dans un pass¨¦ qu¡¯elle aurait pr¨¦f¨¦r¨¦ ne jamais ¨ºtre sien, foudroya Suranis lorsqu¡¯elle atteint l¡¯immeuble dans lequel elle avait v¨¦cu. Si vivre ¨¦tait le bon mot. Il ¨¦tait toujours aussi ¨¦triqu¨¦, allong¨¦ vers les stalactites qu¡¯il fr?lait avec une nonchalance effront¨¦e. De l¡¯ext¨¦rieur, les m¨ºmes vieilles affiches d¨¦fraichies qu¡¯¨¤ son d¨¦part recouvraient le b¨¦ton et lui donnaient quelques couleurs.
Elle eut un haut le c?ur en ouvrant la porte ¨C cass¨¦e depuis des mois ¨C et en entrant dans la cage d¡¯escalier puante. Elle se retrouva devant les m¨ºmes crevasses aux jointures des portes, signalant le prix moindre des ¨¦tages inf¨¦rieurs. En tendant suffisamment l¡¯oreille, elle pouvait entendre filtrer les conversations, discr¨¨tes mais jamais assez, qui passaient parfois ¨¤ travers des parois aussi fines que du carton. Les occupants avaient beau avoir tapiss¨¦ les murs int¨¦rieurs de tout ce qu¡¯ils trouvaient, la qualit¨¦ de l¡¯isolation obtenue ¨¦tait ¨¤ peine sup¨¦rieure ¨¤ celle des krouchtchevka d¡¯une autre ¨¦poque. Les logements des premiers ¨¦tages ¨¦taient de la m¨ºme qualit¨¦ que celle que l¡¯on conc¨¦dait ¨¤ ses occupants qui, en ce d¨¦but d¡¯apr¨¨s-midi, ne pouvaient n¡¯¨ºtre que des ch?meurs et des personnes ayant arr¨ºt¨¦, pour une raison quelconque, d¡¯¨ºtre de bons et honorables citoyens apportant leur bras ¨¤ la soci¨¦t¨¦.
Perth comptait parmi cette derni¨¨re cat¨¦gorie bien qu¡¯il b¨¦n¨¦ficia du standing tout relatif de la hauteur. Il ¨¦tait probable qu¡¯au moment o¨´ Suranis entra dans l¡¯immeuble il dormit de tout son so?l en d¨¦cuvant de la soir¨¦e de la veille et attendant la r¨¦ouverture des bars. Il avait pourtant une rente assez importante pour se permettre de vivre ailleurs, mais le choix s¡¯¨¦tait port¨¦ sur ce taudis car il avait une autre charge incompressible ¨¤ c?t¨¦ du loyer : la boisson et les quantit¨¦s colossales que pouvaient en ingurgiter son corps.
Suranis se sentit ¨¦reint¨¦e, psychiquement affaiblie, en s¡¯approchant des marches qui la m¨¨neraient ¨¤ lui. La derni¨¨re fois qu¡¯elle l¡¯avait vu elle lui avait presque arrach¨¦ la moiti¨¦ inf¨¦rieure de son sale visage. Il ne serait pas content de la revoir, il hausserait son petit poing furibond en l¡¯air, mais elle ¨¦tait venue arm¨¦e et elle ¨¦tait presque certaine que, de leur confrontation, elle ressortirait gagnante. Le presque n¡¯¨¦tait cependant pas suffisant pour elle qui avait choisi cette p¨¦riode de la journ¨¦e pour affronter le crapaud misogyne. Cette p¨¦riode o¨´ il ¨¦tait encore ensuqu¨¦ serait la meilleure pour qu¡¯elle puisse se contr?ler. Elle r¨ºvait de le flinguer, mais elle craignait que dans son ¨¦tat de stress elle ne tire avant m¨ºme d¡¯entamer la discussion comme le font parfois les imb¨¦ciles effray¨¦s. Et si elle parvenait ¨¤ ma?triser sa peur et ¨¤ obtenir de lui ce qu¡¯elle d¨¦sirait, aurait-elle le courage apr¨¨s lui avoir point¨¦ le pistolet sur ses pr¨¦cieuses couilles de relever le canon et de lui envoyer une balle entre les deux yeux ? Suranis pensait que oui. Six ans de s¨¦vices, six balles et tous les vices de Perth s¡¯envoleraient. Il serait aussi d¨¦form¨¦ qu¡¯il l¡¯avait elle-m¨ºme d¨¦form¨¦e. C¡¯¨¦tait le plan. Mais peut-¨ºtre aussi s¡¯emparerait-il de l¡¯arme maladroitement tenue par Suranis et r¨¦aliserait-il son fantasme le plus r¨¦cent avant d¡¯en finir avec lui-m¨ºme.
Quoiqu¡¯il advienne, elle ne pouvait plus faire marche arri¨¨re. La fuite ¨¦tait encore possible, mais quoi qu¡¯elle obtienne de lui elle avait besoin de cette ultime confrontation. Elle effacerait de son plein gr¨¦ une partie de son histoire. Elle entama l¡¯ascension des marches, ¨¦tage apr¨¨s ¨¦tage dans l¡¯expectation des retrouvailles.
Combien de petits pas furent accomplis pour la mener devant le judas ? Elle n¡¯en savait rien. Une fois, rentrant ¨¦puis¨¦e, elle les avait compt¨¦s, mais elle ne s¡¯en souvenait plus. Dans tous les cas, bien moins avaient ¨¦t¨¦ accomplis que ce qui lui aurait ¨¦t¨¦ n¨¦cessaire pour qu¡¯elle soit pr¨ºte ¨¤ le revoir.
Elle frappa ¨¤ la porte, se d¨¦pla?ant pour se mettre hors de port¨¦e du judas. Puis vint l¡¯attente. Il n¡¯y eut aucun bruit en r¨¦ponse ¨¤ ses coups martel¨¦s. Elle r¨¦it¨¦ra l¡¯op¨¦ration au cas o¨´ Perth serait plus assoupi encore que ce qu¡¯elle aurait pu imaginer, ignorant de fait qu¡¯il ¨¦tait assoupi plus qu¡¯un humain ne pouvait se permettre de l¡¯¨ºtre. Prise au d¨¦pourvue, ¨¤ la fois grognonne et soulag¨¦e par l¡¯absence de r¨¦ponses, elle s¡¯acharna sur la porte juste assez pour qu¡¯¨¤ sa droite une autre s¡¯ouvre et qu¡¯un voisin alert¨¦ sorte sur son perron. ¨¤ la pens¨¦e des avis de recherche soit disant placard¨¦s dans les bas niveaux ¨C pure invention avaient avou¨¦ ses compagnons de squat ¨C elle se dit qu¡¯il pouvait y avoir une certaine v¨¦rit¨¦ dans ce mensonge. Et si Perth, ¨¤ son ¨¦chelle m¨¦diocre, avait fait le tour du quartier en demandant ¨¤ ce qu¡¯on le pr¨¦vienne si la garce revenait ? Le voisin rentrerait alors chez lui et lui dirait : ? Tu devrais sortir, elle est devant chez toi et pense ¨¤ sortir arm¨¦, elle a l¡¯air furax ?.
Stupide Suranis. Il va te reconna?tre et que fera-t-il ensuite ? Rentrer chez lui, appeler le Crapaud et te demander d¡¯attendre ? Tu l¡¯as bien m¨¦rit¨¦ si tu te retrouves en t?le avec ton vieux flingue. Tu es une bouch¨¨re, tu as d¨¦j¨¤ d¨¦coup¨¦ un homme et tu vas peut-¨ºtre zigouiller un innocent aujourd¡¯hui pour ne pas te faire attraper. Imb¨¦cile. Tu aurais d? abandonner depuis longtemps.
Elle se retourna vers le palier et le sc¨¦nario ¨¤ peine esquiss¨¦ s¡¯estompa aussit?t. La crainte furtive qui l¡¯avait saisi disparut devant le visage inconnu du voisin :
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¡ª Madame, lan?a-t-il avec une certaine r¨¦v¨¦rence, que souhaitez-vous ?
¡ª Monsieur, lui r¨¦pondit-elle, ce qui d¨¦clencha chez le voisin une sorte d¡¯¨¦merveillement. ? Elle avait oubli¨¦ qu¡¯elle ¨¦tait habill¨¦e comme une gente de la haute et que celles-ci passaient directement aux questions en r¨¨gle g¨¦n¨¦rale.
Elle en oublia qu¡¯on lui avait pos¨¦ une question, mais sa situation face ¨¤ la porte de Perth Bickhorn suffit ¨¤ r¨¦pondre ¨¤ sa place :
¡ª Vous cherchez ¨¤ voir Bickhorn ? s¡¯enquit poliment le voisin.
¡ª Oui, c¡¯est bien ?a. Savez-vous s¡¯il est chez lui ?
¡ª Vous aurez bien du mal ¨¤ le voir. Je ne suis ici que depuis le mois dernier et je n¡¯ai connu Monsieur Bickhorn qu¡¯une seule semaine. Il est parti ¨¤ l¡¯h?pital pour un probl¨¨me de foie et n¡¯en est jamais revenu.
¡ª Il est¡
¡ª Mort, Madame. Une cirrhose je crois. Le prochain locataire ne devrait pas tarder ¨¤ arriver. D¨¦sol¨¦. Je ne sais pas pourquoi vous vous ¨ºtes d¨¦plac¨¦e, mais il n¡¯est plus parmi nous.
¡ª ?a ne fait rien. Merci pour l¡¯information.
Le voisin sourit et rentra chez lui. Perth, mort. Un flic du SAGI assez abruti par l¡¯alcool pour ne pas lui poser de probl¨¨mes. Pas trop de probl¨¨mes en tout cas, plus du tout m¨ºme maintenant qu¡¯elle ¨¦tait arm¨¦e. Surtout il ¨¦tait un flic qu¡¯elle pensait pouvoir faire taire d¨¦finitivement et sans remords. Elle n¡¯avait pas pu le tuer elle-m¨ºme et elle en ressenti une sorte de frustration. Tu voulais savoir ce qui t¡¯¨¦tait arriv¨¦ il y a six ans, non ? Flinguer Perth le Crapaud, c¡¯¨¦tait seulement du bonus¡ Pas vraiment au programme. Tu n¡¯es pas du genre ¨¤ te venger dans le sang Suranis, n¡¯est-ce pas ? Tu as toujours ¨¦t¨¦ si calme. Mais ce calme n¡¯¨¦tait qu¡¯un voile. Une illusion. Depuis toujours elle avait envie de gueuler, de fracasser, d¡¯arracher des t¨ºtes et jouer au basket avec. Le monde ¨¦tait cependant polic¨¦ et elle ne pouvait pas faire cela. Comme beaucoup elle en avait pourtant envie. Pourquoi les enflures devaient-elles toujours s¡¯en sortir ? Pourquoi devaient-elles toujours ¨¦chapper au courroux vengeur ? Merde, apr¨¨s avoir pass¨¦ des ann¨¦es ¨¤ se faire violence en picolant trop elle avait acquis une autre cible de pr¨¦dilection que sa propre personne : Perth Bickorn. Ce petit con qui savait certainement ce qui lui ¨¦tait arriv¨¦ ¨¤ elle et ¨¤ Jinn Pertem. Ce petit con qui s¡¯¨¦tait tu¨¦ tout seul comme un grand.
Soit. Elle n¡¯aurait pas sa vengeance et oui, elle avait d¨¦cid¨¦ que le policier interrog¨¦ serait Perth car il ¨¦tait presque peu probable qu¡¯elle soit prise de piti¨¦ au moment de presser la d¨¦tente. Il ¨¦tait le seul ¨¤ pouvoir ¨ºtre tu¨¦ par sa main. Elle le savait, Jinn le savait. S¡¯il avait ¨¦t¨¦ si r¨¦ticent ¨¤ l¡¯id¨¦e de chercher plus en profondeur dans leur pass¨¦ c¡¯¨¦tait que cette ¨¦tape de la red¨¦couverte d¡¯un fragment m¨¦moriel ferait d¡¯elle une meurtri¨¨re sans m¨ºme avoir la certitude que ?a en vaille la peine. Suranis n¡¯avait aucune envie de le devenir et avec Perth elle aurait seulement ¨¦t¨¦ une vengeresse, rien de plus.
Il lui restait bien une autre solution qui consistait ¨¤ trouver un autre pr¨¦sent lors de l¡¯assaut du SAGI, mais ¨¦tait-elle pr¨ºte ¨¤ franchir ce pas ? La r¨¦ponse lui paraissait ¨¦vidente : non. Elle ne pouvait pas pr¨¦lever la vie d¡¯un homme qui avait peut-¨ºtre une femme et des enfants ou au moins une famille qui l¡¯aimait. Bien qu¡¯ils eurent vol¨¦ sa vie, elle n¡¯¨¦tait pas r¨¦solue ¨¤ en faire autant avec la leur. Pas tant qu¡¯elle ne serait pas accul¨¦e.
Et maintenant donc que lui restait-il ? Maintenant, elle ¨¦tait perdue. Suranis n¡¯avait pas pr¨¦vu de plan B. Elle aurait d? d¨¦couvrir qui elle ¨¦tait vraiment et se d¨¦faire du masque dont elle avait ¨¦t¨¦ affubl¨¦e dans le meilleur des mondes. Puis elle aurait rejoint Jinn avec l¡¯¨¦l¨¦ment qui aurait d¨¦clench¨¦ toute la d¨¦charge de souvenirs, en salves violentes et douloureuses, et ils se seraient souvenus de toutes ces choses qui ¨¦taient tues.
Des choses dangereuses. Suranis Rh¨¦on serait devenue l¡¯ennemie publique num¨¦ro un dans ces conditions, mais Suranis Rh¨¦on ¨¦tait morte. Elle avait laiss¨¦ place ¨¤ Anis Ontho. Anis Ontho, la fille bien rang¨¦e, sans amis, sans famille, mais propre sur elle qui jamais n¡¯¨¦tait all¨¦e ¨¤ l¡¯encontre de la loi et dont le seul d¨¦lit se cantonnerait ¨¤ la possession d¡¯une arme ¨¤ feu. Ce qui n¡¯¨¦tait d¨¦j¨¤ pas rien. En m¨ºme temps Suranis avait l¡¯impression d¡¯avoir d¨¦j¨¤ fait bien pire qu¡¯un simple port d¡¯arme, pas ¨¦thiquement pire ¨C loin de l¨¤ ¨C mais pire en tant que Citoyenne.
Lorsqu¡¯elle redescendit la cage d¡¯escalier de son ancien immeuble, sentant le canon du pistolet qui tapait contre sa cuisse, elle se mit ¨¤ imaginer qu¡¯¨¤ ses c?t¨¦s se trouvait un homme ¨¤ moiti¨¦ d¨¦lirant. Son abdomen se consumant doucement et l¡¯odeur des chairs br?l¨¦es se r¨¦pandant. Elle connaissait d¨¦j¨¤ la suite de l¡¯histoire : ce con sourirait comme le h¨¦ros d¡¯une histoire aussi pourrie que ses entrailles. Ce bref flash qu¡¯elle attribua ¨¤ son imagination aurait bien n¨¦cessit¨¦ une psychanalyse plus pouss¨¦e qui aurait conduit ¨¤ la conclusion que tout cela ¨¦tait vrai. Une nouvelle analyse en somme.
L¡¯Analyse. Et si finalement n¡¯¨¦tait-ce pas le fait que sa cervelle soit mit¨¦e qui fut ¨¤ l¡¯origine des doutes qui l¡¯envahirent alors et de l¡¯inondation mn¨¦sique qui s¡¯ensuivit ?
Chapitre 48
Petit havre de paix caverneux ¨¤ vendre, 1310 cm2 r¨¦partis sur trois niveaux. Quinze ans de travaux sont ¨¤ pr¨¦voir avant d¡¯obtenir le bien acquis. Le paiement se fait en gam¨¨tes. D¨¦p¨ºchez-vous, il n¡¯y aura rien de tel jusqu¡¯au mois prochain !
Les parents de Suranis s¡¯¨¦taient empress¨¦s d¡¯¨¦changer leurs gam¨¨tes. Apr¨¨s sept ans de relation et la certitude qu¡¯une rupture co?terait plus ch¨¨re qu¡¯une tr¨¨s artificielle tentative de renouvellement de leur amour, ils s¡¯¨¦taient mis ¨¤ cette tache fastidieuse. Il avait fallu une ann¨¦e de plus pour que le ventre de madame Rh¨¦on finisse par s¡¯arrondir et que Suranis naisse sous les n¨¦ons froids de la salle d¡¯accouchement. L¡¯accouchement avait ¨¦t¨¦ d¨¦licat et avait n¨¦cessit¨¦ l¡¯utilisation de ventouses qui avaient donn¨¦ ¨¤ Suranis une dr?le de t¨ºte pour ses premiers jours. Elle ressemblait ¨¤ une petite extraterrestre ¨¤ la frimousse rousse. Malgr¨¦ cette difformit¨¦ passag¨¨re, le b¨¦b¨¦ n¡¯avait pas manqu¨¦ d¡¯¨¦merveiller toute l¡¯¨¦quipe m¨¦dicale.
Il fallait alors avoir beaucoup d¡¯imagination pour la concevoir, bien des ann¨¦es plus tard, remontant vers la Surface avec une bombe enfouie dans le crane que les neuro-techniciens du Conseil n¡¯avaient pas su voir. Une petite puce, rien de plus, qui lui servait d¡¯aide-m¨¦moire, de disque dur de secours crypt¨¦ qui se d¨¦clencherait tr¨¨s progressivement si une alt¨¦ration m¨¦morielle ¨¦tait d¨¦tect¨¦e. Cette petite merveille technologique fut cr¨¦¨¦e lorsque les Sagistes apprirent l¡¯existence du GH-Drain par un transfuge du nom de Magner avant qu¡¯il ne meurt assassin¨¦. Le SAGI avait r¨¦agi en mettant ses meilleurs ¨¦l¨¦ments sur l¡¯¨¦laboration d¡¯une contre-mesure efficace qu¡¯on glissa d¨¨s lors dans le bulbe rachidien des nouveaux venus sans qu¡¯ils ne soient pr¨¦venus.
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Personne n¡¯avait encore d¨¦couvert leur existence, mais d¨¦sormais il ¨¦tait trop tard pour que le Conseil puisse r¨¦agir en cons¨¦quence. La puce se d¨¦clencha chez Suranis six ans, sept mois et trente-sept heures apr¨¨s l¡¯impl¨¦mentation des faux souvenirs inh¨¦rents au GH-Drain 2. L¡¯odeur de la poudre, les cadavres s¡¯¨¦talant en un grotesque tapis, les cahutes d¨¦truites dans le SAGI. Tout revint ¨¤ Suranis alors qu¡¯elle remontait vers la Surface ¨¤ la fois d¨¦pit¨¦e et lib¨¦r¨¦e par ce qu¡¯elle venait de vivre. Elle commen?ait ¨¤ croire qu¡¯elle ne saurait jamais rien et que c¡¯¨¦tait une bonne chose. Apr¨¨s tout, sa situation ¨¦tait devenue plus agr¨¦able que ce qu¡¯elle avait toujours ¨¦t¨¦. La vie ¨¦tait moche, elle ¨¦tait belle et elle allait abandonner sa carri¨¨re d¡¯espionne pour se consacrer ¨¤ la tache pour laquelle elle ¨¦tait vraiment employ¨¦e. Elle reprendrait m¨ºme contact avec ses parents, ils seraient fiers¡ Oh oui, le monde serait merveilleux et son quotidien extraordinaire. Quelle belle routine qui aurait pu ¨ºtre sienne si dans les 1310 cm2 de son crane ne s¡¯¨¦tait alors pas d¨¦vers¨¦ le torrent mn¨¦sique qui la fit chavirer de l¡¯autre c?t¨¦.
La vie avait ¨¦t¨¦ plut?t belle. Pas totalement moche en tout cas.
Chapitre 49
¨¤ 16h47, heure de la Surface, Jinn Pertem s¡¯effondra sur son bureau. Le plateau grin?a sous l¡¯effet du poids soudain et les bibelots amass¨¦s en six ans tomb¨¨rent au sol. Lors de sa crise, Jinn fracassa une petite figurine qu¡¯il appr¨¦ciait tout particuli¨¨rement. Elle repr¨¦sentait un ouvrier grimpant une ¨¦chelle, le r¨ºve citoyen par excellence qui n¡¯¨¦tait cependant qu¡¯une pure illusion si on retirait de l¡¯¨¦quation les tr¨¨s rares t¨ºtes pouilleuses couronn¨¦es par le succ¨¨s. De ceux-ci, Jinn Pertem ne faisait m¨ºme pas parti. Il n¡¯¨¦tait pas n¨¦ dans les plus hautes instances, mais d¨¦j¨¤ bien parti pour assumer aujourd¡¯hui le r?le qu¡¯il occupait.
Effondr¨¦ sur le bureau, des lumi¨¨res blanches dans¨¨rent autour de lui ¨¤ la mani¨¨re de phosph¨¨nes d¡¯une rare violence. L¡¯envie de rendre son repas le tenailla, mais il tint bon. Quelque part dans son cerveau une petite puce surcharg¨¦e de donn¨¦es venait de venir ¨¤ bout des blocages qui l¡¯emp¨ºchaient de remonter la piste. Bien qu¡¯en avance sur Suranis en ce qui concernait la r¨¦alit¨¦ des ¨¦v¨¦nements sagistes, il supporta bien plus mal l¡¯afflux de souvenirs qu¡¯elle.
La d¨¦charge mn¨¦sique lui donna la pire migraine de sa vie et il commanda aussit?t aux volets de son bureau de se fermer. Il le fit en utilisant le petit bouton poussoir ¨¤ sa table. Il s¡¯av¨¦rait incapable d¡¯envoyer la moindre instruction coh¨¦rente par l¡¯interm¨¦diaire de ses pens¨¦es et, quoi qu¡¯il en soit, tous les appareils s¡¯¨¦taient mis en mode ? s¨¦curit¨¦ ? en ne parvenant plus ¨¤ interpr¨¦ter les signaux qu¡¯il envoyait. La luminosit¨¦ d¨¦crue, il se retrouva dans la quasi obscurit¨¦ si on exceptait le petit bonhomme blanc sur fond vert de l¡¯issue de secours qui n¡¯avait jamais chang¨¦. Malgr¨¦ cela, il y voyait encore assez clairement. Pour peu que l¡¯on puisse appeler ce qui lui arrivait voir et pour peu que cette chose soit r¨¦elle. Du blanc, du blanc¡ Un fond vide de toute chose sur lequel s¡¯inscrivait, comme dans un cin¨¦ma, des images en couleurs bien trop r¨¦alistes pour ¨ºtre fausses. Le blanc se teinta de sang, le sang d¨¦goulina sur sa joue lorsqu¡¯un vaisseau explosa dans son ?il gauche. La larme sanglante tomba au sol et le clapotis lui rappela ce moment singulier o¨´, pour la premi¨¨re fois, il l¡¯avait entendu.
Il se revit de nouveau au SAGI sortant un peu ¨¦m¨¦ch¨¦ d¡¯une rencontre avec Nate Killian. Il vit cela comme s¡¯il le vivait de nouveau. De nouveau son ivresse se dissipe aussit?t qu¡¯il aper?oit ¨¤ la grande porte les yeux rougeoyants tels des fours des forces sp¨¦ciales. Pas des flics ordinaires, plus des miliciens grassement pay¨¦s et rattach¨¦s ¨¤ quelques fonctions officielles pour justifier l¡¯attirail qu¡¯ils portaient sur eux. Une Ficelle parle et demande la reddition imm¨¦diate de Nate Killian et dans le m¨ºme temps, ou peu de temps apr¨¨s, le projectile lanc¨¦ en cloche tombe sur deux hommes en noir. Une explosion br¨¨ve qui dans une gerbe d¡¯acide les nappe. Ils ne bronchent pas, du moins leur masque ne change pas et malgr¨¦ la br¨¨ve terreur qu¡¯ils avaient d? subir ils sont les premiers ¨¤ r¨¦pliquer. Avant m¨ºme que la premi¨¨re grenade ne tombe du plafond une balle fr?le Jinn et s¡¯enfonce dans le crane d¡¯un Sagiste qui s¡¯¨¦croule en un bruit flasque masqu¨¦ par la confusion. Tout devient aussi flou que fou.
Tout devient r¨¦el et tout s¡¯efface encore. Le monde redevint tangible, il revint sur ses pas plant¨¦ sur place, t¨¦tanis¨¦, le film s¡¯¨¦coulant sans qu¡¯il puisse rien y faire. Les pens¨¦es d¡¯autrefois l¡¯assaillent : ils ont tir¨¦ ? Il ne s¡¯imaginait pas cela possible. Pas si rapidement¡ La machoire d¨¦croch¨¦e, les yeux exorbit¨¦s il n¡¯avait rien pu faire au milieu du massacre. Impassible alors que ses camarades se faisaient matraquer faute d¡¯avoir encore des chargeurs sous la main. M¨¦thodiquement, il avait vu les coups remonter des jambes ¨¤ la t¨ºte malgr¨¦ les supplications. L¡¯exc¨¨s de z¨¨le des forces de l¡¯ordre cachait la peur d¡¯¨ºtre submerg¨¦s, bien surr¨¦aliste dans l¡¯entrep?t. Non, ?a n¡¯avait rien d¡¯une mission de maintien de l¡¯ordre mais d¡¯une mise ¨¤ mort accomplie dans la d¨¦sorganisation totale des types lev¨¦s aux aurores et qui savaient que, de cette journ¨¦e, ils sortiraient avec dix milles cr¨¦dits de plus sur leur compte¡ Et une conscience lamin¨¦e lorsque le voile du berserk s¡¯effondrera.
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Jinn lui-m¨ºme n¡¯avait pas totalement ¨¦chapp¨¦ ¨¤ cette folie. Il l¡¯aurait totalement si on l¡¯avait reconnu plus t?t, mais un goliath s¡¯¨¦tait approch¨¦ de lui et lui avait d¨¦moli la jambe. Alors qu¡¯il levait le canon de son arme contre son front, le goliath d¨¦c¨¦r¨¦br¨¦ avait ¨¦t¨¦ pris d¡¯un ¨¦clair de lucidit¨¦. Il avait mis en bandouli¨¨re son fusil et empoign¨¦ Jinn Pertem, l¡¯¨¦vacuant du SAGI. Par chance il ¨¦tait sur la liste blanche du Conseil des Pilotes, sur celle des personnes ¨¤ ne pas tuer et ¨¤ r¨¦ins¨¦rer. Et par chance aussi l¡¯ordinateur embarqu¨¦ du goliath avait fait le rapprochement entre ces deux visages. Alors il serait r¨¦ins¨¦r¨¦ comme c¡¯¨¦tait la nouvelle mode parmi les ¨¦lites citoyennes. Un mauvais citoyen n¡¯¨¦tait pas forc¨¦ment un mauvais citoyen ¨¤ vie. Il pouvait ¨ºtre sauv¨¦ et ainsi l¡¯avait ¨¦t¨¦ Jinn Pertem. Il s¡¯en rendait compte maintenant. On l¡¯avait jet¨¦ dans une salle blanche et on lui avait dit ? Monsieur Pertem, ne vous inqui¨¦tez pas on va arranger votre jambe ?. Ils l¡¯avaient fait, ? oui jusqu¡¯¨¤ la remplacer, puis ils lui avaient ouvert le crane et chang¨¦ le sac fix¨¦ ¨¤ l¡¯intraveineuse. Il s¡¯¨¦tait r¨¦veill¨¦, il avait regard¨¦ autour de lui et la scie circulaire s¡¯¨¦tait approch¨¦ de sa t¨ºte¡ ? Que cesse cette folie ? tenta-t-il de s¡¯exclamer, mais la scie n¡¯¨¦couta pas ses suppliques.
Ces salauds l¡¯avaient charcut¨¦, lobotomis¨¦ et fait de lui ce qu¡¯il avait ¨¦t¨¦ jusqu¡¯¨¤ ce jour maudit. Le caisson accompagna son r¨¦tablissement, avec ses r¨ºves tourment¨¦s et ses souvenirs qui, petit ¨¤ petit, se formaient. Il se souvenait de tout et il n¡¯avait m¨ºme pas eu besoin de Suranis Rh¨¦on pour que tout lui revienne. Il n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ embrigad¨¦ par un Nate Killian tyrannique. Le poste actuel qu¡¯il occupait n¡¯¨¦tait qu¡¯un mensonge. Il n¡¯¨¦tait qu¡¯un simple m¨¦diateur de paix, un outil de propagande au service du Conseil qui tentait de faire de son mod¨¨le un syst¨¨me unique. Il n¡¯existerait plus d¡¯autres alternatives ¨¤ la soci¨¦t¨¦ hi¨¦rarchis¨¦e et r¨¦pressive. Elles ¨¦taient toutes mortes avec le SAGI et l¡¯av¨¨nement du GH-Drain 2. Ils avaient perdu et d¨¦j¨¤ Jinn voyait d¨¦filer les arm¨¦es lobotomis¨¦es applaudissant le Grand Pilote dans toute sa splendeur. Plus rien ne pourrait ¨ºtre remis en question si la question ¨¦tait tue ¨¤ m¨ºme son origine. De membres volontaires d¡¯une soci¨¦t¨¦, il ne resterait que des esclaves au libre-arbitre annihil¨¦. Toute sa foutue vie n¡¯¨¦tait bas¨¦e que sur des mensonges et il en vivrait le restant ¨¦veill¨¦. Si seulement il ne s¡¯¨¦tait pas souvenu !
On frappa ¨¤ la porte et il se releva difficilement. Une voix famili¨¨re lui parvint, un homme ¨¤ tout faire :
¡ª Coordinateur Pertem, vous allez bien ? On a d¨¦tect¨¦ une d¨¦faillance syst¨¨me. Voulez-vous que je vous envoie un technicien ?
¡ª Galht, c¡¯est vous ? Je vous remercie¡ Les appareils ne r¨¦pondent plus ¨¤ mes commandes mentales, mais laissez-donc. Une sale migraine, voil¨¤ tout¡ Je ferais ¨¤ l¡¯ancienne pour le reste de la journ¨¦e et vous pourrez r¨¦parer ?a quand j¡¯en aurais fini, parvint-il ¨¤ dire assez fortement.
¡ª Bien, dans ce cas au revoir Coordinateur et n¡¯h¨¦sitez pas ¨¤ m¡¯appeler au besoin.
Sa voix ne l¡¯avait pas trahi. Il se sentait pourtant aux portes de l¡¯implosion mais ne le montra pas ¨¤ ce cher Gahlt. Bien que tout ne soit pas dit, il ne lui avait pas menti sur un point : il finirait cette journ¨¦e ¨¤ l¡¯ancienne par le plus grand des pouvoirs qui ¨¦tait conf¨¦r¨¦ ¨¤ l¡¯humain. Dans un tiroir sommeillait une bouteille. Il l¡¯ouvrit, regarda un instant le verre vide pos¨¦ ¨¤ c?t¨¦ et finalement bu au goulot. Ce n¡¯¨¦tait qu¡¯une petite aide pour clore le r¨¦el comme ouvrir son imagination et fuir le sentiment d¡¯¨¦pouvante qui l¡¯envahissait. Par-del¨¤ les malheurs, l¡¯humain subsisterait tant qu¡¯il aura la possibilit¨¦ d¡¯imaginer un futur diff¨¦rent, meilleur, avec ou sans lui, pour lui ou pour les autres¡ et qu¡¯une bo?te d¡¯antalgiques tra?nait dans son tiroir.
Chapitre 50
Le t¨¦l¨¦phone r¨¦sonna dans le vide. Il ¨¦tait fort peu probable que Jinn Pertem puisse y r¨¦pondre car il gisait alors dans une flaque d¡¯alcool, tr¨¨s loin de la Surface et dans un monde bien meilleur de brume ¨¦thylique qui n¡¯¨¦tait qu¡¯un avant-go?t de ce qui l¡¯attendait plus d¨¦finitivement. Suranis raccrocha le combin¨¦ et jeta son d¨¦volu sur un vase qu¡¯on lui avait offert la semaine pass¨¦e. Les fleurs ¨¦taient mourantes et finiraient leur vie dans une poubelle, pr¨ºtes ¨¤ ¨ºtre brul¨¦es par l¡¯incin¨¦rateur central de la Cit¨¦.
¡ª Fait chier, souffla-t-elle et l¡¯¨¦cho de sa voix lui revint.
Dans cet appartement vide, migraineuse et les cheveux d¨¦nou¨¦s en un mar¨¦cage rougeoyant, elle en ¨¦tait ¨¤ son troisi¨¨me cachet d¡¯aspirine. La pression dans son crane, dans lequel un flot d¡¯informations se d¨¦versait, peinait ¨¤ diminuer. Apr¨¨s avoir cru y passer, tout revenait ¨¤ la normale et elle cogitait autour du grand secret qu¡¯elle venait d¡¯acqu¨¦rir.
Finalement, elle n¡¯avait pas eu ¨¤ mener ¨¤ bout son enqu¨ºte pour d¨¦couvrir ce qu¡¯il lui ¨¦tait arriv¨¦. Il lui suffit d¡¯un tour aupr¨¨s de ses plus tendres mauvais souvenirs pour qu¡¯elle se prenne des mois de m¨¦moire d¡¯une seule charge. Elle ¨¦tait d¨¦sormais capable de dire ce qu¡¯elle faisait il y a six ans et le grand vide qu¡¯elle ressentait auparavant lui manquait d¨¦j¨¤. Il fallait qu¡¯elle partage avec Jinn tout ce qu¡¯il s¡¯¨¦tait pass¨¦. Comment elle avait ¨¦t¨¦ captur¨¦e et comment on l¡¯avait emprisonn¨¦ dans cette cuve blanche, enti¨¨rement plong¨¦e dans la viscosit¨¦ d¡¯un gel qui la maintenait en vie. Elle se souvenait tout particuli¨¨rement des regards des scientifiques, mi-amus¨¦s mi-horrifi¨¦s, qui passaient et repassaient devant les rang¨¦es de sarcophages m¨¦moriels en griffonnant des notes avec un s¨¦rieux morbide. Pendant une p¨¦riode incommensurable elle vit leur remue-m¨¦nage et entendit leurs discussions anxieuses. Le temps restant, elle se contentait souvent d¡¯¨ºtre plong¨¦e dans une torpeur quelques fois rompue par les ¨¦lectrochocs qui maintenaient ses membres endormis en vie.
Elle revoyait ces moments avec horreur. Elle se vit fixant la paroi de verre, ravie en ¨¤ crever avec ce sourire fig¨¦ sur ses l¨¨vres qui combattait avec une facilit¨¦ d¨¦concertante son besoin de s¡¯¨¦pandre en larmes. Et l¡¯image lui revint des formes indistinctes qui passaient et repassaient alors qu¡¯on la maintenait ¨¤ l¡¯or¨¦e de la conscience pour tester sur elle ce qu¡¯on avait d¨¦j¨¤ fait sur d¡¯autres. Des sentiments aussi diff¨¦rents que la haine et l¡¯amour, la tristesse et la joie, du sombre pessimisme ¨¤ l¡¯¨¦clatant optimisme s¡¯emparaient alors d¡¯elle et, sautant d¡¯un ¨¦tat ¨¤ l¡¯autre, elle avait cru qu¡¯elle allait y passer.
Tout aurait-¨¦t¨¦ plus facile si dans la cuve blanche elle s¡¯¨¦tait embarqu¨¦e sur le Styx pour s¡¯aventurer au-del¨¤ de la fange de sa mis¨¦rable existence. Elle n¡¯aurait alors jamais vu les hommes en pourpre qui vinrent par nu¨¦es. Ces inquisiteurs aux yeux masqu¨¦s par des lunettes ¨¤ fente et trop joviaux pour ¨ºtre vrais lui parl¨¨rent ¨C et lui parlaient encore dans le ressassement de ses souvenirs ¨C sans attendre de r¨¦ponse sinon pour la f¨¦liciter de ses r¨¦sultats. Ils lui promirent une nouvelle vie et quelle vie ! Sa vue s¡¯¨¦tait illumin¨¦e d¡¯une lueur verdatre mar¨¦cageuse et tandis que le poison se r¨¦pandait en elle, on instilla les germes de souffrance qui deviendraient siens¡
Que tout ¨¦tait faux. Voil¨¤ tout ce qu¡¯elle voulait raconter ¨¤ Jinn Pertem qui refusait obstin¨¦ment de r¨¦pondre. S¡¯il d¨¦crochait, elle pourrait lui partager que la v¨¦ritable Suranis avait ¨¦t¨¦ remis¨¦e au placard et qu¡¯¨¤ force de se d¨¦foncer l¡¯¨¦paule contre le verrou, elle s¡¯en ¨¦tait ¨¦chapp¨¦ et que de l¡¯autre c?t¨¦ des battants se trouvait un monde qui l¡¯¨¦c?urait.
Elle reposa la main sur le combin¨¦, d¨¦cid¨¦e par ce besoin visc¨¦ral de cracher toute la crasse enfouie en elle et songea qu¡¯il ne r¨¦pondrait pas. Il devait ¨ºtre accapar¨¦ par ses grandes causes auxquelles il croyait vraiment, toutes foutaises soient-elles. Lui aussi ¨¦tait un heureux produit reconditionn¨¦.
Suranis vocif¨¦ra en frappant des poings contre la table, ¨¦branlant le t¨¦l¨¦phone :
¡ª Pertem ! grommela-t-elle. Putain, tu vas r¨¦pondre !
Elle s¡¯empara du combin¨¦ et appela sur le num¨¦ro priv¨¦ du politicien. Cette fois-ci le t¨¦l¨¦phone ne sonna pas dans le vide et un homme lui r¨¦pondit. Ce n¡¯¨¦tait pas Jinn Pertem.
¡ª Oui, all? ? Qui est ¨¤ l¡¯appareil ?
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¡ª Anis Ontho, dit Suranis avec, pour la premi¨¨re fois, une nuance de doute dans sa voix en pronon?ant son pseudonyme. Je voudrais discuter avec le Coordinateur Jinn Pertem. Il est disponible ?
Quelque chose n¡¯allait pas. Jinn en temps normal d¨¦crochait seul, mais les circonstances ¨¦taient extraordinaires. Un frisson la parcourut en entendant des murmures ¨¤ l¡¯autre bout de la ligne. Son interlocuteur la laissa de c?t¨¦ le temps de consulter le registre citoyen avant de revenir vers elle :
¡ª Il y a un probl¨¨me si vous ¨ºtes vraiment Ontho. Vous ¨ºtes suppos¨¦e ¨ºtre morte si je lis bien l¡¯article devant mes yeux¡ ¨¦cras¨¦e et balanc¨¦e dans le Flux, mais vous semblez bien loquace malgr¨¦ cela. Qui ¨ºtes-vous r¨¦ellement Anis Ontho et que voulez-vous au Coordinateur Pertem ?
La voix empreinte de tension appartenait ¨¤ un inspecteur qui aurait aim¨¦ ¨ºtre partout ailleurs qu¡¯¨¤ c?t¨¦ d¡¯un Coordinateur inanim¨¦. Un bruissement de tissu traversa la ligne quand on d¨¦posa Jinn sur sa civi¨¨re. Suranis raccrocha brusquement apr¨¨s avoir laiss¨¦ planer un blanc ¨¦loquent. Le m¨ºme genre de blanc que ce qui subsistait de la v¨¦ritable Anis Ontho et qui serait bient?t aussi valable pour Suranis Rh¨¦on. La teinte que seul un cadavre peut prendre. Ce qu¡¯augurait l¡¯interrogation de l¡¯homme c¡¯¨¦tait la perte de son identit¨¦ de substitution et avec elle d¡¯une vie ¨¤ peine retrouv¨¦e. Bient?t, ils en arriveraient ¨¤ la conclusion que la fille se faisant passer pour une morte avait v¨¦cu au SAGI et qu¡¯elle devrait rejoindre le Flux dans les plus brefs d¨¦lais.
Comment avait-elle pu croire que personne ne viendrait jamais questionner celle qu¡¯elle pr¨¦tendait ¨ºtre ? Depuis six ans elle vivait dans un mensonge et le renouvelait. Elle ne pouvait plus faire autrement et d¡¯une malheureuse fa?on n¡¯appartenait gu¨¨re plus ¨¤ ce monde qu¡¯un bug dans le programme citoyen : comme lui, elle serait ¨¦radiqu¨¦e.
Une dizaine de minutes s¡¯¨¦coul¨¨rent. Haletante, les entrailles crisp¨¦es par la peur, elle entendit la sir¨¨ne qui se rapprocha d¡¯elle. Par la fen¨ºtre, elle aper?ut la voiture banalis¨¦e avec son gyrophare orange sur le toit vol¨¦ ¨¤ un engin de chantier. La patrouille obliqua vers elle et entra dans la cour de son immeuble. Ils avaient ¨¦t¨¦ rapides, beaucoup trop. La situation devait ¨ºtre telle que l¡¯alerte maximale avait ¨¦t¨¦ d¨¦clench¨¦e. ¨¦videmment, pensa am¨¨rement Suranis, Jinn Pertem devait ¨ºtre particuli¨¨rement surveill¨¦ et tout ce qui le touchait de pr¨¨s ou de loin ne pouvait faire autrement que monopoliser une bonne partie du personnel du Conseil. Elle n¡¯osa pas d¨¦velopper davantage son raisonnement car plus loin se trouvait le rapport ¨¦crasant des forces en pr¨¦sence : elle contre le monde.
La panique s¡¯empara d¡¯elle lorsqu¡¯elle se rendit compte qu¡¯elle allait redevenir une fugitive. Il ¨¦tait toujours possible que la patrouille ne vienne pas pour elle, mais elle se m¨¦fiait de tout depuis sa premi¨¨re cavalcade o¨´ elle laissa Herth Phue ensanglant¨¦ sur le perron de sa porte. Elle ne se risquerait pas ¨¤ attendre la version plus polic¨¦e des flics qui l¡¯attendait avec d¡¯admirables blazers agr¨¦ment¨¦s de leurs petits brassards oranges. Son interpellation serait bien plus douce que celle subie par Herth Phue mais sa fin en tout point semblable et elle n¡¯¨¦tait pas pr¨ºte ¨¤ l¡¯affronter.
Malgr¨¦ ses pens¨¦es boulevers¨¦es et son envie d¡¯en d¨¦coudre avec l¡¯¨¦tincelle de vie en elle, elle ne put se r¨¦soudre ¨¤ rester passive dans l¡¯attente des serviteurs du Conseil. Elle sortit en hate dans la cage d¡¯escalier, d¨¦rapant sur le sol lav¨¦ de frais. Au moment o¨´ elle disparaissait dans l¡¯ombre, elle entendit un bruit provenant de l¡¯ascenseur et deux hommes en costume anthracite (dont la fonction ne permettait aucun doute) en sortirent. Sans la voir, ils s¡¯approch¨¨rent de sa porte d¡¯entr¨¦e et frapp¨¨rent une unique fois avant de l¡¯ouvrir avec un passepartout. Les doutes de Suranis ¨¦taient fond¨¦s, ils venaient pour elle et il ne lui restait qu¡¯une poign¨¦e de minutes avant qu¡¯ils ne r¨¦v¨¨lent leur fouille infructueuse au Q.G. Alors ils sortiraient les grands moyens et la pisterait jusqu¡¯¨¤ qu¡¯elle soit ¨¦puis¨¦e et accul¨¦e contre la muraille du r¨¦el.
Il demeurait cependant un espoir t¨¦nu, une premi¨¨re exp¨¦rience en qualit¨¦ de fuyarde s¡¯¨¦tant sold¨¦e par sa survie. Elle ne survivrait certainement pas ¨¤ cette journ¨¦e, mais se battrait jusqu¡¯au bout pour s¡¯accaparer une derni¨¨re chance. Elle descendit ¨¤ toute vitesse l¡¯escalier r¨¦solue ¨¤ vivre jusqu¡¯¨¤ qu¡¯elle se d¨¦cide ¨¤ l¡¯inverse. Elle d¨¦boula dans le hall et ouvrit ¨¤ la vol¨¦e la lourde porte d¡¯acier pour se retrouver aveugl¨¦e. L¡¯espace d¡¯un instant elle eut l¡¯impression que le soleil s¡¯infiltrait dans sa r¨¦tine, puis elle comprit qu¡¯il s¡¯agissait des ¨¦tincelles malines d¡¯un laser neutralisant ¨¤ faible port¨¦e maladroitement tenu par un bleu laiss¨¦ de garde.
¡ª O¨´ allez-vous comme ?a ?! Le batiment est en cours d¡¯investigation ! hurla le bleu avec tremblement devant celle qu¡¯il supposait ¨ºtre la suspecte recherch¨¦e.
Ses doigts fr¨¦mirent sur la d¨¦tente et Suranis vit ¨¤ son regard que l¡¯arme lui indiquait que la charge n¡¯¨¦tait pas pr¨ºte. Il ferait feu d¨¨s que l¡¯aval technologique lui serait donn¨¦, mais Suranis fit feu avant. Elle d¨¦gaina le pistolet de Perth avec trop de stress pour que son geste soit digne d¡¯un western et la d¨¦flagration parti ¨¤ hauteur de hanche.
Le bleu la regarda avec surprise, porta sa main ¨¤ sa poitrine qui se teinta de rouge et tomba ¨¤ la reverse avec cette m¨ºme expression. Le sang jaillissant de sa bouche, il semblait sur le point d¡¯¨¦clater de rire avec ses yeux plong¨¦s dans la Bulle iris¨¦e qui s¡¯imprima en lui comme dans le c?ur de ses compagnons.
Il s¡¯appelait Olt¨¹rk Fingram et ainsi mourut-il. Le premier ¨¤ rejoindre l¡¯apr¨¨s. Suranis le d¨¦passa, s¡¯arr¨ºta une fraction de seconde ¨¤ sa hauteur pour s¡¯emparer de son laser¡ Au cas o¨´. Elle ne se sentait pas pr¨ºte ¨¤ flinguer un second homme aujourd¡¯hui, mais elle en grillerait plusieurs.
Chapitre 51
¡ª Ici patrouille 547A, d¨¦p¨ºch¨¦e ¨¤ la r¨¦sidence 37. Nous avons un agent ¨¤ terre, je r¨¦p¨¨te, un agent ¨¤ terre. Nous avons besoin de secours dans les plus brefs d¨¦lais.
¡ª Bien compris Patrouille 547A. Nous vous envoyons une ¨¦quipe m¨¦dicale. Dans quel ¨¦tat est le bless¨¦ ? Que s¡¯est-il pass¨¦ ?
¡ª Je crains qu¡¯il ne soit d¨¦j¨¤ mort ou presque. Il a re?u une balle en pleine poitrine et son c?ur ne bat plus. Nous sommes en train d¡¯essayer de le ranimer.
En r¨¦ponse l¡¯homme pratiquant le massage cardiaque remua la t¨ºte avec d¨¦sespoir. Olt¨¹rk Fingram, le petit bleu sympathique, ne l¨¨verait plus jamais le coude. Son coll¨¨gue fixait le cadavre avec une ¨¦trange appr¨¦hension s¡¯attendant presque ¨¤ le voir se relever tel Lazare, auquel cas il prendrait la fuite. Mais les yeux vitreux du bleu ne refl¨¦taient pas plus de vie que les couleurs chatoyantes de la Bulle ne l¡¯enveloppait d¡¯une joie candide.
¡ª Merde¡ lacha l¡¯op¨¦rateur-radio. Restez aupr¨¨s de lui et s¨¦curisez les alentours, l¡¯¨¦quipe m¨¦dicale ne devrait pas tarder. Vous pensez que c¡¯est la suspecte ? Avez-vous besoin de renforts ?
¡ª N¨¦gatif. La suspecte est peut-¨ºtre la coupable, mais elle a disparu et ne risque pas de nous tomber dessus. Nous avons surtout besoin de gars pour tenter de relever le n?tre et que d¡¯autres se mettent en chasse.
Il y eut un silence radio ¨¦loquent. Yan Gathers se tassait derri¨¨re son bureau en s¡¯arrachant les peaux mortes de ses doigts avec un z¨¨le redoubl¨¦. D¡¯un naturel anxieux, il ¨¦tait au maximum de ses capacit¨¦s. Pour la premi¨¨re fois de sa carri¨¨re, il devait s¡¯occuper d¡¯un cas s¨¦rieux. Un des leurs venait de respirer sa derni¨¨re bouff¨¦e d¡¯air et un meurtrier (certainement une meurtri¨¨re) arpentait les rues.
L¡¯op¨¦rateur-radio coupa temporairement le micro et ordonna ¨¤ son assistant de transmettre au reste de l¡¯¨¦quipe la demande des hommes sur place. Les agents surmen¨¦s redoubl¨¨rent d¡¯efforts, ¨¤ d¨¦faut d¡¯enthousiasme, dans la tache qui leur incombait et tr¨¨s vite le message arriva au centre d¡¯urgence m¨¦dicale qui d¨¦p¨ºcha un fourgon (et quelques miliciens).
¨¤ l¡¯autre bout de la ligne, pr¨¨s d¡¯un certain appartement, on s¡¯impatientait :
¡ª Agent Gathers ? Vous ¨ºtes encore l¨¤ ?
¡ª Pardon. Je transmettais les ordres. L¡¯¨¦quipe de secours est en route et mes meilleurs gars sont d¨¦j¨¤ en train de v¨¦rifier les identifiants pr¨¦sents dans la derni¨¨re demi-heure. Nous allons attraper cette connasse¡ Peu importe son v¨¦ritable nom.
¡ª Je l¡¯esp¨¨re bien ! Mais si on a plusieurs noms qui sortent ? On va faire comment ? Ontho est morte, on ne sait m¨ºme pas qui est cette fameuse connasse ! fulmina l¡¯agent. ?a va prendre combien de temps ?! Par piti¨¦, dites-moi que ?a ne durera pas longtemps. Si elle fonce vers les souterrains, elle va s¡¯y terrer comme un foutu rat.
¡ª Ne vous inqui¨¦tez pas, cela ne prendra qu¡¯une dizaine de minutes dans le pire des cas¡ Elle n¡¯aura pas le temps d¡¯aller bien loin, on va envoyer la meute ¨¤ ses trousses. Je vous rappellerais quand j¡¯aurais la liste des ID pr¨¦sentes si ?a vous int¨¦resse, mais je peux d¨¦j¨¤ vous dire que vous ¨ºtes relev¨¦s de cette mission. On va vous faire rentrer au bercail. D¡¯ici l¨¤, attendez les secours¡ dit Gathers avant de se raviser in petto ? le corbillard ?.
L¡¯agent au bout de la ligne le remercia et Gathers enleva son casque. Il venait de passer au-del¨¤ de ses pouvoirs r¨¦els, d¡¯une certaine fa?on. M¨ºme s¡¯il avait le pouvoir de relever une ¨¦quipe de sa mission, l¡¯ordre d¨¦pendait en r¨¦alit¨¦ de l¡¯¨¦chelon sup¨¦rieur. Mieux valait pour lui que l¡¯officier ne lui en tienne pas rigueur : apr¨¨s tout il agissait comme il le fallait ? Non ? Il l¡¯esp¨¦rait car sa carri¨¨re toute enti¨¨re se jouait ¨¤ ses choix, du moins le croyait-il. Il se passa une main dans des cheveux baign¨¦s de sueur. Malgr¨¦ la fra?cheur du centre de commandement, la tension qui y r¨¦gnait suffisait ¨¤ faire dresser les poils de ceux qui compilaient ¨¤ tout va les entr¨¦es et sorties.
? Par piti¨¦ ? se dit l¡¯op¨¦rateur-radio ? que ce cauchemar cesse et que je me r¨¦veille dans mon lit ?. Il ne s¡¯attendait pas ¨¤ ce qu¡¯une telle journ¨¦e puisse exister, pourtant le branlebas de combat venait d¡¯¨ºtre sonn¨¦ pour de vrai. On l¡¯avait vraiment appel¨¦ pour lui demander de concentrer les efforts de son ¨¦quipe sur la recherche de l¡¯identit¨¦ d¡¯une femme qui venait tout juste de flinguer un coll¨¨gue alors que ce dernier respirait encore. ? Pourquoi ? ? avait-il demand¨¦. ? Pourquoi pas ? lui r¨¦pondit-on. Tout cela parce qu¡¯elle eut la lubie d¡¯appeler le Coordinateur Pertem au moment o¨´ ¨C dans le plus grand secret ¨C celui-ci ¨¦tait achemin¨¦ vers l¡¯infirmerie sectorielle. L¡¯accusait-on d¡¯¨ºtre la cause de son malaise ? Elle paraissait ¨¦vidente aux yeux de tous ceux au courant de l¡¯affaire : lui-m¨ºme en ¨¦tait le fautif et pas la nana au bout du fil. Pourquoi dans ce cas d¨¦clencher l¡¯alerte maximale et s¡¯attarder si particuli¨¨rement sur une inconnue dont la seule erreur fut d¡¯appeler le Coordinateur quand il pataugeait dans ses propres glaires et vomissures ? Le plus ¨¦trange demeurait que l¡¯on ait d¨¦p¨ºch¨¦ une patrouille pour venir ¨¤ bout d¡¯un probl¨¨me qui semblait moins pressant qu¡¯un Coordinateur mal en point ¨C voire tout ¨¤ fait optionnel jusqu¡¯¨¤ que l¡¯on d¨¦couvre que l¡¯inconnue poss¨¨de une arme ¨¤ feu dont fit les frais un agent.
C¡¯en ¨¦tait beaucoup trop pour Yan Gathers qui pendant toute sa carri¨¨re s¡¯¨¦tait content¨¦ de contacter ses agents pour r¨¦soudre une rixe par-ci, un vol par-l¨¤ ou foutre un malade en taule avant qu¡¯il ne se d¨¦cide de jouer du bistouri. C¡¯¨¦tait de vraies missions avec des finalit¨¦s propres au maintien de l¡¯ordre et jamais de grande chasse lanc¨¦e par on-ne-sait-trop-qui galonn¨¦. Pour autant, ce on-ne-sait-trop-qui devait ¨ºtre de premi¨¨re importance car tout ¨¦tait feu et flamme dans les bureaux.
Son nom potentiel ¨¦tait sur toutes les l¨¨vres et on s¡¯attendait ¨¤ tout sauf ¨¤ le voir appara?tre en chair et en os. Surtout en os. Sa toute puissante ossature entra dans la pi¨¨ce et les c?urs sursaut¨¨rent en ch?ur dans le moule des poitrines. Une foule en treillis le pr¨¦c¨¦da dans la salle des op¨¦rations et l¡¯op¨¦rateur-radio Gathers se retourna. Une demi-douzaine de grad¨¦s venaient d¡¯envahir la pi¨¨ce et ¨¤ leur t¨ºte se trouvait un homme si squelettique qu¡¯on se demandait comment il se d¨¦brouillait pour ne pas ployer sous les galons accroch¨¦s sur sa veste. Quiconque appartenait ¨¤ la m¨ºme g¨¦n¨¦ration que l¡¯agent Gathers aurait reconnu dans le personnage le Haut-capitaine Gern Fulcr?ne. Bien qu¡¯¨¦vinc¨¦ du Conseil des Pilotes apr¨¨s les ¨¦v¨¦nements du SAGI, il avait obtenu cette charge importante ¨C ou plut?t s¡¯en ¨¦tait empar¨¦ selon les dires - comme une sorte de juste r¨¦tribution pour tout ce qu¡¯il avait accompli pour la Cit¨¦. Il avait tout perdu de sa superbe avec ses pruneaux secs brillants et incrust¨¦s dans son crane comme les deux orbites d¡¯une momie maudite dans un temple oubli¨¦.
L¡¯officier Gathers, qui s¡¯embarqua aussit?t vers l¡¯¨¦tage F juste apr¨¨s sa rencontre, se souviendra a posteriori du personnage comme d¡¯un triste ramassis d¡¯une histoire d¨¦j¨¤ morte. Il bomba son torse pour le dernier salut militaire de sa vie et se frappa le front avec un tel z¨¨le qu¡¯il en eut le tournis :
¡ª Haut-capitaine Gern Fulcr?ne ! glapit-il en se redressant de tout son ¨ºtre.
¡ª Officier des communications Gathers ? demanda en retour le Haut-capitaine en levant deux doigts joints ¨¤ hauteur de poitrine pour le saluer. Deux phalanges sur fond de sternum.
¡ª Oui mon Capitaine ! hurla le concern¨¦ en ne pouvant s¡¯emp¨ºcher de trembler.
¡ª Vous pouvez quitter votre poste. Prenez votre journ¨¦e et oubliez la Surface, ordonna-t-il avant d¡¯hausser la voix pour que toute la salle entende. Ne communiquez pas avec votre famille, nous vous avons d¨¦j¨¤ louer une chambre jusqu¡¯¨¤ que tout soit fini. Cet ordre est aussi valable pour tout le monde exception faite de mon escorte. Nous vous relevons de vos fonctions pour la journ¨¦e !
Alors que d¡¯une seule traite le personnel du poste posait casques et micros, l¡¯agent Gathers d¨¦visagea le Haut-capitaine sans trop comprendre. Une expression r¨¦sign¨¦e sur son visage c¨¦da la place ¨¤ un air de souris craintive. Si Fulcr?ne s¡¯¨¦tait d¨¦plac¨¦ avec son ¨¦quipe de grands pontes c¡¯est que la situation d¨¦passait les limites de l¡¯exception et que les cons¨¦quences pourraient s¡¯av¨¦rer traumatisantes pour plus un chacun. La derni¨¨re fois qu¡¯une telle situation d¡¯urgence s¡¯¨¦tait produite, ils avaient maintenu sur place l¡¯¨¦quipe de communication. Un ali¨¦n¨¦ zigouillait ¨¤ tout-va pr¨¨s d¡¯un caf¨¦ de l¡¯¨¦tage A ¨C bien plus que l¡¯unique mort de cette myst¨¦rieuse femme ¨C et l¡¯ancien coll¨¨gue de Gathers, qui par chance s¡¯¨¦tait port¨¦ blanc ce jour-l¨¤, ne s¡¯en ¨¦tait jamais vraiment remis. Il sauva bien une dizaine de vies ce jour-l¨¤, mais pas assez ¨¤ son go?t et des morts sur la conscience ¨¤ cause d¡¯erreurs de jugement t¨¦nues, Yan Gathers ne souhaitait pas en avoir. Il ¨¦tait donc ravi de passer encore une fois entre les mailles du filet, totalement ¨¦pargn¨¦ des cons¨¦quences de cette folle journ¨¦e.
Reconnaissant envers Gern Fulcr?ne de l¡¯extirper de cette situation, il le salua en claquant des pieds et se rua hors de la pi¨¨ce suivit de la cohorte polici¨¨re. La salle immense parut alors bien vide. Il ne restait que les luminaires illuminant les bureaux et les ¨¦crans des ordinateurs diffusant en temps-r¨¦el les cam¨¦ras de s¨¦curit¨¦ de la Cit¨¦. Avec fureur, Fulcr?ne s¡¯approcha du bureau auparavant occup¨¦ par Gathers et le balaya. Les hauts-grad¨¦s qui l¡¯accompagnaient ne l¡¯avaient jamais vu dans un tel ¨¦tat et la plupart jamais vu tout court.
¡ª Monsieur¡ commen?a un d¡¯eux, mais le plus haut des sup¨¦rieurs l¡¯ignora avec superbe.
Le silence qui s¡¯¨¦tait install¨¦ apr¨¨s le tumulte figea la salle sous le vernis grisatre des ¨¦crans. Gern Fulcr?ne, dont une attention plus m¨¦ticuleuse aurait r¨¦v¨¦l¨¦ qu¡¯il avait invers¨¦ les boutons inf¨¦rieurs de sa chemise, s¡¯occupait les mains ¨¤ d¨¦baller son ordinateur personnel et ¨¤ l¡¯installer sur le bureau. Il l¡¯alluma et tr¨¨s vite apparut le document cr¨¦¨¦ dans le v¨¦hicule qui le transporta jusqu¡¯ici. Le m¨ºme v¨¦hicule dans lequel il s¡¯habilla en hate et avala sa dosette de psychostimulants.
Lorsqu¡¯il eut fini son man¨¨ge et s¡¯assit sur la chaise, il leva pour la premi¨¨re fois ses yeux sur les haut-grad¨¦s qu¡¯il avait lui-m¨ºme convoqu¨¦ mais pas encore salu¨¦.
¡ª Bien, messieurs. Merci d¡¯avoir r¨¦pondu pr¨¦sents si rapidement. ¨¦videmment, la situation est tout ¨¤ fait exceptionnelle et tout ce qui sera dit dans cette pi¨¨ce ne devra pas la quitter, est-ce bien compris ? dit-il avec une telle s¨¦cheresse dans sa voix qu¡¯un d¨¦sert para?trait luxuriant en comparaison.
Ils opin¨¨rent de la t¨ºte avant m¨ºme que le Haut-capitaine ne d¨¦gaine son pistolet pour le poser sur la table. Un mod¨¨le sans envergure qui criait son pass¨¦ d¡¯arme r¨¦glementaire. Il appartenait ¨¤ l¡¯ancienne Terre ¨¤ l¡¯¨¦poque o¨´ les conflits r¨¦gnaient encore et bien avant que l¡¯h¨¦g¨¦monie ne survienne. Pas un seul mot fut n¨¦cessaire pour expliquer la finalit¨¦ de l¡¯arme : abattre les tra?tres. Si les secrets dits dans la salle des op¨¦rations devaient franchir le cap des quatre murs blind¨¦s la radiation des fautifs ne serait pas seulement celle des forces de l¡¯ordre, mais aussi de la vie de mani¨¨re plus g¨¦n¨¦rale.
Le sujet s¨¦rieux qui les accaparait ne saurait souffrir de telles vil¨¦nies. Satisfait par la terreur qu¡¯il instilla par son geste et bien conscient d¡¯avoir l¡¯air d¡¯un vieux fou, il lan?a la diapositive qu¡¯il avait pr¨¦par¨¦ pendant le trajet :
¡ª Bien, si nous sommes d¡¯accord nous allons pouvoir commencer. Nous avons un s¨¦rieux probl¨¨me, le Coordinateur Jinn Pertem ¨C dont aucun d¡¯entre vous n¡¯ignore le passif si vous avez consult¨¦ les documents que je vous ai envoy¨¦ en toute urgence ¨C est actuellement dans le coma. L¡¯affaire n¡¯a pas ¨¦t¨¦ r¨¦v¨¦l¨¦e au grand public et il existe des risques non n¨¦gligeables qu¡¯il y passe. D¡¯apr¨¨s le rapport des services de sant¨¦, il aurait ing¨¦r¨¦ une importante quantit¨¦ d¡¯alcool et d¡¯antalgiques. Il est toutefois encore impossible de savoir s¡¯il s¡¯agit d¡¯une tentative de suicide ou non, bien qu¡¯il semblerait que cela ne soit pas le cas si on s¡¯en tient aux derniers relev¨¦s de ses processeurs vitaux¡ Il semblerait qu¡¯il ait plut?t eu l¡¯intention d¡¯utiliser l¡¯alcool ¨¤ des fins anesth¨¦siantes.
This tale has been unlawfully lifted from Royal Road; report any instances of this story if found elsewhere.
¡ª Cela n¡¯enl¨¨ve en rien l¡¯hypoth¨¨se du¡ commen?a un colonel qui fut interrompu par la main imp¨¦tueuse de Fulcr?ne.
¡ª Du suicide ? Impossible ! Totalement impossible ! Ne le dites pas et fermez-la ! cracha-t-il dans une posture avachie qui jurait cruellement avec sa tenue d¡¯officier sup¨¦rieur. N¡¯osez plus m¡¯interrompre, la situation est trop grave pour que nous discutions de ces broutilles !
Il le dit avec une telle v¨¦h¨¦mence que le colonel se recula, bless¨¦ dans son orgueil, et que l¡¯atmosph¨¨re sembla se densifier autour de Fulcr?ne qui impr¨¦gnait nerveusement un mouvement circulaire ¨¤ l¡¯arme pos¨¦e sur la table. L¡¯homme au crane qui se d¨¦garnissait, ¨¤ tel point que sous l¡¯¨¦clairage il sembla poli comme un galet, ¨¦tait furieux. Chaque inspiration en ¨¦tait une de moins pour les autres personnes pr¨¦sentes ¨¤ ses c?t¨¦s et chaque expiration la promesse sonore d¡¯un nouveau tumulte. Malgr¨¦ tout il parvint ¨¤ reprendre un calme tout relatif et continua sa pr¨¦sentation avec un sourire forc¨¦ qui, s¡¯il se voulait aimable, avait surtout la particularit¨¦ de le rendre plus mena?ant qu¡¯un ciel orageux.
La voix qu¡¯il prit ne chercha m¨ºme pas ¨¤ para?tre mielleuse. Elle interdisait toute nouvelle interruption avec une menace aussi lustr¨¦e que son crane cadav¨¦rique :
¡ª Rien de tout cela n¡¯est important... Vraiment, rien ne l¡¯est. La seule chose qui m¡¯importait, dit-il sans se soucier de ce que le pronom impliquait dans l¡¯organisation globale de la Cit¨¦, c¡¯¨¦tait de voir ce que donnait l¡¯analyse de Pertem. En tant que R¨¦ins¨¦r¨¦ de premier rang, une ¨¦quipe de techniciens a ¨¦t¨¦ d¨¦p¨ºch¨¦e avant m¨ºme que les v¨¦ritables secours n¡¯arrivent. Et, figurez-vous qu¡¯ils ont ¨¦lucid¨¦ rapidement la cause de son mal de crane fulgurant¡
Il passa une diapositive et aux c?t¨¦s d¡¯un homme sous un drap blanc se trouvait un carr¨¦ d¡¯acier chirurgical sanguinolent de quelques millim¨¨tres.
¡ª Une puce gliss¨¦e dans un mis¨¦rable corps ! On ne l¡¯a pas rep¨¦r¨¦ lorsqu¡¯il est pass¨¦ sur le billard, par contre on a r¨¦ussi ¨¤ en extirper des donn¨¦es¡ Et avez-vous une id¨¦e de ce que contenait cette foutue puce ?
Personne n¡¯en savait rien, y compris le Haut-capitaine lui-m¨ºme mais c¡¯¨¦tait tout l¡¯int¨¦r¨ºt de l¡¯information. Il n¡¯y avait que des suppositions mais elles suffisaient ¨¤ le rendre si nerveux :
¡ª Des donn¨¦es crypt¨¦es selon ses propres impulsions c¨¦r¨¦brales. D¡¯apr¨¨s les premi¨¨res suppositions des techniciens, il pourrait s¡¯agir d¡¯un syst¨¨me de sauvegarde de conception inconnue mais visiblement rustique. Les m¨¦tadonn¨¦es de la puce indiquent qu¡¯elle a ¨¦t¨¦ r¨¦alis¨¦e il y a six ans, plus ou moins en m¨ºme temps que ces foutus anars¡
¡ª C¡¯est une blague ! s¡¯¨¦cria un gr¨ºl¨¦ livide. Il peut s¡¯agir d¡¯un syst¨¨me de g¨¦olocalisation, rien de plus ? Les techs doivent faire une erreur, nous ne pouvons pas concevoir que des idiots en guenilles soient capables de telles cr¨¦ations !
¡ª Je l¡¯aimerais Hastor... admit Fulcr?ne en cessant de jouer ¨¤ la d¨¦tente-russe avec son arme, h¨¦sitant une fraction de seconde ¨¤ trouer le Gr¨ºl¨¦ d¡¯un crat¨¨re suppl¨¦mentaire. Mais nous ne pouvons pas en ¨ºtre s?rs. Quoi qu¡¯il en soit, seuls les Sagistes auraient pu installer cette puce et les raisons d¡¯une telle action me semble ¨ºtre limpides... Bien plus qu¡¯ils ne le sont pour vous j¡¯imagine.
Hastor tenta de se fondre dans la masse sans y parvenir. Le canon de l¡¯arme pointait vers lui, la main de Gern Fulcr?ne encore loin et bien que ne le connaissant pas personnellement, il pensa meilleur pour lui de se taire jusqu¡¯¨¤ la fin de la r¨¦union. S¡¯il en sortait indemne, il en serait enchant¨¦.
¡ª Vous imaginez que cela ne peut pas ¨ºtre le cas. Que ?a ne peut pas ¨ºtre ce ¨¤ quoi nous pensons tous dans cette pi¨¨ce, mais moi je vous dit que ?a pourrait l¡¯¨ºtre. Nous savons que le GH-Drain ¨¦tait connu des Sagistes, pas bien connu mais suffisamment pour qu¡¯ils puissent d¨¦velopper une contremesure efficace.
¡ª Dans ce cas, pourquoi les interrogatoires men¨¦s n¡¯ont-ils jamais mis en lumi¨¨re l¡¯existence de cette puce ? interrogea un autre de ses g¨¦n¨¦raux.
Fulcr?ne aurait bien r¨¦pondu qu¡¯on avait ex¨¦cut¨¦ publiquement ceux susceptibles d¡¯en conna?tre l¡¯existence sans courir le risque de les voir mourir avant - sous l¡¯Analyse - mais il n¡¯eut pas le temps car son t¨¦l¨¦phone se mit ¨¤ gr¨¦siller trois fois. Les communications passaient mal sous la Bulle mais lorsque le Haut-capitaine ordonnait on se pliait en deux pour qu¡¯elles soient relay¨¦es par toutes les ¨¦quipements n¨¦cessaires. Par intuition, ce dernier avait demand¨¦ ¨¤ ce que chaque R¨¦ins¨¦r¨¦s soit localis¨¦. Selon sa th¨¦orie si Jinn Pertem avait d¨¦boulonn¨¦, il ne serait pas le seul ¨¤ le faire. La puce dont il ¨¦tait dot¨¦ pouvait ¨ºtre l¡¯apanage de nombre d¡¯autres R¨¦ins¨¦r¨¦s et il ne serait en rien incongru que parmi ces personnes se cache une certaine Anis Ontho qui ¨C elle aussi ¨C se souviendrait de secrets d¡¯¨¦tat bien cach¨¦s. Si la puce permettait ceci¡ Mais aucune autre raison ¨¤ son existence ne parvenait ¨¤ franchir la fronti¨¨re de l¡¯intellect de Gern Fulcr?ne et la seule qu¡¯il voyait signifiait pour lui et sa clique un p¨¦ril absolu.
Danger. C¡¯est le plus grand des dangers pour la Cit¨¦. Tout explosera si on se met ¨¤ rabacher un pass¨¦ si proche avec des ¨¦l¨¦ments si compromettants. Il faut agir avant de p¨¦rir Gernie¡ Tu n¡¯as pas ¨¦t¨¦ assez pr¨¦voyant.
Et sa pr¨¦voyance lacunaire rendait Fulcr?ne fou. Jamais n¡¯avait-il merd¨¦ de la sorte et il d¨¦gaina son t¨¦l¨¦phone tel un revolver sauf, qu¡¯au lieu de le pointer vers ses subalternes, il le porta ¨¤ ses l¨¨vres avec appr¨¦hension :
¡ª Ici le Haut-capitaine Fulcr?ne. J¡¯¨¦coute.
¡ª Haut-capitaine, ici l¡¯¨¦quipe H230-D. Nous avons obtenu les informations que vous nous avez demand¨¦¡ Nous avons bien relev¨¦ une ID de la liste que vous nous avez transmise grosso modo ¨¤ l¡¯endroit d¡¯o¨´ a appel¨¦ la personne qui cherchait ¨¤ contacter Pertem.
¡ª Ne me dites pas qu¡¯il s¡¯agit de Suranis Rh¨¦on ? demanda-t-il d¡¯une mani¨¨re qui sonna presque proph¨¦tique.
Les rapports de surveillance de Jinn Pertem indiquaient qu¡¯il ¨¦tait intervenu dans les m¨ºmes locaux dans lesquels travaillait alors Suranis Rh¨¦on. Le nom planait ¨¤ l¡¯or¨¦e de son esprit comme une sinistre blague. Ce ne serait pas la premi¨¨re fois que les deux malfaiteurs s¡¯associaient et cela lui rappela son ¨¦chec. Il n¡¯avait pr¨ºt¨¦ aucune attention ¨¤ ce menu d¨¦tail qui venait de co?ter la vie ¨¤ un de ses hommes.
Son interlocuteur sembla surpris par sa question :
¡ª C¡¯est tout ¨¤ fait exact¡ Suranis Rh¨¦on. Comment¡
¡ª Je m¡¯en doutais¡ Merci mon gar?on, le coupa Fulcr?ne avant de raccrocher.
Le Haut-capitaine Fulcr?ne se leva et se perdit dans la contemplation du mur d¡¯¨¦crans sur lesquels s¡¯agitaient des silhouettes sans profondeur. Il fit craquer ses doigts en ressassant ses erreurs. Suranis Rh¨¦on, la meurtri¨¨re qui en savait trop, n¡¯avait ¨¦t¨¦ surveill¨¦e que d¡¯un ?il tr¨¨s lointain. Il se souvenait de sa fiche la classant ¨¤ tr¨¨s faible risque et louant la qualit¨¦ de sa r¨¦insertion. Ils ¨¦taient trop nombreux pour que tout un chacun se retrouve guett¨¦ dans son quotidien et le hasard voulu que ce fut un ¨¦lectron libre ? ¨¤ tr¨¨s faible risque ? qui d? d¨¦goupiller.
Un suivi plus approfondi aurait certainement chang¨¦ la donne et pr¨¦venu que tout allait ¨¤ vau-l¡¯eau. Ils auraient pu agir, il aurait d?. L¡¯enfant ¨¦touff¨¦ dans le berceau n¡¯est jamais une menace s¨¦rieuse, mais maintenant qu¡¯il gambadait dans la Cit¨¦ il risquait de rencontrer les derniers mouvements contestataires. Il en restait aux alentours d¡¯une vingtaine, relativement peu actifs, mais dont le charbon de la col¨¨re n¡¯¨¦tait pas encore totalement ¨¦teint. Loin de rougeoyer ils s¡¯¨¦teignaient ¨¤ petit feu face aux carottes lanc¨¦es ¨¤ la vol¨¦e pour calmer la vindicte populaire et quelques g¨¦n¨¦rations seraient suffisantes pour qu¡¯¨¤ jamais ils se taisent. ? Si seulement on les laissait mourir ? se fit la remarque am¨¨re Fulcr?ne en se grattant le menton. Il n¡¯avait d¨¦sormais en t¨ºte que le nom de Rh¨¦on qui attisait des¡ Regrets, parvint-il ¨¤ se dire. Un des hommes de Fulcr?ne osa l¡¯extirper de ses pens¨¦es, mais cette fois-ci il ne lui en tint pas rigueur :
¡ª Haut-capitaine Fulcr?ne ? hasarda l¡¯officier.
¡ª Pardonnez-moi, r¨¦pondit Fulcr?ne par automatisme, loin de le penser et ramenant son attention ¨¤ Suranis Rh¨¦on, la femme dont il avait lui-m¨ºme sign¨¦ les papiers. Il va falloir que vous agissiez aupr¨¨s de vos sections. Je veux que vous mettiez sur le terrain vos meilleurs agents, les plus fid¨¨les et distraits limiers en votre possession. Il n¡¯est pas tol¨¦rable de prendre le moindre risque sur cette affaire¡ Nous allons faire marche arri¨¨re sur la R¨¦insertion. Le programme doit ¨ºtre supprim¨¦ et tous ses participants actuels avec.
¡ª Les ¨¦liminer ? Morts ? demanda un petit homme distrait, qui n¡¯avait nullement l¡¯aspect d¡¯un militaire sinon d¡¯un m¨¦decin ¨¦gar¨¦.
Fulcr?ne plongea ses yeux couleur du ciel dans ceux de l¡¯homme. M¨ºme si on ne les voyait pas, on y devinait les bombardiers qui caboss¨¨rent son ame ¨¤ coup de choix difficiles. Le petit homme d¨¦glutit en comprenant qu¡¯il faudrait justifier la disparition de centaines de citoyens¡ Ou pas. Le nombre d¡¯homicides grimperait en fl¨¨che cette ann¨¦e sans que cela ne soit explicable par autre chose qu¡¯un : pas de chance. Mieux valait ?a que prendre le risque que l¡¯on d¨¦couvre l¡¯existence du Programme. Auquel cas, la t¨ºte des participants de ce crime contre l¡¯humanit¨¦ ne saurait rester longtemps soud¨¦e au reste de leurs corps et le m¨¦decin des arm¨¦es Jan Aulart, l¡¯une des t¨ºtes ¨¤ l¡¯origine du projet, n¡¯y ¨¦chapperait pas. Peut-¨ºtre m¨ºme sa t¨ºte serait parmi les premi¨¨res ¨¤ passer dans la nacelle du tr¨¦buchet.
¡ª ¨¤ votre avis Aulart ? dit en une seule inspiration Fulcr?ne. Oui. Il faut effacer toutes les traces et quand tout cela sera fini il faudra que vous convoquiez vos assassins et que vous veillez ¨¤ ce qu¡¯eux aussi, ils ne parlent jamais. Nous sommes tous embarqu¨¦s l¨¤-dedans depuis que vous avez accept¨¦ sans broncher l¡¯existence du GH-Drain 2. Nous devons partager le sang sur nos mains¡ Pour que la Cit¨¦ ne s¡¯¨¦croule pas et dure des si¨¨cles durant. Sans un pouvoir fort pour la maintenir ¨¤ flot, elle coulera et ses habitants avec¡ Nous le faisons pour eux, nous le faisons pour nous. Pardonnons-nous pour ce que nous allons devoir faire¡
L¡¯espace d¡¯une fraction de seconde, Gern Fulcr?ne s¡¯humanisa. Sa col¨¨re sourde masquait aussi de la lassitude. Il pensait en avoir fini, pour la Cit¨¦ et sa famille. Il se trompait et rampait dans la fange dont il ¨¦tait le cr¨¦ateur pour rem¨¦dier ¨¤ ses erreurs pass¨¦es. Pour la premi¨¨re fois de sa vie, il souhaita arracher les marques de prestige qu¡¯il arborait et devenir un nanti oisif. Lui, l¡¯acharn¨¦ appartenant au pouvoir plus que le pouvoir ne lui appartenait en avait sa claque. Surtout maintenant qu¡¯il se retrouvait dos au mur et que son amour immod¨¦r¨¦ pour la Cit¨¦ risquait de le faire couler ¨¤ cause d¡¯une mauvaise id¨¦e qu¡¯il avait jug¨¦ ? plus humaine ?.
Un ¨¦nigmatique sourire ¨¦clatant de tristesse ¨¦claira son visage et il se pencha en avant, l¡¯air de s¡¯excuser :
¡ª Et pas de cuves pour eux. Le Programme est d¨¦finitivement fini, veillez ¨¤ mobiliser le moins de personnel possible pour cette op¨¦ration¡ Quant aux concern¨¦s de cette r¨¦union, je leur demanderais de d¨¦truire l¡¯int¨¦gralit¨¦ des documents relatifs au Programme et aussi les r¨¦serves de GH-Drain 2. Ai-je bien ¨¦t¨¦ compris ?
Ils ne r¨¦pondirent pas, mais claqu¨¨rent du bras leurs cuisses. Gern Fulcr?ne comptabilisa mentalement les pertes ¨¤ d¨¦plorer¡ Et craqua d¡¯une unique larme. Il tremblait de peur, de col¨¨re et de d¨¦go?t pour lui-m¨ºme. Avant qu¡¯ils ne partent accomplir leurs missions, il ajouta :
¡ª Mais ne touchez pas ¨¤ Suranis Rh¨¦on¡ Elle est ¨¤ moi, murmura-t-il avant de reprendre plus fort : Maintenant, d¨¦guerpissez ! Il faut que tout cela soit fait au plus vite¡
Comme des automates ils sortirent de la salle, bienheureux d¡¯¨ºtre lib¨¦r¨¦s avec le contenu de leurs estomacs encore dans le bon milieu. Le Haut-capitaine, pris de haut-le-c?ur avait les yeux brillant. Il se souvenait de Suranis Rh¨¦on, son erreur. Elle ¨¦tait pr¨¦vue pour le peloton d¡¯ex¨¦cution, mais par piti¨¦ il l¡¯avait accept¨¦ dans le Programme et il en payait les pots cass¨¦s. Cela avait ¨¦t¨¦ une connerie monumentale ne serait-ce que de croire en la capacit¨¦ du GH-Drain 2 de r¨¦duire ¨¤ n¨¦ant une personne aussi phare et intelligente que ne l¡¯¨¦tait cette femme. Il ne pouvait faire autrement que r¨¦gler ce probl¨¨me par lui-m¨ºme, histoire de laver sa faute et de commencer un nouveau monde sur le m¨ºme mod¨¨le que l¡¯ancien : un monde compliqu¨¦ pour beaucoup mais qui ne sombrerait pas dans l¡¯anarchie et o¨´ chacun saurait le r?le qu¡¯il a ¨¤ y occuper.
Finalement qu¡¯¨¦tait-ce sinon que de la pure abn¨¦gation que sa force de prendre une vie pour obtenir un peu de routine r¨¦confortante ? Les Citoyens n¡¯avaient pas conscience de tous les efforts r¨¦alis¨¦s par le Conseil ¨C par lui - pour maintenir un certain ¨¦quilibre social. Certes, les richesses ¨¦taient mal r¨¦parties, certes certaines charges ¨¦taient dispers¨¦es de mani¨¨re arbitraire sans consid¨¦ration pour les centre d¡¯int¨¦r¨ºts individuels ou les alternatives en dehors des normes¡ Certes, certes¡ Tout cela ¨¦tait vrai, mais tout cela ¨¦tait ¨¦galement d¨¦j¨¤ bien assez difficile ¨¤ maintenir. Ce monde ¨¦tait pourri, Fulcr?ne le savait, mais bien meilleur que d¡¯autres. Un cerveau pour les diriger tous, c¡¯est tout ce dont ils avaient besoin m¨ºme si ce dernier appartenait ¨¤ un homme imparfait qui ne dormait plus tr¨¨s bien ces derniers temps et ne le ferait plus jamais depuis que les fant?mes du pass¨¦ avaient point¨¦ le bout de leurs nez ¨¦th¨¦r¨¦s.
Chapitre 52 : Fin
Les chiens avaient ¨¦t¨¦s lach¨¦s. Pas les quadrup¨¨des de la Terre originelle mais l¡¯¨¦quivalent citoyen : une meute de drones avec leurs trois cam¨¦ras qui leur servaient d¡¯yeux. Depuis les premiers mod¨¨les ils n¡¯avaient gu¨¨re ¨¦volu¨¦s, sinon ¨¦taient-ils d¨¦sormais ¨¦quip¨¦s d¡¯un cerveau primitif leur permettant d¡¯identifier et de suivre ¨¤ la trace des individus sans qu¡¯une seule fois l¡¯interm¨¦diaire d¡¯un autre humain ne soit n¨¦cessaire. Ils filaient sous la vo?te iris¨¦e de la Bulle, apportant une touche de jaune criard ¨¤ l¡¯ensemble. Jamais n¡¯avaient-ils ¨¦t¨¦s imagin¨¦s pour passer inaper?us avec ces couleurs p¨¦tantes et le bruit strident des rotors tournant ¨¤ plein r¨¦gime. Ils avaient ¨¦t¨¦ con?us pour faire passer un message clair : on ne pouvait y ¨¦chapper, autant se rendre.
La poursuivie n¡¯avait cependant aucune intention de le faire. Elle connaissait les libations humaines qui avaient redonn¨¦ naissance au terreau affaibli de la Cit¨¦ et savait que son sang viendrait aussi participer ¨¤ son renouvellement. Elle n¡¯avait jamais cess¨¦ de courir depuis que les hommes en noir avaient d¨¦barqu¨¦ dans son appartement, la fatigue ne la gagnait pas encore mais ne tarderait pas ¨¤ venir. Ce n¡¯¨¦tait pas la premi¨¨re fois cependant qu¡¯elle vivait une fuite analogue. Elle se souvint de sa premi¨¨re o¨´ on vint frapper ¨¤ sa porte peu apr¨¨s sa rencontre avec un jeune homme accapar¨¦ par une vengeance tr¨¨s froide. Ce souvenir, et d¡¯autres, s¡¯insinuaient ¨¤ l¡¯or¨¦e de sa conscience et s¡¯exposaient sans y avoir ¨¦t¨¦ convi¨¦s. ¨¦videmment, la probabilit¨¦ qu¡¯elle se monte la t¨ºte ne pouvait ¨ºtre exclue. Devenait-elle folle ? Ne l¡¯¨¦tait-elle pas ? Dans tous les cas, elle revenait au point de d¨¦part. Rien ne changerait malgr¨¦ la r¨¦ponse ¨¤ cette question et elle gachait la seconde chance extraordinaire qu¡¯on lui avait accord¨¦, par piti¨¦ naus¨¦abonde et aupr¨¨s d¡¯une ordure qui croupissait dans une morgue en attendant que les grands fours des cr¨¦matoires soient lib¨¦r¨¦s.
Ce second souffle d¨¦sesp¨¦r¨¦, sans saveur autre que l¡¯enfer mais offert ¨¤ elle, n¡¯¨¦tait-il cependant pas en soi pr¨¦f¨¦rable ¨¤ la mort qui l¡¯attendait au bout du chemin ? Cela, elle l¡¯ignorait. Ce qui demeurait incontestable c¡¯¨¦tait que la pire p¨¦riode de sa vie venait de s¡¯¨¦couler. Perth Bickhorn n¡¯existait plus et m¨ºme les ann¨¦es pass¨¦es ¨¤ trimer comme une petite d¨¦tective minable furent plus agr¨¦ables que son quotidien aupr¨¨s de lui. Bien s?r, cette p¨¦riode pr¨¦-Sagiste ¨C ou pr¨¦-Perth aurait-elle encore pu dire quelques heures auparavant ¨C n¡¯¨¦tait pas aussi heureuse qu¡¯elle se laissait l¡¯entendre. L¡¯anxi¨¦t¨¦ restait constante ¨¤ cette ¨¦poque qui lui paraissait ¨¦trangement b¨¦nie mais dans laquelle il fallait songer aux imp?ts ¨¤ payer, au loyer qui tombait tous les mois tel un couperet et ¨¤ de nouvelles mani¨¨res, in¨¦dites, de pr¨¦parer sa ration de prot¨¦ines sans qu¡¯elle ne songe ¨¤ se grignoter la paume de sa main qui, tr¨¨s certainement, avait meilleur go?t.
Une vie mis¨¦rable qu¡¯avait ¨¦t¨¦ la sienne, mais quelle vie ! Une vie de libert¨¦ ¨¤ ¨ºtre ce qu¡¯elle d¨¦sirait malgr¨¦ tous les interdits et les regards condescendants. Une vie ¨¤ ¨ºtre au-del¨¤ de sa condition f¨¦minine de l¡¯entre-deux classes. Une vie gaspill¨¦e, elle en avait conscience, lorsqu¡¯elle se retrouva forc¨¦e ¨¤ poursuivre le r¨ºve du SAGI. Mais, n¡¯avait-elle pas gagn¨¦ quelque chose ¨¤ son malheur ? Peut-¨ºtre bien. Une raison d¡¯¨ºtre, un d¨¦sir violent de sauver le navire et tous ses occupants avec. Suranis Rh¨¦on insuffla avec d¡¯autres h¨¦ros anonymes des bribes d¡¯espoir parmi les l¨¦s¨¦s, les parasites et moins-que-rien. Qui d¡¯autres qu¡¯eux pouvait se targuer d¡¯en avoir fait autant ? De moins en moins car la plupart mouraient, leurs cendres encore chaudes d¨¦blay¨¦es par le Conseil avec un z¨¨le rare.
Bient?t, de ces h¨¦ros d¨¦chus, il n¡¯en resterait pas un seul. Suranis s¡¯appr¨ºtait ¨¤ tomber pour les rejoindre, mais cela ne serait pas sans avoir lanc¨¦ sa pierre pour cabosser ce monde d¨¦testable. Elle avait deux plans. Le premier si elle parvenait ¨¤ ¨¦chapper ¨¤ la meute, le second si la meute l¡¯attrapait. Elle les ¨¦labora en trombe comme toutes ses mauvaises id¨¦es lorsqu¡¯elle vit arriver sur elle le drone jaune qui manqua de la scalper. Elle comprit ce qui l¡¯attendait avec la certitude gla?ante d¡¯un kamikaze fon?ant sur le pont d¡¯un navire, sonnant son hallali. Son dernier jour ¨¦tait arriv¨¦ et plus jamais elle n¡¯aurait ¨¤ faire avec les gens vici¨¦s de la Surface qui vampirisaient la Cit¨¦ d¡¯une fa?on si abjecte que leurs esclaves se jetaient ¨¤ terre sur leur passage en psalmodiant des ? Je suis ¨¤ vous mon bon ma?tre, faites de moi ce vous voulez car vous ferez de moi ce que vous ¨ºtes ?.
C¡¯¨¦tait d¨¦cid¨¦, Suranis aurait au moins le choix de sa mort. Elle refusait de retrouver un guide si l¡¯alternative lui ¨¦tait pr¨¦sent¨¦e. Pourtant, ce d¨¦sir puissant d¡¯¨ºtre guid¨¦e elle le comprenait. Il n¡¯y a rien de plus terrifiant que de prendre la grande route de la vie sans en conna?tre la destination, alors d¨¨s que le bus de l¡¯orientation arrive, se gare ¨¤ c?t¨¦ de vous et que le conducteur vous d¨¦croche une ?illade en se retournant sur les rang¨¦es de si¨¨ges libres, pourquoi refuser ? Tout est plus facile lorsqu¡¯on se tient ¨¤ la place du passager et peu importe la destination, tout le sera toujours plus car les voyageurs ne voient rien d¡¯autre que le bus. Le bus est devenu leur ? singularit¨¦ ? mais au moins n¡¯ont-ils pas ¨¤ marcher par eux-m¨ºmes, ¨¤ se perdre, ¨¤ se retrouver et ¨¤ s¡¯¨¦garer derechef. La s¨¦curit¨¦ du guide, l¡¯enfer de la libert¨¦.
Mais elle n¡¯¨¦tait pas ainsi. Pas ¨¤ se conformer. Suranis ¨¦tait libre, bien que ce ne soit pas grace ¨¤ cette libert¨¦, qu¡¯elle ¨¦prouva ¨¤ de nombreuses reprises dans sa vie professionnelle comme personnelle, qui fit qu¡¯elle atteignit les quais de la Cit¨¦. La bordure du monde connu existait, elle savait qu¡¯elle la rencontrerait et elle la rencontra. Jamais elle n¡¯aurait su qu¡¯elle ¨¦tait si proche de chez elle si elle n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ poursuivie par le drone jaune et son arm¨¦e de petits copains qui lui donnaient l¡¯impression de vouloir la racketter. Ils l¡¯accul¨¨rent au bord du gouffre et la fix¨¨rent en vrombissant, lui interdisant toute nouvelle tentative de fuite. Soit. Si cela devait ¨ºtre ainsi¡ Elle douta qu¡¯elle puisse leur offrir toutes les piles et batteries du monde pour qu¡¯ils s¡¯en aillent et la laisse en paix en lui donnant le r¨¦pit d¡¯aventures souterraines. Les drones n¡¯¨¦taient pas corruptibles d¡¯une quelconque mani¨¨re que ce soit et encore moins le serait celui qui se profilait ¨¤ l¡¯horizon.
¨¤ l¡¯angle du quai et des premiers entrep?ts, la sir¨¨ne d¡¯un v¨¦hicule de patrouille venait d¡¯¨ºtre actionn¨¦e. Le capot noir ¨¦mergea pr¨¦c¨¦d¨¦ par l¡¯aura orange de son gyrophare. Progressivement, le v¨¦hicule obliqua vers Suranis, ses deux phares point¨¦s vers elle comme deux yeux suspicieux. Avec horreur, elle remarqua la pagode spatiale en d¨¦calcomanie du Conseil des Pilotes. Les drones s¡¯¨¦lev¨¨rent ¨¤ son passage, lui d¨¦coupant une haie d¡¯honneur robotique de leurs milliers d¡¯ailes argent¨¦es. Suranis se retourna, offrant son dos ¨¤ la voiture. Dans le meilleur des cas, le chauffeur acc¨¦l¨¦rait et l¡¯enverrait dans le Flux qui s¡¯¨¦tendait de l¡¯autre c?t¨¦ de la Bulle. Aujourd¡¯hui, au bout de ce quai vide, il ¨¦tait si haut qu¡¯il plongeait l¡¯horizon dans une ¨¦trange brume verdatre. Une brume aussi poisseuse que les algues qui tapissent le fond d¡¯un marais et qui ¨¤ tout instant aurait pu ¨¦tendre l¡¯un de ses longs doigts pour les saisir tous, mais surtout Suranis, et l¡¯entra?ner vers elle.
Suranis ferma les yeux, attendit le choc mais n¡¯entendit que les pneus qui crissaient dans un freinage brusque. Le v¨¦hicule s¡¯arr¨ºta ¨¤ une dizaine de m¨¨tres d¡¯elle et la sir¨¨ne avec. Une porti¨¨re claqua puis une autre avant qu¡¯une horrible d¨¦flagration ne retentisse dans son dos. Lentement, elle passa une main dans son dos tremp¨¦ par rien d¡¯autre que sa propre sueur. Tout aussi lentement, elle pivota sur elle-m¨ºme pour voir accroupi aupr¨¨s du cadavre du chauffeur un crane piqu¨¦ sur un uniforme. Elle reconnut aussit?t dans l¡¯apparition Gern Fulcr?ne dont la famille rongeait la Cit¨¦. Il se releva les yeux luisants d¡¯une infinie tristesse. Il usait d¡¯esbroufe, de manigances et de ses incomparables talents d¡¯orateur, mais jamais de violence¡ Du moins, pas quand elle ¨¦manait directement de lui. Pourtant c¡¯¨¦tait lui qui tenait l¡¯arme et le cadavre ¨¤ ses pieds qui avait une balle fich¨¦e dans la t¨ºte. Il rangea son pistolet dans son ¨¦tui avant d¡¯essuyer le sang qui avait ¨¦clabouss¨¦ sur son visage, ¨¦cartant son ancien chauffeur avec une mine d¨¦go?t¨¦e avant de lui parler d¡¯une voix si neutre qu¡¯elle aurait pu ¨¦maner d¡¯un min¨¦ral quelconque. ? D¨¦sol¨¦ mon vieux, je n¡¯avais pas le choix ? s¡¯excusa-t-il aupr¨¨s du cadavre avant de relever la t¨ºte vers Suranis. Elle eut l¡¯impression de se retrouver face ¨¤ un vieux calcaire bouff¨¦ par l¡¯acidit¨¦ des ann¨¦es :
¡ª Bonjour Suranis, dit-il avec son expression d¡¯une neutralit¨¦ aussi stup¨¦fiante que sa voix. La journ¨¦e est bien triste aujourd¡¯hui¡ J¡¯ai d? me d¨¦barrasser de mon chauffeur de six ans, je l¡¯aimais bien mais notre rencontre ne saurait souffrir de t¨¦moins.
¡ª Pauvre connard, murmura Suranis en ne pouvant s¡¯emp¨ºcher de sentir l¡¯int¨¦gralit¨¦ de ses entrailles se contracter. Puis plus fort : Vous l¡¯avez tu¨¦ !
Il posa ses mains sur ses hanches. La vie de Suranis en suspens au bout du quai, il jugea bon de se justifier :
¡ª Crois-moi, je n¡¯ai jamais souhait¨¦ que tout cela se d¨¦roule ainsi. Aussi extraordinaire que cela puisse para?tre, je ne fais que mon possible pour permettre au maximum de personnes de se tirer indemne de la d¨¦licate situation dans laquelle nous nous sommes fourr¨¦s, lan?a-t-il en semblant vouloir se convaincre lui-m¨ºme de la v¨¦racit¨¦ de ses propres dires. Suranis Rh¨¦on¡ H¨¦raut du SAGI, h¨¦ro?ne d¨¦chue que j¡¯ai personnellement sauv¨¦e et qui d¨¦couvre toute la sordide, mais n¨¦cessaire v¨¦rit¨¦, avant de se retrouver errante et en pleine furie meurtri¨¨re dans la Cit¨¦ ? Ce n¡¯est que mon enti¨¨re responsabilit¨¦. Crois-moi, si tu avais pu rester sage tout aurait ¨¦t¨¦ si facile pour tout le monde¡
Unauthorized duplication: this tale has been taken without consent. Report sightings.
¡ª Je sais tout. Absolument tout ! Je me souviens du SAGI, je me souviens de ce que vous m¡¯avez fait, cracha-t-elle en r¨¦ponse, ce qui ne sembla pas le surprendre outre mesure.
¡ª Je le soup?onnais, m¨ºme si je peux dire que je le savais. ¨¤ vrai dire, nous savons depuis quelques heures que nous avons foir¨¦ dans le Programme et j¡¯en sais davantage encore sur toi que tu n¡¯en sais sur nous. Je sais que tu as rencontr¨¦ Jinn Pertem et je sais que tu as travaill¨¦ avec lui pendant un temps trop long¡ Du moins qu¡¯Ontho a fourr¨¦ son nez dans des affaires qu¡¯on avait plac¨¦es aussi loin que possible d¡¯elle pour son propre bien et tous ceux de sa mis¨¦rable race.
Suranis porta sa main ¨¤ sa ceinture ressentant le contact du laser saisi sur le corps du bleu. Cela la calma, elle prit une grande bouff¨¦e d¡¯air en regardant l¡¯homme qui miroitait tel un mauvais cauchemar. Le cauchemar en r¨¦ponse fit une grimace, ressentant en elle quelque chose qu¡¯il avait d¨¦j¨¤ pressenti : une dangereuse fougue. Une r¨¦solution acharn¨¦e qui flanqua un nouveau coup ¨¤ sa conscience d¨¦j¨¤ meurtrie.
Elle se redressa de tout son long, ses longs cheveux en touffes ¨¦bouriff¨¦es aussi ¨¦lectriques que l¡¯aura qui l¡¯entourait :
¡ª Allez-vous faire foutre, r¨¦pondit-elle en toute sobri¨¦t¨¦, se surprenant en entendant la r¨¦solution qu¡¯avait pris sa voix et qui ¨¦tait ¨C d¨¦couvrit-elle ¨C r¨¦elle.
¡ª Je sais ce que tu penses Suranis. Je sais que tu penses que je ne suis qu¡¯un monstre terrifi¨¦ par ce que l¡¯on pourrait d¨¦couvrir ¨¤ son sujet¡ Et tu sais quoi ? Je crains que tu aies raison. Je suis un monstre et j¡¯ai peur. Je ne me permets que rarement de faire des aveux de faiblesse, mais que veux-tu ? Je viens de tuer une des rares personnes qui comptent pour moi et cela de sang-froid pour ne pas prendre le risque qu¡¯il d¨¦taille notre rencontre au premier journaliste venu et si ce n¡¯¨¦tait que ?a¡ Oh Suranis¡
Ses yeux se pliss¨¨rent jusqu¡¯¨¤ se joindre. Lorsqu¡¯il les rouvrit, la s¨¦cheresse s¡¯¨¦tait empar¨¦e d¡¯eux. Malgr¨¦ la distance, elle voyait qu¡¯il tremblait de tout son corps, toute son ame et que l¡¯id¨¦e qu¡¯une balle ¨C la sienne - puisse lui faire ¨¦clater la cervelle du lui traversait fugitivement l¡¯esprit. ? Assez. Assez. Assez ? clamait sa posture.
¡ª Quoi donc ? Ce n¡¯est pas que ?a ? Dites¡ Je¡ demanda Suranis, surprise de sa curiosit¨¦ qui, bienvenue, la d¨¦tournait de la conclusion de cette conversation surr¨¦elle.
¡ª Tu veux savoir ? Mais crois-moi, tu n¡¯as pas envie de conna?tre la suite des op¨¦rations¡ Je n¡¯aimerais pas les conna?tre moi-m¨ºme. Si tu y tiens¡ Je te r¨¦pondrais que nous allons tout nettoyer. Pense ¨¤ ce que tu en veux, c¡¯est une n¨¦cessit¨¦ absolue. Une nouvelle phase qui doit me peser sur les ¨¦paules. Tu ne me connais pas et tu n¡¯as pas la moindre id¨¦e de tout ce que j¡¯ai entrepris pour la Cit¨¦. Je porte un fardeau trop lourd pour moi et ?a finira par me d¨¦truire, mais je dois le faire¡ Tu dois me penser comme un tyran ¨¦perdu du pouvoir, pourtant je ne suis qu¡¯un serviteur. La Cit¨¦ est trop fragile pour ¨ºtre priv¨¦e d¡¯une t¨ºte pensante. Elle a besoin d¡¯organes, de cellules et d¡¯oxyg¨¨ne, de calories aussi¡ Et de moi. Elle a besoin de moi plus que je n¡¯ai besoin d¡¯elle.
¡ª Vous n¡¯¨ºtes rien d¡¯autre qu¡¯un m¨¦galomane qui se noie dans son propre ¨¦go, vocif¨¦ra Suranis hant¨¦e par une col¨¨re qu¡¯elle pr¨¦f¨¦rait de loin ¨¤ la peur qui l¡¯habitait quelques instants plus t?t. La Cit¨¦ gagnerait ¨¤ vous voir dispara?tre et que votre crane paum¨¦ sur le chemin ne devienne rien d¡¯autre que le marqueur d¡¯un pass¨¦ ¨¤ ne jamais retenter. Vous n¡¯¨ºtes qu¡¯une sombre merde ! Une t¨ºte ¨¤ d¨¦crocher avant de la tirer dans le Flux ! Vous avez pourri ma vie, vous avez pourri nos vies et pourquoi ? Parce que vous n¡¯¨ºtes qu¡¯un lache. Vous pr¨¦tendez ¨ºtre un h¨¦ros plein d¡¯abn¨¦gation qui maintien le bordel en l¡¯air et, sous ce couvert, vous vous permettez les pires atrocit¨¦s. Maintenant que mes souvenirs reviennent¡ Nos ?
Suranis marqua une pause en guettant le changement d¡¯expression de Gern Fulcr?ne. Celui-ci se recula d¡¯un pas comme frapp¨¦ par la foudre. Ses yeux ¨¦carquill¨¦s confirm¨¨rent ce que Suranis pensait : Jinn Pertem avait d? subir la m¨ºme r¨¦v¨¦lation qu¡¯elle et peut-¨ºtre tous les autres. Cela pouvait tr¨¨s mal tourner pour le Conseil et celui qui fut ¨¤ sa t¨ºte ¨¤ l¡¯¨¦poque. L¡¯ancien premier pilote ¨¦tait terrifi¨¦ par les cons¨¦quences possibles de ses actions pass¨¦es.
Une envie soudaine de le meurtrir la saisit. Elle appr¨¦ciait le d¨¦go?t qu¡¯il affichait pleinement alors qu¡¯elle tournait autour d¡¯une v¨¦rit¨¦ qu¡¯il connaissait mais refoulait :
¡ª Maintenant que nos souvenirs reviennent, vous flippez. Votre mis¨¦rable cul va prendre une racl¨¦e monumentale et vous le savez ! Si vous disparaissez aujourd¡¯hui, le Conseil ne survivra pas ¨¤ cette mis¨¦rable journ¨¦e ! Qu¡¯est-ce que ?a fait de voir tous ses plans tomber ¨¤ l¡¯eau ? Je tomberais peut-¨ºtre dans le Flux aujourd¡¯hui, mais je cr¨¨verais avec la satisfaction de savoir que vous me suivrez bient?t.
¡ª Mon mis¨¦rable cul ?! s¡¯exclama-t-il. Tu ne sais foutrement rien, ce putain de Flux n¡¯est pas ton futur Rh¨¦on !
¡ª Arr¨ºtez avec ce tutoiement paternaliste, le stoppa Suranis.
Alors, en agitant les bras, il s¡¯¨¦tait rapproch¨¦ en continuant de d¨¦blat¨¦rer. Le futur de Suranis entre ses mains, son mis¨¦rable cul se trainant derri¨¨re et la distance entre les deux se r¨¦duisant. Suranis distingua le halo scintillant qui l¡¯entourait et l¡¯¨¦norme gilet pare-balle sur son torse qui transformerait son tir en piq?re de moustique turbulent dans le meilleur des cas. De cela, elle se moquait. Jamais n¡¯avait-elle eu l¡¯intention de tirer sur Fulcr?ne bien que, de son c?t¨¦, ce dernier n¡¯en ¨¦tait pas enti¨¨rement convaincu.
¡ª Tais-toi insolente ! Je ne veux que le meilleur pour tout le monde, tout le monde ! Toi y compris !
Dit-il ou plut?t hurla-t-il. Il essayait de se convaincre, mais sa col¨¨re cachait autre chose : une confiance absolue dans le grand jeu qui se jouait. Il avait gagn¨¦ la partie depuis le d¨¦but du Programme, m¨ºme s¡¯il devait faire marche arri¨¨re. Suranis Rh¨¦on et tous les autres n¡¯¨¦taient que le dernier soubresaut d¡¯un macchab¨¦ fra?chement d¨¦pos¨¦. Il voulait la voir morte et noy¨¦e dans le Flux, ses crimes enterr¨¦s par la brume.
¡ª Ne vous approchez pas ! cria Suranis en se sentant d¨¦faillir, ce ¨¤ quoi le Haut-capitaine r¨¦pondit par un haussement d¡¯¨¦paules amus¨¦.
¡ª Sinon quoi ? Tu vas me tirer dessus comme tu as descendu ce pauvre gars ? Comme j¡¯ai descendu mon vieux chauffeur ?! Voyons, sois r¨¦aliste ! Tu ne peux plus rien faire ! Rends-toi et je saurais me montrer cl¨¦ment. Je te promets que nous t¡¯offrirons une meilleure vie, simple mais sans douleur... Je te le promets. Il faut juste que tu viennes et que tu montes dans cette voiture avec moi¡ Tout sera arrang¨¦ en l¡¯espace d¡¯une seconde et pour toujours.
Il franchit un nouveau m¨¨tre, son sourire s¡¯¨¦largissant avec une apathie manifeste. D¡¯une sordide fa?on, il ne mentait pas. Il lui offrirait une belle vie sans douleur, si la balle ne lui traversait pas le cerveau sous le bon angle. Oh, il saurait alors se montrer mis¨¦ricordieux en lui offrant les hospices d¡¯un asile pour lobotomis¨¦s. Cela n¡¯¨¦tait que sa responsabilit¨¦, son devoir. La souffrance de milliers de Citoyens pouvait lui ¨ºtre imput¨¦e mais au moins abr¨¦gerait-il l¡¯une d¡¯entre elle.
Sa main serra la crosse. Une balle et tout finirait. Une retraite v¨¦ritable, voil¨¤ tout ce ¨¤ quoi il aspirait et il ne restait presque plus que Suranis entre elle et lui. Presque. Suranis le comprit car elle recula qu¡¯un pas, son corps tout entier manquant de d¨¦faillir malgr¨¦ la terrible ¨¦tincelle qui brillait dans son regard. Elle exprimait une¡ Menace. Le Haut-capitaine Fulcr?ne la saisit et en fut d¨¦boussol¨¦. Comment une femme accul¨¦e aurait-elle pu le mettre en danger ? La puissante certitude qui ¨¦manait d¡¯elle suffit ¨¤ ¨¦branler sa r¨¦solution.
¡ª Qu¡¯est-ce que tu¡ se dit-il ¨¤ lui-m¨ºme en s¡¯appr¨ºtant ¨¤ extirper son flingue encore chaud de son ceinturon.
Suranis le regarda avec des yeux secs et d¨¦j¨¤ morts. Ses mains plong¨¨rent vers sa ceinture et l¡¯¨¦clat malicieux de l¡¯¨¦lectricit¨¦ jaillit du laser vol¨¦. Gern Fulcr?ne comprit ce qu¡¯elle s¡¯appr¨ºtait ¨¤ faire et d¨¦gaina d¡¯une traite :
¡ª Non, ne fais pas ?a ! hurla-t-il le front nimb¨¦ d¡¯une sueur froide alors qu¡¯il se crispait sur la gachette.
Le Haut-capitaine, m¨¦diocre tireur, tira une rafale d¨¦cha?n¨¦e, vidant le chargeur aussi rapidement qu¡¯il le pouvait. Trois balles manqu¨¨rent leur cible et aucune n¡¯atteignit la t¨ºte pourtant vis¨¦e. La plupart travers¨¨rent l¡¯¨¦paule, une lui pulv¨¦risa une c?te et finit sa course dans le poumon gauche. L¡¯¨¦cume du sang monta ¨¤ sa bouche alors qu¡¯elle chuta vers l¡¯arri¨¨re. Son c?ur s¡¯emballa, ¨¦clatant de pure fureur lorsque le coup mortel fut port¨¦. Un ¨¦clat de plomb vint se ficher dans son palpitant surmen¨¦ et le voile commen?a ¨¤ tomber sur elle.
La mort l¡¯emporterait et tous ses souvenirs avec, mais elle ne partirait pas seule. Elle l¡¯avait d¨¦cid¨¦ en courant. L¡¯avait d¨¦cid¨¦ bien avant. S¡¯en ¨¦tait faite la promesse secr¨¨te sous les ¨¦tag¨¨res-monde du SAGI. Elle laisserait au Flux ses poumons, son c?ur, son corps tout entier et ame comprise. Plus rien ne lui appartiendrait, plus aucune aspiration ne la ferait mouvoir apr¨¨s son acte ultime et d¨¦sesp¨¦r¨¦. Le laser charg¨¦ au-del¨¤ des recommandations tira une unique salve bleue qui d¨¦chira le ciel. Une d¨¦charge de 50.000 volts traversa le Flux. Le tir ne visait ni les drones ni Fulcr?ne, simplement l¡¯immensit¨¦ verdatre¡ et tout revint ¨¤ elle.
épilogue : Sous le Flux, partie 1
La troupe divis¨¦e progressait avec lenteur vers le pi¨¦mont de l¡¯Our?k. Les oscillations du Flux se refl¨¦taient su les casques laiss¨¦s en bandouli¨¨re. Elles tendaient ¨¤ s¡¯acc¨¦l¨¦raient et le capitaine Silas Segpa?s jura qu¡¯il ne restait plus qu¡¯une vingtaine de jours avant que la saison lumineuse ne survienne. La pr¨¦cocit¨¦ de ce changement le ravissait. La compagnie du P¨´rgos avait ses r¨¦serves de perles noires au plus bas et bient?t elle ne pourrait ni se ravitailler, ni s¡¯¨¦clairer alors elle serait contrainte de progresser dans l¡¯obscurit¨¦. Mieux valait pour le moral des hommes taciturnes qu¡¯elle soit remplac¨¦e par cette p¨¦nombre constante de la belle saison, ¨¦quivalente locale d¡¯un soleil radieux, cela changerait de ces mis¨¦rables ¨¦claircies verdatres qui donnaient l¡¯impression de vagabonder au fond d¡¯un marais. B¨ºtement, le capitaine souriait, trop conscient des difficult¨¦s rencontr¨¦es par sa compagnie pour ¨ºtre d¡¯humeur joyeuse et pourtant¡ Il y avait une l¨¦g¨¨re senteur dans l¡¯air, un horizon qui ne se voilait pas forc¨¦ment l¨¤ o¨´ il portait son regard : comment ne pas se sentir heureux dans ces conditions ?
Tout un tas de raisons viendraient s¡¯opposer ¨¤ lui s¡¯il r¨¦fl¨¦chissait et cela outre la pauvret¨¦ relative de la compagnie qui ne tarderait pas ¨¤ devenir absolue. Il y avait surtout son second, Cosmo Atashk?mizo qui chevauchait en fin de colonne depuis qu¡¯ils avaient quitt¨¦ la capitale royale d¡¯Elypathes pour tenter leur chance en Ourakie. Les deux hommes n¡¯avaient que peu ¨¦chang¨¦ depuis le d¨¦part pr¨¦cipit¨¦ de la compagnie, se contentant des questions logistiques, et ce jour-l¨¤, il d¨¦cida de craquer un ¨¦clat de perle. La lumi¨¨re fusa ¨¤ l¡¯arri¨¨re, r¨¦v¨¦lant les crat¨¨res de la route d¨¦glingu¨¦e qui apparurent avec une nettet¨¦ effarante. Le reste de la compagnie jeta des regards inquiets ¨¤ la route, d¨¦couvrant ce que seul le capitaine voyait dans son r?le d¡¯¨¦claireur ¨C au sens litt¨¦ral du terme. Cosmo d¨¦boula ¨¤ leur c?t¨¦, remontant la ligne a aussi vive allure qu¡¯il l¡¯osait. D¡¯ici deux minutes les t¨¦n¨¨bres reviendraient, mais il lui fallut bien moins longtemps pour se retrouver aux c?t¨¦s du capitaine.
Deux phares ¨¦clairaient d¨¦sormais la route, Silas Segpa?s remarqua la lumi¨¨re et tourna sa t¨ºte. Il reconnut aussit?t son ami ¨C mais l¡¯¨¦tait-il encore ? ¨C et souleva un chapeau imaginaire pour le saluer, mais ce geste ¨¦tait surtout l¨¤ pour briser son champ de vision et l¡¯emp¨ºcher de trop s¡¯attarder sur les traits de celui-ci. Du blanc clairsemait la chevelure blonde de Cosmo et il lui parut plus vout¨¦ qu¡¯¨¤ l¡¯accoutum¨¦e.
Tu vieillis Cosmo. Mais moi aussi. Putain, tu es le plus jeune de toute cette foutue compagnie ! Nous arrivons en bout de piste, bient?t le nez contre le mur, pensa-t-il. Paf. Compagnie compress¨¦e, r¨¦troc¨¦d¨¦e ¨¤ l¡¯oubli. Ce n¡¯est pas que je suis pessimiste, sinon gu¨¨re optimiste, mais ?a sent mauvais. Il avait raison : c¡¯¨¦tait mauvais. Leur vagabondage vers le d¨¦sert ¨¦tait une id¨¦e aussi sotte que terrible comme un dernier baroud d¡¯honneur viriliste et insens¨¦. Ils mouraient tous sur la route, bien avant la prochaine bifurcation.
¡ª Silas, commen?a Cosmo avant de cracher la poussi¨¨re qui s¡¯¨¦tait immisc¨¦e dans son pharynx.
¡ª C¡¯est mon nom depuis quarante-huit lumi¨¨res, je t¡¯¨¦coute.
¡ª Je me demandais¡ Je ne sais pas trop o¨´ nous tra?nons nos pattes, mais je sais qu¡¯on ne voit pas ¨¤ plus de dix pieds et bordel¡ Bordel de merde ! Tu as au moins une id¨¦e de la direction g¨¦n¨¦rale dans laquelle nous marchons ? Tu as conscience que ?a me rend malade de voir nos maigres ¨¦conomies cramer dans ta bo?te ¨¤ lumi¨¨re calcin¨¦e ?
¡ª Tu pr¨¦f¨¨rerais que ton cheval se coince une guibole dans un nid de poule et qu¡¯on te laisse crever ici ?
¡ª Non, bien s?r.
¡ª Alors, si tu es au moins d¡¯accord sur ce point, je vais te dire la v¨¦rit¨¦¡ Tu es pr¨ºt ? Attention, je vais ¨ºtre franc. Je. Ne. Sais. Pas. Voil¨¤ tout, oui-da ! Tu n¡¯es pas le premier ¨¤ poser la question, mais tu es le premier auquel je r¨¦ponds. Je te dis qu¡¯on se dirige vers l¡¯Ourakie, est-ce que tu as une autre solution ¨¤ proposer ?
¡ª Va te faire foutre Silas, r¨¦pondit-il sobrement.
Lui souhaitant de tout c?ur de se faire foutre, le second lui lan?a un regard teint¨¦ de piti¨¦ et de col¨¨re avant de donner un coup d¡¯¨¦peron dans les flancs de l¡¯animal qui rechignait ¨¤ avancer face ¨¤ ce paysage d¨¦sol¨¦. Des buissons rachitiques, d¨¦vor¨¦s par les troupeaux malingres des nomades, parsemaient l¡¯horizon et plus loin, o¨´ le regard ne pouvait porter, se trouvait la mortelle Ourakie¡ Quand on fait dans le mercenariat, une telle qualit¨¦ est recherch¨¦e et l¡¯id¨¦e de se diriger vers cette r¨¦gion avait ¨¦t¨¦ approuv¨¦e par les quinze nigauds. Sauf que voil¨¤, maintenant qu¡¯ils s¡¯approchaient du but, cela semblait ¨ºtre la plus mauvaise id¨¦e du si¨¨cle :
Cosmo d¨¦glutit, baissa les yeux et ravalant sa fougue :
¡ª Pardon. Je n¡¯ai rien d¡¯autre ¨¤ te proposer Cap¡¯. C¡¯est juste que maintenant que nous sommes ici, je ne suis plus si certain que cette id¨¦e soit si brillante¡ Je ne suis pas certain que cette r¨¦gion soit aussi g¨¦n¨¦reuse que les fantasmes qu¡¯on s¡¯en faisait dans les mar¨¦cages.
¡ª Mais au moins, c¡¯est sec.
¡ª C¡¯est sec et d¨¦sertique.
¡ª Peut-¨ºtre trop sec pour que tes yeux fonctionnent correctement alors.
Dans un premier temps il ne comprit pas, puis les ouvrit franchement. Il crut disjoncter en apercevant la lueur d¡¯un vert moribond, loin l¨¤-bas. Assur¨¦ment, une lampe horticole brillait, pas de premi¨¨re facture mais qui signalait la pr¨¦sence au pire d¡¯une jach¨¨re, lou¨¦e aux nomades pour faire pa?tre leur b¨¦tail, au mieux du champ d¡¯un riche paysan. Le pi¨¦mont ourakien n¡¯¨¦tait peut-¨ºtre pas si inhabit¨¦. Ils commenc¨¨rent ¨¤ gravir une colline.
¡ª Je vois¡ Les ploucs locaux connaissent la lumi¨¨re, b¨¦nis soient-ils ! Par Maga, je t¡¯en foutrais¡
¡ª Bravo Con-smo. ?a veut aussi dire qu¡¯ils ont ce que l¡¯on recherche.
¡ª Un grenier plein, des perles et deux ou trois nanas ?
Silas ¨¦clata d¡¯un rire terne. Il porta son index ¨¤ sa gorge, puis ¨¤ celle d¡¯Atashk?mizo et mima de l¡¯ouvrir. Cosmo haussa les ¨¦paules.
¡ª Oui, je m¡¯occuperais de les violer celle-l¨¤. Segpa?s, le fils de chien dans toute sa splendeur ! S¡¯il te pla?t, je t¡¯ai d¨¦j¨¤ dit que c¡¯¨¦tait mon vieux le violeur dans l¡¯histoire et tu sais ce que j¡¯en ai fait.
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L¡¯histoire n¡¯¨¦tait pas inconnue de Cosmo. Segpa?s, litt¨¦ralement ? prog¨¦niture de chien ?, ¨¦tait un nom tristement port¨¦ dans ses terres natales de Cadutello. Il qualifiait les enfants issus de viols. Son p¨¨re ¨¦tait un notable du village dont Silas ne parlait que peu, sinon de la fois o¨´ il lui avait d¨¦fonc¨¦ le crane ¨¤ coup de briques. Fin de partie pour papa.
¡ª Les gars ne seront pas contents¡
¡ª Heureusement que ce ne sont pas des connards. Tu n¡¯en as peut-¨ºtre pas conscience, mais des mercenaires honorables, c¡¯est plut?t rare¡ Alors nous le resterons. Vers cette lumi¨¨re, il y aura d¡¯autres lumi¨¨res, ces autres lumi¨¨res ce sera un bled et si bled il y a, on trouvera du travail. Pas grand-chose¡ Des entrep?ts ¨¤ prot¨¦ger et des dettes ¨¤ r¨¦cup¨¦rer, mais au moins nous ne serons pas terrass¨¦s par la concurrence.
Que la concurrence soit totalement absente d¡¯une r¨¦gion aussi importante pour le commerce lui parut, ¨¤ peine l¡¯id¨¦e ¨¦mise, stupide. Cependant, cette pens¨¦e rassurante fit un bout de chemin chez son second et son visage s¡¯¨¦claira d¡¯un de ces rares sourires qui rappelait au capitaine des moments plus heureux.
¡ª Du taff¡ Oui, voil¨¤ c¡¯est tout ce qui compte.
¡ª On va renflouer nos caisses Cosmo.
¡ª Si tu le dis Cap¡¯¡ Je te suivrais.
¡ª C¡¯est parfait ! Mais, dis-moi plut?t, le rapiace que tu es n¡¯aurais pas claqu¨¦ un ¨¦clat juste pour venir me faire remarquer que ma d¨¦cision de partir au Nord ¨¦tait pourrie et taper un brin de causette. Je ne r¨ºve pas, non ?
¡ª J¡¯aimerais que cela soit le cas Cap¡¯. Il y a plus que ?a en effet¡ Les hommes grondent. J¡¯ai entendu des choses lors du dernier camp.
Pr¨¦sentement, ils sommeillaient sur leurs montures et leurs oreilles devaient ¨ºtre aux abonn¨¦s absents, mais Silas n¡¯en tint pas rigueur. Ils ¨¦taient en marche forc¨¦e depuis onze heures, toujours ¨¤ la recherche d¡¯un point de chute. Le camp pr¨¦c¨¦dant avait ¨¦t¨¦ ¨¦prouvant. Les violentes rafales avaient fait claquer les toiles toute la nuit et, malgr¨¦ le caract¨¨re d¨¦sertique de leur environnement, il faisait froid.
Ils pass¨¨rent dans le haut langage de Cadutello, qu¡¯ils ma?trisaient sommairement tous les deux comme des conspirateurs. Enfin, mieux ma?tris¨¦ par Cosmo que Silas, le natif, et cela ne manquait jamais de l¡¯¨¦tonner.
¡ª Comment ?a ? demanda Silas avec le gargouillis constant caract¨¦ristique de Cadutello.
¡ª Tu sais d¨¦j¨¤ pourquoi. Depuis que nous avons quitt¨¦ le Royaume, nous ne cessons de voir nos r¨¦serves se r¨¦duire. La semaine pass¨¦e, tu nous as promis un vrai repas et il n¡¯est toujours pas arriv¨¦. Le gruau lasse les hommes, ils glissent des pierres sal¨¦es dans la marmite en esp¨¦rant que le go?t s¡¯en retrouve am¨¦lior¨¦¡ Ce qui est le cas, je dois l¡¯admettre, mais mince¡ Nous en voil¨¤ d¨¦j¨¤ ¨¤ ce point, dit Cosmo avec une l¨¦g¨¨re h¨¦sitation sur le mot ? mince ?, il aurait aim¨¦ conna?tre l¡¯¨¦quivalent de Cadutello pour ? merde ?.
¡ª Ces fins gourmets tiendront un jour de plus sans verdure. Peut-¨ºtre m¨ºme six sans viande.
¡ª M¨ºme trois mois de plus, l¨¤ n¡¯est pas la question. Le vrai probl¨¨me Silas, c¡¯est que nos guerriers sont ¨¦puis¨¦s. Au d¨¦but du mois nous ¨¦tions dix-huit, nous ne sommes plus que quinze et bient?t, nous ne serons plus que deux. Ils r¨¦clament la solde et, je crois, surtout une bonne bataille. C¡¯est la seule chose qu¡¯ils connaissent, la seule qu¡¯ils r¨¦clament.
¡ª Je vais leur en donner, promit Silas.
¡ª Par les huit couilles de Maga ! s¡¯exclama Cosmo. Tu vois bien comme moi qu¡¯il n¡¯y a rien ¨¤ tirer de ces terres. Le phare ¨¤ l¡¯horizon, nous allons nous ¨¦clater dessus voil¨¤ tout. Un petit boulot, mal pay¨¦ dans le meilleur des cas qui ne fera que retarder l¡¯in¨¦luctable.
¡ª Au moins serais-je d¨¦pos¨¦ sur les terres de notre rencontre Cosmo Atashk?mizo. Me suivras-tu ?
¡ª Je n¡¯en sais rien, admit Cosmo.
¡ª D¨¦pos¨¦ ¨¤ J¨¦virath, quelle joie !
Presque ¨¤ J¨¦virath. Le comptoir se trouvait ¨¤ une centaine de kilom¨¨tres d¡¯ici, plut?t c?t¨¦ plaine que montagne, Silas en gardait un souvenir vivace. Particuli¨¨rement celui d¡¯un troquet minable rempli de mis¨¦reux qui empestait la mule. Des marchands s¡¯affairaient souvent autour d¡¯un verre avant de reprendre la route sous le couvert de la nuit, ¨¦vitant ainsi le plus gros du brigandage, et parfois se joignaient ¨¤ eux des invit¨¦s atypiques. La compagnie profitait des murs de l¡¯¨¦tablissement en attendant que la temp¨ºte ne se taise, leurs chevaux salis par la poussi¨¨re rougeatre qui descendait des sommets s¡¯¨¦brouant tranquillement dans l¡¯arri¨¨re-cour. ?a avait ¨¦t¨¦ une belle journ¨¦e tout compte fait. Ils ¨¦taient repartis avec un blondinet belliqueux qu¡¯ils sauv¨¨rent de la peine capitale apr¨¨s qu¡¯il eut exploser le crane d¡¯un tavernier peu d¨¦sireux de voir ses tables orn¨¦es de nouvelles gravures grivoises.
Silas Segpa?s ne l¡¯ignorait pas. Cette rencontre signait ¨¤ la fois les d¨¦buts de leur amiti¨¦ et une redevance ¨¦ternelle, mais parfois il ressentait le besoin de remettre Cosmo dans la prison de sable d¡¯o¨´ il l¡¯avait extirp¨¦. Histoire de lui rappeler ¨¤ qui allait sa loyaut¨¦ et ?a aussi, c¡¯¨¦tait encore un mauvais signe.
¡ª Sainte coercition, marmonna Cosmo. Sans elle, nous ne serions pas.
¡ª Nous ne serions que des parias pendus aux branches.
Cosmo se contenta de glapir, le souvenir encore vivace du bourreau qui affut¨¦ sa hache ¨¤ l¡¯esprit juste avant que ce maigrichon grincheux n¡¯arrive devant sa cellule et ordonne ¨¤ ce qu¡¯il soit rattach¨¦ ¨¤ la compagnie, ¨¤ vie. Il pourrait rejoindre les autres s¡¯ils d¨¦cidaient de se rebeller¡ Mais non. Peut-¨ºtre m¨ºme que personne ne serait capable de passer ¨¤ l¡¯acte, mais la possibilit¨¦ existait.
Ils ne dirent plus rien jusqu¡¯¨¤ atteindre le sommet de la colline, s¡¯attendant ¨¤ devoir en monter une autre, plus grande encore et cela jusqu¡¯¨¤ s¡¯heurter ¨¤ la muraille de l¡¯Our?k, mais arriv¨¨rent ¨¤ la place sur une vall¨¦e. ¨¤ cette vue, Silas ¨¦carquilla les yeux et sourit. Il avait entendu de vagues indications pour se rendre ¨¤ Alt¨¹k ¨C auxquelles il n¡¯accordait pas grande foi ¨C et ne s¡¯attendait plus ¨¤ d¨¦couvrir, r¨¦ellement, la ville dont on lui avait parl¨¦. Pourtant, elle ¨¦tait l¨¤ ¨¤ se glisser dans la vall¨¦e. Des potagers s¡¯alignaient autour d¡¯une ch¨¦tive rivi¨¨re, ¨¦clair¨¦s ¨¤ tout va par des lampadaires publics et domin¨¦s, sur les hauteurs, par des maisons de briques aux toits plats. Elles occupaient des terrasses distinctes et ¨¦taient nimb¨¦es par un blanc pur et de bonne augure. D¡¯o¨´ ils se trouvaient ils pouvaient deviner quelques errants, d¨¦ambulant sur les toits-ruelles malgr¨¦ l¡¯heure tardive.
Silas indiqua une des maisons. Des pierres s¡¯entassaient contre elle, formant un abri sommaire qui semblait inoccup¨¦. L¡¯abri n¡¯¨¦tait pas seul car des briques recouvertes d¡¯une peinture luminescente ressortaient ?i-et-l¨¤, trop ¨¦loign¨¦es de la ville pour ¨ºtre ¨¤ leur place et pas forc¨¦ment plac¨¦e ¨¤ l¡¯horizontale. Elles stabilisaient souvent des brindilles entrecrois¨¦es et surmont¨¦es de peaux.
¡ª En parlant de parias¡ Nous pourrions toujours en redevenir, les rejoindre ¨¤ eux comme avant ¡ Peu louable, n¡¯est-ce pas ?
¡ª Oui. Je n¡¯ai pas envie, mais merde¡ Cette foutue colline cachait donc cette merveille ! s¡¯exclama Cosmo alors que, de leurs dos, provint des rires ¨¦bahis.
¡ª J¡¯imagine que nous sommes arriv¨¦s ¨¤ Alt¨¹k. Depuis le temps que je te dis qu¡¯elle se trouvait dans le coin !
¡ª Tu n¡¯y croyais pas vraiment.
¡ª Lorsque nos vagues indications sont les huit yeux de Maga ¨¤ suivre et que le Flux ne permet pas de les voir, qu¡¯est-ce que tu veux ? Je suis surpris qu¡¯on ait gard¨¦ le bon chemin si longtemps, c¡¯est vrai, mais maintenant¡
¡ª Du travail ! sourit Cosmo. Du travail ¨¤ foison qui s¡¯offre ¨¤ nous !
¡ª Peut-¨ºtre pas ici, mais de l¡¯autre c?t¨¦. Resmaar para?t-il que ?a s¡¯appelle. On trouve du travail ici, on traverse et on taffe l¨¤-bas.
¡ª Traverser une fronti¨¨re pour aider une colonie ? demanda Cosmo. Qu¡¯ils cr¨¨vent.
Malgr¨¦ la col¨¨re dans sa voix, Cosmo ne se d¨¦partit pas de son sourire. Une certitude bienvenue venait ¨¤ lui, celle que Silas Segpa?s, l¡¯homme mature qui approchait de la fin de sa carri¨¨re, ne devenait pas encore compl¨¨tement s¨¦nile.
Maga soit lou¨¦ pour ?a.
épilogue : Sous le Flux, partie 2
Aux abords de la ville, une for¨ºt de tentes bordait la route. Des pierres entass¨¦es en tumuli cachaient les cadavres de r¨¦fugi¨¦s. Le Royaume d¡¯Elypathes s¡¯¨¦tendait aussi loin qu¡¯il le pouvait de l¡¯autre c?t¨¦ des montagnes, mais les colons ¨¦taient ici, survivants dans les d¨¦tritus et le rejet. C¡¯¨¦tait surprenant, habituellement des Ourakiens quittaient leurs terres vol¨¦es pour tenter leur chance en terres royales, mais les Elypathiens ne revenaient jamais du d¨¦sert conquis. Un micmac g¨¦opolitique qu¡¯ils ne ma?trisaient pas devait avoir lieu, de l¡¯autre c?t¨¦ et tant mieux pour la compagnie.
Mais ¨¤ ces colons blancs aux regards sinistres, se trouvaient m¨ºl¨¦s quelques Ourakiens. Les bonnes vieilles traditions demeuraient intactes tout compte fait. Au passage de la compagnie, un enfant basan¨¦ se jeta m¨ºme sur la route, ses loques frappant les tiges qui lui servaient de jambes. Il demanda l¡¯aum?ne. Silas entendit un glapissement derri¨¨re lui alors que la compagnie continuait, ignorant le gamin pour s¡¯enfoncer dans les entrailles d¡¯Alt¨¹k et quitter aussi vite qu¡¯ils le pouvaient le bidonville.
¡ª D¨¦gage petit, cracha le capitaine au passage.
L¡¯enfant croisa deux doigts et lui siffla dessus. Sinistre mal¨¦diction pour un Ourakien, mais la compagnie n¡¯en comportait pas un seul. Ils d¨¦pass¨¨rent l¡¯enfant, r¨¦jouis par la triste vision du camp de r¨¦fugi¨¦s. Pour un mercenaire, c¡¯¨¦tait un bon signe. Un putain de bon. Surtout que nombre de r¨¦fugi¨¦s paraissaient plus Elypathiens qu¡¯ils ne l¡¯¨¦taient eux-m¨ºmes.
¡ª J¡¯ai peut-¨ºtre la berlue, mais il n¡¯y a pas que des aspirants sujets du Royaume dans le coin, remarqua Cosmo. C¡¯est devenu rare de nos jours.
¡ª Tu le trouves aussi ? Je trouve cela tout ¨¤ fait hilarant de voir nos bons vieux colons qui reviennent la queue entre les pattes.
¡ª Bien fait. Ils s¡¯emparent des terres et mines, envoient les locaux loin dans le d¨¦sert¡ Ou ici, dans cette merdasse sans nom.
¡ª Ah, ?a¡ Je ne pourrais pas te r¨¦pondre, peut-¨ºtre bien que ces ploucs en loques peu loquaces sont mieux ici, ¨¤ go?ter au doux ¨¦lan civilisateur du Royaume ?
Silas ¨¦clata d¡¯un bref rire. Si Cosmo ne le connaissait pas si bien, il aurait vraiment pens¨¦ que derri¨¨re sa carapace se cachait le dernier des connards. Mais non, il n¡¯en ¨¦tait pas ainsi. La v¨¦rit¨¦ crue ¨¦tait qu¡¯ils ne pouvaient rien faire pour les exil¨¦s ourakiens et que, comme tous leurs p¨¨res, ils cr¨¨veraient la bouche ouverte en implorant la piti¨¦ de la premi¨¨re maraude x¨¦nophobe qui passerait par-l¨¤. ?a avait toujours ¨¦t¨¦ comme ?a et ?a le resterait. Au moins pouvaient-ils cette fois-ci se d¨¦lasser de la pr¨¦sence des responsables de leur triste sort parmi eux. Peut-¨ºtre y aurait-il m¨ºme un coup de surin, ou bien deux, et cette potentialit¨¦ r¨¦jouit plus que de raison Cosmo.
¡ª Gloire aux h¨¦ros civilisateurs qui tra?nent leurs savates parmi les ploucs aujourd¡¯hui ! Franchement, c¡¯est du travail de terrain comme je l¡¯appr¨¦cie ! dit Cosmo.
¡ª Je suis quand m¨ºme surpris par la certaine entente qui semble r¨¦gner ici, remarqua Silas.
L¡¯entente apparente n¡¯emp¨ºcha cependant pas une famille de d¨¦guerpir ¨¤ la vue des mercenaires. Le b¨¦b¨¦ dans le bras de la doyenne pleura ¨¤ chaudes larmes. Ils ¨¦taient redout¨¦s et pas seulement par leurs concitoyens. Haine ou peur ? Difficile de le clarifier et cela n¡¯avait aucune importance.
¡ª Et comme toujours, ils s¡¯entendent mieux entre eux qu¡¯avec nous. Mon copain, tu viens d¡¯effrayer un gosse, f¨¦licitations ! encha?na le capitaine.
¡ª Ouais¡ Ou alors c¡¯est toi, r¨¦pondit placidement Cosmo, bien conscient que son apparence ¨¦tait plus qu¡¯¨¦trange dans le coin. Dans tous les cas, ils ont toutes les raisons du monde pour ¨ºtre effray¨¦s. Aussi de ne pas nous ¨¦triper sur place.
¡ª N¡¯en sois pas si s?r, continuons ¨¤ avancer. Nos armes les repoussent, mais s¡¯ils doivent choisir ¨¤ qui s¡¯attaquer entre les connards qui ont achet¨¦s leurs terres ¨¤ d¡¯autres qui n¡¯en avaient pas la moindre possession ou nous¡
Cosmo hocha la t¨ºte. Pas besoin d¡¯en dire plus. La milice de la ville n¡¯h¨¦siterait pas ¨¤ r¨¦duire ¨¤ n¨¦ant la population ourakienne dans le bidonville si elle s¡¯attaquait ¨¤ des sujets du Royaume, mais elle ne bougerait pas d¡¯un iota pour une compagnie d¨¦cr¨¦pite. Le choix serait vite fait et, d¡¯une certaine fa?on, tant pis. C¡¯¨¦tait un dr?le de monde que l¡¯Ourakie, l¨¤-bas de l¡¯autre c?t¨¦ des montagnes. Des enfants couraient dans le d¨¦sert, claquant des perles pour s¡¯amuser, ne percevant pas la valeur de la sph¨¨re entre leurs doigts. Ils jouissaient de la plus absolue des pauvret¨¦s au milieu d¡¯une richesse incommensurable, bien ignorant du fait que de l¡¯autre c?t¨¦, l¨¤ o¨´ les plaines sont fertiles, les perles deviennent lampes horticoles et le jeu monnaie.
Et qu¡¯est-ce que tu peux y faire ¨¤ ?a ? Tu les d¨¦vores ces foutues perles, tu participes ¨¤ leur malheur. Sois honn¨ºte, regarde les dans les yeux pour une fois. Un peu cireux ? C¡¯est un peu de ta faute.
Ou carr¨¦ment maladifs. Tout cela pour que du c?t¨¦ d¡¯Alt¨¹k les rues et champs soient ¨¦clair¨¦s ¨¤ outrance. Contre quoi ? Nourritures et outillages basiques ne s¡¯entassaient pas dans les entrep?ts, mais les bibelots oui et ils ¨¦taient ¨¦chang¨¦s au prix fort. De la merde contre la vie. La plus grande escroquerie existante sous le r¨¨gne de Roinorikos Ier, qui existait avant et existera apr¨¨s. Au moins, la compagnie se tenait du bon c?t¨¦ de l¡¯¨¦quation, alors autant fermer les yeux et faire comme si¡ Non ?
Cosmo se pencha vers Silas :
¡ª Ils vivent dans l¡¯ombre de leurs bourreaux, marmonna-t-il.
Silas leva les yeux ¨¤ cette remarque. Il tenta d¡¯estimer le nombre de rues de la vraie ville ¨¤ ne pas ¨ºtre ¨¦clair¨¦es. Il en d¨¦duisit que s¡¯il en existait une, il ne la voyait pas. Peut-¨ºtre une l¨¤-haut, sur le chemin de ronde qui devait courir le long de la ligne de cr¨ºte. Qui sait ? Le capitaine tenta de ne pas quitter cette ligne fantasm¨¦e alors qu¡¯ils s¡¯enfon?aient plus profond¨¦ment dans le bidonville, impatient de le quitter.
Des ombres se gliss¨¨rent entre les ruines. Elles avaient faim, h¨¦sitantes ¨¤ se lancer dans l¡¯action. Les mercenaires acc¨¦l¨¨rent la cadence, non pas qu¡¯ils redoutaient d¡¯¨ºtre encercl¨¦s, mais¡ Un affrontement serait stupide. Ils ne poss¨¦daient rien de ce que les d¨¦port¨¦s recherchaient. Quitte ¨¤ prendre le risque de mourir, autant que cela le soit pour une bonne raison.
Ils n¡¯eurent cependant pas ¨¤ en arriver ¨¤ cette extr¨¦mit¨¦ car d¨¦j¨¤ ils arrivaient ¨¤ l¡¯or¨¦e de la for¨ºt de tentes. La compagnie d¨¦boula sur un baraquement de terre crue, une rampe appos¨¦e contre son mur sud permettait d¡¯acc¨¦der au premier niveau d¡¯Alt¨¹k qui courait sur les toits des batiments inf¨¦rieurs. Des lanternes apparurent aux fen¨ºtres du baraquement et disparurent aussit?t qu¡¯elles eurent identifier les voyageurs. Personne ne sembla soucieux de vouloir les arr¨ºter quand ils atteignirent le toit-rue et les Ourakiens, tass¨¦s en bas, d¨¦tourn¨¨rent leur attention de la compagnie.
D¡¯ici, ils purent b¨¦n¨¦ficier avec une plus grande acuit¨¦ visuelle de la ville. Bien qu¡¯on discernait tout juste les tentes ¨C ¨¤ croire qu¡¯elles ¨¦taient plong¨¦es dans l¡¯obscurit¨¦ pour mieux les oublier -, on ne pouvait manquer les lignes des toits, ¨¦tag¨¦s en terrasse et ¨¦clair¨¦s ¨¤ foison. En contre-bas, un ruisseau courait. Il prenait le nom d¡¯¨¹k, donnant le nom ¨¤ Alt¨¹k ce qui ne manqua d¡¯amuser Silas. Alt ¨¹k, la rivi¨¨re d¡¯¨¹k. Le ruisseau peinait ¨¤ assumer l¡¯approvisionnement en eau de la ville dont la majeure partie provenait des conduites forc¨¦es qui plongeaient vers les fontaines collectives, mais il avait le m¨¦rite d¡¯exister et de contribuer davantage au grand myst¨¨re de M¨¦ga?a. D¡¯o¨´ provenait cette eau ? Combien de temps continuerait-elle d¡¯abreuver les habitants des montagnes ? Il ne pleuvait que tr¨¨s rarement dans la r¨¦gion malgr¨¦ la chaleur torrentielle qui r¨¦gnait ici et pourtant, l¡¯eau ne manquait pas.
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Au travers du roucoulement du ruisseau, le guetteur de la compagnie entendit le tintement distinct des bottines renforc¨¦es d¡¯un milicien. Il siffla une fois entre ses doigts pour le signaler et le capitaine commen?a ¨¤ jeter un coup d¡¯?il ¨¤ la ronde, jusqu¡¯¨¤ remarquer l¡¯homme d¡¯arme entre deux maisons. Derri¨¨re lui, son coll¨¨gue gardait une distance respectueuse et, surtout, ¨¤ port¨¦e de main le lance-fus¨¦e orange qu¡¯on retrouvait un peu partout dans les ruines de l¡¯ancien monde. Quelque part, certainement sur les toits, des arbal¨¦triers s¡¯alignaient et les mettaient en joue, ce n¡¯¨¦tait pas la premi¨¨re fois que la compagnie se retrouvait dans une situation analogue :
¡ª Que Maga soit avec vous ! lan?a l¡¯homme d¡¯armes.
¡ª Aye Maga ! Aye Hydra, r¨¦pondit le capitaine avec une certaine malice.
Ils n¡¯avaient pas crois¨¦ un seul autel au penchant f¨¦minin de la d¨¦it¨¦ arachnide de tout leur s¨¦jour frontalier. L¡¯id¨¦e saugrenue d¡¯une ¨¦toile emprisonn¨¦e par la toile titanesque d¡¯une araign¨¦e cosmique appartenait au Sud. On pouvait voir les huit pattes du Tisseur, oui-da c¡¯¨¦tait la v¨¦rit¨¦, mais gu¨¨re sa victime.
Le guerrier tira une grimace ¨¦loquente. ? Vous ¨ºtes profond¨¦ment d¨¦bile, mon pote ? pensa-t-il.
¡ª Une bien mauvaise rencontre. Ici, nous n¡¯avons que des adorateurs de l¡¯Araign¨¦e alors gardez vos r¨¦v¨¦rences pour vous, si je puis vous donnez un bon conseil, r¨¦pondit le milicien en s¡¯avan?ant dans une flaque de lumi¨¨re.
Le capitaine ne r¨¦agit pas tout de suite. Bien que ne connaissant pas la livr¨¦e locale, il resta stup¨¦fait devant celle qui apparut. Le pourpre et argent, il ne les connaissait que trop bien. Des l¨¦gionnaires tenaient Alt¨¹k, en collaboration avec les miliciens ou peut-¨ºtre pas. Ce qui voulait dire¡ Une putain de bonne nouvelle, encore une et voil¨¤ tout. Si l¡¯arm¨¦e ¨¦tait l¨¤, elle pouvait ¨ºtre d¨¦pass¨¦e et elle payait bien.
¡ª Diantre ! s¡¯exclama Silas.
¡ª Ce n¡¯est pas la premi¨¨re fois qu¡¯on me l¡¯a fait celle-l¨¤ signala le l¨¦gionnaire.
Une crevasse profonde sillonnait sa joue gauche. Il lui manquait un ?il, remplac¨¦ par un crat¨¨re b¨¦ant. Une luminescence bleut¨¦e parvenait ¨¤ filtrer. Des nanorobots antiques ¨¦taient ¨¤ l¡¯?uvre pour le sauver de ce qui avait tout, en apparence, de la l¨¨pre. Mais jusqu¡¯¨¤ qu¡¯il ne le fasse remarquer, Silas ne s¡¯¨¦tait attard¨¦ que sur sa tenue : royale au possible. Les soins dont il b¨¦n¨¦ficiait indiquaient sa haute posture dans l¡¯arm¨¦e. Double diantre, s¡¯¨¦cria int¨¦rieurement le capitaine.
¡ª Qui ¨ºtes-vous et quelle est la raison de votre pr¨¦sence ici ? demanda le l¨¦gionnaire, quelconque grad¨¦ en vadrouille dans une ville si ¨¦loign¨¦e de la capitale qu¡¯il y avait quelque chose d¡¯hilarant en la mati¨¨re.
¡ª Je suis le capitaine Silas Segpa?s de la compagnie du P¨´rgos, enregistr¨¦e en Cadutello, enclave imp¨¦riale. Nous souhaitons trouver logis pour la nuit et traverser, si possible, vers l¡¯Ourakie en qu¨ºte de patrons.
¡ª Vous en avez fait du chemin¡ La fameuse enclave imp¨¦riale ! dit le l¨¦gionnaire avec un d¨¦dain manifeste. Le seul empire d¨¦pendant d¡¯un royaume dans le monde, hein ? C¡¯est dr?le.
¡ª Pour s?r, conc¨¦da Silas.
Moins dr?le que mon poing dans ta gueule. Il te reste encore ton pif, la maladie ne l¡¯a pas encore rong¨¦ et ne le rongera pas grace aux bons soins du Royaume¡ Je peux toujours arranger ?a, parfaire le portrait du parfait connard que tu es. Dommage que tu sois un quelconque nobliau¡ Dommage aussi que je ne le sois pas, sinon un pauvre imp¨¦rial qui c?toie vos cherches-merdes depuis ses douze ans. Mais regardons les choses sous un autre angle, enfin, regarde les choses de ton ?il unique : qui a ¨¦t¨¦ remis¨¦ ¨¤ la fronti¨¨re ? Toi. Tu effrayais trop les marmots dans le palais royal, hein ?
Le l¨¦gionnaire leva un bras, indiquant aux invisibles arbal¨¦triers de baisser les armes, puis reprit :
¡ª Passons ! Alors, vous venez faire affaires et j¡¯ai une bonne nouvelle pour vous, mais aussi une tr¨¨s mauvaise. Primo, Alt¨¹k poss¨¨de un service de navette vers Reesmar, elle roule trois fois par jour aux frais du Seigneur. C¡¯est toujours plus sympa que de crapahuter vingt bornes dans ces foutus tunnels, non ?
¡ª Oui-da. C¡¯est la bonne nouvelle et la mauvaise ?
Il se frappa le plastron, le d¨¦sagr¨¦able argent et pourpre vibra un temps, l¡¯air de s¡¯excuser ou ¨C plut?t ¨C de s¡¯esclaffer.
¡ª Vous avez march¨¦ pour rien. La fronti¨¨re est close, la navette repose tranquillement dans l¡¯atelier et m¨ºme si vous trouverez peut-¨ºtre un emploi dans le coin, il ne vous rapportera pas grand-chose. C¡¯est de l¡¯autre c?t¨¦ qu¡¯on a besoin de mercenaires, pas ici.
¡ª Fait chier ! Qu¡¯est-ce qui se passe ? Votre l¨¦gion n¡¯a pas besoin d¡¯escarmoucheurs ?
¡ª Non, r¨¦pondit avec d¨¦dain le l¨¦gionnaire. Les Manieurs de feu attaquent les colons transfrontaliers et le Prince l¨¦gat Roinorikos Ier a demand¨¦ ¨¤ ce que la huiti¨¨me L¨¦gion s¡¯occupe de r¨¦guler la situation. Nous s¨¦curisons la fronti¨¨re et r¨¦duisons ¨¤ l¡¯¨¦tat de cendres ces cram¨¦s, un bon cadeau si vous voulez mon avis. Ils ne feront pas long feu¡ Nous n¡¯avons pas besoin de mercenaires.
¡ª Merde et merde ! Ils attaquent malgr¨¦ nos saloperies d¡¯accords de paix ?
¡ª Ils se contrefichent de ces accords. Ils n¡¯appartiennent pas aux clans Ourakiens, c¡¯est une sorte de secte¡
¡ª Ouais, je vois le topo, dit Silas en regardant penaud ses ongles. On ne peut donc vraiment pas traverser, m¨ºme si on sait se d¨¦fendre ?
¡ª Quand la fronti¨¨re est close, elle l¡¯est pour tout le monde sauf si vous avez une autorisation sp¨¦ciale, un ordre de mission d¡¯un notable par exemple. D¨¦sol¨¦ les mecs, va falloir que vous rebroussiez chemin vers le glorieux Empire.
Cosmo qui n¡¯avait dit mot jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent, donna un coup d¡¯¨¦peron d¨¦licat. L¡¯¨¦troite rue permettait encore de chevaucher, au grand dam des occupants ensommeill¨¦s, mais aussi de se lancer dans une charge frontale. Le cheval fit un pas en avant, il allait lui donner une ? sp¨¦ciale ?. Silas l¡¯arr¨ºta en levant deux doigts, dans un geste de paix ou de b¨¦n¨¦diction. Lui aussi aurait bien voulu r¨¦tamer le l¨¦gionnaire, mais la poign¨¦e d¡¯arbal¨¦triers les abattraient comme des chiens.
Instinctivement, le l¨¦gionnaire recula et se para d¡¯un large sourire un peu craintif.
¡ª Ce n¡¯est rien, dit Silas. Nous allons quand m¨ºme tenter notre chance en ville et au moins passer la nuit ici. Il y a bien un caravans¨¦rail dans le coin ?
¡ª Voyez toujours. Pour le repos, il faut que vous redescendiez, traversiez le campement jusqu¡¯¨¤ un poteau-indicateur. C¡¯est le seul, vous ne pourrez pas le manquer. Ensuite, prenez la premi¨¨re bifurcation ¨¤ gauche, de l¡¯autre c?t¨¦ de la colline vous trouverez une auberge fich¨¦e au milieu d¡¯une prairie. C¡¯est la seule ¨¤ pouvoir vous accueillir ¨¤ cette heure tardive.
¡ª Nous trouverons sans souci, grand merci.
¡ª Ouais, ouais¡ Allez, filez marchands de mort.
Silas toisa le regard du l¨¦gionnaire, captiv¨¦ par ce trou b¨¦ant ¨¤ la place de l¡¯?il. Bien qu¡¯ayant une respiration saccad¨¦e et des images soudaines de lui farfouillant ¨¤ l¡¯int¨¦rieur de l¡¯orbite pour voir s¡¯il communiquait avec un cerveau, il se garda d¡¯ob¨¦ir ¨¤ ses bas instincts. En lieu et place, il rebroussa chemin, d¨¦bout¨¦ et suivi par le reste de la compagnie. Ses hommes semblaient au bord de l¡¯implosion, surtout Cosmo avec sa tronche d¨¦mente.
¡ª Quoi ?! cracha Silas ¨¤ son second alors qu¡¯ils s¡¯¨¦loignaient du l¨¦gionnaire.
¡ª Rien, rien du tout, murmura-t-il.
¡ª Rien du tout¡ T¡¯es un petit enfoir¨¦ Cosmo ! Je sais ce que tu en penses, pour s?r ! Pas la peine de me le rappeler, c¡¯¨¦tait un plan et c¡¯est moi qui l¡¯ait propos¨¦. On l¡¯a vot¨¦ ¨¤ main lev¨¦e, mais c¡¯¨¦tait ma putain d¡¯id¨¦e et oui, tu n¡¯¨¦tais pas d¡¯accord. Bordel de merde Cosmo ! J¡¯en ai ras le cul d¡¯¨¦laborer des plans pour qu¡¯un groupe de bras cass¨¦s puisse continuer ¨¤ fracasser des tronches dans tout le Royaume. Ouais, on ne trouvera pas de taff¡¯ dans une ville occup¨¦e par la putain de l¨¦gion, mais¡ Fait chier ! Comme si c¡¯¨¦tait ma faute !
¡ª Ouais, peut-¨ºtre que tu en as marre, peut-¨ºtre que ce n¡¯est pas ta faute¡ Peut-¨ºtre que si on s¡¯¨¦tait tenu en Elypathes, on ne serait pas l¨¤¡ Mais dis-toi que nous aussi, nous en avons assez. Enfin¡ Peut-¨ºtre, peut-¨ºtre ! gueula Cosmo en donnant un coup rageur dans le flanc de sa monture pour retourner en fin de convoi.
? Je vais t¡¯en foutre des peut-¨ºtre ? voulut r¨¦torquer Silas avant qu¡¯il ne s¡¯efface dans l¡¯ombre. Les hommes ¨¦taient fatigu¨¦s. Le capitaine aussi. Depuis qu¡¯ils avaient quitt¨¦ la capitale royale apr¨¨s une d¨¦convenue malheureuse, ils encha?naient les emmerdes. Ils vivaient sur leurs r¨¦serves depuis trop longtemps, tout ?a parce qu¡¯un connard rencontr¨¦ ¨¤ l¡¯embouchure de l¡¯Elys et du Pathos, peu avant la route royale, les avait accost¨¦s et qu¡¯ils s¡¯¨¦taient acoquin¨¦s. Le mois suivant, il devait merder dans une mission d¡¯escorte et m¨ºme si Silas disait ¨¤ ses hommes que la concurrence dans le secteur ¨¦tait trop forte, ses clients potentiels r¨¦torquaient souvent que, dites-moi, cette gamine qui a servi d¡¯amuse-bouche¡ Ce n¡¯¨¦tait pas l¡¯un de vos exploits ? Comment se porte votre pote ? Je l¡¯ai vu avec une tache de sperme sur le cale?on, plus raide que la mort elle-m¨ºme. Inqui¨¦tant.
Bande d¡¯enfoir¨¦s. Silas, roi des cons. Tu aurais d? r¨¦gler son compte ¨¤ ce connard d¨¨s la premi¨¨re nana violent¨¦e¡ Tout se passait bien en Elypathes. Par tous les dieux, j¡¯esp¨¨re qu¡¯un rat a bouff¨¦ tes tripes l¡¯ami. Sinc¨¨rement, tu ne m¨¦rites pas mieux, pensa-t-il avant d¡¯inspirer une unique fois et de remarquer que l¡¯air ¨¦tait devenu plus charg¨¦. Une temp¨ºte se levait.
épilogue : Sous le Flux, partie 3
L¡¯Ourak se d¨¦tachait encore sur l¡¯horizon, ombre noire sur fond vert, mais d¡¯ici une heure il dispara?trait derri¨¨re les poussi¨¨res rouges qui remonteraient le versant nord, pour retomber avec une lenteur f¨¦¨¦rique au sud. Le capitaine savait que le temps ¨¦tait compt¨¦ et qu¡¯il ne pourrait obtenir une nuit convenable pour sa compagnie ¨¦puis¨¦e qu¡¯¨¤ l¡¯abri des v¨¦tustes murailles qui d¨¦limitaient l¡¯enceinte du mam¡¯lak. Ils n¡¯¨¦taient pas les seuls voyageurs ¨¤ avoir eu l¡¯id¨¦e de prendre refuge ici contre une poign¨¦e de perles. Une cinquantaine de tentes avaient ¨¦t¨¦ mont¨¦es, la plupart en peaux mal tann¨¦es bien que certaines soient de tissus. Il y avait aussi quelques t¨ºtes de b¨¦tail et des animaux de bats, rassembl¨¦s dans un coin et tachant de trouver le sommeil. Un ane n¡¯y parvenait pas, il se tr¨¦moussait et battait de la queue pour chasser les mouches qui elles aussi sentaient que le temps tournait au vinaigre.
¡ª Partant pour une derni¨¨re nuit Silas ? demanda Cosmo derri¨¨re lui alors qu¡¯il remontait la file.
¡ª Oui-da. C¡¯est bien notre veine.
Ils n¡¯avaient pas les moyens de se l¡¯offrir, mais s¡¯ils campaient v¨¦ritablement dehors, sous la pluie fine et rouge en dehors des murailles, la compagnie c¨¨derait. Silas n¡¯aimait pas le sentiment qui l¡¯envahissait. La fin du P¨´rgos approchait, ici dans ce champ puant la merde, envahi par les nomades ¨C musc animal ¨C et les marchands ¨C relents d¡¯urine camoufl¨¦s derri¨¨re le parfum. Ils dilapideraient les derni¨¨res ¨¦conomies de la compagnie pour une nuit abrit¨¦e, et ensuite ? Bien, le mam¡¯lak d¡¯Alt¨¹k serait une chouette s¨¦pulture pour la plus vieille compagnie de l¡¯Empire. Silas Segpa?s ne s¡¯¨¦tonnait pas d¡¯¨ºtre le capitaine qui devait la mener ¨¤ son glas. Il n¡¯avait jamais eu l¡¯¨¦toffe n¨¦cessaire pour que tout roule, non, loin de l¨¤. Il ¨¦tait trop gentil, trop stupide, ¨¦ternel fardeau dont ses parents s¡¯¨¦taient d¨¦barrass¨¦s quand il n¡¯avait que douze ans et qui par un heureux hasard ¨¦tait parvenu ¨¤ monter les ¨¦chelons. De mule, il devint ¨¤ quatorze ans apprenti, vingt ans plus tard il prenait les r¨ºnes. Une ascension digne de louanges, de m¨¦moire de la compagnie, mais qui ne d¨¦finissait en rien sa capacit¨¦ ¨¤ diriger. Un putain d¡¯escroc, voil¨¤ ce que tu es Silas. Oui, pour s?r.
Cosmo le d¨¦passa pour venir chevaucher l¨¦g¨¨rement devant lui. Le capitaine le d¨¦visagea avec une telle lassitude que lui-m¨ºme se sentit vieux, tr¨¨s vieux. Il ne savait plus trop s¡¯ils ¨¦taient de vieux potes ou de nouveaux ennemis. Il ne ma?trisait plus rien. Un sentiment d¨¦testable.
¡ª D¡¯ailleurs¡ C¡¯¨¦tait tes premiers mots depuis que nous avons quitt¨¦ la ville et voil¨¤ que tu viens franchement me rejoindre. Que veux-tu au juste ? Une dispute journali¨¨re ?a me suffit. Je suis ¨¦clat¨¦. Crev¨¦.
¡ª Je n¡¯ai pas envie de me battre Silas, vraiment pas.
¡ª Oui, oui¡ Tu me dis ?a jusqu¡¯¨¤ ce que tu me plantes.
¡ª Je ne planterais personne et surtout pas toi. Nous approchons de l¡¯auberge. On devrait pr¨¦venir les gars, que nous ne nous pointerons pas en groupe ¨¤ l¡¯int¨¦rieur cela ne servirait ¨¤ rien sinon les effrayer.
Silas songea que ce n¡¯¨¦tait pas l¡¯unique raison. Cosmo redoutait que les t¨ºtes brul¨¦es qui les accompagnaient se laissent tenter par un massacre, aux petits oignons, pour d¨¦lester de gras marchands de bourses remplies ¨¤ ras bord.
Ouais mon copain, ton groupe va exploser. ¨¦coute donc le camarade Cosmo. Il est peut-¨ºtre moche comme un pou, mais il n¡¯est pas de mauvais conseil.
¡ª Je ne peux qu¡¯approuver cette id¨¦e. Attendez ici, nous irons seuls ! lan?a-t-il ¨¤ l¡¯adresse de la compagnie.
Un homme cracha par terre, sauta par terre et leva ses deux mains au ciel dans une mimique entre la pri¨¨re et la moquerie. Il lui lan?a :
¡ª Va donc n¡¯yukt ! Avec ma b¨¦n¨¦diction.
Silas d¨¦visagea ses guerriers. En premi¨¨re ligne se trouvait Brogan, un mercenaire au rictus mauvais. Huit ans qu¡¯ils combattaient ensemble, flanc contre flanc, et le voil¨¤ qu¡¯il le traitait de n¡¯yukt. Le capitaine oublia soudainement toutes ces fois de camaraderie guerri¨¨re et h¨¦sita ¨¤ tirer son ¨¦p¨¦e au clair, histoire de l¡¯ouvrir du cul ¨¤ la gueule, trajet direct et sans arr¨ºts. Au moins, aurait-il une raison v¨¦ritable de raconter de la merde. Il se contenta cependant de lui sourire avec une sympathie si ¨¦videmment fausse qu¡¯il sentit le mercenaire d¨¦faillir et entendit distinctement sa glotte qui claqua d¡¯effroi.
¡ª Tu as dit ? demanda-t-il en souriant toujours, ¨¤ pleines dents. Je vieillis, j¡¯ai d? mal entendre.
¡ª Ce que tu as entendu, r¨¦pliqua Brogan. Tr¨¨s certainement.
¡ª Je vois. Si tu le dis, c¡¯est que cela doit ¨ºtre vrai. Laissons, viens donc avec moi Cosmo pendant que les hommes commencent ¨¤ monter le camp.
Ils se d¨¦tourn¨¨rent du reste de la compagnie. Alors qu¡¯ils s¡¯approchaient tous deux de la porte d¨¦vor¨¦e par les termites, l¡¯insulte leur revint en ¨¦cho distant. Silas conduisait ses hommes comme un v¨¦ritable n¡¯yukt, dites-moi batelier, n¡¯est-ce pas une cascade que je vois ¨¤ deux pas de nous ? Qui sait ? Il n¡¯¨¦tait pas d¡¯humeur ¨¤ r¨¦fl¨¦chir ¨¤ cette question, surtout quand l¡¯insulte semblait trop vraie pour ¨ºtre facilement oubli¨¦e. Il menait son groupe d¨¦raisonnablement, peut-¨ºtre pas au point de les perdre dans le grand dehors, mais assez pour qu¡¯il se sente malade.
Le capitaine et son second ouvrirent la porte ¨¤ la vol¨¦e et entr¨¨rent dans l¡¯auberge. Elle empestait le voyageur ¨¦puis¨¦ ¨C mais bien heureux d¡¯¨ºtre ¨¤ l¡¯int¨¦rieur - qui dormait t¨ºte-b¨ºche avec son prochain sur des tapis aux motifs g¨¦om¨¦triques suintant des reliquats de soir¨¦es plus festives. Des taches de graisse habillaient les murs, cruellement r¨¦v¨¦l¨¦es par l¡¯unique lampe de la pi¨¨ce et rapidement le capitaine pu en venir ¨¤ l¡¯origine du crime. Un aubergiste taciturne, aux doigts courts d¡¯enfant ob¨¨se, maniait avec une dext¨¦rit¨¦ surprenante un long couteau qui ressemblait, ¨¤ s¡¯y m¨¦prendre, ¨¤ un cimeterre raccourci. Il taillait de larges tranches de mouton, s¨¦lectionn¨¦es dans une broche noire cuite de la veille. Des mouches voletaient autour, des dizaines d¡¯?ufs mouchetaient la viande et malgr¨¦ cela, les deux mercenaires ¨¦puis¨¦s ne purent r¨¦sister ¨¤ l¡¯appel de la faim.
¡ª Aubergiste, dit Silas, pleinement ignor¨¦.
L¡¯aubergiste s¡¯en fichait, trop occup¨¦ ¨¤ s¡¯affairer sur sa broche. Les morceaux de gras brillants produisaient un bruit de succion lorsque la lame les rencontrait. Silas et Cosmo crevaient la dalle. L¡¯aubergiste haussa un sourcil ¨¤ leur destination.
¡ª Ghalam, voyageurs, dit-il avec un tr¨¨s fort accent ourakien.
Tout en les accueillant, il jeta une tranche de viande ¨C enrichie aux ?ufs, bient?t larves - dans un bol rempli de bl¨¦ et y ajouta une tr¨¨s g¨¦n¨¦reuse poign¨¦e d¡¯oignons ¨¦minc¨¦s. Les coutumes culinaires du pi¨¦mont rendaient acceptables cette fra?cheur toute relative.
¡ª Vous avez faim ? demanda-t-il en faisant glisser le bol jusqu¡¯¨¤ son client, un marchand maigre d¡¯une quarantaine d¡¯ann¨¦es qui en paraissait dix de plus avec sa peau gr¨ºl¨¦e par la maladie des sables.
¡ª Grande faim, mais j¡¯ignore si nous pouvons nous offrir un bol. Nous cherchons surtout le g?te.
¡ª Ah¡ Une chambre, vous ¨ºtes jhapu-jhapu ?
¡ª Non, pas jhapu, r¨¦pondit Silas. Fr¨¨res, pas amants.
¡ª Oui, oui¡ Da ! Peu importe ce que vous ¨ºtes, j¡¯ai rien contre les jhapu. Tous les mercenaires sont des jhapu, ¨¤ force de ne pas voir le cul d¡¯une femme on bouffe ce qu¡¯on peut¡
¡ª Bien, vous avez raison. Jhapu-jhapu, toute la nuit, c¡¯est ce que nous allons faire si cela vous convient, s¡¯impatienta le capitaine.
¡ª Parfait, r¨¦pondit l¡¯aubergiste en souriant, il lui manquait une incisive. Combien de chambres ?
? Une seule, si c¡¯est pour baiser toute la nuit ? allait r¨¦torquer le capitaine, puis il se souvint de son attirail. Lui, portait une ¨¦p¨¦e courte et large et Cosmo une masse de bronze. ¨¦videmment, les gens de son esp¨¨ce se d¨¦pla?aient en meute.
¡ª Nous ne voulons pas de chambre. On a neuf tentes ¨¤ monter dehors, ¨¤ l¡¯abri des murailles et de la temp¨ºte. Quel est votre prix ?
¡ª Ah, le prix. Oui, toujours ce qui revient. Une perle pour deux tentes, pas donn¨¦, pas cher pour autant.
¡ª Je ne suis qu¡¯un homme de l¡¯acier, pas un math¨¦maticien, mais vous aurez une demie perle en trop si mes calculs sont bons. On ne peut pas s¡¯arranger pour la derni¨¨re tente ?
¡ª Un geste vous voulez ? De la viande ? Ce n¡¯est pas cher, pas donn¨¦, pas cher.
¡ª Ouais, j¡¯ai compris. C¡¯est bon¡ Des prix standards dans un bled standard.
? Et qui empeste la charogne, mais ?a c¡¯est peut-¨ºtre ta sale gueule ? ajouta-t-il en cadutellien. Il sortit de sa bourse cinq perles qu¡¯il disposa sur le comptoir. L¡¯aubergiste les saisit de ses doigts graisseux et les examina sous toutes les coutures avec d¨¦sapprobation.
¡ª Grosse merde ! Perles mauvaises¡ La taille n¡¯est pas bonne ! Vous essayez de¡ Comment dites-vous ? M¡¯enculer ? Merde, merde, la merde du vieux Ch¡¯nak vaut plus que ?a pour s?r !
¡ª Le vieux Ch¡¯nak peut s¡¯enfoncer ses ¨¦trons jusqu¡¯au gosier ! s¡¯¨¦nerva Silas. Cette taille est habituelle dans le Royaume, nous sommes en terres royales donc vous prenez !
En apparence, le capitaine venait de finir sa phrase. En substance, un non-dit important s¡¯¨¦tait immisc¨¦ l¨¤ et l¡¯aubergiste le saisit, malgr¨¦ ses faiblesses. Les mercenaires ne se tireraient pas s¡¯il les refusait. Ils mettraient ¨¤ sac son ¨¦tablissement, s¡¯installeraient pour la nuit et ne laisserait de lui qu¡¯un tapis de peau. C¡¯est cette image qui le traversa lorsqu¡¯il vit que le plus jeune des deux tapotait sa masse avec deux doigts, fr¨¦n¨¦tiquement.
¡ª Bien, bien ! Nous sommes amis ! Deux perles de plus et c¡¯est bon pour moi. Oui, oui pour s?r !
¡ª Si c¡¯est comme ?a¡
Silas rapprocha la main de la garde de son ¨¦p¨¦e. Il l¡¯imagina dans une trajectoire oblique et les ennuis qui suivraient. Au dernier moment, il d¨¦via sa main pour venir fouiller sa bourse. Il ne lui restait plus de perles, pas m¨ºme le moindre foutu ¨¦clat, rien qu¡¯une vingtaine d¡¯¨¦lys. Ils ¨¦taient dans une merde monstrueuse. Il sortit les pi¨¨ces avec le gros nez du bon vieux Roinorikos Ier, le connard qui les emp¨ºchait de franchir la fronti¨¨re, et les disposa sur le comptoir. Sans m¨ºme les examiner, l¡¯aubergiste les repoussa.
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¡ª Toujours eu la verrue sur le nez ? La derni¨¨re fois que j¡¯en ai vu, il avait un nez convenable. Oui, oui c¡¯est m¨ºme s?r. D¨¦sol¨¦, je ne prends pas ?a, mais je ne vais pas chipoter. Cinq de vos perles et demain, plouf, les mercenaires disparus.
¡ª Grand merci.
¡ª Installez-vous, faites comme si vos m¨¨res vous avaient pondus ici.
Les perles disparurent derri¨¨re le comptoir. Le capitaine songea que c¡¯¨¦tait peut-¨ºtre la derni¨¨re fois qu¡¯il en verrait et qu¡¯il passerait aux ¨¦lys, comme tout le monde ¨¤ la capitale. Apr¨¨s tout, il trouverait bien quelque chose ¨¤ faire l¨¤-bas, non ? Un poste de ma?tre d¡¯armes, voil¨¤ qui lui conviendrait.
L¡¯aubergiste se retira dans l¡¯arri¨¨re-salle destin¨¦e ¨¤ son repos, toujours une oreille aux aguets au cas o¨´ un client potentiel rappliquerait. Une main se posa sur l¡¯¨¦paule de Silas, c¡¯¨¦tait Cosmo. La col¨¨re sourde qui l¡¯habitait venait de laisser place ¨¤ une lassitude immense.
¡ª J¡¯ai bien failli lui fracasser le crane. Je vais pr¨¦venir les gars que c¡¯est r¨¦gl¨¦.
Le capitaine acquies?a et son second sortit pr¨¦venir les mercenaires qui avaient d¨¦j¨¤ commenc¨¦ ¨¤ d¨¦charger les b¨ºtes, ¨¦reint¨¦s par la marche forc¨¦e.
Silas aussi ¨¦tait ¨¦puis¨¦. Il titilla l¡¯amulette qu¡¯il portait sous sa chemise, par pure superstition. Les six pics finis par trois sph¨¨res, autant de prises pour que le cruel Maga se saisisse de sa bien-aim¨¦e, le rassur¨¨rent malgr¨¦ tout. Au fond, il savait que de ce gri-gri, incarnant la soumission ¨¤ l¡¯entit¨¦ rendant leur univers si inhospitalier, ne pouvait rien lui apportait de bon. Les humains avaient tendance ¨¤ aimer des dieux malfaisants et, intrigu¨¦ par cette id¨¦e, le capitaine d¨¦ambula dans son palais mental. Il s¡¯imagina se rapprochant d¡¯Hydra, emprisonn¨¦e dans les filets du f¨¦lon Maga et qui, malgr¨¦ tout, parvenait ¨¤ leur offrir une partie de son sourire. Pourquoi adorer l¡¯agresseur et non la donatrice tortur¨¦e ? Parce que les plus forts l¡¯emportent toujours, peu importe leur ob¨¦dience morale. Voil¨¤ tout.
Ayant fait le tour des questions th¨¦ologiques, il se recentra sur le cas tr¨¨s personnel de Silas Segpa?s, le capitaine en fin de carri¨¨re. Non, en fin de vie. Qui veut sa peau ? Tout le monde, mais qui l¡¯aurait ? Ce chien de Brogan avec sa pioche, tr¨¨s certainement. Comment exactement ? Oh, il l¡¯avait d¨¦j¨¤ vu faire¡ Il lui planterait le fer entre deux c?tes et clac ! Pas certain que le m¨¦decin de la compagnie lui donne longtemps ¨¤ vivre avec des c?tes perpendiculaires ¨¤ son putain de thorax et le palpitant ¨¤ l¡¯air libre. Il esp¨¦ra que sa mort ne serait pas douloureuse, aussi horrible soit-elle¡
Mais non couillon, tu ne vas pas te faire zigouiller. T¡¯es leur grand marabout, ils te ha?ssent autant qu¡¯ils t¡¯adorent. Ils ne te toucheraient pas avec un baton. Tu vas juste crever fauch¨¦, dans un caniveau. Voil¨¤ tout. Oui-da !
Une toux polie interrompit ses d¨¦ambulations d¨¦pressives. Le marchand gr¨ºl¨¦ venait de reposer sa cuill¨¨re en bois dans l¡¯assiette. Il n¡¯avait pas touch¨¦ ¨¤ grand-chose finalement.
¡ª Fulk ! De la viande et une bi¨¨re pour le copain ! gueula-t-il ¨¤ l¡¯attention de l¡¯aubergiste qui ressortit de sa tani¨¨re, en grommelant.
Silas l¡¯observa, mi-amus¨¦, mi-blas¨¦.
¡ª Je ne vous sucerai pas pour ce cadeau mon ami, mais merci.
¡ª J¡¯aurais offert deux bols si je m¡¯attendais ¨¤ ce que vous me fassiez une pipe. Mais enchant¨¦ de vous servir. Dites-moi plut?t, vous semblez ¨ºtre dans un sacr¨¦ p¨¦trin et je m¡¯y connais dans le domaine.
¡ª Oh, quelque chose de cet acabit. Silas Segpa?s, capitaine de la compagnie du P¨´rgos, r¨¦pondit le vieux mercenaire en tendant une main que le marchand serra.
¡ª Gildas Portos, convoyeur. Ou voyageur. Je ne sais pas vraiment¡ Disons que je transporte des perles d¡¯un endroit o¨´ elles valent kopeck pour un autre o¨´ je peux me remplir les fouilles.
¡ª Ah ? fit Silas, soudainement int¨¦ress¨¦. Besoin d¡¯une escorte, par le plus grand des hasards ?
¡ª Non, non ! Pas la peine copain.
Pour montrer qu¡¯il se moquait d¡¯une telle escorte, il souleva un pan de sa robe pour d¨¦voiler son torse. Une croix tatou¨¦e sur sa poitrine scintillait d¡¯une aura verdatre. Les lettres S.N., en encre noire, encadrait le tout.
¡ª Sanctes Nalth, approuva le capitaine. Cela fait longtemps que je n¡¯en ai pas crois¨¦ un¡ Qu¡¯est-ce qu¡¯on dit d¨¦j¨¤ ? Un si¨¨cle de malheur ¨¤ celui qui en touche un ?
¡ª C¡¯est l¡¯id¨¦e. Les histoires qui circulent sont v¨¦ritables et connues de tous, je peux transporter ¨¤ peu pr¨¨s n¡¯importe quoi dans tout le Royaume sans que l¡¯on daigne m¡¯attaquer. Vous imaginez bien que le faire sans payer d¡¯escorte, ?a rapporte. Mon probl¨¨me, c¡¯est plut?t de l¡¯autre c?t¨¦ de la fronti¨¨re¡ Ils se foutent pas mal de notre caste. Ils sont insensibles para?t-il.
Silas ¨¦clata de rire. Il se souvint d¡¯une fois o¨´ il avait d¨¦coch¨¦ son pied dans les couilles de sa saintet¨¦ la noirceur et de la vive douleur qui l¡¯accapara. Depuis ce jour, il ¨¦tait st¨¦rile. Non pas qu¡¯il l¡¯eut v¨¦rifi¨¦, mais il n¡¯en doutait pas. Le voyageur supposait trop de choses pour qu¡¯il soit v¨¦ritablement ce qu¡¯il pr¨¦tendait ¨ºtre. Du moins, il ¨¦tait peu probable que ?a soit le cas, mais on ne s¡¯attaquait pas ¨¤ un nalth, m¨ºme suppos¨¦ment menteur, dans le doute qu¡¯il le soit r¨¦ellement. Il y avait un ¨¦l¨¦ment qui allait ¨¤ l¡¯encontre de ses dires. La maladie des sables qui l¡¯affectait ¨¦tait commune dans la r¨¦gion, mais le capitaine imagina qu¡¯il pouvait s¡¯agir d¡¯autre chose¡ Une diff¨¦rence de taille entre ce Gildas Portos et le nalth authentique qu¡¯il avait d¨¦j¨¤ rencontr¨¦ existait sur son tatouage. Les deux n¡¯avaient pas la m¨ºme couleur, pas tout ¨¤ fait, et le premier n¡¯¨¦tait pas tomb¨¦ malade ¨¤ cause de l¡¯incrustation de poussi¨¨res de perles noires sur son buste.
Maladie des sables¡ Je me suis bourr¨¦. T¡¯es juste un petit escroc, hein ? C¡¯est tout r¨¦cent, deux ou trois ans, non ? Tu as oubli¨¦ de suivre toutes les ¨¦tapes¡ Encore deux ou trois ans ¨¤ vivre, d¨¦sol¨¦ mais il ne suffit pas de s¡¯¨¦corcher ¨¤ vif pour s¡¯en d¨¦barrasser.
¡ª Il para?t qu¡¯ils sont insensibles¡ Mais j¡¯ai d¨¦j¨¤ entendu parl¨¦ d¡¯un nalth plac¨¦ sur un palan et ¨¦corch¨¦ vif¡ Le barbare coupable de ces atrocit¨¦s n¡¯aurait rien eu, mais serait mort dans de myst¨¦rieuses conditions le lendemain. Alors, la vraie question est de savoir s¡¯ils r¨¦sistent vraiment ou s¡¯ils souffrent ¨¤ retardement. Qu¡¯est-ce que j¡¯en sais¡
¡ª Vous connaissez beaucoup de choses, remarqua Gildas admiratif.
¡ª Oui-da, mais non. Je ne suis qu¡¯un pauvre mercenaire itin¨¦rant, je suis d¨¦j¨¤ all¨¦ de l¡¯autre c?t¨¦ de la fronti¨¨re. Les Manieurs de feu sont de chouettes maboules. Ils mangent la poussi¨¨re d¨¨s leur tendre enfance et m¨ºme si deux sur dix survivent, ils s¡¯en moquent.
¡ª Dure r¨¦alit¨¦. Notre caste a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦e pour les combattre¡ Et pourtant¡
¡ª C¡¯est un Ordre, pas une caste, et il utilise les m¨ºmes arts que leurs ennemis, rectifia Silas et le voyageur parut s¡¯en vexer.
Il faut que tu t¡¯apprennes ¨¤ mieux te cacher. Mauvais pronom, ton nouveau copain est persuad¨¦ de faire partie de cet Ordre de d¨¦g¨¦n¨¦r¨¦s.
¡ª Ordre ou caste¡ Ne jouez pas sur les mots ! Je porte trace dans mon corps de mon appartenance ¨¤ ce groupe. Vous pensez que je mens ? C¡¯est ?a, hein ? J¡¯ai le tatouage, mais peut-¨ºtre voudriez-vous v¨¦rifier par vous-m¨ºme ? demanda le nalth sur la d¨¦fensive. Allez, frapper moi !
Perdu mon pote, ?a ne s¡¯appelle pas un tatouage mais une marque. Mais tu ne le sais pas, je sais d¨¦celer un mythomane quand j¡¯en vois un.
¡ª Non, je ne pr¨¦tends pas que vous mentez, mentit le capitaine. Personne n¡¯oserait tenter le sort en s¡¯opposant ¨¤ un nalth, trop de risque de se faire raccourcir en tentant de lui refaire une coupe.
Gilas Portos, nalth ou pas, s¡¯¨¦tira, visiblement satisfait. Un coup de poing dans le foie aurait vite apport¨¦ la certitude ¨¤ Silas qu¡¯il mentait, mais cela ne lui aurait servi ¨¤ rien. Il existait des contr¨¦es o¨´ on d¨¦capitait ceux qui se pr¨¦tendaient de la Croix noire en promettant la libert¨¦ ¨¤ leur bourreau, eux-m¨ºmes condamn¨¦s ¨¤ mort, s¡¯ils survivaient. Si le nalth ¨¦tait un imposteur, joie et prosp¨¦rit¨¦ sur la famille du bourreau, s¡¯il disait vrai¡ Rien ¨¤ craindre, un sort absolument scell¨¦ ou un tr¨¨s potentiellement, voil¨¤ qui ne faisait pas une grande diff¨¦rence.
L¡¯aubergiste vint interrompre leur dispute avort¨¦e. Il avait fini de pr¨¦parer le bol command¨¦ par Gildas et l¡¯envoya ¨¤ Silas. Il se retira aussit?t.
¡ª Encore merci pour la viande et d¨¦sol¨¦ si je vous ai vex¨¦, dit ce dernier en portant la premi¨¨re cuill¨¦r¨¦e ¨¤ sa bouche.
¡ª Pas de souci¡ Mais, dites-moi, vous pourriez vous l¡¯offrir vous-m¨ºme ce plat si vous en aviez les moyens. Vous avez besoin d¡¯une mission, n¡¯est-ce pas ?
¡ª La compagnie est venue au Nord dans ce but oui.
¡ª Sauf que personne ne voudra de vous. La L¨¦gion r¨¦gule les conflits de ce c?t¨¦ de la montagne.
¡ª Je l¡¯ai bien compris.
¡ª Je pourrais vous aider¡ commen?a Gildas en jetant un ?il inquiet vers la loge de l¡¯aubergiste qui demeurait r¨¦solument silencieuse.
¡ª J¡¯¨¦coute.
¡ª Vous savez que de l¡¯autre c?t¨¦ r¨¨gne le chaos ? Cela ne durera pas, la L¨¦gion est d¡¯une redoutable efficacit¨¦ dans ces affaires. La plupart des colons ont abandonn¨¦ temporairement leurs ¨¦tablissements pour se r¨¦fugier dans les villes-frontali¨¨res encore sous contr?le. L¡¯un d¡¯entre eux se nomme Hal Y?pes, pas un mauvais bougre¡ Loin de l¨¤, c¡¯est l¡¯une des principales fortunes de la r¨¦gion.
¡ª Merci pour le nom, je me dirigerais vers lui si la fronti¨¨re rouvre.
Gildas le regarda stup¨¦fait. Silas leva une main patiente et la secoua doucement.
¡ª Du calme l¡¯ami ! Je plaisantais¡ Expliquez-moi plut?t pourquoi vous ¨¦voquez ce Y?pes.
¡ª D¡¯accord. Bon, dans ce cas ce que je dirais devra rester confidentiel, je compte sur votre discr¨¦tion.
¡ª Cela va de soi.
¡ª Hal poss¨¨de un entrep?t dans lequel il entasse sa fortune, l¡¯¨¦quivalent local des perles pour un Ourakien. Il d¨¦borde de sel import¨¦ tout droit des marais salants de Cadutello.
¡ª Ah, la maison¡ murmura Silas.
¡ª Pardon ? fit Gildas, feignant un maigre int¨¦r¨ºt qu¡¯il remisa vite.
¡ª Oubliez.
¡ª Bref, le fait est que je pourrais tout simplement transporter du sel pour l¡¯¨¦changer contre des perles bien moins encombrantes. Figurez-vous que le cours actuel s¡¯approche des vingt perles au kilo de sel.
¡ª C¡¯est tout ¨¤ fait colossal, s¡¯exclama le capitaine.
¡ª Pas ¨¦tonnant quand on consid¨¨re sa raret¨¦ dans le d¨¦sert. Sans lui comment conserver la viande ? Comment palier aux carences en sodium ? C¡¯est une vieille tradition commerciale que celle-ci. Le probl¨¨me, c¡¯est que ce voyage est long.
¡ª Oui, oui¡ Maintenant, allons au but voulez-vous ? Je crains deviner ce que vous me demandez.
Le capitaine ferma les yeux et reposa sa cuill¨¨re. Gildas tressaillit, gloussa niaisement et se cala un peu plus sur son tabouret. Silas encha?na :
¡ª Imaginons un instant, pure hypoth¨¨se, que le pauvre Y?pes revienne au bercail et que les hommes gardant sa fortune soient tous morts. Oh, on accusera volontiers les locaux. Apr¨¨s tout, n¡¯est-ce pas eux qui ravagent la r¨¦gion ? Le sel aurait disparu¡ Mais vous et moi saurions o¨´ il serait parti. La compagnie vous suivra avec des mules et vous escortera jusqu¡¯au centre du monde, juste sous l¡¯Araign¨¦e c¨¦leste. Okarn, c¡¯est ?a ? L¡¯Oasis dans le d¨¦sert.
¡ª Je m¡¯occuperais alors de vendre le sel et vous repartirais surcharg¨¦s de perles ¡ Riches. J¡¯ai des contacts susceptibles d¡¯acheter tout ce que je leur apporterais ¨¤ Okarn.
Silas tendit une main pour sceller l¡¯affaire. Le nalth voyou tenta de la serrer, mais le capitaine la retira au dernier instant. Ils ¨¦taient dos au mur, mais toujours pas pr¨ºts ¨¤ devenir criminels. L¡¯id¨¦e de d¨¦pouiller un citoyen, somme toute honn¨ºte, l¡¯¨¦c?urait autant que cet escroc qui se mourait sans le savoir.
¡ª Peu pour nous. Nous ne tuons pas, nous combattons c¡¯est diff¨¦rent¡ La compagnie ne s¡¯en prendra pas ¨¤ des civils.
Il se leva, commen?ant ¨¤ s¡¯¨¦loigner de Gildas. Ce dernier lui sourit, sa peau ¨¦tir¨¦e ¨¤ en craquer. Le pus envahit une crevasse sur son visage et ruissela le long de sa joue. Il l¡¯essuya en gardant son expression b¨¦ate. Silas en ¨¦prouva le plus vif des d¨¦go?ts. Il se retourna une derni¨¨re fois vers lui, le contempla avec piti¨¦ et pensa que c¡¯¨¦tait dommage, qu¡¯ils auraient pu faire affaire mais qu¡¯ils n¡¯¨¦taient pas des tueurs. Le capitaine pr¨¦f¨¦rait se faire tuer dans le couvert de la nuit, simplement ¨¦gorg¨¦ dans son sommeil avec de la chance, que de s¡¯abaisser ¨¤ cette extr¨¦mit¨¦.
L¡¯homme malade, ¨¤ la croix poisseuse et m¨¦phitique, tenta une derni¨¨re fois :
¡ª Je lis en vous¡ Vous pensez que je suis mourant, vous pensez que je mens. Vous pensez que je ne suis qu¡¯une ordure qui se pare de la tenue plus noble d¡¯un nalth, mais peu importe. Peut-¨ºtre est-ce que tout cela est vrai. Peut-¨ºtre aussi que de nous deux vous serez le premier ¨¤ mourir, affam¨¦ alors que vous pourriez obtenir plusieurs dizaines de milliers de perles avec une facilit¨¦ d¨¦concertante.
Silas s¡¯arr¨ºta. Le temps se suspendit. Des dizaines de milliers¡ Une fortune pour la compagnie. Une seule perle qu¡¯ils briseraient pourraient les ¨¦clairer pendant des journ¨¦es enti¨¨res, avec le reste¡ Ils pourraient bien s¡¯offrir un lopin de terre, tous et s¡¯installer en bons v¨¦t¨¦rans qu¡¯ils ¨¦taient.
Cette projection ¨¦merveilla le capitaine, mais ne le fit pas rire. Il s¡¯avan?a vers Gildas, d¡¯un pas volontaire. Arriv¨¦ ¨¤ sa hauteur, il planta ses yeux dans les siens. Ils ¨¦taient jaunes, purulents et malades eux aussi.
¡ª Vous ¨ºtes un monstre, vous savez ?a ? dit-il calmement.
Mais il ne pouvait pas simplement refuser de s¡¯associer ¨¤ lui. Pas ainsi. Pour une fois, il esp¨¦ra faire le bon choix pour la compagnie. La simple pens¨¦e d¡¯abandonner ses hommes si loin de chez eux lui parut ¨ºtre la pire qu¡¯il ait eut depuis le temps qu¡¯il les dirigeait.
Le capitaine et le voyageur discut¨¨rent longuement cette nuit-l¨¤. Les d¨¦tails s¡¯¨¦chafaud¨¨rent et les r¨¦ticences s¡¯¨¦teignirent : ce n¡¯¨¦taient pas des civils, mais des mercenaires qui gardaient l¡¯entrep?t ce qui, d¡¯un point de vue ¨¦thique ¨¦tait infiniment meilleur.
épilogue : Sous le Flux, partie 4
Les l¨¦gionnaires furent surpris lorsque les ¨¦nergum¨¨nes de la veille s¡¯engag¨¨rent sur la route qui longeait l¡¯¨¹k. Ils ne tent¨¨rent rien ¨¤ leur encontre jusqu¡¯¨¤ que leurs intentions se manifestent clairement. La route qu¡¯ils prenaient les guidait jusqu¡¯au tunnel d¡¯acc¨¨s vers Resmaar, long d¡¯une vingtaine de kilom¨¨tres. Dans toute la cha?ne montagneuse, il n¡¯en existait que quatre batis par les Anciens alors qu¡¯ils ¨¦cumaient encore cette Terre. Sur les quatre, Silas Segpa?s n¡¯en avait vu que deux, celui d¡¯Alt¨¹k y compris. Compar¨¦ ¨¤ celui qu¡¯il avait jadis emprunt¨¦, ce nouveau ¨¦tait bien plus large et ostensiblement ¨¦clair¨¦ par des ampoules autoaliment¨¦es d¡¯un genre qu¡¯il ne reconnaissait pas.
De la lumi¨¨re et de la place. Le capitaine jubila en remarquant qu¡¯il n¡¯y avait pas le moindre gravats, tous ¨¦vacu¨¦s vers l¡¯ext¨¦rieur. Le tunnel ¨¦tait entretenu, le trajet sera plaisant si on daignait d¨¦bloquer son acc¨¨s.
¡ª Halte l¨¤, cria-t-on du haut d¡¯un mirador flanquant l¡¯acc¨¨s.
Une t¨ºte ¨¦mergea. Le garde de la porte les regarda puis descendit de sa tour de guet, d¡¯un bois si fragile face ¨¤ l¡¯¨¦ternit¨¦ du b¨¦ton arm¨¦. Dans la lumi¨¨re t¨¦nue d¡¯une aurore qui s¡¯¨¦ternisait, il ¨¦tait difficile de lui donner un age. Son agilit¨¦ manifeste tendait ¨¤ indiquer qu¡¯il n¡¯approchait pas encore de la quarantaine, quoi que cela signifiait peu de chose.
¡ª La fronti¨¨re est ferm¨¦e, dit-il. Vous pouvez le voir par vous-m¨ºme.
Ils ne pouvaient pas le manquer. Deux piliers de briques, tout d¨¦risoires qu¡¯ils ¨¦taient, maintenaient en place une herse compos¨¦e de ces dr?les de barres torsad¨¦es qu¡¯on r¨¦cup¨¦rait facilement en brisant les ruines des Anciens. La grille ¨¦tait abaiss¨¦e, m¨ºme la porte d¨¦rob¨¦e croulait sous les verrous.
¡ª Oui, je le vois bien, r¨¦pondit le capitaine. J¡¯esp¨¨re que vous n¡¯avez pas oubli¨¦ o¨´ vous avez rang¨¦ vos clefs parce qu¡¯il va falloir nous ouvrir.
¡ª Ah bon ? demanda le l¨¦gionnaire. Vous avez une raison valable pour que je d¨¦verrouille ?
Le capitaine sortit de sa besace une tablette d¡¯argile sigl¨¦e G.P., une croix et un ordre de mission. Le l¨¦gionnaire s¡¯en saisit et l¡¯examina en plissant le front. Les connexions se firent.
¡ª G.P., c¡¯est ce nalth ?
¡ª Oui-da, celui-l¨¤ m¨ºme. La gueule en lambeaux et une haleine ¨¤ d¨¦terrer les morts ou bien de mort, je ne saurais trop dire.
La figure du l¨¦gionnaire s¡¯ab?ma d¡¯un rictus d¡¯effroi.
¡ª Par Hydra, tenez-vous ! souffla-t-il. C¡¯est un nalth, il pourrait vous maudire sur des g¨¦n¨¦rations. Pourvu qu¡¯il n¡¯entende pas cela¡ C¡¯est donc lui qui vous envoie ? Je ne peux pas vous refuser l¡¯acc¨¨s, sachez que je refermerais derri¨¨re vous. Cependant, je dois vous pr¨¦venir que la navette est hors-service, nous ne pouvons risquer de la perdre dans une embuscade. Alors, il vous faudra traverser ¨¤ pieds. Dans le meilleur des cas, vous arriverez de l¡¯autre c?t¨¦ en fin de matin¨¦e.
¡ª L¡¯autre extr¨¦mit¨¦ du tunnel n¡¯est-elle pas gard¨¦e ?
¡ª Si, et bien. Mais ne prenons pas de risque.
¡ª Je l¡¯entends. Grand merci ¨¤ vous et puisse la journ¨¦e vous ¨ºtre favorable.
Le l¨¦gionnaire ricana en retournant ¨¤ son poste. La journ¨¦e lui ¨¦tait d¨¦j¨¤ d¨¦favorable. Des envoy¨¦s de nalth, il n¡¯aimait pas ?a et pr¨¦f¨¦rait qu¡¯ils s¡¯¨¦loignent le plus prestement possible. L¡¯op¨¦rateur de la porte, sur l¡¯ordre du l¨¦gionnaire, arma des leviers dans sa cabine, en d¨¦sarma d¡¯autres et un moteur s¡¯enclencha. Avec des mill¨¦naires ¨¤ son compteur, il crachota en puisant dans sa r¨¦serve de carburant et s¡¯activa contre toute attente. Les Anciens ¨¦taient d¡¯excellents ing¨¦nieurs, pour s?r. On leur ouvrit la grande porte, bien que la petite eut suffi, et celle-ci s¡¯¨¦leva. Lorsqu¡¯elle le fut assez pour leur permettre de passer, la compagnie s¡¯engagea dans le tunnel en singeant le salut royal, une vieille rengaine entre les mercenaires et l¡¯arm¨¦e officielle : Je t¡¯aime, moi non plus.
¨¤ l¡¯int¨¦rieur du tunnel les diodes s¡¯encha?naient, blanches et rouges pour indiquer les distances parcourues. De la p¨¦nombre naquit la d¨¦bauche lumineuse, effrayant les chevaux habitu¨¦s ¨¤ ne pas voir plus loin que leurs nasaux. Ils tent¨¨rent de rebrousser chemin, mais les mercenaires les retinrent. D¡¯une certaine fa?on, ils partageaient les craintes de leurs montures : eux aussi se montraient moins bravaches. Non pas que la lumi¨¨re les d¨¦rangea, mais habitu¨¦s qu¡¯ils ¨¦taient ¨¤ l¡¯¨¦trange couleur verdatre des perles qu¡¯ils craquaient, ils se retrouvaient d¨¦boussol¨¦s sous la froide et laborantine lueur des diodes. La lumi¨¨re intense qui r¨¦gnait ici r¨¦v¨¦lait le moindre d¨¦tail des amas de terres et de sables, rouges et marronnasses, ramen¨¦s d¡¯un c?t¨¦ comme de l¡¯autre de la fronti¨¨re. La terre avait encore le dessus, mais ils savaient que rapidement le sol serait jonch¨¦ d¡¯une poussi¨¨re sanguine. Celle du d¨¦sert.
Cosmo fr¨¦mit, ostensiblement.
¡ª Je ressens l¡¯¨¦ternel, glapit-il
Le capitaine ne lui r¨¦pondit pas, mais il n¡¯en pensait pas moins. L¡¯?sophage en b¨¦ton arm¨¦ les aspirait vers un autre univers. Des mois auparavant, au-dessus de leur t¨ºte, un politicien d¨¦chu exp¨¦rimentait une transition similaire en empruntant le pont de la compagnie Norddle, direction la cellule 44A et, comme lui, le capitaine ne tarderait pas ¨¤ se muer en quelqu¡¯un de diff¨¦rent.
Pour l¡¯instant cependant, il demeurait le m¨ºme. Il pressentait que ce tunnel serait son dernier et tenta de percer l¡¯horizon, imaginant plus qu¡¯il ne voyait le minuscule point vert qui signifiait la fin du p¨¦riple. La sortie lui parut si proche, pourtant il n¡¯en ¨¦tait rien. Il restait une vingtaine de kilom¨¨tres ¨¤ parcourir, poussez encore un peu plus loin s¡¯il vous pla?t. Le tunnel devait ¨ºtre en ligne droite, ce qu¡¯il croyait discerner ne pouvait ¨ºtre que le grand dehors et pas le cimeterre enflamm¨¦ d¡¯un barbare. Mais¡ Si c¡¯¨¦tait le cas ? Le Cram¨¦ d¨¦ferlerait sur eux, avec ses petits copains enrag¨¦s coll¨¦s ¨¤ ses basques, et ils tasseraient la compagnie contre un mur. Les chevaux paniqu¨¦s fuiraient, les laissant comme des cons entre la mort et les flammes.
Apr¨¨s tout, nous sommes d¨¦j¨¤ dans un sarcophage de b¨¦ton, pens¨¦ des mill¨¦naires auparavant pour accueillir la compagnie du P¨´rgos. Dans la lumi¨¨re, elle reposera, priv¨¦e du vrai monde : l¨¤, dehors¡ Alors, pourquoi pas apr¨¨s tout ?
Sans dire un mot, la compagnie dans son ensemble se d¨¦cida ¨¤ hater le pas. Tous paraissaient effray¨¦s par la perspective d¡¯une rencontre avec l¡¯ennemi bien que personne ne l¡¯exprima. Peut-¨ºtre ¨¦tait-ce le capitaine qui donna le premier coup de cravache, personne ne s¡¯en souviendrait une fois arriv¨¦s ¨¤ destination. Quoiqu¡¯il en soit, une sombre pr¨¦sence les prenait aux tripes et les retournait avec une telle douceur qu¡¯ils ne remarqueraient le moment o¨´ elles se retrouveraient invers¨¦es que trop tard.
Alors qu¡¯ils progressaient ¨¤ vive allure, Silas remarqua la pr¨¦sence de crochets argent¨¦s qui ressortaient des parois, l¡¯aguichant. Ils soutenaient des tuyaux d¡¯une ¨¦paisseur louable et d¡¯une mati¨¨re suspecte. Le capitaine ordonna ¨¤ ce que l¡¯on s¡¯arr¨ºte, malgr¨¦ la r¨¦ticence des hommes, et s¡¯approcha d¡¯une des conduites pour donner un grand coup dedans. ?a ne sonna pas m¨¦tallique. Il en avait d¨¦j¨¤ vu, mais pas souvent et celles-ci l¡¯appelaient.
¡ª C¡¯est du ? blars-tique ?, commenta-t-il. Je n¡¯en ai pas vu depuis¡ Au moins l¡¯¨¦poque o¨´ j¡¯¨¦tais encore lieutenant.
¡ª ? Blas-r¨¦tique ?, corrigea machinalement Cosmo en se trompant lui aussi dans la foul¨¦e. Les Anciens ont canalis¨¦ toutes les eaux de la r¨¦gion pour l¡¯exploiter. Je te parie que ces derniers alimentent l¡¯¨¹k.
¡ª Comment sais-tu qu¡¯il s¡¯agit d¡¯eau ? demanda Silas qui avait entendu parl¨¦ de tuyaux analogues remplis d¡¯une substance ¨¦paisse et noire.
¡ª Ils sont bleus. Les bleus, c¡¯est toujours de l¡¯eau disent les vieux et je les crois sur parole. Puis¡
Il ne finit pas sa phrase. Silas tendit l¡¯oreille. Un sifflement continu perturbait le tunnel et r¨¦sonnait en lui comme dans un cor de brume. C¡¯¨¦tait distrait, mais une fois qu¡¯on l¡¯avait entendu on ne pouvait simplement le remiser dans un coin de son esprit. Ils rep¨¦r¨¨rent rapidement le fautif, un tuyau qui fuitait. Le filet d¡¯eau n¡¯¨¦tait pas des plus vivaces et une flaque s¡¯¨¦tendait sous lui. Elle parvenait ¨¤ s¡¯immiscer dans les f¨ºlures du b¨¦ton, disparaissant aussi lentement que son environnement h?te qui ne manquerait, un jour, de s¡¯¨¦crouler et d¡¯enterrer les rats qui le sillonnait de long en large.
La flaque refl¨¦tait la myriade d¡¯ampoules aussi bien qu¡¯un ciel ¨¦toil¨¦ et attira l¡¯attention de toute la compagnie. M¨ºme de Brogan. Les ¨¦toiles ¨¦taient rares derri¨¨re le Flux.
¡ª ?a me rappelle une visite chez l¡¯arracheur de dent, murmura Cosmo.
¡ª Ah ?
¡ª Oui. Il poss¨¦dait une lanterne ¨¦lectrique aux milliers d¡¯ampoules. Il pr¨¦tendait l¡¯avoir achet¨¦, plut?t que vol¨¦, mais quelle diff¨¦rence cela peut me faire ? La mal¨¦diction s¡¯abat sur les pilleurs de ruines, pas les patients de ceux-ci.
¡ª Foutaises, cracha un des mercenaires.
Celui qui venait de parler en profita pour sauter ¨¤ bas de son cheval. D¡¯une d¨¦marche chancelante, il se dirigea vers la paroi oppos¨¦e ¨¤ l¡¯eau, fascin¨¦ par une des issues de secours qui parsemaient le tunnel.
¡ª J¡¯ai les ratines qui vibrent ! Oui, elles vibrotent, virevoltent, prennent leur envol¡ D¨¦finitivement ! dit-il si fort qu¡¯on put penser qu¡¯il ne se parlait pas ¨¤ lui-m¨ºme.
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Les ratines qui vibrent¡ Silas entendit ces mots, se les repassa, les tortura dans son esprit ¨¦maci¨¦ ¨¤ force d¡¯¨ºtre ¨¦prouv¨¦ et comprit ce qu¡¯il voulait dire. Oui, il y avait de ?a aussi. Mais il n¡¯appr¨¦ciait pas que ce soit le Bigleux qui le fasse remarquer. Il s¡¯approcha de lui, le guerrier vo?t¨¦ caressait les ¨¦cailles de peinture de l¡¯issue. Parfois, ses intuitions les menaient ¨¤ la fortune. Le Bigleux ¨¦tait une sorte de radar ¨¤ perles. Certaines personnes ¨¦taient comme ?a et ils avaient la chance d¡¯avoir un copain de la sorte. Mais, parfois¡ Parfois, c¡¯¨¦tait autre chose que le Bigleux ressentait.
Bien que ce ne soit pas le seul r¨¦ceptif aux ondulations des perles de la compagnie, si les hommes du P¨´rgos ¨¦taient des magnets, le Bigleux ¨¦tait lui un canon de Gauss, pour peu que ces deux objets signifient la moindre chose pour eux. S¡¯il le disait, il devait y avoir quelque chose. La fortune. Bonne ou mauvaise ?
¡ª 19 C, d¨¦chiffra Silas sur la pancarte qui surplombait la porte. Mais ce n¡¯est pas une issue de secours¡
¡ª Pour s?r mon Chef ! Pas de bonhomme vert qui se carapate et parce que je vais te dire une chose¡ ?a n¡¯a foutrement rien ¨¤ voir, non et encore non ! Des perles, ouais¡ La fortune, voil¨¤ ce que je sens et je mettrais mon nasal ¨¤ couper si je me bourre, ouais !
Cosmo les rejoignit.
¡ª On ne devrait pas piller le tunnel, g¨¦mit-il lamentablement.
Il avait toujours ¨¦t¨¦ superstitieux.
¡ª Ahah ! T¡¯as la frousse Coco ? Booouh ! Tu veux toucher mon talisman ? Deux boules, tu les frottes et le g¨¦nie appara?t. Ouais, pour s?r !
¡ª Parce que tu n¡¯as jamais vu de mal¨¦diction, tu en d¨¦duis qu¡¯elles n¡¯existent pas ? gronda Silas. Rappelle-moi avec quel ?il tu n¡¯en as pas vu, je peux toujours arranger ?a.
Sa mal¨¦diction personnelle elle s¡¯appelait ? gros poing droit ?. Silas n¡¯¨¦tait pas superstitieux, mais appr¨¦ciait trop son second pour ne pas lui tendre une main secourable. Il ne pouvait cependant pas dire qu¡¯il se sentait ¨¤ l¡¯aise face ¨¤ cette porte. La police d¡¯¨¦criture utilis¨¦e par les Anciens ? 19 C ? prenait des allures de runes ¨¦sot¨¦riques. Si magie il y avait, elle r¨¦sidait ici et pas ailleurs.
¡ª Contentons-nous de piller les vivants, demanda Cosmo.
Le Bigleux le d¨¦visagea avec col¨¨re. Avec son crane d¨¦mesur¨¦ment allong¨¦ et sa paleur cadav¨¦riques, ses orbites occup¨¦es par deux rubis f¨ºl¨¦s, il ¨¦tait terrifiant.
¡ª Non Coco ! C¡¯est juste derri¨¨re cette porte, ouais ! Je me toucherais les couilles pendant que tu creuse si tu veux¡ Suffit de creuser un peu, puis des perles¡ La richesse derri¨¨re la porte ! Elle s¡¯effrite comme du pain cram¨¦ la porte, porte¡ Porte nous ailleurs !
¡ª On peut toujours regarder, conc¨¦da le capitaine. Tr¨¨s rapidement et je m¡¯en occuperais personnellement.
Cosmo se signa rapidement et s¡¯¨¦loigna de la porte. Le capitaine posa une main sur celle-ci. Elle ¨¦tait d¡¯un rouge qui tournait au rouille, mais elle tenait encore sur ses gonds. Un hublot crasseux ne lui d¨¦voila pas grand-chose sur ce qui se tramait de l¡¯autre c?t¨¦ sinon qu¡¯une s¨¦rieuse fuite dans les canalisations ¨C une autre ! - jouissait d¡¯un terrain fertile et entravait davantage encore la vue.
Il gratta la peinture et des ¨¦cailles tomb¨¨rent en une pluie grossi¨¨re. Du m¨¦tal sur du m¨¦tal, supposa-t-il sans trop comprendre ce dont il s¡¯agissait, comme si on avait ajout¨¦ une tr¨¨s fine couche pour prot¨¦ger le c?ur de la porte de la corrosion. ¨¦videmment, cette couche-l¨¤ poss¨¦dait la consistance du ? blars-tique ?. Mais, ?a lui rappela autre chose. Il en saisit un morceau et tira, tout vint comme il s¡¯y attendait. L¡¯impression d¡¯arracher la membrane argent¨¦e d¡¯une viande le fit glousser, ?a en ¨¦tait juste un peu trop pour lui.
¡ª Nous ne serons pas arriv¨¦s ¨¤ Resmaar ¨¤ temps si tu effeuilles cette porte, intervint Cosmo dans son dos. D¨¦p¨ºche !
Toujours d¡¯excellentes remarques l¡¯ami, se dit Silas en agrippant la poign¨¦e. Il tira d¡¯un coup sec, la porte r¨¦sista et une nu¨¦e d¡¯¨¦clats virevolt¨¨rent, atterrirent dans ses cheveux et lui irrit¨¨rent les yeux. Il secoua la t¨ºte comme un chien sortant de l¡¯eau et ressentit une impulsion folle qui lui fit taper du pied. S¡¯¨¦tait-il seulement pass¨¦ quelque chose ? R¨¦ellement ? Il avait l¡¯impression que ses dents voulaient se d¨¦chausser, mais la sensation disparut aussi rapidement qu¡¯elle ¨¦tait survenue pour le laisser troubl¨¦ dans cet ¨¦tat entre la col¨¨re et la crainte. Pour le capitaine, il ¨¦tait difficile de d¨¦finir ce qu¡¯il ressentit alors¡ Peut-¨ºtre finalement une sorte de r¨¦v¨¦rence insidieuse pour sa Majest¨¦ de la Porte ?
Il resta ainsi un petit moment, regardant ses mains puis la poign¨¦e. ¨¤ sa grande surprise, personne ne dit mot et lui-m¨ºme n¡¯eut envie d¡¯en dire un seul. Il s¡¯empara de nouveau de la poign¨¦e et l¡¯enclencha. Cette fois-ci, elle ne r¨¦sista pas. Il eut l¡¯impression nette de se retrouver face ¨¤ un mur de parpaings, mais cela ne dura pas. Sous ses authentiques mirettes, il crut devenir fou. L¡¯encadrement de la porte ¨¦tait en ruine, puis la seconde d¡¯apr¨¨s elle s¨¦chait, puis encore celle qui suivit elle n¡¯existait plus. Les lampes dans le tunnel s¡¯¨¦teignirent les unes apr¨¨s les autres, l¡¯obscurit¨¦ envahit l¡¯univers. Voyait-il le commencement ou la fin de cette histoire ? Qui sait. Il ne restait plus rien ni du tunnel ni de la porte. Face ¨¤ lui, une caverne s¡¯ouvrit. Profonde, elle exhalait un air charg¨¦ d¡¯embruns iod¨¦s. Une douce luminescence verte ¨¦manait des parois, l¡¯illuminant par phases. Il se retrouva dans ce boyau mu¨¦ par le c?ur d¡¯une noirceur absolue de la B¨ºte.
¡ª Putain de merde, souffla-t-il. Tu as vu ?a Cosmo ?! Le Bigleux ? Brogan¡ ?
Mais la compagnie avait disparu. Il se retrouvait seul face ¨¤ l¡¯inconnu. Du bruit lui parvint ¨¤ une trentaine de m¨¨tres de lui, l¨¤ o¨´ la caverne se ramifiait en trois branches. C¡¯¨¦tait comme si des milliers de pattes m¨¦talliques frappaient la paroi en un rythme effr¨¦n¨¦. Les propri¨¦taires des dites pattes apparurent sous la forme d¡¯araign¨¦es qui s¡¯agitaient, de la taille de son poing. Lorsqu¡¯elles le virent, elles commenc¨¨rent ¨¤ s¡¯approcher de lui.
Elles s¡¯enfonc¨¨rent dans la galerie en progressant. Des sables mouvants ou plut?t un flux visqueux¡ Les parois suintaient et il comprit instinctivement que le moindre contact avec ce dernier le m¨¨nerait au tr¨¦pas. Dans son dos lui parvint le bruit d¡¯un ¨¦coulement, il pensa qu¡¯une conduite¡ Il n¡¯y en a plus. Venait d¡¯exploser. Il ressentit tout de m¨ºme le contact du liquide ti¨¨de qui le d¨¦tourna un instant de la cohorte qui avan?ait vers lui. Assez pour qu¡¯elles se retrouvent ¨¤ port¨¦e de voix et qu¡¯une d¡¯entre elle d¨¦ploie ses mandibules pour lui parler, directement dans son crane.
¡ª Qui voil¨¤ en train d¡¯arpenter mon trou du cul ? Sens-tu mes miasmes ou te refuses-tu obstin¨¦ment ¨¤ respirer mon copain ? Mais ne t¡¯inqui¨¨te pas. Je ne suis pas m¨¦chant¡ Je peux m¨ºme te proposer une branlette ¨¤ huit pattes¡ Tu n¡¯as jamais essay¨¦ c¡¯est s?r, alors tent¨¦ ?
Silas recula en manquant de tomber ¨¤ la renverse. La caverne se referma sur lui.
Oh, et puis merde ! Pourquoi pas l¡¯amie ? Des ann¨¦es que j¡¯ai pas jouis entre des jambes expertes et m¡¯en fous pas mal qu¡¯elles soient arachnides. Oui-da, vas-y, fais de moi ce que tu veux, je m¡¯en branle : lit-t¨¦-ra-le-ment.
L¡¯araign¨¦e parut entendre ses pens¨¦es car sa gueule s¡¯ouvrit encore plus grande. Toutes les siennes sourirent comme une seule entit¨¦ men¨¦e par l¡¯araign¨¦e t¨¦l¨¦pathe. Rapidement, elles se retrouv¨¨rent ¨¤ port¨¦e de saut et puis la suite¡ ? Elle lui sauterait au visage et ils feraient l¡¯amour sans tendresse. Le capitaine se laisserait faire, quitte ¨¤ se faire d¨¦goupiller la t¨ºte apr¨¨s avoir ¨¦jacul¨¦ de tout son so?l.
¡ª Silas ! Merde, tu fous quoi ? hurla-t-on et la caverne vacilla, l¡¯araign¨¦e parut surprise.
Une seconde les gars ! Une seule foutue seconde. C¡¯est plus que ?a n¡¯a l¡¯air. Nous nous d¨¦sirons et merde, la vie n¡¯a pas ¨¤ ¨ºtre tout le temps vide. Parfois¡ Parfois il y a ?a. Parfois, il y a une communion de l¡¯ordre du mystique, parfois la sensation qu¡¯¨ºtre deux c¡¯est plus qu¡¯un et un. Mais c¡¯¨¦tait diff¨¦rent, plus grand encore. Le capitaine fusionnait avec le monde, la caverne n¡¯¨¦tait que la porte d¡¯entr¨¦e vers l¡¯Unit¨¦ et il l¡¯embrasserait de ses deux bras. L¡¯araign¨¦e se trouvait d¨¦sormais ¨¤ une dizaine de centim¨¨tres de lui. Elle le regardait de ses milliers d¡¯yeux. Tes mirettes sont des perles, tu sais ?a ? Si belles, si terribles, si essentielles.
¡ª ?a suffit ! On le tire d¡¯ici !
Une pince se referma sur son ¨¦paule. Dans un cri, l¡¯araign¨¦e lui cracha au visage une substance qui le br?la et l¡¯apaisa en m¨ºme temps. La caverne disparut, les araign¨¦es s¡¯¨¦vapor¨¨rent et tout revint au tunnel et ¨¤ la compagnie, tr¨¨s inqui¨¨te.
¡ª Putain de bordel, merde ! s¡¯¨¦cria Silas ¨¤ bout de souffle en manquant de s¡¯effondrer.
Cosmo le retint, l¡¯air plus soucieux que jamais.
¡ª Tu as commenc¨¦ ¨¤ gratter le mur en hurlant ¨¤ propos d¡¯un baiser. Qu¡¯est-ce qu¡¯il s¡¯est pass¨¦ Silas ?
Il sentit du sang sous ses ongles. Il avait bien gratt¨¦, tant qu¡¯au baiser ? Son entrejambe ¨¦tait humide, mais il se retint bien de lui dire. Il voulait baiser, pas d¡¯un baiser. C¡¯¨¦tait diff¨¦rent et il fut bien heureux que ses compagnons ne l¡¯aient pas compris. Il cligna des yeux pour refaire le point, l¡¯obscurit¨¦ qui n¡¯en ¨¦tait pas une laissa place ¨¤ la d¨¦bauche lumineuse du tunnel. Il discerna le mur qu¡¯il venait de gratter. Des parpaings scell¨¦s ¨¤ la va-vite par un mortier des plus grossiers et qui bloquaient l¡¯acc¨¨s ¨¤ la pi¨¨ce ¨C ou quoi que ce soit ¨C qui se trouvait derri¨¨re. Deux squelettes gisaient appuy¨¦s contre le mur. L¡¯un d¡¯entre eux souriait d¡¯une unique dent en or, une canine, mais tous deux portaient la m¨ºme combinaison orange. Elles portaient inscrit en gras : ? Olkers M.S. ¨C Technique ?. Personne dans la compagnie ne commenta ce d¨¦tail, tout juste comprirent-ils le r?le des d¨¦funts en remarquant les truelles rouill¨¦es et le sceau de mortier plus que sec. Les deux avaient ¨¦t¨¦ enferm¨¦s avec de quoi monter un mur et on avait referm¨¦ la porte derri¨¨re eux, puis verrouiller ¨¤ double tour bien que la serrure ne r¨¦sista pas aux affres du temps.
¡ª Ils ont ¨¦t¨¦ enferm¨¦s vivants¡ souffla le capitaine. Vivants ! Qu¡¯est-ce que tu me veux le Bigleux au juste ?! Tu le savais ?
Le Bigleux r¨¦pondit.
¡ª ?a sent les foutues perles, voil¨¤ tout ! Elles sont derri¨¨re, mais j¡¯savais pas qu¡¯elle te ferait disjoncter !
¡ª Mon cul ! s¡¯¨¦cria le capitaine. Des macchab¨¦s, voil¨¤ tout ce qui se trouvait derri¨¨re la porte et un putain de mauvais sort !
¡ª J¡¯y peux rien ! Je vibre, je vibre ! Fait chier ! Je suis le cl¨¦bard de la bande ! Je renifle, je vous le fait savoir et vous vous en prenez ¨¤ moi ! lacha le Bigleux avant de s¡¯¨¦loigner avec grande col¨¨re.
? Je ferais mieux de renifler le cul du cap¡¯, ouais ! ? ajouta-t-il. Cosmo posa une main rassurante dans le dos de Silas. Le capitaine tressaillit.
¡ª ?a ira, ne t¡¯inqui¨¨te pas Cosmo.
¡ª Naus¨¦es des perles ? demanda Cosmo.
¡ª Oui-da, pour s?r.
Mais c¡¯¨¦tait plus que ?a. Certaines personnes r¨¦agissaient ¨¤ certaines perles, mais ce n¡¯¨¦tait jamais arriv¨¦ ¨¤ Silas qui du haut de sa petite cinquantaine en ¨¦tait arriv¨¦ ¨¤ croire qu¡¯il ¨¦tait immunis¨¦. La situation ¨¦tait singuli¨¨re. Il se pencha vers le couple squelettique, Cosmo le retenant par le ceinturon au cas o¨´ il d¨¦rape de nouveau. L¡¯orbite vide de Canine Dor¨¦e le fixait avec une haine morbide. Au fond, il se moquait de la pr¨¦sence des visiteurs. Il craignait davantage qu¡¯ils ne cassent le mur pour d¨¦couvrir¡ L¡¯araign¨¦e au fond de ton crane, elle tisse sa toile.
Une marque sur le mur attira son regard. Les morts avaient gratt¨¦, tentant de se frayer un passage jusqu¡¯¨¤ s¡¯en limer les phalanges. C?t¨¦ mur.
¡ª Une nouvelle id¨¦e de merde du Bigleux¡ Voil¨¤ tout. Regarde-moi nos nouveaux amis¡
¡ª Aussi tar¨¦s que tu l¡¯as ¨¦t¨¦, hein ?
¡ª Oui, je pense, r¨¦pondit le capitaine en se relevant. Mais personne n¡¯¨¦tait l¨¤ pour les arr¨ºter. Bien, compagnons d¡¯armes¡ Je regrette, mais nous n¡¯aurons pas de perles ce matin. Bien d¡¯autres nous attendent ¨¤ Resmaar cependant.
Toute la compagnie en parut ravie malgr¨¦ tout. Le Bigleux s¡¯agitait toujours dans son coin, brandissant ses petits poings vers le plafond qui se d¨¦litait. Le capitaine eut la soudaine envie de l¡¯¨¦treindre jusqu¡¯¨¤ que ses globes oculaires jaillissent et tombent. Blop, blop, et tu sauterais ¨¤ pieds joints dessus ! Tu en cr¨¨ves d¡¯envie, n¡¯est-ce pas copain ? Pour la branlette, tu devras te d¨¦brouiller tout seul, mais tu peux le niquer lui. Tu peux le baiser jusqu¡¯¨¤ qu¡¯il ne reste que de la charpie de son corps mis¨¦rable. Fais toi plaisir, je te r¨¦compenserais¡ Tout ce que tu veux.
Sauf que cela, le capitaine ne le pensa pas.
épilogue : Sous le Flux, partie 5
Depuis que Silas Segpa?s s¡¯¨¦tait retrouv¨¦ dans ce non-lieu et non-temps, son humeur s¡¯¨¦tait am¨¦lior¨¦e. Il semblait heureux, un l¨¦ger sourire suspendu ¨¤ ses l¨¨vres qui se voulait crisp¨¦. La pl¨¦nitude qu¡¯il ressentait oscillait entre l¡¯horreur la plus absolue et l¡¯extase. Les battements de son c?ur ¨¦taient plus ardents qu¡¯¨¤ l¡¯accoutum¨¦e ¨C allait-il lacher ? ¨C et les palpitations dans ses tempes lui donnaient une naus¨¦e proche de la petite mort qu¡¯il exp¨¦rimentait parfois, tard le soir.
Une id¨¦e cependant lui paraissait ¨ºtre la bonne pour faire pencher la balance vers l¡¯un des deux extr¨ºmes : ¨¦gorger le Bigleux. Cela ne serait pas par vengeance pour l¡¯avoir contraint d¡¯ouvrir cette porte, mais pour le remercier. Le premier ¨¤ partir ne serait pas ¨¤ plaindre.
Les autres suivront mon copain. Si tu le veux, mais tu le veux ? Des couillons en armure, voil¨¤ ce que c¡¯est¡ M¨ºme Cosmo n¡¯a jamais daign¨¦ t¡¯enculer. Tu aurais bien aim¨¦, hein mon salaud ?
Le capitaine secoua la t¨ºte pour chasser cette pens¨¦e. Pas la mienne bordel ! Ils arrivaient sur la dune surplombant l¡¯entrep?t du Y?pes. Une enceinte en terre cuite d¨¦limitait le terrain sur lequel six batiments ¨C six ans, six balles ¨C tentaient, sans succ¨¨s, l¡¯alignement parfait. Il y avait bien une tente dress¨¦e dans la cour, mais rien qui ne sugg¨¨re la pr¨¦sence d¡¯autres mercenaires ce qui ne troubla pas Silas. Un des batiments devait ¨ºtre d¨¦vou¨¦ aux ouvriers, ils s¨¦journaient dedans voil¨¤ tout.
Un premier individu sortit d¡¯un des batiments puis un second. Il rep¨¦ra les montures attach¨¦es aux barreaux des fen¨ºtres de la batisse et en d¨¦nombra une dizaine. Les professionnels engag¨¦s par le Y?pes ¨¦taient bien assez nombreux pour assurer la protection d¡¯une position frontali¨¨re. Ils tra?naient leurs savates dans le sable, ne se doutant pas de la pr¨¦sence d¡¯un loup tapi dans les hauteurs.
Une branche craqua derri¨¨re lui. Il sortit de sa besace un morceau de pain rassis qu¡¯il brisa et tendit ¨¤ celui qui arrivait. Un r¨¦flexe qui la veille lui aurait sauv¨¦ la vie ¨¤ en croire un des vieux papiers des Anciens ¨¤ propos de l¡¯¨¦thologie humaine.
Un d¨¦tail ¨C subtil ¨C demeurait dans cette vieille th¨¦orie, le partage n¡¯avait jamais emp¨ºch¨¦ Judas de passer ¨¤ l¡¯acte et l¡¯homme qui se trouvait derri¨¨re lui s¡¯en apparentait de trop pr¨¨s. Il posa sa main sur la sienne, refusant avec une politesse froide le pain tendu :
¡ª Non, merci Silas. J¡¯ai grignot¨¦ un bout dans le tunnel, du gruau du matin¡ Tu sais, les c¨¦r¨¦ales sauvages qu¡¯on a chopp¨¦ dans la vall¨¦e ? Celles que tu pr¨¦tendais toxiques.
Brogan paraissait en pleine forme. Il n¡¯¨¦tait pas arm¨¦ et son expression n¡¯¨¦tait pas celle d¡¯un meurtrier se pr¨¦parant ¨¤ passer ¨¤ l¡¯acte.
¡ª Tant pis pour toi alors. Depuis combien de temps tu n¡¯as pas croqu¨¦ une miche ? Celle-ci est un cadeau de notre saint nalth.
¡ª Le fameux¡ Le plan c¡¯est bien qu¡¯il rapplique apr¨¨s le combat pour qu¡¯il puisse s¡¯emparer du butin ?
¡ª Oui.
¡ª Il s¡¯attend vraiment ¨¤ ce qu¡¯on ne se tire pas avec ?
La r¨¦ponse n¡¯avait pas besoin d¡¯¨ºtre prononc¨¦e ¨¤ haute-voix pour ¨ºtre comprise. Brogan s¡¯installa aux c?t¨¦s de celui qu¡¯il qualifiait la veille de n¡¯yukt et observa le ballet des hommes du Y?pes. Certains transportaient des sacs de jutes avec une v¨¦h¨¦mence ouvri¨¨re. ¨¤ dire vrai, cela semblait m¨ºme ¨ºtre leur principale activit¨¦ et, si le vent soufflait dans leur direction en portant les voix des mercenaires, ils l¡¯auraient certainement abandonn¨¦ dans la foul¨¦e.
¡ª Regarde-les ¨¤ ne pas savoir ce qui les attends¡ Tu sais Silas¡ dit Brogan avec honte. Je te dois des excuses. Tu es peut-¨ºtre n¡¯yukt, mais pas autant que je peux le penser. Je commen?ais ¨¤ croire que cette marche forc¨¦e vers le Nord ¨¦tait un suicide collectif, mais non¡ Tu nous as trouv¨¦ une tache facile et qui paie. On s¡¯emmerde, ces mercenaires aussi alors allons les remuer un peu.
Silas fit non de la t¨ºte.
¡ª Par piti¨¦, ne t¡¯excuses pas. Je suis vraiment un tar¨¦ qui nous m¨¨ne au bout de la piste, peut-¨ºtre encore plus ces derniers jours. Enfin, finalement nous d¨¦vions juste avant la fin pour entamer notre moralit¨¦ exemplaire.
¡ª Pas si exemplaire que ?a, rappelle-moi¡ Comment s¡¯appelait ce connard d¨¦j¨¤ ?
¡ª Iren?us, j¡¯ai cru qu¡¯il ¨¦tait un fr¨¨re.
¡ª Il l¡¯a ¨¦t¨¦, mais nous ne pouvions conna?tre ses penchants¡
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¡ª Il est mort. Ce n¡¯¨¦tait pas de notre ressort et ?a nous a bien salop¨¦ la vie, maintenant nous nous attaquons ¨¤ du nouveau. Tu te souviens de la derni¨¨re fois o¨´ on s¡¯en est pris ¨¤ des confr¨¨res ?
¡ª Je crois, r¨¦pondit-il en plissant les yeux. Une embuscade dans les plaines du troisi¨¨me r¨¦gent ?
¡ª C¡¯¨¦taient eux qui l¡¯ont tendu. Cette fois-ci nous sommes ¨¤ la place du cl¨¦bard enrag¨¦ et nos ennemis ne sont pas des brigands¡ Loin de l¨¤.
¡ª Parce que c¡¯est nous, soupira Brogan. Silas, je voulais que tu saches que la compagnie te suit sur cette affaire. Les gars sont contents. Ils veulent une paie et de la baston, peu importe laquelle.
Deux hommes sur la dune discutaient de la mise ¨¤ mort d¡¯une dizaine d¡¯autres pour une poign¨¦e de perles. Une brouette. Un char ? Comme si tout cela importait. Le capitaine ramassa un ¨¦norme mollard au fond de sa gorge et le cracha. Il retomba en cloche, tr¨¨s proche, et cela ne l¡¯aida pas ¨¤ se d¨¦faire du go?t du sable dans sa bouche. Bient?t viendrait se joindre celui du sang¡
Non, tu n¡¯es pas l¨¤ pour ?a¡ / Ah ?
Les hommes du Y?pes continuaient leur d¨¦ambulation active. Il leur manquait des armes, cela le capitaine le rep¨¦ra tr¨¨s vite bien que Brogan ne le remarqua pas de son c?t¨¦. ? C¡¯est pour ?a que je commande et que toi tu suis ? pensa-t-il. Des rateliers auraient d? ¨ºtre dispos¨¦s dans l¡¯enceinte, surcharg¨¦s de lances, d¡¯¨¦p¨¦es et de haches. Les guerriers, aussi musculeux furent-ils comme tous ceux de leur esp¨¨ce, ne portaient pas d¡¯armes au flanc. Soit ils n¡¯¨¦taient pas vraiment ce qu¡¯ils paraissaient ¨ºtre, soit¡ L¡¯id¨¦e le traversa, vivement, et lui parut impossible. Des lances ¨¤ feu ? Une paire ou deux suffiraient ¨¤ mettre en p¨¦ril la compagnie. Pas besoin de les exposer ¨¤ la vue de tous, elles se situaient certainement dans la batisse qui leur servait de base et le reste de l¡¯armement devait ¨ºtre entass¨¦ quelque part, sans grande utilit¨¦.
Boum, une d¨¦flagration d¡¯enfer pour peu que les cartouches ne fassent pas exploser leurs batons criminels. Bro, ¨¤ quoi ressemblerais-tu sans cheveux sur ton admirable crane ? Plut?t rocher ou caillou ?
Mais une autre hypoth¨¨se se proposa ¨¤ lui et il pr¨¦f¨¦ra la taire en la pr¨¦sence de Brogan. Ils n¡¯¨¦taient pas des tueurs de sang-froid.
¡ª ?a sera une bataille facile, dit Silas en ricanant ¨¤ la simple pens¨¦e que les guerriers pourraient ¨ºtre¡ Non.
¡ª Jusqu¡¯¨¤ qu¡¯ils se tr¨¦moussent en ch?ur avec nos t¨ºtes fich¨¦es sur des lances ! Ne parle pas ainsi, nous n¡¯avons pas combattu depuis longtemps et je vais recommencer ¨¤ penser que tu es vraiment un n¡¯yukt.
¡ª Sa Grace m¡¯a touch¨¦¡ Oh, et bien l¨¤ o¨´ il le fallait, marmonna Silas.
Brogan lui lan?a un regard ¨¦loquent.
¡ª Pardon ? Tu¡
¡ª J¡¯ai rien dit.
¡ª Tu veux parler de ce qui s¡¯est pass¨¦ ?
¡ª Ah ! Ne me fais pas rire, je pourrais en crever. Toi, Brogan, qui se soucie de son vieux capitaine ? C¡¯¨¦taient juste des flux-cutations de la psych¨¦ ou que sais-je d¡¯autre ? Il n¡¯y a pas de grand mage dans la compagnie pour me gu¨¦rir ? Non. Alors tranquille !
¡ª Justement¡ commen?a Brogan.
Une douleur le prit, coutumi¨¨re bien que l¨¦g¨¨rement diff¨¦rente. Sa t¨ºte lui donna l¡¯impression d¡¯¨ºtre prise dans un ¨¦tau tr¨¨s l¨¦g¨¨rement serr¨¦. S¡¯il tournait la t¨ºte, il souffrirait, sinon il sentirait sa pr¨¦sence et fin de l¡¯histoire. C¡¯¨¦tait plus lancinant qu¡¯autre chose. Il eut la vision d¨¦lirante de Brogan ¨¦tal¨¦ par terre. Litt¨¦ralement, un tapis de tripailles et de bile.
Il en eut presque la gaule.
¡ª Ne te pr¨¦occupe pas de ?a !
Le capitaine se rendit compte qu¡¯il l¡¯avait dit un peu fort. Pas en hurlant, mais bien trop fort avec l¡¯adversaire qui se tenait en bas de la dune. Il replia ses jambes sous lui, tachant de masquer la palpitation qui s¡¯acharnait sur son entrejambe.
Tu ferais mieux de d¨¦gager avant que je te baise ici et maintenant. Dans tous les sens du terme.
Le guerrier haussa les ¨¦paules, l¡¯air contrit.
¡ª C¡¯est comme tu le sens¡ Si l¡¯envie te prends.
¡ª J¡¯ai Cosmo.
Le beau et brave.
¡ª Bien. Regarde plut?t ce qui se trame en bas.
Les hommes du Y?pes ¨C ses ouvriers, mais seul toi le sait copain ¨C d¨¦pos¨¨rent les sacs contre des murs. Le tintement d¡¯une cloche annon?a un moment important pour eux car ils ¨¦chang¨¨rent un regard qui, malgr¨¦ la distance, paraissait heureux. L¡¯heure du repas sonnait et ils d¨¦guerpirent.
¡ª C¡¯est l¡¯heure de la soupe ? demanda Silas bienheureux d¡¯¨ºtre ainsi d¨¦vi¨¦ de ses soudaines lubies.
¡ª Des amateurs ! Ils vont grignoter un bout tous ensemble, ¨¤ croire qu¡¯ils ne s¡¯attendent vraiment pas ¨¤ ¨ºtre abattus !
¡ª M¨¦fions-nous d¡¯¨¦ventuels guetteurs cependant. Mais quoi qu¡¯il en soit, une aussi belle opportunit¨¦ ne se repr¨¦sentera pas. Il n¡¯existe pas meilleur moment, alors va pr¨¦venir les gars¡ Que tous enfilent leurs keffiehs, s¡¯ils sont aussi amateurs que tu le pr¨¦tends, nous n¡¯aurons peut-¨ºtre pas ¨¤ nous salir les mains aujourd¡¯hui.
¡ª Bien mon capitaine ! meugla Brogan en s¡¯empressant d¡¯ob¨¦ir ¨¤ ses ordres.
Le guerrier d¨¦guerpit, Silas souffla. Il venait de mentir. Une rasade de sang, voil¨¤ tout ce qu¡¯il attendait car au fond il savait que la douleur ne s¡¯estomperait pas sans elle.
Mais ferme ta putain de gueule ! Je suis encore aux commandes ! - /- Vampire.
Il en ¨¦tait d¨¦sormais certain. Cette affaire se jouait ¨¤ deux voix et il ne pr¨¦dominait pas au chapitre.
épilogue : Sous le Flux, partie 6
Un seul portail permettait d¡¯acc¨¦der ¨¤ la cour. Aucun verrou n¡¯en bloquait le coulissement et il glissa avec facilit¨¦ dans sa tranch¨¦e. Les hommes, tous r¨¦unis dans le batiment, n¡¯entendirent rien des mercenaires du P¨´rgos qui s¡¯introduisirent sur le domaine de Y?pes. Des fagots de bois s¡¯entassaient dans la cour, des sacs de jute attendaient d¡¯¨ºtre charg¨¦s et malgr¨¦ les efforts prodigues des ouvriers qui balay¨¨rent la cour avant de la quitter a priori jusqu¡¯¨¤ la fin des tensions, une fine couche de poussi¨¨re recouvrait d¨¦j¨¤ le pavement.
¡ª Il a les moyens ce con, chuchota Cosmo.
Parfois, il devrait se taire, mais malgr¨¦ ce d¨¦faut Silas l¡¯appr¨¦ciait. Il ¨¦tait fiable. Ils march¨¨rent ensemble ¨¤ pas feutr¨¦s sur les dalles d¡¯ardoise. Pour l¡¯occasion, leurs lourdes bottes avaient ¨¦t¨¦ remplac¨¦es par des sandales l¨¦g¨¨res qui, bien qu¡¯encore bruyantes, ¨¦taient inaudibles ¨¤ moyenne distance. Les guerriers qui suivaient le duo ne paraissaient pas inquiets, simplement surpris de ne pas rencontrer de r¨¦sistance. La cour ¨¦tait r¨¦solument vide de toute menace. Pas m¨ºme le moindre guetteur.
Les seules silhouettes rencontr¨¦es, outre les entrep?ts, ¨¦taient celles des immenses plateformes qui jalonnaient la cour. Des sacs attendaient sur celles-ci, hiss¨¦es ¨¤ la force des bras sur des palettes qui seraient soulev¨¦es par des palans avant d¡¯¨ºtre charg¨¦es sur les chariots. Pour l¡¯heure, lesdits chariots s¡¯alignaient docilement contre le plus grand des entrep?ts. Ils ¨¦taient tous recouverts de toiles, histoire de ne pas prendre la poussi¨¨re bien que Silas pensa qu¡¯ils puissent abriter les d¨¦fenseurs qui lui paraissaient absents.
¡ª Un probl¨¨me ? demanda Cosmo en remarquant le regard de Silas.
¡ª Peut-¨ºtre, murmura Silas.
Il d¨¦signa les chariots et tira son ¨¦p¨¦e au clair.
¡ª Tu penses ?
¡ª Non en fait. Aucune raison, se r¨¦signa Silas. Une perte de temps et une v¨¦rification qui serait trop bruyante, je suis peut-¨ºtre un peu parano.
Il rengaina son ¨¦p¨¦e apr¨¨s s¡¯¨ºtre accord¨¦ une seconde de r¨¦flexion suppl¨¦mentaire. S¡¯ils s¡¯¨¦taient cach¨¦s dedans, c¡¯est que la compagnie avait ¨¦t¨¦ rep¨¦r¨¦e. Aucune raison pour que ?a soit le cas. Leur position avanc¨¦e sur la dune ¨¦tait bel et bien invisible de la cour. Si des d¨¦fenseurs existaient, ils se tassaient dans ce batiment voil¨¤ tout, le seul dont la chemin¨¦e tirait et ce n¡¯¨¦tait clairement pas dans une recherche de chaleur. Apr¨¨s tout, les Ourakiens fuyaient les fortes temp¨¦ratures par une architecture astucieuse : des tourelles de briquettes flanquaient les c?t¨¦s de la batisse sans pour autant poss¨¦der le moindre but d¨¦fensif, elles attrapaient les vents pour les recracher de l¡¯autre c?t¨¦ surcharg¨¦s de chaleur humaine et de relents qui parvinrent jusqu¡¯¨¤ ¨¤ la compagnie. Ces odeurs, ce n¡¯¨¦taient pas celles de la tourbe, mais du vrai bois qui br?lait dans l¡¯atre en r¨¦chauffant une de ces soupes qui ne disparaissait jamais vraiment.
¡ª Ils sont l¨¤-dedans, dit Silas en agitant son index. Personne ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur, ¨¤ l¡¯odeur ?a me para?t ¨¦vident. Ils ont la dalle.
Bien que de ?a, il n¡¯en ¨¦tait pas tout ¨¤ fait s?r. En tout cas, ceux qui ¨¦taient dedans devaient mettre le couvert pour le repas. Ils se rendraient dans la seconde et si le Silas d¡¯hier aurait dit que c¡¯¨¦tait une bonne chose, celui d¡¯aujourd¡¯hui ne partageait pas cet avis.
Mon copain, tu vas les niquer en beaut¨¦. Pas de piti¨¦. - /- D¨¦gage.
Il s¡¯arr¨ºta un instant. Cosmo le d¨¦passa et effleura son ¨¦paule. Il ne r¨¦agit pas, songeant que la peur qu¡¯ils instilleraient chez les attabl¨¦s les feraient fuir sans effusion de sang, surtout si la premi¨¨re personne qui passait le pas de la porte ¨¦tait un g¨¦ant blond. Mais non, il ne fallait pas qu¡¯il le d¨¦passe. Il ne voulait pas que la peur s¡¯installe et¡
¡ª Ferme ta grande gueule, grogna Silas.
Le keffieh de Cosmo se retourna vers lui. Ses yeux brillants le questionn¨¨rent silencieusement.
¡ª Ce n¡¯est rien. Je r¨¦pondais juste ¨¤ ma putain de migraine, on peut continuer ¨¤ avancer ?
Peut-¨ºtre comprit-il que quelque chose n¡¯allait pas, peut-¨ºtre ne l¡¯imagina-t-il m¨ºme pas mais Cosmo continua sa marche. Avec les autres hommes, ils flanqu¨¨rent le batiment dans un silence de mort. ¨¤ l¡¯int¨¦rieur les signes de vie se multipliaient. On entendait clairement les conversations, par trop bruyantes bien qu¡¯incompr¨¦hensibles, ¨C ¨¦tait-ce seulement de l¡¯¨¦lypathien ? ¨C et sentait les odeurs de vies ordinaires.
Le capitaine, qui tout du long avait ¨¦t¨¦ en t¨ºte du d¨¦fil¨¦ mortel, arriva le dernier et leva une main pour l¡¯impr¨¦gner d¡¯un mouvement circulaire en sifflant une seule fois. Les mercenaires sortirent des briquets ¨C les pierres ¨¦taient us¨¦es, bient?t elles ne rendraient aucune ¨¦tincelle ¨C et allum¨¨rent les tissus imbib¨¦s de poix enroul¨¦s autour de leurs armes.
¡ª Pr¨ºts ? demanda-t-il ¨¤ mi-voix.
Une s¨¦rie de tapes sur la cuisse remonta jusqu¡¯¨¤ lui. Il ¨¦changea un regard complice avec Cosmo, bienheureux que le keffieh lui cacha le sourire qui s¡¯¨¦panouissait sur ses l¨¨vres. Il se dit qu¡¯ils devaient avoir l¡¯air de cultistes ainsi affubl¨¦s et que pour son retour, cela leur si¨¦rait.
Sauf que tu ne vas pas revenir, hein sale bestiole ?
De tous les mensonges que Silas s¡¯¨¦tait racont¨¦, celui-ci ¨¦tait le plus grand. La froide souillure du tunnel demeurait en lui, ind¨¦l¨¦bile. L¡¯Araign¨¦e tissait sa toile et il commen?ait ¨¤ penser que son nom commen?ait par un M et finissait par un A. Maga n¡¯¨¦tait pas du domaine du mythe.
Coucou, je suis l¨¤. La salutation r¨¦sonna dans sa t¨ºte. Il se demanda si elle existait. Il avait ou?e dire que certaines particules du Flux, notamment les anciennes emprisonn¨¦es ¨¤ la source, pouvaient mener aux bords de la folie si elles ¨¦taient inspir¨¦es. La culture du capitaine s¡¯occuperait alors de cr¨¦er pour lui ce colocataire envahissant qui n¡¯¨¦tait autre que lui. Du moins, c¡¯¨¦tait l¡¯hypoth¨¨se ¨¤ laquelle il d¨¦cida de se rattacher en se disant que d¡¯ici quelques jours tout irait mieux.
Un mensonge, encore une fois, qu¡¯il pr¨¦serva pr¨¦cieusement en suivant les traces de la Compagnie. Ils entr¨¨rent dans le vestibule et les conversations disparurent de l¡¯autre c?t¨¦ d¡¯une porte par laquelle s¡¯¨¦chappait les vibrations orang¨¦es du foyer. Ils cramaient du bois ¨¤ tout va, pas de la tourbe. ?a sentait le fric et cela, la partie mercenariale du capitaine l¡¯appr¨¦cia. Ses guerriers envahirent la pi¨¨ce, leurs armes enflamm¨¦es leur l¨¦chant le visage. Il y avait l¨¤ des paillasses ¨¦tendues par terre, des hommes ¨¤ moiti¨¦ endormis en pagne qui ne se r¨¦veilleraient franchement que lorsqu¡¯on tendrait une gamelle (ou le fer) vers eux. L¡¯une de ces deux possibilit¨¦s glougloutait all¨¦grement au fond. Une marmite ¨¦tait remu¨¦e avec entrain par un adolescent au turban nou¨¦ sur le crane, mais il cessa aussit?t qu¡¯il vit les hommes et lacha la cuill¨¨re au fond. Ses yeux s¡¯embrum¨¨rent et un vieillard accourut aussit?t vers lui, l¡¯enserra et le d¨¦tourna du spectacle. Ils ¨¦chang¨¨rent quelques mots dans une langue exotique, jetant des regards terrifi¨¦s vers les brutes.
¡ª Hankersam du dam ? s¡¯¨¦cria-t-on.
Aucun des soi-disant mercenaires du Y?pes se bougea d¡¯un pouce. Celui qui venait de parler ¨¦tait une femme, elle se redressa et alla ¨¤ la rencontre des hommes du P¨´rgos. Elle portait une tunique simple, bien que compos¨¦e d¡¯¨¦toffes de qualit¨¦ aux broderies discr¨¨tes mais ¨¦l¨¦gantes. Elle n¡¯avait rien d¡¯une femme d¡¯arme, sinon d¡¯une accompagnante qui gagnerait sa cro?te en extirpant les soucis des hommes.
Ce n¡¯est pas une pute, se dit Silas, on ne la laisserait pas s¡¯exprimer ainsi. Les hommes sur son chemin lui ouvrirent le passage pour la laisser s¡¯approcher. Elle les repr¨¦sentait, ?a c¡¯¨¦tait s?r, et du peu de connaissances sur la culture ourakienne que poss¨¦dait le capitaine une vieille histoire le rattrapa. En Ourakie, des femmes dirigeaient des hommes. Le Royaume d¡¯Elypathes ne supportait, ni n¡¯encourageait, aucune coop¨¦ration militaire avec l¡¯ennemi et le respectable Hal Y?pes ne pouvait d¨¦cemment avoir embauch¨¦ des mercenaires Ourakiens alors il ne restait plus qu¡¯une seule solution : des ouvriers.
Gildas¡ Je vais te niquer - / - Plus compliqu¨¦ de saigner des innocents, hein ? T¡¯as peur de te faire rouler dessus par tes gars mon copain ? T¡¯inqui¨¨te, va bien falloir te faire le cul.
La femme parla plus fort que la voix en Silas :
¡ª Jer dam ? demanda-t-elle dans sa langue chantante.
Les hommes du P¨´rgos se regard¨¨rent, stup¨¦faits. La femme ¨¦clata d¡¯un rire aussi l¨¦ger qu¡¯ind¨¦chiffrable.
¡ª Parlez pas our?lke ? ¨ºtes pas amis d¡¯Hankersam. Qui ¨ºtes ? Chez mes sladakt inspirez la peur.
Sladakt. Le mot r¨¦sonna parmi les rares v¨¦t¨¦rans des campagnes d¡¯Anthes le Brave qui se trouvaient dans la compagnie. ? Piti¨¦, piti¨¦¡ Sladakt ! ? ¨¦tait une phrase commune ¨¤ l¡¯¨¦poque o¨´ ils ¨¦cumaient les campagnes ourakiennes. Parfois, ils rencontraient des ¨¦leveurs ¨¤ l¡¯apparence trop musculeuse ¨¤ leurs yeux. Ils ressemblaient trop ¨¤ ceux qu¡¯ils combattaient et, dans le doute, ils les tuaient une fois sur deux. Le plus souvent ils se trompaient lourdement et des veuves ¨¦plor¨¦es venaient pr¨¦senter leurs dol¨¦ances aux l¨¦gionnaires du Royaume. De l¡¯accord de paix sign¨¦ entre le Royaume et les Clans d¡¯Ourakie, il n¡¯avait jamais ¨¦t¨¦ question de payer le prix du sang vers¨¦ par les l¨¦gionnaires apeur¨¦s et une ranc?ur tenace demeurait.
? Oui, mais tu aurais d? voir ? avait un jour racont¨¦ l¡¯un des v¨¦t¨¦rans ¨¤ Silas. ? Je suivais un aventurier ¨¤ l¡¯¨¦poque. Gale qu¡¯on l¡¯appelait. Il louait ses services au Royaume et j¡¯¨¦tais dans son groupe avec sept autres gaillards qui chevauchaient dans le d¨¦sert ¨¤ la recherche du prochain point d¡¯eau pour la foutue L¨¦gion. Combien de fois avons-nous vu ces connards de basan¨¦s sortirent du sable ? Quand ils n¡¯¨¦taient pas l¨¤, on tombait dans des pi¨¨ges ¨¤ la con¡ Merde, j¡¯ai un pote qui s¡¯est bris¨¦ la nuque dans l¡¯un de leur trou ! Alors ouais, on ne se demandait pas si c¡¯¨¦tait un enrag¨¦ ou pas quand on croisait un type un peu trop baraqu¨¦¡ ?. Et ils le tuaient. Les Ourakiens parlaient de milliers de civils ainsi assassin¨¦s par des unit¨¦s en vadrouille. La v¨¦rit¨¦ c¡¯¨¦tait que parmi eux devaient effectivement se cacher des guerriers, mais tout cela appartenait au pass¨¦. Du moins, dans un monde id¨¦al. Les v¨¦t¨¦rans de la Compagnie baiss¨¨rent les yeux, honteux et en m¨ºme temps, merde vous ¨¦tiez-l¨¤ quand des hommes grim¨¦s en gamins s¡¯allongeaient au milieu de la route, feignant d¡¯¨ºtre assoiff¨¦s pendant que ses petits copains d¨¦talaient sur vous ? Vous ¨¦tiez-l¨¤ quand ils dynamitaient leurs galeries sous vos pieds ? Peut-¨ºtre avez-vous eu l¡¯occasion de croiser l¡¯un de vos anciens potes, ¨¦corch¨¦ vif et expos¨¦ comme une putain d¡¯?uvre d¡¯art du bon Roi ? Non, bien s?r que non, vous n¡¯¨¦tiez pas l¨¤. Mais cela n¡¯excusait rien, les meurtres des sladakt restaient leur crime. Les vrais gosses devenus orphelins qui crevaient c¡¯¨¦tait aussi eux¡ Tout ¨¦tait si difficile.
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¡ª Vous n¡¯allez pas rester ici ¨¤ rien foutre ! vocif¨¦ra une voix d¨¦sagr¨¦able. Juste vous mater, ouais je vois bien¡
Le Bigleux boita en se frayant un passage jusqu¡¯au capitaine. Lui n¡¯avait jamais vu de sladakt, mais une ou deux fois des Manieurs de feu.
¡ª C¡¯est louche, cracha-t-il ¨¤ son oreille. Oui, pour s?r que ?a l¡¯est ! Elle est bonne, mais pas pute. Regarde plut?t l¨¤-bas !
Il d¨¦signa un des hommes qui venait de glisser une main sous son pagne et se figea. Un catalyseur suffisait souvent pour qu¡¯un hachoir rayonnant apparaisse et transforme la sc¨¨ne en boucherie. Cuisson ¨¤ point.
¡ª Il cache quoi ? Se touche les couilles peut-¨ºtre ? Des sladakt¡ Mon cul !
Peut-¨ºtre pas que des ouvriers, mais essentiellement des ouvriers¡
- / - ¨¦clate-toi mon pote ! Dans le doute, pense aux massacres de Jerosbath, de Ganym¨¨de¡ Ah, c¡¯¨¦tait chez toi ?a. Aller, choisis le bon c?t¨¦ pour une fois.
La diatribe du Bigleux commen?ait cependant tout juste et coupa court ¨¤ la conversation int¨¦rieure du capitaine.
¡ª J¡¯en ai vu, ouais ! Pas de ces putains de sandales, ?a non, mais des Manieurs ouais ! Pour s?r capitaine ! Une femme et des ploucs en pagne, pour vous ?a ressemble ¨¤ un harem, pour moi¡ dit-il avant de prendre une petite pause. Merde, du sang.
Il l¡¯avait dit comme une simple banalit¨¦. Silas sentait que le tissu clair de son keffieh devenait plus chaud, plus humide. Oui, il saignait du nez. Il tourna lentement sa t¨ºte de droite ¨¤ gauche. Aucun probl¨¨me, tout allait pour le mieux. Certainement la s¨¦cheresse de l¡¯air.
¡ª T¡¯occupe le Bigleux. Je survivrais.
¡ª Des Manieurs, ouais, des¡
Silas repoussa le Bigleux et revint ¨¤ la femme qui, dans l¡¯attente, avait crois¨¦ les bras. Un air contrari¨¦ impr¨¦gnait son visage :
¡ª Gherlik ! Je ne comprends rien, parlez trop vite. C¡¯est avec moi que la conversation doit suivre, oui, parlez donc ! dit-elle sans la moindre trace de peur dans la voix.
¡ª Nous avons ¨¦t¨¦ mis au fait de la pr¨¦sence de mercenaires dans l¡¯entrep?t. Quoi qu¡¯il en soit¡
¡ª Mercenaires ? Des hankers pay¨¦s, ?a ? Non, y a pas.
¡ª Y a pas¡ Y a pas¡ Mais je vais quand m¨ºme te buter, r¨¦pondit avec calme Silas. Du fric. Ouais mon copain, c¡¯est ce qu¡¯on t¡¯a promis. ICI
La femme haussa un sourcil, elle ne poss¨¦dait pas ce vocabulaire. Une main bienveillante se posa sur son ¨¦paule et l¡¯enjoignit de quitter la pi¨¨ce, tout de suite et avec lui. Le bon vieux Cosmo ordonna dans la foul¨¦e de garder captifs le personnel du Y?pes ¨C mercenaires ou pas. Le capitaine ne r¨¦sista pas longtemps ¨¤ la pression sur son ¨¦paule et c¨¦da, soulag¨¦ de quitter le batiment. Le grand air lui fit du bien apr¨¨s avoir souffert de l¡¯¨¦crasante odeur musqu¨¦e d¡¯hommes entass¨¦s.
¨¤ l¡¯abri des regards, ils soulev¨¨rent leurs keffiehs. La peau luisait dessous, couverte de sueur. Ils ¨¦touff¨¨rent les flammes de leurs lames.
¡ª Tu ne buteras personne. Nous avons ¨¦t¨¦ douill¨¦s, voil¨¤ ce qui s¡¯est pass¨¦, dit Cosmo. Le nalth nous avait promis des mercenaires, pas des civils¡
¡ª Je n¡¯en ai aucune envie, pr¨¦tendit Silas et l¡¯espace d¡¯un instant il le crut.
¡ª Oui, ¨¦videmment¡ Mais ce n¡¯est pas ce que tu viens de dire ¨¤ leur bonniche.
Les yeux de Silas s¡¯¨¦carquill¨¨rent, horrifi¨¦. Il avait dit quoi ? Il tenta de se repasser les ¨¦v¨¦nements dans l¡¯ordre chronologique, l¡¯adolescent qui lache sa cuill¨¨re, le vieillard qui le cajole, la femme qui s¡¯approche ¨¤ son tour. Le musc, les flammes et le rago?t qui mijotent¡ Lui, qui se va ¨¤ la rencontre de la repr¨¦sentante du groupe, la regarde dans les yeux, ces yeux d¡¯¨¦meraudes, et lui r¨¦pond qu¡¯il va la buter. Oui, il l¡¯avait vraiment dit.
¡ª Ce n¡¯¨¦tait pas moi, glapit Silas.
¡ª Par tous les dieux ! Heureusement qu¡¯elle ne t¡¯a pas compris. Qu¡¯iraient-ils raconter ? Que des Elypathiens les ont menac¨¦s de mort ? Combien de mercenaires se baladent de ce c?t¨¦ de la fronti¨¨re ¨¤ ton avis ? Je vais te le dire¡ Au moins un, plus qu¡¯invraisemblable qu¡¯il y en ait deux.
¡ª Je sais¡
¡ª Et tu¡
¡ª Ferme ta putain de grande gueule !
Cosmo se recula, comme physiquement bless¨¦. Le capitaine tremblait, un ¨¦clat malveillant dans le regard. ¨¤ l¡¯int¨¦rieur, des discussions angoiss¨¦es filtraient. Toutes en Ourakien, bien que le Bigleux imposait sa voix, plus forte que les autres, par-dessus le lot.
¡ª Nous sommes dos au mur¡ Soit nous r¨¦glons l¡¯affaire du nalth, soit la compagnie dispara?t avec nous. C¡¯est ce que tu veux Cosmo ? La plus ancienne compagnie de tout l¡¯Empire, effac¨¦e ¨¤ tout jamais ? Le Royaume grand vainqueur ? C¡¯est donc ce que tu veux ? D¨¦truire un putain d¡¯empire mill¨¦naire parce que, non, Cosmo le grand seigneur ne s¡¯en prendra jamais ¨¤ des innocents ?
¡ª Oui ! Je ne pense pas que la moiti¨¦ de nos gars sont¡
¡ª MAIS TU VAS !
Il allait lui foutre un coup, mais un fracas net le stoppa. Le fer d¡¯une hache vint rebondir ¨¤ ses c?t¨¦s, retombant sur le sable sans un bruit. Entre les batiments, des robes color¨¦es se pr¨¦sent¨¨rent. Une vingtaine d¡¯individus, au bas mot, venait d¡¯envahir la cour. Ils s¡¯embras¨¨rent d¡¯une aura bleu, une flamme qui gelait plut?t que br?lait. En langue locale, cela signifiait que les Manieurs de feu tant attendus ¨¦taient arriv¨¦s. Cosmo porta la main ¨¤ sa fid¨¨le masse.
Oh, les bouffeurs de couilles, s¡¯esclaffa le colocataire de Silas.
Ils avanc¨¨rent vers eux, bien d¨¦cid¨¦s ¨¤ pr¨¦lever leur moisson sanglante.
¡ª Qu¡¯est-ce que¡
Silas ne r¨¦fl¨¦chit pas. Il saisit le bras de son compagnon et se retira dans la batisse. Du bruit provenait aussi de l¡¯int¨¦rieur. Les g¨¦n¨¦reuses pellet¨¦es de perles promises par le nalth s¡¯¨¦chapp¨¨rent de son esprit aussi vite qu¡¯elles s¡¯y ¨¦taient immisc¨¦es. Ils devaient fuir, mais, une partie de lui voulait rester ici, rester sous la courbe meurtri¨¨re des armes qui s¡¯abattraient sur lui et observer le regard troubl¨¦ des agresseurs quand ils se rendraient compte qu¡¯ils ne pouvaient rien faire contre lui.
Tu cr¨¨veras la bouche ouverte, voil¨¤ tout.
Mais il ne pouvait mourir tu¨¦ par sa propre cr¨¦ation. L¡¯Araign¨¦e tissait en lui si profond¨¦ment qu¡¯ils ne faisaient plus deux, pas encore un non plus, bien que cela ne tarderait pas ¨¤ arriver. Il perdait du terrain, tout n¡¯¨¦tait plus qu¡¯une affaire d¡¯heures avant l¡¯in¨¦luctable.
Non, non, tu t¡¯inventes tout ?a !
Qu¡¯est-ce qu¡¯il en savait ? Une part de lui se persuadait de l¡¯inverse. Mais le moment n¡¯¨¦tait pas celui de tenter sa chance. Il s¡¯approcha, avec Cosmo, de la pi¨¨ce qu¡¯ils venaient de quitter. Les Manieurs de feu, dehors, s¡¯¨¦taient d¨¦cid¨¦s ¨¤ camper sur leur position encore m¨¦connue des mercenaires rest¨¦s ¨¤ l¡¯int¨¦rieur qui, ¨¤ l¡¯heure, paraissaient plus apais¨¦s.
¡ª Il y a un pro¡ commen?a Silas.
La repr¨¦sentante discutait vivement avec le Bigleux, un sourire ¨¦nigmatique sur les l¨¨vres. Elle avait aussi senti le probl¨¨me qui, pour elle, ¨¦tait une solution. Le duo fit mine de ne pas entendre le capitaine et une horrible sensation s¡¯empara de lui : personne ne l¡¯¨¦coutait.
¡ª Au moins, ma petite dame, on peut parvenir ¨¤ une solution ! Vous nous filez ces jolies boucles, tous les foutus bijoux et perles de cette pi¨¨ce, et on se tire ! Ouais, pour s?r, parole de Bigleux ! dit le Bigleux en m¨ºme temps que Silas commen?ait sa phrase ignor¨¦e.
La femme lui pla?a une main autour de l¡¯¨¦paule comme si elle allait l¡¯embrasser. Vivement, elle remonta l¡¯autre main dans sa chevelure, d¨¦tacha une ¨¦pingle et la ficha avec malice dans l¡¯?il le plus valide du mercenaire qui s¡¯¨¦carta subitement. Le globe perc¨¦ pissait d¡¯un pus ¨¦pais, il tacha de faire le lien avec ce que cela repr¨¦sentait. Aveugle ? Oui, il l¡¯¨¦tait presque. Son monde ne se r¨¦soudrait d¨¦sormais plus qu¡¯¨¤ un rideau brumeux.
¡ª Sale garce ! hurla-t-il.
¡ª On nous attaque ! entonn¨¨rent en ch?ur Silas et Cosmo.
Une d¨¦flagration vint confirmer leurs dires. Un pan entier d¡¯un mur s¡¯effondra, dynamit¨¦ par les Manieurs de feu peu soucieux de la survie des otages. Le sourire disparut du visage de la repr¨¦sentante, remplac¨¦e par une indicible horreur alors qu¡¯elle se tenait le bras, tentant de le remettre en place. Les poussi¨¨res retomb¨¨rent, d¨¦voilant la valse surr¨¦aliste du couple haineux au centre de la pi¨¨ce. Le Bigleux lui tordait le bras selon un angle improbable, la repr¨¦sentante lui lan?ait des supplications. Il allait la tuer avant de se joindre au combat.
¡ª En formation d¨¦fensive !
Ils se mass¨¨rent devant l¡¯ouverture b¨¦ante quand un javelot jaillit de la porte que le duo de commandement venait d¡¯emprunter. Le projectile traversa la pi¨¨ce et finit sa course dans une cervicale du Bigleux qui tomba, l¡¯?il toujours pendant sur sa joue et aspergeant de son sang celle qu¡¯il aurait voulu pour victime. Les Manieurs de feu venaient d¡¯arriver sur sc¨¨ne, tout n¡¯avait ¨¦t¨¦ qu¡¯une diversion. Cosmo et Silas, en retrait du reste de la compagnie, se ru¨¨rent sur la porte pour les repousser dans le vestibule. Ils y parvinrent.
Salaud de nalth¡ Ce ne sont pas des mercenaires, mais ils ont des copains dans les parages. Je ne cr¨¨verais pas ici - / - Mon cul mon pote, tu adorerais ?a ! Je sais bien que tu ne m¡¯aimes pas.
Ce qui ¨¦tait vrai. Il cr¨¨verait volontiers, mais son corps ¨¦tait pass¨¦ en mode automatique. Son ¨¦p¨¦e para la lame courbe, scintillante de l¡¯¨¦nergie bleut¨¦e des Manieurs de feu, qui fendit l¡¯air vers lui, elle descendit jusqu¡¯¨¤ la garde rafistol¨¦e ¨¤ la va-vite qui lui sauva ses doigts. Il s¡¯attendit ¨¤ sentir la br?lure de la flamme bleue, mais ¨¦tait froide. Si froide qu¡¯il en ressentit la morsure jusqu¡¯¨¤ l¡¯os. Cosmo se baissa et donna un coup de masse entre ses jambes, terminant sa course dans les mollets du premier des assaillants qui tomba ¨¤ la renverse, se brisant le crane contre les pav¨¦s. Le second de cord¨¦e enjamba son compagnon, ne se souciant pas du corps qui se consumait dans sa propre ¨¦nergie qui maintenant virait au vert profond du Flux, pour venir s¡¯unir de nouveau ¨¤ lui, le nourrir.
¡ª Tuez-moi ces foutus civils et rejoignez-nous ! gueula Silas en pointant son ¨¦p¨¦e vers l¡¯avant, tachant d¡¯emp¨ºcher les Ourakiens de franchir le pas de la porte, auquel cas ils seraient foutus.
Les mercenaires ¨¦chang¨¨rent un regard lourd de sens et deux d¡¯entre eux entreprirent de poignarder les ouvriers, recroquevill¨¦s. Le combat ne se m¨¨nerait que sur un front malgr¨¦ la br¨¨che. Silas le savait, ils ne les ressentaient pas ailleurs que dans ce foutu vestibule. Les mercenaires l¡¯ignoraient, mais au moins ¨¦taient-ils d¡¯accord sur le fait que parmi ces innocents, pouvaient se cacher des ennemis susceptibles de les prendre ¨¤ revers avec un mobilier quelconque.
¡ª Et la br¨¨che ?! demanda-t-on.
Ils l¡¯abandonneraient. Ils n¡¯¨¦taient pas assez nombreux pour tenir les deux fronts s¡¯il devait en avoir deux. Petit ¨¤ petit, les compagnons de Silas Segpa?s, le dernier capitaine de l¡¯Empire, le rejoignirent et form¨¨rent avec lui une herse imp¨¦n¨¦trable. Ils n¡¯¨¦taient pas en sup¨¦riorit¨¦ num¨¦rique, mais s¡¯ils tenaient ce goulot d¡¯¨¦tranglement ils pourraient s¡¯en sortir, si seulement¡
¡ª Silas, fais gaffe ! ¨¤ tes pieds ! hurla Brogan.
Silas baissa les yeux, vit la lance qui apparut, ¨¤ bras tendus entre les jambes de l¡¯Ourakien qui tenait la porte et mena?ait son gardien de t¨ºte. Le fer de la lance dansa tel un serpent et piqua vivement ¨¤ l¡¯aveugle. Il frappa avec trop de mollesse le mollet de Silas qui fit un bond en arri¨¨re, ressentant le sang qui s¡¯¨¦coulait sans que cela n¡¯est la moindre incidence sur sa capacit¨¦ ¨¤ combattre. Mais il avait ¨¦t¨¦ bless¨¦.
Cosmo sauta aussi dans la place vacante laiss¨¦e par Silas et balan?a un coup sauvage vers le visage de l¡¯Ourakien qui parvint ¨¤ parer de justesse. Un bruit sourd r¨¦sonna clairement dans le chaos lorsque son cubitus se f¨ºla sous le choc, mais cette terrible fracture n¡¯emp¨ºcha pas la lame de glisser sur la masse de Cosmo et de continuer sa course. Il ne voulait que parer, mais dans son ¨¦lan la lame plongea dans la gorge d¡¯un Cosmo d¨¦s¨¦quilibr¨¦. Il tomba par terre, gargouilla un dernier mot et s¡¯effondra sur les assaillants.
Merde, non¡ !
Repoussant la masse inerte du combattant du P¨´rgos, les assaillants profit¨¨rent de l¡¯occasion pour d¨¦ferler dans la salle. Les cadavres des ouvriers n¡¯avaient pas fini de se vider de leur sang, les torches au mur gr¨¦sillaient en projetant trop de chaleur sur ceux qui refroidissaient d¨¦j¨¤ et la fin approcha. Le Flux envahit le monde, Silas l¡¯absorba ¨¤ pleins poumons.
Respire mon pote, il ne te reste que ?a ¨¤ faire.
Il sombra dans l¡¯inconscience furieuse.
épilogue : Sous le Flux, partie 7
Le vide. Peut-¨ºtre existait-il autrefois un mur ici ? Avec des tentures et des peaux de b¨ºtes dans lesquelles les ouvriers se drapaient quand les nuits ¨¦taient trop froides, aussi des briques descell¨¦es qui manquaient de tomber comme les dents d¨¦chauss¨¦es des nomades traversant les terres d¨¦sol¨¦es. Mais maintenant, il n¡¯y avait plus rien sinon les cendres qui virevoltaient selon les caprices des vents, des gravats ¨¦pars et un pilier, unique, qui soutenait ce qui restait de toit. Les arcades partaient d¡¯un c?t¨¦ et de l¡¯autre, rejoignaient le Flux qui brillait intens¨¦ment dans cette matin¨¦e ou nuit, apr¨¨s-midi ? Silas n¡¯aurait su le dire alors qu¡¯il rouvrait les yeux, recouvrant ses sens et ne reconnaissant en lui rien sinon un automate duquel il ne serait pas aux commandes.
Tu n¡¯as pas¡ - / - Rendors toi. Il ne se passe rien.
Il plia l¡¯index, le d¨¦plia, recommen?a. Il poss¨¦dait encore le contr?le d¡¯une partie de son corps. Sa vue branlante se stabilisa, bien que marqu¨¦e par un voile qui n¡¯¨¦tait ni vert ni gris, bien qu¡¯il puisse distinguer ces deux couleurs : il ¨¦tait rouge. Rouge sang. Une tra?n¨¦e poisseuse sur ses tempes le ramena ¨¤ la r¨¦alit¨¦. Pendant le combat, il avait ¨¦t¨¦ assomm¨¦. C¡¯¨¦tait comme si ¨¤ deux heures du matin, par une nuit de trop grande ivresse, une br¨¨ve accalmie lui avait offert la lucidit¨¦. Il se voyait, les mains jointes dans un thorax. Une noix de chair et de bile qu¡¯il ouvrait en deux. Le regard vide d¡¯un Ourakien qui tombait et puis le choc sur sa tempe¡ Le coup venait de derri¨¨re lui.
Brogan s¡¯imposa ¨¤ son esprit, puis ¨¤ sa vue. Il avait les deux mains ligot¨¦es dans le dos et le mercenaire se trouvait l¨¤ avec deux copains, sous l¡¯arcade, bien plus ab?m¨¦ qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait lui-m¨ºme. Si pour Silas l¡¯histoire s¡¯¨¦tait arr¨ºt¨¦e au d¨¦but d¡¯un affrontement perdu d¡¯avance, Brogan revenait d¡¯une guerre contre un ennemi que personne ne saurait affronter et instinctivement le capitaine comprit que c¡¯¨¦tait lui, que c¡¯¨¦tait eux et qu¡¯il n¡¯¨¦tait plus son sup¨¦rieur. Quatre hommes, cinq si l¡¯on supposa que le colocataire de Silas en ¨¦tait un, se regardaient avec un m¨¦lange d¡¯effroi et de respect.
¡ª Merde, il se r¨¦veille.
Une main calcin¨¦e se referma sur l¡¯¨¦paule de Silas. Il tenta de s¡¯en d¨¦gager, mais ressenti les entraves qui joignaient ses bras derri¨¨re lui. Le souffle qu¡¯il ressentit sur sa nuque le gla?a :
¡ª Silas, qu¡¯est-ce que tu m¡¯as fait ?
La voix appartenait ¨¤ un d¨¦funt.
¡ª Tu m¡¯as touch¨¦, je suis revenu¡
¡ª C¡¯est juste un cadeau pour ton pote, il le m¨¦ritait, r¨¦pondit Silas.
Son pote ? Moi ? Merde.
Cosmo ne parut pas surpris par sa r¨¦ponse. Apr¨¨s tout, il avait vu l¡¯entit¨¦ prendre possession de son compagnon et pourfendre ¨¤ tout va. Il se souvenait de son baiser et de son r¨¦veil dans une suffocation. Le Bigleux avait subi le m¨ºme sort, puis il s¡¯¨¦tait laiss¨¦ aller et, ¨¤ cette occasion, le revenant n¡¯avait pas ¨¦t¨¦ convaincu que le corps de son ami soit vraiment hors de contr?le. Non, il avait trop bien reconnu Silas Segpa?s quand il enfon?ait ses ongles sales dans les yeux vitreux du Bigleux fra?chement ressuscit¨¦ et ¨¦clatait d¡¯un rire th¨¦atral qui le gla?a tant qu¡¯il eut l¡¯impression de repasser de l¡¯autre c?t¨¦ : dans le n¨¦ant.
¡ª Mon pote ? s¡¯exclama Cosmo. Qui es-tu bon sang ! Silas¡ Ce n¡¯est pas toi¡
¡ª Je suis Silas Segpa?s, capitaine de cette compagnie de merde ! Bordel, lib¨¦rez-moi !
Mais il savait que ce n¡¯¨¦tait pas vrai. Plus vrai. Il n¡¯¨¦tait plus le capitaine d¡¯une compagnie pas plus qu¡¯il n¡¯¨¦tait Silas Segpa?s. Du moins, pas tout ¨¤ fait. Le bon vieux capitaine restait dans le navire, mais il venait de quitter la barre pour les cabines des passagers et, si parfois sa voix nageait au-dessus de la cohue, il n¡¯avait pas sa place ici.
¡ª Nous ne pouvons pas Silas, intervint Brogan. Tu as massacr¨¦ les Ourakiens avant de commencer ¨¤ t¡¯en prendre au Bigleux¡ Il ¨¦tait mort, mais est revenu comme Cosmo. Il avait encore un ?il quand tu lui as saut¨¦ dessus, puis deux quand tu l¡¯as embrass¨¦, puis aucun¡ Quoi que tu sois, on devrait te tuer et filer.
¡ª Merde, vous ne pouvez¡
¡ª Non. On ne peut pas Brogan, r¨¦pondit Cosmo. Il doit y avoir une solution¡
Le second resserra sa prise sur le capitaine d¨¦chu. Malgr¨¦ le tissu sur son ¨¦paule, ce dernier ressentit la morsure d¡¯une peau qui peinait ¨¤ se r¨¦chauffer. Resterait-il pour toujours froid, lui ¨¦ternel revenant avec cette sinistre balafre barrant sa gorge ?
¡ª VOUS PENSEZ VRAIMENT ? hurla Silas ou quoi que ce soit, certainement un peu des deux. Une solution ! Que j¡¯en sois lou¨¦ ! Lib¨¦rez-moi putain ou je vous ¨¦tripe sur place !
Ils peuvent toujours essayer mon pote, ils ne peuvent rien contre nous. Toi et moi, c¡¯est pour l¡¯¨¦ternit¨¦ ! Ouais, jusqu¡¯¨¤ que tu me supplies de te sucer la moelle de tes vieux os¡ Tu deviendrais aussi luminescent que mon sperme¡
¡ª Hors de question, pas ainsi¡ Tu es dangereux. Brogan, montre-lui le macchab¨¦ au cas o¨´ il aurait oubli¨¦.
Brogan entreprit de soulever un cadavre. Silas comprit instantan¨¦ment duquel il s¡¯agissait et la Chose en lui tr¨¦pigna. Bien que cram¨¦, plus que les autres, il demeurait reconnaissable entre mille avec sa scoliose marqu¨¦e. Le cadavre du Bigleux se trouvait ¨¤ l¡¯¨¦picentre du cataclysme, ses visc¨¨res s¡¯¨¦tendant autour de lui en lui donnant l¡¯illusion d¡¯¨ºtre une plante rabougrie au milieu de ses comparses pleines de vigueur. L¡¯image d¡¯une rose bien fl¨¦trie dont les pistils, disparus, laisseraient place ¨¤ des abysses. Plus d¡¯yeux, le corps ouvert de l¡¯aine au sternum avec une sauvagerie atroce, Silas se demanda si c¡¯¨¦tait bien lui le responsable. Sous ses ongles, il ressentit la souillure de la chair puante du Bigleux et la r¨¦miniscence de l¡¯extr¨ºme violence qui s¡¯¨¦tait empar¨¦e de lui. Lui, pas l¡¯autre.
Cette fois-ci, ce n¡¯est pas le cougar qui a d¨¦cortiqu¨¦ ce paysan. Les chasseurs, tu n¡¯en feras pas parti, c¡¯est toi que l¡¯on va abattre¡ Petit minou est f¨¦roce, n¡¯est-ce pas ?
La r¨¦ponse il la porterait ancr¨¦e l¨¤ pour l¡¯¨¦ternit¨¦, sous la k¨¦ratine.
¡ª J¡¯ai fait ?a, dit Silas, simple remarque.
Cosmo soupira plaintivement et relacha quelque peu son ¨¦treinte.
Ce cougar, c¡¯¨¦tait le plus gros que je n¡¯ai jamais vu. L¡¯hiver avait ¨¦t¨¦ rude, le village n¡¯avait pas pu obtenir ce qu¡¯il lui fallait pour ¨¦clairer les parcelles¡ Une foutue famine sur mon mis¨¦rable village, voil¨¤ ce qui s¡¯abattit. Puis, il y avait eu ce monstre qui ¨¦tait descendu de la montagne, lui aussi motiv¨¦ par la pure survie. Il a bouff¨¦ ce plouc¡ Ouais. Il ne restait pas grand-chose du cadavre, mais me voil¨¤ cougar¡ J¡¯avais¡ - / - Tu avais aussi faim. Tes petites mains, ta petite caboche, ton joli petit cul¡ Tous convenaient de te laisser aller pour une fois. Tu voulais te le taper ce Bigleux, alors bravo mon copain ! - / - Par sa putain de faute je dois vivre avec toi, affreux connard !
Sauf que pour l¡¯affreux connard, il ressentait une certaine sympathie. Depuis combien de temps l¡¯Araign¨¦e se terrait-elle l¨¤, dans cette galerie scell¨¦e par deux h¨¦ros du pass¨¦ ? Sa solitude, ¨¦ternelle, venait de rencontrer celle de Silas Segpa?s. ¨¤ deux, ils formaient un. Ils conversaient encore, mais pour combien de temps ? Bient?t, la Chose en lui le supplanterait et il dispara?trait. Fin de partie pour Silas Segpa?s¡ Non, clairement pas de la folie tout compte fait.
¡ª Tu as d¨¦coup¨¦ notre pote juste apr¨¨s avoir zigouill¨¦ les Manieurs de feu¡
¡ª Des hanker, en langue locale. Pas des mercenaires, intervint Brogan. Le nalth nous a menti.
¡ª Mais il peut te sauver, il le doit.
Quelqu¡¯un pi¨¦tina dans le dos de l¡¯Hybride. Celui-ci tourna la t¨ºte et remarqua le visage exsangue de Cosmo. Combien de jours lui faudrait-il avant que son corps ait remplac¨¦ le sang perdu ? Comment son c?ur parvenait ¨¤ battre ainsi priv¨¦ de son vital carburant ? Une singuli¨¨re lueur verte traversait son regard, prenant le relais le temps que tout revienne en place.
? D¨¦sol¨¦ ? voulut bafouiller Silas, mais la Chose en lui jubilait. C¡¯¨¦tait sa cr¨¦ation ou la leur, il ne savait plus trop ce qui en ¨¦tait et cela n¡¯avait pas la moindre importance. Sa joie s¡¯estompa bien vite quand l¡¯individu derri¨¨re Cosmo passa dans la lumi¨¨re. Ils reconnurent les crat¨¨res qui ab?maient la figure singuli¨¨re du nalth et, le cerveau de Silas partagea l¡¯information avec la Chose. Bien qu¡¯il partageait le m¨ºme d¨¦sir de l¡¯¨¦treindre que Silas, pour des raisons fortes diff¨¦rentes, cela ne l¡¯amusait pas. Le nalth avait men¨¦ Silas ¨¤ sa corruption, le nalth pourrait l¡¯en d¨¦faire¡ Peut-¨ºtre ? La possibilit¨¦ existait, bien que mineure et apr¨¨s avoir pass¨¦ des mill¨¦naires ¨¤ attendre le visiteur importun, la Chose ne voulait pas prendre de risque.
¡ª Capitaine Silas Segpa?s de la compagnie du P¨´rgos, dit le nalth avec une tristesse ¨¦vidente dans ses yeux qui s¡¯illumin¨¨rent d¡¯un bleu vibrant. Je ne souhaitais rien d¡¯autre que faire fortune, pas vous offrir mauvaise fortune.
¡ª Toi ! Tout est de ta faute ! Les Manieurs de feu, tu le savais ! Il n¡¯y avait pas un seul foutu mercenaire dans cet entrep?t, on est all¨¦s au casse-pipe ! Il n¡¯y a plus personne maintenant, je vais¡ Te tuer. Sale connard ! dit Silas, la Chose le laissant parler.
¡ª Ta gueule ! cria Cosmo tr¨¨s proche de son oreille en lui ass¨¦nant un coup dans le foie qui le laissa indiff¨¦rent.
Le nalth d¨¦sapprouva. Il n¡¯¨¦tait pas certain de pouvoir le sauver sinon qu¡¯il pouvait lui offrir une accalmie : une diff¨¦rence notable.
¡ª Je n¡¯y suis pour rien, je vous aurai pr¨¦venu. Mes informations ne correspondaient pas ¨¤ la r¨¦alit¨¦¡
¡ª Des civils, le coupa Cosmo. Nous les avons massacr¨¦s parce que ces tar¨¦s ¨¤ la flamme se sont point¨¦s¡ Parce que nous ¨¦tions ici.
¡ª Oui, vous l¡¯¨¦tiez. Ces tar¨¦s ont d? sentir votre capitaine, se sont repli¨¦s et vous ont pris par surprise. Cela, je n¡¯y suis pour rien et que vous soyez ici, vous n¡¯y ¨ºtes pour rien aussi. Quelle autre solution s¡¯offrait ¨¤ vous que d¡¯accepter mon offre ? Vous creviez d¨¦j¨¤ quand je vous ai rencontr¨¦, la mutinerie n¡¯¨¦tait pas loin¡
¡ª Maintenant, elle est loin. La Compagnie n¡¯existe plus, intervint Brogan.
¡ª Je crains que ?a soit en effet le cas, commen?a le nalth avant de s¡¯adresser au corps du capitaine. Segpa?s, parce que je sais que vous ¨ºtes encore l¨¤-dedans, lorsque je suis arriv¨¦ peu apr¨¨s le carnage j¡¯ai d¨¦couvert votre compagnie, saign¨¦e ¨¤ blanc et un capitaine encercl¨¦ par des hommes qui h¨¦sitaient entre le maintenir captif ou le liquider¡
Les crat¨¨res sur sa peau accompagn¨¨rent la danse de ses yeux et devinrent plus lumineux, la m¨ºme aura bleut¨¦e. Il grima?a de douleur et commen?a ¨¤ se caresser le visage, insistant sur les imperfections.
Le capitaine ne comprit rien ¨¤ son man¨¨ge, la Chose en lui s¡¯en r¨¦jouit. Il souffrait de sa pr¨¦sence.
¡ª Je comprends pourquoi ils h¨¦sitent ainsi. Vous ¨ºtes maintenant l¡¯Ennemi et avez ¨¦t¨¦ l¡¯Ami. Voyez-vous, je suis un nalth. Ce n¡¯est pas une b¨¦n¨¦diction, mais un sacrifice. Quand j¡¯avais onze ans, mes parents m¡¯ont donn¨¦ ¨¤ l¡¯Ordre. Tous les matins, j¡¯endurais mes s¨¦ances pieuses et les heures d¡¯efforts physiques jusqu¡¯¨¤ que mon corps n¡¯en puisse plus, puis, venu le soir, je buvais ma d¨¦coction. Un peu de poussi¨¨res au fond d¡¯un verre¡ Pas grand-chose, mais je crois que je n¡¯ai pas vraiment dormi la premi¨¨re ann¨¦e, jusqu¡¯¨¤ que je me retrouve accoutum¨¦.
¡ª Triste histoire, fit machinalement Cosmo.
¡ª Mais c¡¯est grace ¨¤ elle que je peux peut-¨ºtre aider votre ami. Avec cette pr¨¦paration, je me suis empar¨¦ d¡¯une partie du pouvoir de Maga. Ce n¡¯est pas un dieu, c¡¯est une cr¨¦ature infame. Grace ¨¤ ses propres armes, mon Ordre pense pouvoir l¡¯an¨¦antir avant qu¡¯il ne fasse de m¨ºme de nous. Pendant des mill¨¦naires, nous avons pens¨¦ qu¡¯il resterait enferm¨¦ pour toujours, mais cela ne nous a pas emp¨ºch¨¦ de nous pr¨¦parer. Maintenant, regardez-le¡ Prisonnier d¡¯un corps mortel apr¨¨s avoir souill¨¦ notre monde.
¡ª Rien ¨¤ foutre de ton histoire ¨¤ la con, cracha l¡¯Hybride.
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Joue pas ¨¤ l¡¯idiot pauvre con, s¡¯ajouta-t-il en interne. Tu ne crois pas vraiment ¨¤ ces conneries ? Vous ¨¦tiez pourris ¨¤ la base, j¡¯ai peut-¨ºtre chi¨¦ ce Flux, mais ma putain de nasse n¡¯est pour rien dans votre malheur. ?a non ! Ah, sans cette pute qui se tire vous auriez v¨¦cu tranquillement. Du moins, avec de la lumi¨¨re¡ Mais regardez, je suis g¨¦n¨¦reux¡ Alors, dans ma grande g¨¦n¨¦rosit¨¦ je te recommande ¨¤ l¡¯¨¦ternit¨¦. ¨¤ mes c?t¨¦s, c¡¯est bon pour toi copain-taine ? Nous serons trois.
Il gloussa ¨¤ cette d¨¦licieuse pens¨¦e. Cosmo feignit de ne pas entendre cette bouche si famili¨¨re et ¨¦trang¨¨re ¨¤ la fois.
¡ª Vous pensez pouvoir virer le parasite sans toucher au capitaine ? demanda-t-il au nalth.
Il lui sourit avec une tristesse infinie. Maga, par l¡¯interm¨¦diaire des yeux du capitaine, n¡¯y lu que du m¨¦pris tandis que son h?te, remis¨¦ dans les cales de son propre navire, d¨¦cela de l¡¯espoir.
Du calme, je t¡¯ai d¨¦j¨¤ dit que toi et moi c¡¯¨¦tait pour toujours¡ No future.
Une certitude absolue r¨¦sonnait dans ces derniers mots. Elle ne faiblit pas lorsque le nalth sortit de sa veste un tube creux termin¨¦ par un crochet.
¡ª Bonjour Docteur, la carie va ¨ºtre compliqu¨¦e ¨¤ arracher, plaisanta l¡¯Hybride.
Pas de r¨¦ponse. Le nalth se contenta d¡¯agiter l¡¯objet devant lui. Il paraissait fait de bronze jalonn¨¦ par des ¨¦clats de lapiz lazuli, li¨¦s entre eux par un filet d¡¯argent qui repr¨¦sentait une toile. Sa toile. Des symboles ¨¦sot¨¦riques venaient parfaire le caract¨¨re sacr¨¦ de l¡¯objet, mais un colon d¡¯une M¨¦ga?a encore pleine d¡¯espoir y aurait d¨¦cel¨¦ du codage informatique. In C++ we trust. Rien qui ne soit susceptible de reprogrammer Silas Segpa?s ¨¤ un ¨¦tat ant¨¦rieur.
Le nalth enfon?a son crochet rituel dans la joue de l¡¯Hybride et commen?a ¨¤ hurler dans une langue qu¡¯il pensait ¨ºtre celle de Maga, mais qui en r¨¦alit¨¦ ¨¦tait celle des siens.
¡ª Sefter Maga. Ultis masghar, ultis narhalt !
Les sonorit¨¦s trop douces pour ¨ºtre celles d¡¯une entit¨¦ mal¨¦fique s¡¯insinu¨¨rent dans les conduits auditifs de l¡¯Hybride. Il en ressentit un m¨¦lange de joie pure et de terreur profonde, peut-¨ºtre aussi de la col¨¨re. Un peu de tout, bien que le dernier ¨¦tat ¨¦tait celui le plus pr¨¦sent car partag¨¦ par le propri¨¦taire et l¡¯envahisseur de ce corps. La col¨¨re grimpait en eux, merveilleuse sous le tiraillement du crochet. Un lambeau de peau se d¨¦colla et plut?t que d¡¯hurler, la part qui demeurait du v¨¦ritable Silas se laissa aller. Bient?t, il vrillerait, adieu capitaine.
¡ª Cessez, balbutia Silas.
Il ¨¦tait parvenu ¨¤ formuler sa demande. L¡¯¨¦treinte du d¨¦mon en lui ne d¨¦passait pas le cadre de ce qu¡¯il se permettait de contr?ler, pour l¡¯instant. Ses anciens compagnons l¡¯ignor¨¨rent.
?a fait mal, hein ? J¡¯ai deux solutions ¨¤ te proposer. Je pourrais tout arr¨ºter, sauter ¨¤ la gorge de ce sacreux de mes deux, lui arracher la trach¨¦e et c¡¯est la fin de cette exquise douleur, mais je sais que c¡¯est comme pour le Bigleux¡ Je le ressens en toi, la haine que tu lui voues plus que tu ne m¡¯adores, parce qu¡¯au final tu sais que si tu dois te taper une araign¨¦e multimill¨¦naire c¡¯est surtout par sa faute¡ La sienne plus que celle du Bigleux. - / - Ferme l¨¤. Par piti¨¦... - / - Copain, voyons sois raisonnable. T¡¯es con ? Tu t¡¯es tap¨¦ le puant, je t¡¯offre aussi celui-l¨¤. C¡¯est comme la bouteille qu¡¯on offre quand on ach¨¨te une maison dans la capitale. C¡¯est mon pinard !
Maga d¨¦couvrait qu¡¯il appr¨¦ciait toutes ces bribes d¡¯informations d¨¦vers¨¦es par le cerveau de son h?te. Il se retira plus en lui, le laissant souffrir jusqu¡¯¨¤ qu¡¯il se d¨¦cide. Silas ressentit plus ardemment la torture, il en tressaillit de tous ses muscles.
¡ª Tenez-le ! siffla le nalth.
Les survivants du P¨´rgos s¡¯approch¨¨rent de leur feu capitaine et joignirent leurs forces ¨¤ celle de Cosmo. Il ne se contentait pas de se d¨¦battre car une ¨¦trange ¨¦nergie pulsait de son corps par vagues glaciales. ¨¤ la sensation de cette force brute, le visage lunaire de Gildas Portos se mua en un masque d¡¯excitation morbide. Le doute n¡¯¨¦tait plus permis, ils le tenaient. Pour la premi¨¨re fois dans l¡¯histoire de l¡¯Ordre, l¡¯Ennemi fantasm¨¦ s¡¯av¨¦rait r¨¦el et lui, le mis¨¦rable escroc ¨¤ la sauvette, le tenait entre ses mains¡ Quelle fin digne d¡¯une saga !
Il continua de lui labourer le visage.
¡ª Ultis nesfhalt, Hylea te morda !
Le sang d¡¯un bleu profond qui s¡¯¨¦coulait sur le visage de l¡¯Hybride ne lui donnait pas un air sain ni m¨ºme celui d¡¯¨ºtre encore un corps en transition. Il ferma un instant ses yeux pour les rouvrir sur la m¨ºme teinte. Des gouttes perl¨¨rent ¨¤ la commissure de ses l¨¨vres, jaillissantes des crocs qui lui per?aient le palet. Silas Segpa?s en ¨¦prouva la plus vive des douleurs, plus rien d¡¯excitant alors que Maga reprenait le contr?le total de son corps et le malmenait, transformant la chair humaine en ¨¦quivalence arthropode. Un tiraillement dans son bas ventre inqui¨¦ta le capitaine : une pousse malheureuse. L¡¯Ennemi prenait place dans toute son horreur.
Le placard dans lequel se terrait Silas fut ferm¨¦ ¨¤ double tour.
¡ª Ultis han Maga, siffla Maga. Je comprends cette langue stupide¡ Elle n¡¯est pas mienne comme vous n¡¯¨ºtes pas du coin¡ Dei mata, comme vous dites mes copains¡
¡ª Salet¨¦ ! cria le nalth dont le doute, pour la premi¨¨re fois, vint marquer son visage. Tu vas retourner d¡¯o¨´ tu viens !
Malgr¨¦ des ann¨¦es de pr¨¦parations, il redouta subitement de ne pas ¨ºtre capable de combattre l¡¯engeance qu¡¯il avait, bien malgr¨¦ lui, lib¨¦r¨¦. Il tremblait en r¨¦alisant les incisions rituelles sur la peau du capitaine. L¡¯¨¦toile prenait forme, viendrait ensuite¡
Trop tard. La morsure glaciale. Elle s¡¯amplifia, s¡¯ins¨¦minant dans leurs membres. Brogan lacha le premier prise, claqua une unique fois de la machoire et s¡¯effondra. Il porta la main ¨¤ sa gorge, mimant de s¡¯¨¦touffer et, dans un dernier glapissement lamentable, s¡¯immobilisa vite rejoint par ses camarades. Cosmo relacha aussit?t sa prise pour se saisir de sa masse, bien d¨¦cid¨¦ ¨¤ mettre hors-de-combat Maga, mais ne se d¨¦cida que trop tard.
Par piti¨¦, pas ?a¡
Maga n¡¯en eut aucune. Il se releva d¡¯un bond, envoyant valser le nalth et Cosmo au centre des d¨¦combres.
¡ª Tiens, qui va crever ce matin ?! d¨¦clara Maga.
Il se dirigea vers le nalth et le saisit par le col. Le premier choc contre l¡¯unique pilier restant fut le plus dur. Un filet de sang commen?a ¨¤ filtrer par les oreilles du malheureux, ses crat¨¨res rejoignirent la danse en saignant abondamment. Rien de rouge cependant, sinon le bleu qu¡¯il partageait avec l¡¯Ennemi.
¡ª Je t¡¯en supplie Silas, si tu es encore l¨¤¡ balbutia Cosmo.
Aucune r¨¦action de Maga. Silas hurlait en lui, il peinait¡ Des remparts immenses l¡¯entouraient, il ne pouvait rien faire le poids face ¨¤ une plan¨¨te enti¨¨re. Toutes les perles de l¡¯univers se concertaient pour lui r¨¦sister et lui se trouvait l¨¤, tout en bas en observant une ?uvre qui ne pouvait ¨ºtre cess¨¦e avant son terme fatal. En observant la lumi¨¨re qui se d¨¦versait sur son pass¨¦.
Ainsi finira la Compagnie¡ songea-t-il.
Sans qu¡¯il puisse contr?ler son poing, ce dernier frappa avec violence le foie du nalth qui roula des yeux sous l¡¯indescriptible douleur. Maga n¡¯en parut pas endolori, mais Silas n¡¯en manqua pas une miette. Le salaud s¡¯¨¦tait d¨¦cid¨¦ ¨¤ ne plus le cajoler.
¡ª Cette situation est bien ironique, hein ? Petit nalth dans sa toute-puissance, persuad¨¦ qu¡¯il pourrait m¡¯an¨¦antir¡ Moi qui suis l¡¯¨¦ternel, moi qui suis votre lumi¨¨re dans les t¨¦n¨¨bres¡ Tiens¡ Je me demande ce qu¡¯il se passe si je fais ?a par exemple¡
Il lui tordit un doigt. Le nalth hurla piteusement, la gorge enserr¨¦e.
¡ª Les petits doigts du Segpa?s demeurent entiers. Incroyable¡ Je ne suis pas certain qu¡¯il ne ressente rien, mais qu¡¯est-ce que j¡¯en ai ¨¤ foutre ? Rien. Et toi qui croit que¡ La pute n¡¯¨¦tait pas aussi dr?le que ?a, laisse-moi m¡¯esclaffer pour une fois ! Pauvre con va¡
Les yeux de Gildas se r¨¦vuls¨¨rent d¡¯horreur. Maga ouvrit une bouche d¨¦mesur¨¦e, une s¨¦rie de crocs per?aient le palet.
¡ª Tu sais quoi ? J¡¯ai une chouette id¨¦e mon copain, pour qu¡¯on puisse finir cette courte relation en beaut¨¦. Je vais enfiler mon bras dans ton cul, puis je remonterais jusqu¡¯¨¤ que je trouve la sortie. Je coudrais tes mis¨¦rables l¨¨vres par l¡¯int¨¦rieur, tu m¡¯entends ?
Le nalth g¨¦mit. Il comprenait. Le bras libre de Maga descendit en une longue caresse d¨¦munie de sensualit¨¦.
¡ª J¡¯esp¨¨re pour toi que t¡¯as bien bais¨¦ tes frangins, murmura suavement Maga. Je ne cracherais pas sur la main du pauvre Silas, il devra louvoyer en toi ¨¤ l¡¯ancienne¡ Pauvre b¨ºte.
Ses ongles s¡¯ancr¨¨rent dans ses fesses, les doigts lambin¨¨rent ¨¤ l¡¯entr¨¦e de l¡¯anus. L¡¯espace d¡¯un instant, on put croire qu¡¯ils allaient s¡¯embrasser quand soudain il le p¨¦n¨¦tra.
¡ª Arr¨ºte ! qu¨¦manda Cosmo.
Peut-¨ºtre ¨¦tait-ce en r¨¦ponse, peut-¨ºtre pas, mais il cessa et relacha le nalth qui profita de l¡¯occasion pour prendre une grande goul¨¦e d¡¯air, ne songeant pas ¨¤ fuir sinon ¨¤ vomir.
¡ª Qu¡¯est-ce que c¡¯est que ce bordel ? Que me fais-tu mon copain ? Merde, ?a ne peut pas ¨ºtre toi¡
Il leva le regard au-del¨¤ du plafond d¨¦truit. Une z¨¦brure venait d¡¯appara?tre dans le Flux. Elle ¨¦tait d¡¯un bleu ¨¦lectrique, l¨¤ o¨´ une femme qui n¡¯avait plus rien ¨¤ perdre faisait feu. L¡¯h?te de Maga n¡¯¨¦tait pas responsable de cette tentative d¡¯¨¦viction de son corps. Qu¡¯est-ce qui se tramait, l¨¤-haut ?
¡ª Fait chier, cracha-t-il. FAIT CHIER ! Qu¡¯as-tu fait salope ?!
¡ª Le ciel, bafouilla le nalth.
Le Gr¨ºl¨¦ sentit en lui bouillir son sang. Le ciel se trouvait dans un dr?le d¡¯¨¦tat et lui de m¨ºme. L¡¯Ennemi paraissait abasourdi. La z¨¦brure dans le Flux devint une br¨¨che, de celle-ci naquit un anneau de feu qui scarifia les cieux et se r¨¦pandit comme une aur¨¦ole de fum¨¦e expir¨¦e par un fumeur en phase terminale alors qu¡¯une cellule canc¨¦reuse explosait dans le cerveau du nalth. Il se renversa en arri¨¨re, un poisseux m¨¦lange de ses pens¨¦es lui coulant des oreilles. Il ne vit pas le bleu du ciel qui, pour la premi¨¨re fois depuis des mill¨¦naires, se d¨¦voila ¨¤ eux. Une ¨¦toile dansait pi¨¦g¨¦e dans les derniers reliquats de la toile de Maga (? cette salope stellaire me nargue ? aurait dit l¡¯int¨¦ress¨¦) et coiffait d¡¯une chape dor¨¦e un roc d¡¯acier support¨¦ par d¡¯extraordinaires flammes d¡¯un bleu plus intense que le ciel qui, maintenait, se veinait de gris.
Il se mit ¨¤ pleuvoir, insens¨¦e b¨¦n¨¦diction dans le d¨¦sert, et Maga pointa la Cit¨¦ ainsi d¨¦voil¨¦e. Il ne la connaissait que trop bien, les d¨¦voreurs de perles ¨¦taient de retour et la salope avait gagn¨¦. Elle continuerait sa course solitaire, s¡¯¨¦loignant toujours plus du foyer jusqu¡¯¨¤ que l¡¯entropie envahisse une plan¨¨te laiss¨¦e trop froide par son absence. Avec les r¨¦serves qui restaient en lui, il hurla :
¡ª CONNARDS ! AFFREUX CONNARDS !
Un filament s¡¯¨¦chappa de son regard enrag¨¦. Le Flux montait de lui, rejoignait le reste de son ¨ºtre qui se disloquait. Son ?uvre s¡¯effa?ait et bien que sa destruction ne soit pas le fait des terrestres, il d¨¦cida de s¡¯occuper de ceux qui erraient dans les ruines du Y?pes. Peu importe qu¡¯ils soient fautifs ou pas, ils descendaient de ces connards qui survolaient sa plan¨¨te apr¨¨s tout. Il se rua sur le nalth qui reprenait peu ¨¤ peu conscience de sa situation, entrouvrit les l¨¨vres pour demander sa piti¨¦ mais ne r¨¦agit que trop tard. Il lui ¨¦clata le crane contre le mur, sa cervelle ¨¦claboussa en une gerbe sinistre qui rompit les traits col¨¦riques du visage de celui qui fut Silas Segpa?s, ne laissant qu¡¯un masque horrifique ¨¤ la place.
Cosmo, terrifi¨¦, se tassa dans un coin. Il aimait le capitaine, du moins l¡¯avait, et ne supportait pas de voir son corps s¡¯acharner sur la masse informe du nalth. Le Bigleux lui-m¨ºme s¡¯en ¨¦tait mieux tir¨¦, m¨ºme si ses tripes avaient ¨¦t¨¦ d¨¦roul¨¦es comme un ver solitaire il d¨¦couvrait qu¡¯il pouvait exister pire mutilation qu¡¯une ¨¦visc¨¦ration.
¡ª Va te faire foutre¡ Oui, FOUTRE ! Peu importe tes dieux, ils t¡¯accueilleront avec plaisir ! continua Maga.
Au septi¨¨me coup, une seconde d¨¦flagration parvint jusqu¡¯aux ruines alors qu¡¯un d¨¦p?t d¡¯explosifs miniers stock¨¦s ¨¤ la Surface citadine explosait. Le Flux se d¨¦sint¨¦grait d¨¦sormais en deux points distincts et lorsque le fracas arriva ¨¤ eux, il avait d¨¦j¨¤ bien morfl¨¦. La d¨¦chirure qui s¡¯empara du c?ur de Maga le tourmenta. Toute cette ¨¦nergie consacr¨¦e ¨¤ sa plus grande ?uvre qui s¡¯¨¦vaporait, soudainement, juste parce que¡ Oui, c¡¯¨¦tait ces connards de bouffeurs de perles et ils revenaient. La salope s¡¯¨¦chappait de nouveau, son existence ¨¦ternel et solitaire recommencerait, remise ¨¤ neuf par le coup de pinceau d¡¯un bleu ¨¦clatant qui s¡¯emparait de l¡¯univers.
¡ª FAIT CHIER.
Ce cri fut de douleur alors que le Flux lui revenait, amoindri et d¨¦bilitant. Sa propre force se retournait contre lui, malmenant l¡¯int¨¦grit¨¦ du lien d¨¦licat qu¡¯il avait tiss¨¦ avec un inconnu¡ Un¡
La colocation touche ¨¤ sa fin et l¡¯h?te te fout ¨¤ la porte. Tu veux toujours me baiser ? D¨¦gage, ta puanteur mill¨¦naire n¡¯a pas de place dans mon putain de pif.
Il entendit le capitaine ¨¦mettre cette pens¨¦e avec une clart¨¦ absurde. Il reprenait le contr?le¡ Maga se sentit d¡¯une faiblesse invraisemblable et consid¨¦ra les b¨¦n¨¦fices de s¡¯accrocher ¨¤ ce corps comme le varech au roc. Qui sait lesquels existaient ? Ce qu¡¯il en voyait, c¡¯¨¦tait que la mer ¨¦tait d¨¦cha?n¨¦e et finirait par l¡¯emporter. Il serait d¨¦coll¨¦, balay¨¦ par les vagues et peut-¨ºtre que cela serait ¨¤ tout jamais. Il ne pouvait pas mourir, il le croyait d¡¯une mani¨¨re forcen¨¦e, mais si le capitaine reprenait place en lui, partagerait-il, en plus de son corps, sa mortalit¨¦ ? La seule id¨¦e qu¡¯il puisse d¨¦finitivement dispara?tre l¡¯insupporta. Lui qui vivait sur cette plan¨¨te bien avant que les premiers humains ne commencent ¨¤ sortir de leur Afrique natale et qui vivra bien apr¨¨s que les derniers aient disparu, emprisonn¨¦ dans les strates g¨¦ologiques de M¨¦ga?a, ne pouvait cesser d¡¯exister¡ Non, cela ¨¦tait impossible.
Sauf qu¡¯il ne pouvait se r¨¦soudre ¨¤ retourner ¨¤ son ¨¦tat ant¨¦rieur. Son ¨¦veil ¨¦tait une b¨¦n¨¦diction, la vie se pr¨¦sentait ¨¤ lui et elle n¡¯¨¦tait pas toujours vide. Apr¨¨s des mill¨¦naires pass¨¦s sous sa propre ombre, il se sentait partir et il ne le voulait pas.
¡ª D¨¦gage ! hurla l¡¯Hybride, de plus en plus propri¨¦t¨¦ exclusive du capitaine.
La main qu¡¯il contr?lait une poign¨¦e de minutes auparavant agrippa l¡¯outil de torture, encore plant¨¦ dans la joue et tira d¡¯un coup sec. Maga se recroquevilla dans ce lambeau de peau. Il se sentait en position de faiblesse : n¡¯¨¦tait-ce pas lui, l¡¯authentique Silas Segpa?s, qui venait d¡¯hurler par l¡¯interm¨¦diaire d¡¯une bouche qu¡¯il ¨¦tait venu ¨¤ consid¨¦rer comme sienne ?
Je t¡¯en supplie ! Laisse-moi avec toi. Toi et moi, on peut vivre pour toujours, nous¡ - / - NON ! - / - Mais comment ? Silas ? Tu ne comprends pas¡ Tu ne¡ C¡¯est cette salope, elle t¡¯aide !
Comme pour lui r¨¦pondre, un rayon lumineux vint faire briller la chair ¨¤ nu de Silas. Il tira plus fort et la peau se d¨¦colla totalement, Maga vacilla et disparut en m¨ºme temps que les derniers restes de Flux. Il ne restait du capitaine qu¡¯un corps agit¨¦ de spasmes, caress¨¦ avec amour par le doux rayonnement stellaire. Les mauvaises ann¨¦es ¨¦taient finies pour M¨¦ga?a, mais ne faisaient que commencer pour Silas Segpa?s.
épilogue : Sous le Flux, partie 8
Les horizons d¨¦voil¨¦s par l¡¯effondrement du Flux men¨¨rent les peuples de M¨¦ga?a au bord de l¡¯implosion cosmologique. Qu¡¯¨¦tait-ce monde, depuis toujours leur, qui leur paraissait si diff¨¦rent d¨¦sormais ? Tout juste deux semaines s¡¯¨¦taient ¨¦coul¨¦es depuis que les terrestres d¨¦couvraient cet astre brillant et cette montagne qui volait, les narguant d¡¯une ombre titanesque coiffant l¡¯¨¦quivalant d¡¯une oasis dans le d¨¦sert. Parfois, de longs cigares argent¨¦s sortaient de ses flancs, r¨¦alisaient des cercles de fum¨¦es dans le ciel et venaient atterrir entre les dunes. Les premiers t¨¦moins de cette invasion tranquille fuirent, ignorant les gestes d¡¯apaisement des Citoyens d¨¦sireux d¡¯¨¦change et surtout de vie.
C¡¯¨¦tait devenu le quotidien de M¨¦ga?a depuis que Suranis Rh¨¦on avait fait explos¨¦ la Surface, r¨¦duisant ¨¤ n¨¦ant la flotte de r¨¦colteurs. Par une chance extraordinaire la prison Norddle tint bon et les r¨¦serves de mati¨¨res radioactives surv¨¦curent, mais pour combien de temps encore parviendraient-ils conjointement ¨¤ assurer le maintien de la Cit¨¦ en l¡¯air ? Bien peu s¡¯accordaient ¨¤ dire les ing¨¦nieurs citadins, peut-¨ºtre une dizaine d¡¯ann¨¦es avant qu¡¯ils ne rejoignent les terrestres apeur¨¦s par leur simple existence. Les solutions qui s¡¯offraient ¨¤ eux n¡¯¨¦taient pas radieuses. Ils d¨¦cid¨¨rent rapidement d¡¯explorer la plan¨¨te, mais les premi¨¨res exp¨¦ditions furent vou¨¦es ¨¤ l¡¯¨¦chec. Les aventuriers descendirent des navettes, se risqu¨¨rent une heure ¨¤ la gravit¨¦ inhabituelle et rentr¨¨rent, ¨¦reint¨¦s apr¨¨s avoir pein¨¦ ¨¤ franchir une dizaine de m¨¨tres. Par la suite, on les ¨¦quipa d¡¯exosquelettes terrifiants, utilis¨¦s pour la manutention des charges lourdes et qui, en plus d¡¯¨ºtre ¨¦nergivores, faisaient se carapater les rares ames qu¡¯ils rencontr¨¨rent dans ces ¨¦tranges terres de sables parsem¨¦es de cabanes de briques crues.
Personne pour les aiguiller, personne pour leur pr¨¦senter la corne d¡¯abondance qui les sauveraient tous. Le moral n¡¯¨¦tait pas au beau fixe, bien que l¡¯¨¦ch¨¦ance soit encore relativement lointaine. On continuait ¨¤ explorer la plan¨¨te, multipliant les exp¨¦ditions tant qu¡¯il existait l¡¯¨¦quipement ad¨¦quat pour celles-ci. Sans corps malmen¨¦s par la Cit¨¦, une ¨¦migration pure et simple aurait-¨¦t¨¦ envisageable. Il y aurait eu des morts, mais moins que dans dix ans. Beaucoup moins. La fin ¨¦tait sur toutes les l¨¨vres. L¡¯espoir restait en sourdine, port¨¦ par des ¨¦quipes solitaires qui exploraient le d¨¦sert Ourakien ¨¤ bord de v¨¦hicules ressemblant aux ROVER primitifs. Une d¡¯entre elle progressait ¨¤ une tr¨¨s faible allure, pas plus d¡¯une trentaine de kilom¨¨tres par heure, lorsqu¡¯elle rencontra des ruines.
¡ª Au moins, on sait une chose. La r¨¦gion ¨¦tait en proie ¨¤ un conflit aussi d¨¦vastateur que celui qui a souffl¨¦ la Surface, commenta un des membres.
¡ª On ne sait toujours pas ce qui a souffl¨¦ la Surface, lui r¨¦pondit-on.
¡ª C¡¯est vrai, mais au moins pourrait-on apprendre ce qu¡¯il s¡¯est pass¨¦ par ici.
Le soupir de son interlocuteur s¡¯av¨¦ra inaudible ¨¤ travers le masque. ?a aussi ?a aidait ¨¤ avoir les id¨¦es claires. Un ou deux pourcent d¡¯oxyg¨¨ne d¨¦ficient dans l¡¯air suffisaient ¨¤ rendre les Citoyens bien pales.
¡ª Et comment ils parviennent ¨¤ incin¨¦rer les ruines, fit remarquer le conducteur.
C¡¯¨¦tait vrai et un espoir tangible, bien que minime. L¡¯¨¦nergie d¨¦pens¨¦e dans la ruine pouvait l¡¯¨ºtre dans la Cit¨¦ pour peu qu¡¯on permette ¨¤ mettre la main sur l¡¯art¨¦fact ¨¤ l¡¯origine du crime. S¡¯il existait. Personne n¡¯avait eu le courage de l¡¯utiliser contre les cr¨¦atures de malheur qui sillonnaient la Terre.
¡ª All¨¦luia, murmura le premier qui haussa aussit?t la voix. Plut?t que de cramer ¨¤ tout va, ils devraient venir dans les cales de la Cit¨¦. On ressort les chaudi¨¨res ? En mode steampunk. On pourra bien jeter nos copains dans les fours, ¨¤ l¡¯ancienne.
Ils rican¨¨rent m¨¦caniquement ¨¤ la blague. La p¨¦nurie ¨¦nerg¨¦tique in¨¦dite dans la Cit¨¦ ¨¦tait un probl¨¨me majeur, mais il y en existait aussi un autre : l¡¯alimentaire. Pour l¡¯instant les r¨¦serves tenaient bon, on recyclait avec une assiduit¨¦ grandissante les d¨¦chets. Cela ne tiendrait pas. Dix ans avant de s¡¯effondrer, peut-¨ºtre moins avant les premiers grands actes de cannibalisme qui jalonnaient l¡¯histoire humaine.
Finalement, se casser la gueule et d¨¦vorer les G ¨¦tait une fin plus louable. Le silence qui suivit cette consid¨¦ration ¨¦tait pesant. Il ne fut rompu que lorsque le v¨¦hicule sauta en attaquant trop violement ce qui semblait ¨ºtre un arbre ¨¦tal¨¦ au milieu de la route. Le probl¨¨me c¡¯¨¦tait qu¡¯il n¡¯y avait pas un seul arbre ¨¤ l¡¯horizon, nada. Peut-¨ºtre une broussaille plus solide que les autres ?
¡ª Putain de merde, fait chier ! gueula le pilote avec un exc¨¨s tout citadin. Foutues routes, j¡¯esp¨¨re qu¡¯on n¡¯a pas crev¨¦. Tu vas voir Heck ? Bordel !
Il donna un coup rageux sur le volant qui ne r¨¦agit pas. Pas de klaxons pour les zoneurs de la surface, v¨¦ritable et bien lointaine de l¡¯id¨¦e qu¡¯on s¡¯en faisait dans la Cit¨¦. Heck le d¨¦visagea, souffla sa toute puissante envie de sortir du v¨¦hicule et se r¨¦signa. L¡¯int¨¦rieur du v¨¦hicule ¨¦tait climatis¨¦, voire m¨ºme frigorifi¨¦, afin de contrer la chaleur torrentielle qui r¨¦gnait dans les tas de ferrailles ultra-technologiques contenue dans un tas qui l¡¯¨¦tait nettement moins. Dehors, le confort serait tout relatif malgr¨¦ le syst¨¨me de refroidissement int¨¦gr¨¦ ¨¤ l¡¯armure commando du malheureux.
Pauvre gars. Descends dans les sables toi et ton armure ¨¤ la conne, la courte-paille tu l¡¯as tir¨¦¡
Heck jeta un dernier ?il dans le v¨¦hicule en ouvrant la porte. Ses co¨¦quipiers avaient l¡¯air ¨¤ l¡¯aise, moins charg¨¦s qu¡¯il ne l¡¯¨¦tait, lui le poids lourd de l¡¯exp¨¦dition. Un courant d¡¯air chaud s¡¯engouffra dans le v¨¦hicule et on recommanda ¨¤ Heck de se tirer au plus vite et de fermer cette satan¨¦e porte. La mission fut accomplie avec un z¨¨le exemplaire et il se retrouva seul, ¨¤ l¡¯ext¨¦rieur. Les sondes indiquaient 31¡ãC, mais rapidement atteignirent une quarantaine ¨¤ travers les sept millim¨¨tres de t?le que supportait Heck. Bien d¨¦cid¨¦ ¨¤ quitter cette fournaise au plus vite, il contourna le v¨¦hicule arr¨ºt¨¦ et hoqueta devant le spectacle qui s¡¯offrit ¨¤ lui. Il ne s¡¯agissait pas d¡¯un arbre abattu (id¨¦e saugrenue qui fut la leur, ici dans ce d¨¦sert absolu), mais de cadavres soigneusement align¨¦s. Des vautours avaient commenc¨¦ leur besogne et un fanion penchait mis¨¦rablement apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ heurt¨¦.
¡ª Tu viens de faire de la pur¨¦e Jo, bredouilla Heck dans son talkiewalkie.
¡ª Comment ?a ?
¡ª Des cadavres.
¡ª Fait chier !
Le pilote sortit ¨¤ son tour. Les corps avaient tous le visage masqu¨¦ d¡¯un keffieh d¨¦ploy¨¦, leur donnant une d¨¦cence toute minimale. Certains ¨¦taient ¨¦corch¨¦s vifs. Une poussi¨¨re bleut¨¦e les recouvrait et les charognes regardaient cet attroupement avec convoitise, attendant que les envahisseurs retournent d¡¯o¨´ ils venaient.
Jo souleva son masque et cracha par terre.
¡ª Encore des macchab¨¦s. C¡¯est donc ¨¤ ?a que ressemble une guerre ? Aide-moi ¨¤ d¨¦placer celui qui s¡¯est coinc¨¦ sous les roues et on fait demi-tour.
Jo frappa un coup sec contre la verri¨¨re du v¨¦hicule.
¡ª Et toi monte sur la tourelle, j¡¯ai pas envie qu¡¯ils viennent nous emmerder pendant qu¡¯on est occup¨¦.
L¡¯¨¦quipier approuva et monta aussit?t ¨¤ son poste. Il occupait une place qu¡¯Heck enviait. Le mastodonte en armure commando attrapa un cadavre par les pieds et commen?a ¨¤ tirer. La chair lui resta entre les mains et il d¨¦rapa sur le tibia.
¡ª Bordel de merde ! s¡¯¨¦cria-t-il. Ils ne tiennent pas ces cons¡ Depuis combien de temps sont-ils dehors ?
¡ª Qu¡¯est-ce que j¡¯en sais ? Bouge-toi par piti¨¦, j¡¯en ai d¨¦j¨¤ ma claque de ce coin paum¨¦.
Le sentiment ¨¦tait partag¨¦, mais ses gants glissaient. La semaine pr¨¦c¨¦dant le d¨¦sastre, il tirait des chariots dans un d¨¦p?t de l¡¯¨¦tage C qui luisaient ¨¦trangement dans la p¨¦nombre. Un travail simple, tr¨¨s certainement nocif pour son corps, mais ?a¡
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Je n¡¯ai jamais manipul¨¦ de cadavres. Jamais¡
Il retira ses gants, tentant de se convaincre avec l¡¯¨¦nergie du d¨¦sespoir qu¡¯il se saisirait de la barre d¡¯un chariot quelconque dont les roues motoris¨¦es s¡¯actionneraient pour l¡¯aider dans sa tache. Malgr¨¦ tout, il ne put s¡¯emp¨ºcher de sentir l¡¯os, un peu poreux, sous ses doigts. L¡¯odeur de la mort s¡¯engouffra entre les tubes qui grimpaient dans ses narines.
Je vais vomir.
Le cadavre recommen?a son voyage en dehors du chemin du v¨¦hicule d¡¯exploration. Une de ses vert¨¨bres craqua, sa panse d¨¦j¨¤ bien entam¨¦e s¡¯ouvrit de plus belle et r¨¦pandit le peu d¡¯intestins qui demeuraient intacts. Heck recula vivement, pr¨¦c¨¦d¨¦ par Jo le Pilote. Ils ne vomirent pas, mais palirent ostensiblement pendant que les vautours regardaient intrigu¨¦s ce spectacle. Comment ne peut s¡¯extasier devant pareil festin ?
¡ª Putain¡ Putain¡ MERDE ! Il n¡¯y a rien ici. Rien que la mort, s¡¯¨¦cria Heck. On va finir comme ces gars !
¡ª Mec¡ Calme-toi et regarde¡
Jo d¨¦signa le cadavre. Le keffieh venait de glisser. Il n¡¯avait plus d¡¯yeux et ses orbites d¨¦fonc¨¦es ne pouvaient avoir ¨¦t¨¦ victimes des rapaces.
Que s¡¯est-il donc pass¨¦ ici ? D¨¦gageons¡ La mission est un ¨¦chec et¡
¡ª Qu¡¯est-ce que vous foutez ?! cria-t-on.
Les Citoyens se regard¨¨rent avec ¨¦tonnement alors qu¡¯ils tentaient de percer les myst¨¨res d¡¯une langue ¨¦trang¨¨re qui ne l¡¯¨¦tait pas vraiment. Elle n¡¯avait rien ¨¤ voir avec la langue citadine, mais ressemblait ¨¤ une sorte de patois tr¨¨s ancien. Tous ceux qu¡¯ils avaient rencontr¨¦ auparavant fuyaient, ne comprenant rien aux messages de paix apport¨¦s par les Citoyens et ¨¤ leur demande pr¨¦cise. Mais voil¨¤ qu¡¯un accourait vers eux en leur lan?ant de grandes impr¨¦cations, remuant ses bras sans para?tre apeur¨¦ par les cr¨¦atures qui venaient du ciel. Il semblait diff¨¦rent, pas la bonne teinte de peau et les cheveux trop clairs.
¡ª Merde, C¨¦lestes ! Vous ne savez donc pas respecter les morts ? D¨¦gagez d¡¯ici !
Le local fut rapidement ¨¤ port¨¦e de vue. Il restait dans ses yeux un ¨¦clat d¡¯un vert naus¨¦abond qui leur rappela aussit?t le Flux et il y avait aussi cette marque, singuli¨¨re, qui lui barrait la gorge. Ils d¨¦glutirent ¨¤ sa vue, l¡¯inversement des r?les ne leur plut nullement. Cet homme ¨¦tait mort. Du moins l¡¯avait-il ¨¦t¨¦ ¨¤ une p¨¦riode charni¨¨re de sa vie et il parlait.
¡ª Je ne connais pas ce mot, dit Heck pris au d¨¦pourvu. C¨¦lestes ?
Il ne comprenait pas les autres mots non plus. Simplement que tout cela ¨¦tait du latin ¨¤ ses yeux et du genre mal parl¨¦.
¡ª Bande de connards¡ Les vautours envoient mes copains direct au paradis, s¡¯ils se font bouffer le visage seules leurs ombres y acc¨¨deront¡ Vous ne comprenez rien, hein ? Toujours ¨¤ d¨¦ambuler entre les ruines et foutre la merde. Vous auriez d? rester en haut¡ Ouais !
L¡¯inconnu au regard fou s¡¯approcha du cadavre aveugle et lui recouvrit avec tendresse le visage. Il ne semblait pas plus ¨¦tonn¨¦ que ?a de partager une langue presque commune avec les C¨¦lestes. Apr¨¨s tout, ils ¨¦taient les Anciens. En tout cas, c¡¯est ce qu¡¯il supposait.
¡ª ? Copains ?, balbutia Heck dans la langue que venait d¡¯utiliser l¡¯inconnu. Je connais ce mot. Vous ajoutez des¡ Consonnes suppl¨¦mentaires. Attendez ! Nous pouvons¡
Sous ses yeux l¡¯unit¨¦ de traitement de langue, plac¨¦ ici au cas o¨´ une vie intelligente existat, s¡¯¨¦tonna des fortes similitudes. Bient?t, elle serait en mesure de proposer des ¨¦quivalences, mais elles ¨¦taient d¨¦j¨¤ superflues. Le mort-vivant parlait plus ou moins leur langue s¡¯ils prenaient le temps de d¨¦composer chacune de ses phrases. La conversation serait longue et douloureuse.
¡ª Blablabla, entonna l¡¯inconnu. Moi pas piger ce que vous racontez ! Moi vouloir que vous d¨¦gagez, compris ?
Il grogna comme un chien enrag¨¦. Malgr¨¦ la sup¨¦riorit¨¦ num¨¦rique comme technique dont il b¨¦n¨¦ficiait, les Citoyens recul¨¨rent d¡¯un bond. ? Raconter ?¡ Oui, ils se trouvaient dans l¡¯¨¦quivalent Citoyen d¡¯un p¨¦plum, mais personne n¡¯avait pris langue ancienne lors de son cursus scolaire.
¡ª Qu¡¯est-ce que c¡¯est Cosmo ?
La voix, tr¨¨s faible, parvenait de derri¨¨re un muret abattu. Un autre local se hissa avec difficult¨¦. Il sourit en les voyant.
¡ª Vous n¡¯avez pas vraiment chang¨¦, remarqua-t-il dans leur langue, presque parfaite. Peut-¨ºtre plus de rouilles.
Silas ne se rappelait pas vraiment d¡¯eux. Il savait ce que Maga savait, des mill¨¦naires de connaissance grav¨¦s au fer rouge dans son cerveau humain. Cela lui donnait l¡¯impression d¡¯¨ºtre ¨¤ deux doigts de vomir, constamment. Les Citoyens s¡¯agit¨¨rent, l¡¯un d¡¯entre eux regarda un appareil qu¡¯il portait ¨¤ la ceinture et donna une petite tape sur l¡¯¨¦paule de l¡¯autre. Ils ¨¦chang¨¨rent un air entendu.
¡ª Vous parlez notre langue, dit le pilote.
¡ª Non, pas moi, mais lui oui, r¨¦pondit Silas en tapotant sa t¨ºte.
Une brindille pour d¨¦crocher une noix de coco. Voil¨¤ l¡¯image qui s¡¯immis?a ¨¤ l¡¯esprit des Citoyens. Bien s?r, personne n¡¯avait vu ni l¡¯un ni l¡¯autre ailleurs que dans de vieux films num¨¦ris¨¦s.
¡ª Vous ne comprendrez pas. Je ne suis pas certain de comprendre moi-m¨ºme¡
¡ª Peu importe, c¡¯est une joie que de vous rencontrer. Je m¡¯appelle Joth et lui c¡¯est Heck. Dans le v¨¦hicule, vous trouverez Jan et Yuri, mais je doute qu¡¯ils sortent pour vous saluer.
¨¤ quoi bon ? Ils passeraient par un caisson de d¨¦contamination s¡¯ils passaient la moindre seconde avec ce cadavre ambulant. Ce dernier ¨¦ternua avec force. Une glaire noire sortit de lui et la lueur verte dans ses yeux, la m¨ºme que chez l¡¯¨¦gorg¨¦, dansa. Les capteurs G-M des Citoyens s¡¯¨¦nerv¨¨rent. Ils r¨¦agissaient ¨¤ la mati¨¨re qui sortait de cet homme.
¡ª C¡¯est un cadeau¡ fit-il faiblement. De la poussi¨¨re de perles¡ C¡¯est ce que je redeviens.
Et je suis mourant, songea sordidement Silas. Si ce bon vieux Cosmo n¡¯avait pas eu piti¨¦ de son feu chef, je serais d¨¦j¨¤ mort.
Les Citoyens le regard¨¨rennt comme une b¨ºte de foire. Il s¡¯assit avec difficult¨¦ dans le sable rouge. Rouge et pas vert sous la lumi¨¨re naturelle. Le monde changeait et il changeait avec.
¡ª Vous mourez, remarqua Heck.
¡ª Contamination aux perles comme ce bon vieux nalth¡
C¡¯est toi qui l¡¯a d¨¦zingu¨¦. Pas ton colocataire envahissant¡ P.S. : Tue-toi si tu venais ¨¤ survivre.
Il cracha le reste de ses poumons.
¡ª Ne me reste pas longtemps. Mais bon, je n¡¯y peux rien. Il semblerait que toutes les ¨¦conomies de notre compagnie ne valent plus grand-chose et je ne suis pas s?r qu¡¯un docteur puisse m¡¯aider.
¡ª Silas¡ murmura Cosmo dans son dos en finissant de remettre le Bigleux dans une position respectable.
Le capitaine sortit de sa poche une perle noire qu¡¯il craqua machinalement, elle ¨¦clata d¡¯un bref ¨¦clat brillant. Cela signifiait peu pour lui. Un pur gaspillage qui l¡¯aurait r¨¦vuls¨¦ la veille, mais voil¨¤ que la lumi¨¨re n¡¯¨¦tait plus la denr¨¦e la plus rare de ce monde et il se surprit ¨¤ imaginer les nantis aux entrep?ts envahis de perles qui, du jour au lendemain, se retrouvaient ruin¨¦s.
En r¨¦ponse, les compteurs G-M gr¨¦sill¨¨rent violemment.
¡ª Pauvres¡ souffla Heck, le pilote du v¨¦hicule approuvant sa remarque avec un large rictus. Mon cul ! J¡¯ai une id¨¦e de ce que vous avez ! Et de ce que vous poss¨¦dez¡
¡ª Je ne poss¨¨de plus rien et sinon¡ La mort qui me guette ? Je l¡¯attends, je veux tout oublier. Vous ne pouvez pas savoir ce qui nous est arriv¨¦s.
Ils ne pouvaient pas savoir, mais pour ce qui ¨¦tait de l¡¯oubli ils pouvaient aussi aider m¨ºme si l¡¯id¨¦e les r¨¦vulsait. Ce ne serait pas cher pay¨¦ pour sauver la Cit¨¦ et les Citoyens sourirent d¡¯une joie pure ¨¤ cette initiative.
¡ª On tient le gros lot, dit Jo. Tu penses qu¡¯on pourra faire sortir quoique ce soit de cette caillasse ?
¡ª Tr¨¨s certainement, dit Heck. Nous sommes des putains de h¨¦ros, voil¨¤ tout !
Les yeux d¡¯Heck s¡¯illumin¨¨rent de convoitise en remarquant la bourse pendante aux c?t¨¦s du mourant. Elles renfermaient de ces sph¨¨res noires, beaucoup trop¡ Si cet homme ¨¦tait pauvre, la plan¨¨te serait une source presque in¨¦puisable de carburant pour la Cit¨¦. Pour peu qu¡¯ils puissent en tirer quoi que ce soit.
¡ª Je crois que nous allons pouvoir discuter de la suite¡ Vous avez d¨¦j¨¤ fait un tour de navette ?
Silas r¨¦pondit que non, dans l¡¯instant qu¡¯il suivit il se retrouvait au-dessus de l¡¯Ourakie. En route vers un caisson qui ressemblait ¨¤ un cercueil, mais qui n¡¯en ¨¦tait pas un. Les portes d¡¯aciers de la Cit¨¦ s¡¯ouvrirent, se referm¨¨rent derri¨¨re eux, petit ¨¤ petit la navette exploratoire s¡¯engouffrait dans les galeries ancestrales. Un autre tunnel, mais il ne signifiait pas la fin. Pas tout ¨¤ fait.