J
Ma troisième et dernière sortie, je la réalisa en célébrant la fin de mon confinement. Je pouvais me promener sans crainte avec mon précieux arrêt de travail, froissé et à moitié déchiré, dans ma poche. Nous nous étions finalement accoutumés à la présence d''hommes armés dans le quartier et la rumeur circulait selon laquelle ces derniers ne tarderaient pas à se tirer. J''attendais ce moment avec impatience car le gris des ruines me désolait assez sans qu''on ne vienne y adjoindre le bleu marin de l''autorité. Depuis des jours, les vagues se succédaient dans le quartier et je ne voyais pas la marée redescendre. Cela m''oppressait et lorsqu''ils commencèrent à dispara?tre, le bois pourri échoué sur nos rivages restait en souvenir de leur passage. Par bois pourri, j''entends les visages fermés qui occupaient désormais nos quotidiens. Les autres se dépla?aient furtivement comme si le Héron se trouvait au coin de la rue, mais moi je continuais à marcher. Je prenais conscience que mes sorties précédentes n''avaient comme objectifs que de garder mon esprit éloigné de la famille Escamilla. Je ne portais plus d''affection pour Maria, même s''il serait plus juste de dire que je la comprenais maintenant comme une manifestation de Lucille et du manque que je ne pourrais jamais combler. Un transfert si vous voulez et celui-ci revenait à la surface. Qu''était devenu la femme à l''enfant ? Fuyait-elle son conjoint revenu d''exil ? Lucille avait-elle rencontré ce taré dans la forêt ? Ou alors, plus probable, gardait-elle son enfant à l''abri du Héron ? Maria et Ugo... Je crois que c''est le fait que l''on cessa de les chercher qui les ramena à moi. Tant qu''ils occupaient l''espace mental d''autrui, je ne m''en souciais pas, mais maintenant... Maintenant ils disparaissaient vraiment, oubliés par la masse, et aussi mes pas, en cette dernière exploration maladive, me guidèrent-ils vers la boulangerie désaffectée et la tente qui avait manqué de m''?ter la vie. La boulangerie... Je ne l''avais jamais vraiment remarqué avec sa vitrine barricadée et la vieille cheminée qui se cassait la gueule. Elle appartenait à un monde signifié par ce mot étrange "Boulangerie". Je me mis à penser une autre histoire, où l''humanité serait assez déployée pour que des charges aussi vitales que l''alimentation soient dévouées à des individus plut?t qu''à l''ensemble de la communauté. Qui allumait le four en cette époque révolue ? Les personnes ordinaires venaient-elles, leur paton sous le bras, cuire leur fournée dans ces établissements ?
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J''ignore si c''est à cause de ma maladie, mais cette vue ne m''enchanta pas et je me replia vers la chaussée. Une poubelle publique rencontra mon regard. Elle était pleine. Je me leva précautionneusement et marcha vers celle-ci. Elle contenait un sac de randonnée que je vida. Des paquets marrons tombèrent par terre et je vis nos réserves dérobées, nos barres énergétiques et compléments vitaminés. Je venais de faire la découverte de la semaine et l''aurait certainement reporté si en m''agenouillant pour les ranger, je n''étais pas tombé sur un plaid élimé à tartan jaune qui était resté bloqué au fond du sac. Je le déplia et le replia plusieurs fois. Un copain avait pour habitude de s''en servir comme poncho lors des journées fra?ches et je jura de lui péter la gueule la prochaine fois que je le verrais comme on jure sans jamais vraiment aller au bout de ses dires. Je décida très rapidement de garder cela pour moi et m''embarquais du mauvais c?té de la loi, mais dans l''absolu je ne voyais pas comment faire autrement. Les détails du vol s''alignaient et je ne pouvais faire pencher la balance vers lui. Je me mis à me demander si lorsque j''avais cabossé la tête du vieux, d''autres personnes dans l''assemblée avaient lancé leur pierre avec horreur, connaissant plus que ce qu''ils ne laissaient para?tre.
- T''es qu''un con.